Inverser la pression sociale

Combien d’hommes peuvent arri­ver à la véri­té sans le secours de l’au­to­ri­té et, pire, à rebours de la pres­sion sociale ?

Dans la grande bataille contre la funeste « liber­té reli­gieuse » que mena au Concile Mgr Lefebvre, assis­té de son théo­lo­gien l’ab­bé Berto, le pré­lat employa des rai­sons tirées du Magistère et des argu­ments d’ordre philosophique.

Mais Mgr Lefebvre, qui était un homme de ter­rain, employa aus­si un argu­ment qu’on pour­rait appe­ler « socio­lo­gique », « anthro­po­lo­gique » ou « éducatif ».

Il y en a qui disent, écri­vait alors pour lui l’ab­bé Berto, que la véri­té peut par elle-​même et toute seule vaincre l’er­reur, sans l’aide d’au­cune auto­ri­té. Ce sera vrai le jour où les hommes ne seront plus des hommes, mais des sur­hommes. (…) Le Schéma fait silence sur les timides, il fait silence sur les esclaves du péché, il fait silence sur la pres­sion des pas­sions, il fait silence sur la dif­fu­sion des erreurs par des hommes per­vers, pour ima­gi­ner un homme sur­an­gé­lique. (…) En quel endroit du monde, sur quelle pla­nète ce Schéma nous établit-​il ? (…) La plu­part des hommes ne sont pas capables de vaincre les erreurs même vin­cibles, à moins que l’er­reur ne soit éloi­gnée d’eux par ceux qui en ont reçu la charge, et qu’ils res­pirent la véri­té dans une cer­taine mesure.

Ce que Mgr Lefebvre résu­mait d’une phrase éner­gique, en stig­ma­ti­sant « l’ir­réa­lisme de cette Déclaration » :

La recherche de la véri­té, pour les hommes vivant sur cette terre, consiste avant tout à obéir, à sou­mettre leur intel­li­gence à quelque auto­ri­té que ce soit, fami­liale, reli­gieuse et même civile. Combien d’hommes peuvent arri­ver à la véri­té sans le secours de l’autorité ?

Incontestablement, l’homme se déter­mine beau­coup plus en rai­son de la pres­sion sociale, c’est-​à-​dire en défi­ni­tive de l’au­to­ri­té (auto­ri­té des parents, de l’État, des gens intel­li­gents, du nombre, des médias, de la télé­vi­sion, de la publi­ci­té, de la mode, etc.), qu’a­près une longue et minu­tieuse étude du pro­blème, qu’a­près une enquête appro­fon­die auprès des spé­cia­listes de la question.

D’où l’im­por­tance majeure, pour la décou­verte de la véri­té chez la plu­part des hommes, pour leur droite vie morale et reli­gieuse, d’une pres­sion sociale una­nime et orien­tée vers le vrai et le bien. Pour que les hommes en géné­ral (et nous devons nous inclure nous-​mêmes dans ce lot) puissent accé­der à la véri­té et la suivre, il convient que la famille, l’é­cole, l’État, les élites œuvrent simul­ta­né­ment dans le sens de cette vérité.

Or, la situa­tion actuelle est catas­tro­phi­que­ment inverse. Si, dans un cer­tain nombre de cas, le libé­ra­lisme se contente d’en­gen­drer la caco­pho­nie par­mi les auto­ri­tés, donc la per­plexi­té par­mi les hommes, nous consta­tons sur­tout, et de plus en plus, une pres­sion sociale net­te­ment et posi­ti­ve­ment orien­tée vers l’er­reur et le mal, et entraî­nant bon gré mal gré les hommes dans cette direction.

Les modèles de com­por­te­ment inlas­sa­ble­ment dif­fu­sés par le ciné­ma, par les publi­ci­tés, par la télé­vi­sion (notam­ment par les feuille­tons et « séries »), par les radios (et, en pre­mier lieu, par les « émis­sions de libre antenne » des radios pour jeunes comme NRJ, Skyrock, Fun Radio, etc.), par les jour­naux et maga­zines, vont tous dans le même sens de la déca­dence et du mépris de l’es­prit chrétien.

La moque­rie du mariage et sa déva­lo­ri­sa­tion sys­té­ma­tique, la pro­mo­tion de l’a­dul­tère et de la for­ni­ca­tion, l’a­po­lo­gie de l’im­pu­deur, la bana­li­sa­tion expli­cite ou impli­cite de l’ho­mo­sexua­li­té, pour ne par­ler que de cela, favo­risent évi­dem­ment chez nos contem­po­rains un hédo­nisme qui finit par leur sem­bler « natu­rel » puisque, aus­si bien, « tout le monde le fait ».

Mais il serait trom­peur de ne s’ar­rê­ter qu’à la morale conju­gale : il s’a­git de l’arbre qui cache la forêt. Par exemple, la pro­mo­tion de la paresse, par des gains tota­le­ment dis­pro­por­tion­nés au tra­vail four­ni, et les lueurs trom­peuses de la gloire télé­vi­suelle et média­tique, font que beau­coup de jeunes ne rêvent plus que d’être acteur, chan­teur ou man­ne­quin, au détri­ment de leur devoir d’é­tat : c’est là éga­le­ment un fruit de la pres­sion sociale vers le mal.

Notre dos­sier a pour ambi­tion de rendre plus concret, plus immé­diat, notre com­bat cen­tral contre la liber­té reli­gieuse. Les docu­ments du Magistère et les argu­ments phi­lo­so­phiques sont par­fois un peu dif­fi­ciles. Mais l’im­pres­sion­nante pres­sion sociale qui tente de nous entraî­ner vers le mal est une démons­tra­tion écla­tante que, pour le vrai et pour le bien, la liber­té libé­rale, la liber­té du mou­ton au milieu du trou­peau de loups n’est pas une pro­tec­tion adap­tée à une huma­ni­té déchue à la suite du péché originel.

Que faire, face à cette pres­sion sociale ? Y résis­ter, avec la grâce de Dieu, au plan indi­vi­duel et fami­lial. Mais aus­si, tra­vailler à inver­ser la ten­dance, pour réta­blir la natu­relle pres­sion sociale vers le bien, celle qui aide les hommes faibles à res­ter dans le droit chemin.

Sans doute, n’ayant guère accès aux arcanes du pou­voir poli­tique, ne pouvons-​nous espé­rer modi­fier radi­ca­le­ment et dans un délai bref la situa­tion : il convient de res­ter réa­liste. Cependant, le réa­lisme ne doit pas être un pré­texte à la paresse. Il y a des choses pos­sibles à faire. Ces actions, quand bien même elles ne por­te­raient pas tous les fruits espé­rés, auront au mini­mum valeur de témoi­gnage pour l’a­ve­nir. C’est pour­quoi j’ai deman­dé à l’un des par­ti­ci­pants de com­men­ter la belle, utile, cou­ra­geuse et habile cam­pagne contre l’homofolie.

Cependant, nous ne devons pas exclu­si­ve­ment vou­loir « témoi­gner » : ce serait déses­pé­rer de la nature et de la grâce. Certaines réus­sites sont pos­sibles, qui ont leur valeur propre, et nous ne devons pas les sou­ses­ti­mer. Des évé­ne­ments poli­tiques récents ne l’ont-​ils pas mon­tré ? Tous les hommes poli­tiques, tous les médias, toutes les auto­ri­tés morales (y com­pris ecclé­sias­tiques, mal­heu­reu­se­ment) étaient ligués pour obli­ger les Français à voter dans le « sens de l’Histoire ». Et, par une sorte de petit miracle, mal­gré cette incroyable pres­sion, les Français ont trou­vé le cou­rage de dire « Non ».

Il est donc pos­sible d’in­ver­ser une ten­dance, même dominante.

Ou alors il faut dire que la grâce du saint sacri­fice de la messe n’est plus la grâce, que Dieu n’est plus Dieu, remar­quait Mgr Lefebvre en 1979.

Il faut mener ce com­bat pour inver­ser la pres­sion sociale. Car les seuls com­bats cer­tai­ne­ment per­dus sont ceux qu’on ne mène pas.

Abbé Régis de Cacqueray †
Supérieur du District de France

Source : Fideliter n° 166

Capucin de Morgon

Le Père Joseph fut ancien­ne­ment l’ab­bé Régis de Cacqueray-​Valménier, FSSPX. Il a été ordon­né dans la FSSPX en 1992 et a exer­cé la charge de Supérieur du District de France durant deux fois six années de 2002 à 2014. Il quitte son poste avec l’ac­cord de ses supé­rieurs le 15 août 2014 pour prendre le che­min du cloître au Couvent Saint François de Morgon.