Testament de saint Louis, roi de France, à son fils Philippe le Hardi, futur Philippe III

Louis IX, sur son lit de mort à Tunis, donne à son fils ses der­niers conseils pour la conduite du
royaume de France
, par Jacques-​Antoine Beaufort, XVIIIe siècle, cha­pelle de l’École mili­taire de France.

En signe d’hu­mi­li­té, c’est sur un lit de cendres et les bras en croix qu’il com­mence son ago­nie : « Beau Sire Dieu aye pitié de ces pauvres gens que j’ai ame­nés ici et reconduis-​les dans leur pays ; ne per­mets pas qu’ils tombent en la main de nos adver­saires et qu’ils soient obli­gés de renier leur foi en ton Saint Nom »

Texte du testament du futur saint Louis

« A son cher fils Philippe, salut et ami­tié de père.

Cher fils, parce que je désire de tout mon cœur que tu sois bien ensei­gné en toutes choses, j’ai pen­sé que je te ferais quelques ensei­gne­ments par cet écrit, car je t’ai enten­du dire plu­sieurs fois que tu retien­drais davan­tage de moi que de tout autre.

Cher fils, je t’en­seigne pre­miè­re­ment que tu aimes Dieu de tout ton cœur et de tout ton pou­voir, car sans cela per­sonne ne peut rien valoir.
Tu dois te gar­der de toutes choses que tu pen­se­ras devoir lui déplaire et qui sont en ton pou­voir, et spé­cia­le­ment tu dois avoir cette volon­té que tu ne fasses un péché mor­tel pour nulle chose qui puisse arri­ver, et qu’a­vant de faire un péché mor­tel avec connais­sance, que tu souf­fri­rais que l’on te coupe les jambes et les bras et que l’on t’en­lève la vie par le plus cruel martyre.

Si Notre Seigneur t’en­voie per­sé­cu­tion, mala­die ou autre souf­france, tu dois la sup­por­ter débon­nai­re­ment, et tu dois l’en remer­cier et lui savoir bon gré car il faut com­prendre qu’il l’a fait pour ton bien. De plus, tu dois pen­ser que tu as méri­té ceci – et encore plus s’il le vou­lait – parce que tu l’as peu aimé et peu ser­vi, et parce que tu as fait beau­coup de choses contre sa volonté.

Si Notre Seigneur t’en­voie pros­pé­ri­té, san­té de corps ou autre chose, tu dois l’en remer­cier hum­ble­ment et puis prendre garde qu’à cause de cela il ne t’ar­rive pas de mal­heur cau­sé par orgueil ou par une autre faute, car c’est un très grand péché de guer­royer Notre Seigneur de ses dons.

Cher fils, je te conseille de prendre l’ha­bi­tude de te confes­ser sou­vent et d’é­lire tou­jours des confes­seurs qui soient non seule­ment pieux mais aus­si suf­fi­sam­ment bien ins­truits, afin que tu sois ensei­gné par eux des choses que tu dois évi­ter et des choses que tu dois faire ; et sois tou­jours de telle dis­po­si­tion que des confes­seurs et des amis osent t’en­sei­gner et te cor­ri­ger avec hardiesse.

Cher fils, je t’en­seigne que tu entendes volon­tiers le ser­vice de la sainte Eglise, et quand tu seras à l’é­glise garde-​toi de perdre ton temps et de par­ler vaines paroles. Dis tes orai­sons avec recueille­ment ou par bouche ou de pen­sée, et spé­cia­le­ment sois plus recueilli et plus atten­tif à l’o­rai­son pen­dant que le corps de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ sera pré­sent à la messe et puis aus­si pen­dant un petit moment avant.

Cher fils, je t’en­seigne que tu aies le cœur com­pa­tis­sant envers les pauvres et envers tous ceux que tu consi­dè­re­ras comme souf­frant ou de cœur ou de corps , et selon ton pou­voir soulage-​les volon­tiers ou de sou­tien moral ou d’aumônes.

Si tu as malaise de cœur, dis-​le à ton confes­seur ou à quel­qu’un d’autre que tu prends pour un homme loyal capable de gar­der bien ton secret, parce qu’ain­si tu seras plus en paix, pour­vu que ce soit, bien sûr, une chose dont tu peux parler.

Cher fils, recherche volon­tiers la com­pa­gnie des bonnes gens, soit des reli­gieux, soit des laïcs, et évite la com­pa­gnie des mau­vais. Parle volon­tiers avec les bons, et écoute volon­tiers par­ler de Notre Seigneur en ser­mons et en pri­vé. Achète volon­tiers des indulgences.

Aime le bien en autrui et hais le mal. Et ne souffre pas que l’on dise devant toi paroles qui puissent atti­rer gens à péché. N’écoute pas volon­tiers médire d’au­trui. Ne souffre d’au­cune manière des paroles qui tournent contre Notre Seigneur, Notre-​Dame ou des saints sans que tu prennes ven­geance, et si le cou­pable est un clerc ou une grande per­sonne que tu n’as pas le droit de punir, rap­porte la chose à celui qui peut le punir.

Prends garde que tu sois si bon en toutes choses qu’il soit évident que tu recon­naisses les géné­ro­si­tés et les hon­neurs que Notre Seigneur t’a faits de sorte que, s’il plai­sait à Notre Seigneur que tu aies l’hon­neur de gou­ver­ner le royaume, que tu sois digne de rece­voir l’onc­tion avec laquelle les rois de France sont sacrés.

Cher fils, s’il advient que tu deviennes roi, prends soin d’a­voir les qua­li­tés qui appar­tiennent aux rois, c’est-​à-​dire que tu sois si juste que, quoi qu’il arrive, tu ne t’é­cartes de la jus­tice. Et s’il advient qu’il y ait que­relle entre un pauvre et un riche, sou­tiens de pré­fé­rence le pauvre contre le riche jus­qu’à ce que tu saches la véri­té, et quand tu la connaî­tras, fais justice.

Et s’il advient que tu aies que­relle contre quel­qu’un d’autre, sou­tiens la que­relle de l’ad­ver­saire devant ton conseil, et ne donne pas l’im­pres­sion de trop aimer ta que­relle jus­qu’à ce que tu connaisses la véri­té, car les membres de ton conseil pour­raient craindre de par­ler contre toi, ce que tu ne dois pas vouloir .

Si tu apprends que tu pos­sèdes quelque chose à tort, soit de ton temps soit de celui de tes ancêtres, rends-​la tout de suite toute grande que soit la chose, en terres, deniers ou autre chose. Si le pro­blème est tel­le­ment épi­neux que tu n’en puisses savoir la véri­té, arrive à une telle solu­tion en consul­tant ton conseil de prud’­hommes, que ton âme et celle de tes ancêtres soient en repos. Et si jamais tu entends dire que tes ancêtres aient fait res­ti­tu­tion, prends tou­jours soin à savoir s’il en reste encore quelque chose à rendre, et si tu la trouves, rends-​la immé­dia­te­ment pour le salut de ton âme et de celles de tes ancêtres.

Sois bien dili­gent de pro­té­ger dans tes domaines toutes sortes de gens, sur­tout les gens de sainte Eglise ; défends qu’on ne leur fasse tort ni vio­lence en leurs per­sonnes ou en leurs biens. Et je veux te rap­pe­ler ici une parole que dit le roi Philippe, mon aïeul, comme quel­qu’un de son conseil m’a dit l’a­voir enten­due. Le roi était un jour avec son conseil privé-​comme l’é­tait aus­si celui qui m’a par­lé de la chose- et quelques membres de son conseil lui disaient que les clercs lui fai­saient grand tort et que l’on se deman­dait avec éton­ne­ment com­ment il le sup­por­tait. Et il répon­dit : « Je crois bien qu’ils me font grand tort ; mais, quand je pense aux hon­neurs que Notre Seigneur me fait, je pré­fère de beau­coup souf­frir mon dom­mage, que faire chose par laquelle il arrive esclandre entre moi et sainte Eglise. » Je te rap­pelle ceci pour que tu ne sois pas trop dis­pos à croire autrui contre les per­sonnes de sainte Eglise. Tu dois donc les hono­rer et les pro­té­ger afin qu’elles puissent faire le ser­vice de Notre Seigneur en paix.

Ainsi je t’en­seigne que tu aimes prin­ci­pa­le­ment les reli­gieux et que tu les secoures volon­tiers dans leurs besoins ; et ceux par qui tu crois que Notre Seigneur soit le plus hono­ré et ser­vi, ceux-​là aime plus que les autres.

Cher fils, je t’en­seigne que tu aimes et honores ta mère, et que tu retiennes volon­tiers et observes ses bons ensei­gne­ments, et sois enclin à croire ses bons conseils.

Aime tes frères et veuille tou­jours leur bien et leur avan­ce­ment, et leur tiens lieu de père pour les ensei­gner à tous biens, mais prends garde que, par amour pour qui que ce soit, tu ne déclines de bien faire, ni ne fasses chose que tu ne doives.

Cher fils, je t’en­seigne que les béné­fices de saint Eglise que tu auras à don­ner, que tu les donnes à bonnes per­sonnes par grand conseil de prud’­hommes ; et il me semble qu’il vaut mieux les don­ner à ceux qui n’ont aucunes pré­bendes qu’à ceux qui en ont déjà ; car si tu les cherches bien, tu trou­ve­ras assez de ceux qui n’ont rien et en qui le don sera bien employé.

Cher fils, je t’en­seigne que tu te défendes, autant que tu pour­ras, d’a­voir guerre avec nul chré­tien ; et si l’on te fait tort, essaie plu­sieurs voies pour savoir si tu ne pour­ras trou­ver moyen de recou­vrer ton droit avant de faire guerre, et fasse atten­tion que ce soit pour évi­ter les péchés qui se font en guerre. Et s’il advient que tu doives la faire, ou parce qu’un de tes hommes manque en ta cour de s’emparer de ses droits, ou qu’il fasse tort à quelque église ou à quelque pauvre per­sonne ou à qui que ce soit et ne veuille pas faire amende, ou pour n’im­porte quel autre cas rai­son­nable pour lequel il te faut faire la guerre, com­mande dili­gem­ment que les pauvres gens qui ne sont pas cou­pables de for­fai­ture soient pro­té­gés et que dom­mage ne leur vienne ni par incen­die ni par autre chose ; car il te vau­drait mieux contraindre le mal­fai­teur en pre­nant ses pos­ses­sions, ses villes ou ses châ­teaux par force de siège. Et garde que tu sois bien conseillé avant de décla­rer la guerre, que la cause en soit tout à fait rai­son­nable, que tu aies bien aver­ti le mal­fai­teur et que tu aies assez atten­du, comme tu le devras.

Cher fils, je t’en­seigne que les guerres et les luttes qui seront en ta terre ou entre tes hommes, que tu te donnes la peine, autant que tu le pour­ras, de les apai­ser, car c’est une chose qui plaît beau­coup à Notre Seigneur. Et Monsieur saint Martin nous en a don­né un très grand exemple car, au moment où il savait par Notre Seigneur qu’il devait mou­rir, il est allé faire la paix entre les clercs de son arche­vê­ché, et il lui a sem­blé en le fai­sant qu’il met­tait bonne fin à sa vie.

Cher fils, prends garde dili­gem­ment qu’il y ait bons baillis et bons pré­vôts en ta terre, et fais sou­vent prendre garde qu’ils fassent bien jus­tice et qu’ils ne fassent à autrui tort ni chose qu’ils ne doivent. De même, ceux qui sont en ton hôtel, fais prendre garde qu’ils ne fassent injus­tice à per­sonne car, com­bien que tu dois haïr le mal qui existe en autrui, tu dois haïr davan­tage celui qui vien­drait de ceux qui auraient reçu leur pou­voir de toi, et tu dois gar­der et défendre davan­tage que cela n’advienne.

Cher fils, je t’en­seigne que tu sois tou­jours dévoué à l’Eglise de Rome et à notre saint-​père le pape, et lui portes res­pect et hon­neur comme tu le dois à ton père spirituel.

Cher fils, donne volon­tiers pou­voir aux gens de bonne volon­té qui en sachent bien user, et mets grande peine à ce que les péchés soient sup­pri­més en ta terre, c’est-​à-​dire les vilains ser­ments et toute chose qui se fait ou se dit contre Dieu ou Notre-​Dame ou les saints : péchés de corps, jeux de dés, tavernes ou autres péchés. Fais abattre tout ceci en ta terre sage­ment et en bonne manière. Fais chas­ser les héré­tiques et les autres mau­vais gens de ta terre autant que tu le pour­ras en requé­rant comme il le faut le sage conseil des bonnes gens afin que ta terre en soit purgée.

Avance le bien par tout ton pou­voir ; mets grande peine à ce que tu saches recon­naître les bon­tés que Notre Seigneur t’au­ras faites et que tu l’en saches remercier.

Cher fils, je t’en­seigne que tu aies une solide inten­tion que les deniers que tu dépen­se­ras soient dépen­sés à bon usage et qu’ils soient levés jus­te­ment. Et c’est un sens que je vou­drais beau­coup que tu eusses, c’est-​à-​dire que tu te gar­dasses de dépenses fri­voles et de per­cep­tions injustes et que tes deniers fussent jus­te­ment levés et bien employés-​et c’est ce même sens que t’en­seigne Notre Seigneur avec les autres sens qui te sont pro­fi­tables et convenables.

Cher fils, je te prie que, s’il plaît à Notre Seigneur que je tré­passe de cette vie avant toi, que tu me fasses aider par messes et par autres orai­sons et que tu demandes prières pour mon âme auprès des ordres reli­gieux du royaume de France, et que tu entendes dans tout ce que tu feras de bon, que Notre Seigneur m’y donne part.

Cher fils, je te donne toute la béné­dic­tion qu’un père peut et doit don­ner à son fils, et je prie Notre Seigneur Dieu Jésus-​Christ que, par sa grande misé­ri­corde et par les prières et par les mérites de sa bien­heu­reuse mère, la Vierge Marie, et des anges et des archanges, de tous les saints et de toutes les saintes, il te garde et te défende que tu ne fasses chose qui soit contre sa volon­té, et qu’il te donne grâce de faire sa volon­té afin qu’il soit ser­vi et hono­ré par toi ; et puisse-​t-​il accor­der à toi et à moi, par sa grande géné­ro­si­té, qu’a­près cette mor­telle vie nous puis­sions venir à lui pour la vie éter­nelle, là où nous puis­sions le voir, aimer et louer sans fin, Amen.

A lui soit gloire, hon­neur et louange, qui est un Dieu avec le Père et le Saint-​Esprit, sans com­men­ce­ment et sans fin.

Amen. »

Sources : Site du Diocèse aux Armées /​La Porte Latine du 25 août 2017