Connaissez-​vous la biodynamie ?

En vogue aujourd’hui, il s’agit à pre­mière vue d’un concept attrayant : du « bio » et de la « dyna­mique ». Oui, mais à pre­mière vue seule­ment… Alors, qu’est-ce que l’agriculture bio­dy­na­mique (ou biodynamie) ?

Commençons par son ini­tia­teur : Rudolf Steiner. Né dans l’actuelle Croatie en 1861, Steiner est un des grands occul­tistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Disciple de Goethe et lié à de mul­tiples socié­tés éso­té­riques, Steiner s’attacha toute sa vie à dif­fu­ser des doc­trines éso­té­riques et gnos­tiques dans toute l’Europe. Il fon­da la Société anthro­po­so­phique uni­ver­selle, dont la concep­tion de l’être humain se rat­tache d’une part à la théo­so­phie d’Helena Petrovna Blavatsky, et d’autre part au rosi­cru­cia­nisme. On y retrouve des élé­ments emprun­tés au boud­dhisme, à l’hin­douisme, au chris­tia­nisme. L’anthroposophie tire de l’hindouisme sa concep­tion du kar­ma et de la réin­car­na­tion, et du chris­tia­nisme l’i­dée d’un Christ sau­veur du monde. Elle prône un nou­vel accès au monde spi­ri­tuel pour l’homme moderne, grâce à des exer­cices que Rudolf Steiner décrit dans un livre inti­tu­lé L’Initiation. Bref : elle est une des nom­breuses rami­fi­ca­tions du vaste mou­ve­ment appe­lé aujourd’hui New Age dont le but est la for­ma­tion d’une huma­ni­té nou­velle par la dif­fu­sion de spi­ri­tua­li­tés nou­velles, pour­vu qu’elles ne soient pas catholiques.

Ce qui est éton­nant, c’est l’immense varié­té des domaines tou­chées par Steiner. Les croyances anthro­po­so­phiques, aujourd’hui dif­fu­sées à grande échelle, ins­pirent entre autres des sec­teurs comme l’éducation (péda­go­gie Steiner-​Waldorf), la san­té (la marque d’homéopathie Weleda), l’économie (avec des banques telles La Nef, GLS Bank) et jusqu’à l’accompagnement du han­di­cap (mou­ve­ment Camphill). L’agriculture bio­dy­na­mique est donc un de ces domaines et consiste en un sys­tème de pro­duc­tion agri­cole ins­pi­ré des croyances anthro­po­so­phiques. Elle trouve son ori­gine dans une série de huit confé­rences, connues sous le nom de Cours aux agri­cul­teurs en 1924 : Steiner y déve­loppe ses « intui­tions » et expose les recettes encore usi­tées aujourd’hui par ses partisans.

Une des idées maî­tresses de la bio­dy­na­mie est de dyna­mi­ser le sol par l’emploi de forces supra­sen­sibles de nature éthé­rique, astrales et « spi­ri­tuelles », ou encore des forces dites « cos­miques ». On nage en plein éso­té­risme. Ce contrôle des « forces » repose sur l’u­ti­li­sa­tion de pré­pa­ra­tions spé­ci­fiques et sur le tra­vail du sol en fonc­tion des constel­la­tions ou des mou­ve­ments des pla­nètes, en incluant des consi­dé­ra­tions proches de l’as­tro­lo­gie. Les pré­pa­ra­tions bio­dy­na­miques sont ain­si pour la plu­part obte­nues au tra­vers d’un pro­ces­sus de fer­men­ta­tion dans des organes ani­maux (ves­sie, mésen­tère, intes­tin et crâne d’a­ni­mal domes­tique) et doivent être dif­fu­sées sur des com­posts ou pul­vé­ri­sées sur les cultures, à des moments pré­cis. Des exemples concrets ? La pré­pa­ra­tion 500 consiste à emplir des cornes de vache avec de la bouse (que le lec­teur nous par­donne ces détails), puis à enter­rer ces cornes pen­dant l’hiver : les cornes sont ensuite déter­rées, leur conte­nu est « dyna­mi­sé » pen­dant une heure (c’est-à-dire mélan­gé à grande vitesse avec de l’eau) et le tout est pul­vé­ri­sé sur le sol en fin de jour­née. La pré­pa­ra­tion 505 quant à elle est faite d’é­corce mou­lue de chêne enter­rée dans un crâne de rumi­nant (vache, mou­ton ou chèvre) ou d’a­ni­mal domes­tique (che­val, chat…). Elle doit être enter­rée dans un fos­sé boueux pen­dant 6 mois. Selon les bio­dy­na­mistes, elle a un rap­port avec le cal­cium et ren­force la résis­tance des plantes contre les mala­dies dues à des phé­no­mènes de pro­li­fé­ra­tion, d’exu­bé­rance. Le bon sens n’a qu’à bien se tenir…

Le phé­no­mène bio­dy­na­mique, quoiqu’encore mar­gi­nal, repré­sente aujourd’hui en France 511 domaines cer­ti­fiés, sur­tout vini­coles, soit 1% de la sur­face en agri­cul­ture bio­lo­gique (chiffres que l’on peut dou­bler si on y inclut les fermes bio­dy­na­miques non cer­ti­fiées). Les labels bio­dy­na­miques « Demeter » et « Biodyvin » (ce der­nier étant réser­vé au vin) donnent l’illusion d’une agri­cul­ture sérieuse. Ainsi le poids de la bio­dy­na­mie et son impact sur les esprits aug­mente sur­tout dans la viti­cul­ture. Il y a quelques années « Le Figaro vin » décla­rait que « les vins bio­dy­na­miques sont en plein essor » (article du 17/​10/​2013). Un phé­no­mène qui tend donc à s’amplifier plu­tôt qu’à décroître.
Mais les obs­tacles demeurent sérieux. La bio­dy­na­mie ne s’appuie en effet sur aucun pro­cé­dé vali­dé scien­ti­fi­que­ment : il s’agit bien plu­tôt d’une méthode de type magique dont les consé­quences spi­ri­tuelles ne sont peut-​être pas neutres. Quant à leur pré­ten­due effi­ca­ci­té, plu­sieurs études se sont atta­quées féro­ce­ment aux théo­ries de Steiner et ont démon­tré sans dif­fi­cul­té leur faiblesse.

Il eût été tel­le­ment plus simple de s’en tenir aux roga­tions… elles demeurent encore le meilleur moyen sur­na­tu­rel et sûr de « dyna­mi­ser » son agriculture.

Abbé G. Scarcella, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X