La faille de notre édifice, par l’abbé G. Scarcella

Pas de brèche dans la muraille ?

Avouons-​le, les vacances sont hélas assez sou­vent une période de relâ­che­ment spi­ri­tuel… la ren­trée est donc l’occasion de reprendre le com­bat contre nos mau­vais penchants. 

Connaître

Dans ce com­bat, on ignore assez sou­vent un point pour­tant capi­tal, dont on ne parle guère que pen­dant les retraites : celui du défaut domi­nant. Le Père Garrigou-​Lagrange, dans son maître-​ouvrage « Les trois âges de la vie inté­rieure », nous en parle. Le défaut domi­nant est celui qui en nous tend à pré­va­loir sur les autres, et par là sur notre manière de sen­tir, de juger, de sym­pa­thi­ser, de vou­loir et d’agir : on n’imagine pas à quel point nous sommes sous son influence ! Il est en rela­tion direct avec notre tem­pé­ra­ment, qui est lui-​même géné­ra­le­ment déter­mi­né dans une direc­tion, selon l’émotion qui se réveille le plus dans notre quo­ti­dien. Parmi les 11 pas­sions (ou émo­tions), il y en a une (par­fois deux) qui est en nous plus vivace que les autres : on est enclin à une colère fré­quente, ou à un décou­ra­ge­ment régu­lier ; on est habi­tuel­le­ment sujet à la joie, ou au contraire à la tris­tesse ; on se sent pous­sé sou­vent par le désir, ou à l’inverse la crainte nous met sou­vent dans l’inquiétude (cf. Apostol de février 2016, article sur les 11 pas­sions). Découvrir quelle est sa pas­sion domi­nante, c’est déjà tenir un ren­sei­gne­ment de grande impor­tance pour la vie spi­ri­tuelle, car de là à décou­vrir le défaut domi­nant il n’y a qu’un pas.

Le défaut domi­nant est d’autant plus dan­ge­reux qu’il tend à vicier notre qua­li­té prin­ci­pale, dont il est comme le revers de la médaille. Ainsi telle per­sonne est natu­rel­le­ment por­tée à la dou­ceur, mais par suite de son défaut domi­nant qui est par exemple la mol­lesse, sa dou­ceur dégé­nère en fai­blesse et en exces­sive indul­gence. Un autre au contraire est natu­rel­le­ment fort, mais son tem­pé­ra­ment iras­cible va faire bas­cu­ler sa force en vio­lence dérai­son­nable. Comme le ver ron­geur dans un beau fruit, ou comme une fis­sure dans un édi­fice, le défaut domi­nant peut com­pro­mettre toute notre vie chré­tienne, et même jusqu’à notre salut si on néglige com­plè­te­ment de s’en cor­ri­ger. C’est l’amour non com­bat­tu des richesses qui a mené Judas à sa perte…

Comment le connaître ? D’abord il faut deman­der à Dieu la lumière pour le dis­cer­ner. Puis il faut faire une enquête en se deman­dant : A quoi tendent mes pré­oc­cu­pa­tions les plus ordi­naires ? Le matin au réveil, ou quand on est seul : où vont spon­ta­né­ment pen­sées et dési­rs ? Prenons garde que le défaut domi­nant se donne par­fois l’apparence d’une ver­tu, c’est pour­quoi l’enquête doit être sans pitié ! Toujours pour le débus­quer, demandons-​nous : Quelle est géné­ra­le­ment la cause de ma tris­tesse et de ma joie ? Ou encore : Quelle est l’origine ordi­naire de mes péchés, sur­tout des fautes régu­lières qui finissent par consti­tuer un état de résis­tance à la grâce ? Pourquoi est-​ce que je refuse de me cor­ri­ger sur tel point ? Il n’est pas du tout facile de répondre seul à ces ques­tions, et c’est pour­quoi l’aide d’un prêtre qui nous connaît bien pour­ra se révé­ler très utile dans cette enquête. Gardons à l’esprit que nous nous excu­sons faci­le­ment de ce défaut, car il com­mande en maître à toutes nos pas­sions. Bien plus grave que le repous­sant « péché mignon », le défaut domi­nant jette en notre âme de pro­fondes racines, d’autant plus grandes avec l’âge s’il n’est pas ou peu com­bat­tu. Cela arrive par­fois à tel point que lorsqu’on est accu­sé de ce défaut, on répond : « J’ai beau­coup de défauts, mais cer­tai­ne­ment pas celui-​là ! ». Et pourtant… 

On peut recon­naître aus­si le défaut domi­nant aux ten­ta­tions que l’ennemi sus­cite le plus sou­vent en nous, car il attaque de pré­fé­rence le point faible. Au contraire le Saint-​Esprit, dans les moments de fer­veur, nous deman­de­ra pré­ci­sé­ment des sacri­fices sur ce point-là.

Combattre

Comment le com­battre à pré­sent ? Le Père Garrigou-​Lagrange donne 3 moyens : prière, exa­men, reprise en main. La prière sin­cère, tout d’abord, est à l’évidence LE moyen pri­vi­lé­gié pour en venir à bout, car la grâce est l’aide indis­pen­sable et sans cesse pré­sente de notre vie inté­rieure. St Nicolas de Flüe fai­sait cette belle prière : « Seigneur, enlève-​moi tout ce qui m’empêche d’aller à Toi, donne-​moi tout ce qui me condui­ra à Toi, prends-​moi à moi et donne-​moi tout à Toi ». A la prière joi­gnons un exa­men jour­na­lier sur ce point : quelles victoires/​défaites sur ce défaut aujourd’hui ? Si nous comp­tons l’argent dépen­sé et reçu, à for­tio­ri devrions-​nous savoir ce que nous per­dons et gagnons dans notre vie spi­ri­tuelle… Enfin il est sou­ve­rai­ne­ment utile de s’imposer une reprise en main par un sacri­fice chaque fois que nous retom­bons dans ce défaut. Ce peut être une prière, un moment de silence, une mor­ti­fi­ca­tion inté­rieure ou exté­rieure. On acquiert ain­si une grâce et plus de vigi­lance pour l’avenir. Plusieurs se sont cor­ri­gés de l’habitude de faire des impré­ca­tions en s’imposant chaque fois l’obligation de faire une aumône.

Ne fai­sons pas la paix avec nos défauts, sur­tout avec le prin­ci­pal. Sans cette lutte, on n’a pas la joie inté­rieure ni la paix car l’ordre ne se réta­blit en nous que par une lutte sin­cère contre le mal. Il ne fau­drait sur­tout pas se décou­ra­ger, car « Dieu ne com­mande jamais l’impossible mais, en nous don­nant ses pré­ceptes, il nous dit de faire ce que nous pou­vons et de deman­der la grâce pour accom­plir ce que nous ne pou­vons pas » (St Augustin). 

Abbé G. Scarcella, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Source : La Porte Latine du 5 sep­tembre 2019