Quelques réflexions sur la bulle Misericordiae vultus annonçant le jubilé extraordinaire de la miséricorde

Abbé Christian Bouchacourt
Suresnes le 23 juin 2015

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Brève appré­cia­tion de la Bulle Misericordiae vul­tus.

Le 11 avril der­nier, le pape François a publié la Bulle d’indiction du Jubilé extra­or­di­naire de la Miséricorde. Le Souverain Pontife appelle à des actions pas­to­rales inté­res­santes à accom­plir tout au long du jubi­lé mais il y déve­loppe quelques idées qui nous laissent dans une grande per­plexi­té. Sa démarche, en effet repose sur trois contra­dic­tions qui ne peuvent que nous inquié­ter et aux­quelles il nous est impos­sible d’adhérer pour trois rai­sons.

Première rai­son : cette démarche se veut en conti­nui­té avec les réformes entre­prises depuis le der­nier Concile. En effet, dans le numé­ro 4 de la Bulle, le pape déclare son inten­tion d’ouvrir la Porte Sainte « pour le cin­quan­tième anni­ver­saire de la conclu­sion du Concile œcu­mé­nique Vatican II », pré­ci­sant que « l’Eglise res­sent le besoin de gar­der vivant cet évé­ne­ment ». Or, un catho­lique, sou­cieux de res­ter fidèle à la foi de son bap­tême, et d’exercer les œuvres de misé­ri­corde selon l’esprit de l’Eglise, res­sent bien au contraire le besoin de conju­rer les retom­bées de cet évé­ne­ment, qui fut en réa­li­té « le déchaî­ne­ment des forces du mal pour la ruine de l’Eglise »((Mgr Lefebvre, « Le Concile ou le triomphe du libé­ra­lisme » dans Fideliter n° 59 (septembre-​octobre 1987), p. 33.)). Le pape François va jusqu’à jeter la sus­pi­cion sur le pas­sé doc­tri­nal et dis­ci­pli­naire de l’Eglise, puisqu’il ose écrire, tou­jours en ce même numé­ro 4, que « les murailles qui avaient trop long­temps enfer­mé l’Eglise comme dans une cita­delle ayant été abat­tues, le temps était venu d’annoncer l’Evangile de façon renou­ve­lée » !… On ne sau­rait prê­cher la vraie misé­ri­corde vou­lue par Notre Seigneur et pré­tendre conti­nuer l’œuvre des­truc­trice d’un concile qui a consa­cré dans la sainte Eglise le triomphe du libé­ra­lisme et du moder­nisme. La démarche du pape François repose ici sur une pre­mière contra­dic­tion à laquelle nous ne pou­vons souscrire.

Deuxième rai­son : l’idée fon­da­men­tale de la misé­ri­corde est reprise de l’enseignement faux et délé­tère du pape Jean-​Paul II. Dans le numé­ro 11 de la Bulle, François fait expli­ci­te­ment réfé­rence au pas­sage de l’encyclique Redempor homi­nis, qui rap­pelle la « digni­té incom­pa­rable » de l’homme », digni­té qui dans l’esprit de Jean-​Paul II et de François, comme celui de Vatican II, est une digni­té onto­lo­gique, digni­té fausse en ce qu’elle fait abs­trac­tion de l’adhésion au vrai ou à l’erreur, au bien ou au mal. Et la misé­ri­corde, moti­vée par le res­pect de cette fausse digni­té, per­son­na­liste et natu­ra­liste, doit avoir pour objet prin­ci­pal de la redon­ner à ceux qui en sont pri­vés. C’est d’ailleurs ce que déclare le pape à deux reprises, aux numé­ros 15 et 16. Qu’est-ce alors que la conver­sion, sinon un retour non plus à Dieu mais à l’homme et à sa digni­té ? On ne sau­rait prê­cher la misé­ri­corde comme une œuvre de conver­sion et prô­ner la fausse digni­té de l’homme. La démarche du pape François repose ici sur une deuxième contra­dic­tion à laquelle nous ne pou­vons souscrire.

Troisième rai­son : la prin­ci­pale œuvre de misé­ri­corde spi­ri­tuelle est d’instruire les igno­rants en leur don­nant la connais­sance de la véri­té. Et de quelle véri­té doit-​il s’agir en tout pre­mier lieu, sinon de la véri­té de la vraie foi, unique véri­té reli­gieuse de la foi catho­lique, dont la pro­fes­sion est indis­pen­sable au salut. Or, tout en affir­mant au numé­ro 15 la néces­si­té des œuvres de misé­ri­corde spi­ri­tuelle, le pape François renonce à affir­mer cette pri­mau­té et cette exclu­si­vi­té de la foi catho­lique, puisqu’il déclare au numé­ro 23 que la valeur de cette misé­ri­corde « dépasse les fron­tières de l’Eglise », car elle est « le lien avec le Judaïsme et l’Islam, qui la consi­dèrent comme un des attri­buts les plus signi­fi­ca­tifs de Dieu ». Et de conclure : « Que cette Année Jubilaire, vécue dans la misé­ri­corde, favo­rise la ren­contre avec ces reli­gions et les autres nobles tra­di­tions reli­gieuses. Qu’elle nous rende plus ouverts au dia­logue pour mieux nous connaître et nous com­prendre ». On ne sau­rait en même temps prê­cher les œuvres de misé­ri­corde spi­ri­tuelle et prô­ner l’indifférentisme reli­gieux. La démarche du pape François repose sur une troi­sième contra­dic­tion tout à fait inacceptable.

Il est en outre à craindre que cette démarche, qui doit entrer en vigueur le 8 décembre pro­chain, à l’issue du pro­chain Synode annon­cé pour l’automne, serve de cau­tion aux déci­sions, qui auront été prises lors de cette assem­blée. Si, ce qu’à Dieu ne plaise, celle-​ci renie la morale et la dis­ci­pline de l’Eglise sur plu­sieurs de ses points essen­tiels, en accep­tant de don­ner la com­mu­nion eucha­ris­tique aux divor­cés rema­riés et adop­tant une vision plus posi­tive à l’égard des couples homo­sexuels, il est clair que les catho­liques auront une qua­trième bonne rai­son de contes­ter le bien-​fondé de la démarche annon­cée par le pape François. Car alors, celle-​ci appa­raî­tra comme la garan­tie d’un scan­dale public, auquel nul catho­lique ne sau­rait don­ner son approbation.

L’esprit empoi­son­né du concile n’en finit donc pas de souf­fler. Décidément rien ne lui échappe, il cor­rompt et sté­ri­lise tout ce qu’il imprègne. Ce Jubilé sera donc bel et bien « extraordinaire »…

Abbé Christian BOUCHACOURT, Supérieur du District de France de la FSSPX, le 23 juin 2015 en la vigile de saint Jean Baptiste

FSSPX Second assistant général

Né en 1959 à Strasbourg, M. l’ab­bé Bouchacourt a exer­cé son minis­tère comme curé de Saint Nicolas du Chardonnet puis supé­rieur du District d’Amérique du Sud (où il a connu le car­di­nal Bergoglio, futur pape François) et supé­rieur du District de France. Il a enfin été nom­mé Second Assistant Général lors du cha­pitre élec­tif de 2018.