Dans quelques mois, le pape François fera entrer l’Église dans une année jubilaire : le Jubilé extraordinaire de la Miséricorde.[…] Et la conception qu’ont les autorités romaines, aujourd’hui, de la miséricorde, doit-elle être reçue intégralement ?
Le pape François a publié la bulle d’indiction d’un Jubilé extraordinaire de la Miséricorde qui débutera le 8 décembre prochain, « solennité de l’Immaculée Conception (…) qui montre comment Dieu agit dès le commencement de notre histoire [1] ». Cette année jubilaire s’achèvera « le 20 novembre 2016, en la solennité liturgique du Christ, Roi de l’Univers [2] ». Ce texte, intitulé Le visage de la miséricorde, nous révèle un élément central de la pensée du pape actuel et permet d’appréhender la réforme qu’il médite.
Le visage de la miséricorde
L’exhortation Evangelii Gaudium (EG), qui a « une signification programmatique [3] », conforte cette façon de voir. Le pape y décrit la « transformation missionnaire de l’Église [4] » qu’il désire voir s’accomplir. Celle-ci doit se réaliser « à partir du cœur de l’Église [5] », et ce cœur est la miséricorde qui « quant à l’agir extérieur est la plus grande de toutes les vertus [6] », affirme-t-il en citant le Docteur angélique saint Thomas d’Aquin. L’année jubilaire a donc pour but de promouvoir la transformation que décrit l’exhortation. À première lecture (cf. l’encadré n° 1 Misericordiæ vultus infra), il semble que le pape François veuille entraîner les fidèles vers des fins respectables et saintes. Cependant, certains éléments doivent éveiller notre attention et nous rendre davantage prudents.
Au n° 4, le choix de la date d’ouverture de l’Année Sainte est expliqué : ce n’est pas seulement la fête de l’Immaculée Conception. Voici l’autre raison : « J’ai choisi la date du 8 décembre pour la signification qu’elle revêt dans l’histoire récente de l’Église. Ainsi, j’ouvrirai la Porte Sainte pour le cinquantième anniversaire de la conclusion du concile oecuménique Vatican II [7] ». Le pape veut donc inscrire ce Jubilé dans le sillage et le prolongement du Concile : « L’Église ressent le besoin de garder vivant cet événement. (…) Les Pères du Concile avaient perçu vivement, tel un souffle de l’Esprit, qu’il fallait parler de Dieu aux hommes de leur temps de façon plus compréhensible. Les murailles qui avaient trop longtemps enfermé l’Église comme dans une citadelle ayant été abattues, le temps était venu d’annoncer l’Évangile de façon renouvelée [8]. » Cela douche notre enthousiasme : l’idéal du Jubilé est le Concile, qui a détruit les défenses de l’Église !
Ce n° 4 se poursuit par deux citations tirées des discours d’ouverture ( Jean XXIII) et de clôture du concile (Paul VI). Le choix de ces citations renforce le rapport entre l’année Jubilaire et Vatican II. « Aujourd’hui, disait Jean XXIII, l’Épouse du Christ préfère recourir au remède de la miséricorde plutôt que de brandir les armes de la sévérité [9]. » L’on sait bien ce que signifie, au fond, cette miséricorde, et tous les abandons qu’elle contient. La vérité, c’est que condamner l’erreur est précisément une grande miséricorde, puisque l’erreur menace le troupeau. Quant à Paul VI, il affirmait : « La vieille histoire du bon Samaritain a été le modèle et la règle de la spiritualité du Concile. (…) Un courant d’affection et d’admiration a débordé du Concile sur le monde humain moderne [10]. » Mais une véritable miséricorde ne consisterait-elle pas à se pencher, comme le vrai bon Samaritain, sur les plaies suppurantes de l’ignorance et du refus de Dieu et à y verser le baume de la vérité révélée ? Le texte ajoute en évoquant Vatican II : « Des erreurs ont été dénoncées. » De quelles erreurs parle-t-il ? Le Concile n’en a pas beaucoup dénoncé ! En tout cas, le pape François ne risque pas de faire référence à l’erreur du communisme, puisque, pendant le Concile, les 450 signatures de Pères demandant la condamnation du communisme ont été mystérieusement égarées dans un tiroir du Vatican par Mgr Palémon Glorieux…
Continuant une lecture attentive du texte, nous y découvrons l’omission d’éléments fondamentaux.
Concernant le Christ, il est fréquemment rappelé que Jésus est le signe de l’amour et de la miséricorde du Père, empli de miséricorde et de compassion envers les pauvres, les malades, les âmes affligées ; que sa personne, enfin, « n’est rien d’autre qu’amour, un amour qui se donne gratuitement [11] ». Mais Jésus-Christ n’apparaît jamais dans sa stature de Vérité et de Lumière du monde. Et pourtant, c’est bien ainsi que la première miséricorde que Notre-Seigneur apporte dans sa création, est la miséricorde de la vérité : la vérité sur Dieu, sur l’homme, sur la grâce qui nous unit si intimement à notre Créateur, et sur les principes de la morale qui nous guident afin de nous séparer du péché.
Le pape affirme encore que « Dieu se donne tout entier, pour toujours, gratuitement, et sans rien demander en retour ». C’est oublier que Dieu commande, en échange de son amour, de nous donner tout entier à lui et pour toujours, selon le mot de saint Augustin : « Dieu, qui t’a créé sans toi, ne te sauvera pas sans toi [12]. » Enfin, la pauvreté est désignée quasi-exclusivement sous son aspect matériel : ce qui explique que les seuls péchés dénoncés solennellement soient l’appartenance à une organisation criminelle et la corruption financière [13]. Sans contester la gravité de ces fautes, l’infidélité (l’apostasie par exemple) ou l’avortement ne devaient-ils pas être réprouvés avec au moins autant de force ? Nous découvrons ainsi une miséricorde davantage tournée vers les maux terrestres que vers les plaies de l’ordre surnaturel.
Le christianisme secondaire
Romano Amerio a proposé le nom de christianisme secondaire pour désigner cette attitude (cf. l’encadré n° 2 infra). Nous trouvons dans Evangelium Gaudii un développement détaillé de cette pensée, qui est apparue dans la théologie du milieu du XXe siècle (notamment chez les théologiens Henri de Lubac et Karl Rahner), a été entérinée par le Concile et explicitée par les papes, de Jean XXIII à François. L’exposé, par Romano Amerio, de ce qu’il appelle le christianisme secondaire va nous aider à cerner la miséricorde proposée par la bulle Misericordiæ Vultus.
Le christianisme secondaire consiste principalement dans le fait suivant : l’Église a décidé d’intégrer en elle-même, dans son sein, une finalité autre que celle que Notre-Seigneur lui avait donnée. Le christianisme secondaire, dont l’esprit a soufflé sur Vatican II, demande d’abord qu’on comprenne la présupposée « signification authentique et intégrale de la mission évangélisatrice [14]. (…) Tous les chrétiens, et aussi les pasteurs, sont appelés à se préoccuper de la construction d’un monde meilleur [15]. » Il s’agit donc de s’intéresser d’abord à la vie terrestre et non à la vie éternelle. Cette « construction d’un monde meilleur » s’apparente du reste au mondialisme : « Il y a besoin, en cette phase historique, d’une façon d’intervenir plus efficace, qui, restant sauve la souveraineté des nations, assure le bien-être économique de tous les pays et non seulement de quelques-uns [16]. »
Pour atteindre cette fin, le christianisme secondaire demande que l’on travaille à la promotion de tous les hommes : « À partir du cœur de l’Évangile, nous reconnaissons la connexion intime entre évangélisation et promotion humaine, qui doit nécessairement s’exprimer et se développer dans toute l’action évangélisatrice [17]. » Ce que le pape précise plus loin : « Les pasteurs (…) ont le droit d’émettre des opinions sur tout ce qui concerne la vie des personnes, du moment que la tâche de l’évangélisation implique et exige une promotion intégrale de chaque être humain [18].»
Cette libération vise surtout les pauvres : « Chaque chrétien et chaque communauté sont appelés à être instruments de Dieu pour la libération et la promotion des pauvres, de manière à ce qu’ils puissent s’intégrer pleinement dans la société [19]. » L’Église acquiert ainsi une reconnaissance publique et internationale : « L’Église catholique est une institution crédible devant l’opinion publique, fiable en tout ce qui concerne le domaine de la solidarité et de la préoccupation pour les plus nécessiteux, (…) la paix, la concorde, l’environnement, la défense de la vie, les droits humains et civils, etc [20].»
Il faut pour cela donner un idéal à la société : « « la paix se fonde non seulement sur le respect des droits de l’homme mais aussi sur celui des droits des peuples [21] » [22] ». Ces droits découlent de la justice. Car « la disparité sociale est la racine des maux de la société [23] ». Et le pape de conclure : « Personne ne peut exiger que nous reléguions la religion dans la secrète intimité des personnes, sans aucune influence sur la vie sociale et nationale, sans se préoccuper de la santé des institutions de la société civile, sans s’exprimer sur les événements qui intéressent les citoyens. (…) « L’Église ne peut ni ne doit rester à l’écart dans la lutte pour la justice [24]. » [25] » Il en découle que la conversion chrétienne exige de reconsidérer « « spécialement tout ce qui concerne l’ordre social et la réalisation du bien commun [26]. » [27] »
Cette mission s’appuie enfin sur un œcuménisme de l’humanitarisme : « En même temps, [l’Église] unit « ses efforts à ceux que réalisent dans le domaine social les autres Églises et Communautés ecclésiales, tant au niveau de la réflexion doctrinale qu’au niveau pratique [28]. » [29] » Ceci nous ramène à la bulle d’indiction dont le n° 23 affirme que « la valeur de la miséricorde dépasse les frontières de l’Église. Elle est le lien avec le judaïsme et l’islam qui la considèrent comme un des attributs les plus significatifs de Dieu. » Mais au contraire, en vérité, une vraie miséricorde consisterait à avoir grande pitié de ces âmes gisant « dans l’ombre de la mort », en danger pour leur salut, et à leur prêcher la vérité incarnée, Jésus- Christ. Mais, hélas, la miséricorde de François vise à autre chose : « Que cette année jubilaire, vécue dans la miséricorde, favorise la rencontre avec ces religions et les autres nobles traditions religieuses. Qu’elle nous rende plus ouverts au dialogue pour mieux nous connaître et nous comprendre. »
L’Église de la miséricorde
Deux voix cardinalices autorisées vont nous permettre d’approfondir la signification de la miséricorde de François. Écoutons d’abord le cardinal Rodriguez Maradiaga [30]. Il a donné une conférence le 20 janvier dernier, intitulée L’Église de la miséricorde avec le pape François. Il explique : « Comme Église, nous cheminons vers une rénovation profonde et globale (…) qui doit embrasser toutes les dimensions historiques de l’Église. » Car le concile Vatican II a provoqué des changements dans toute la vie de l’Église, et « il n’y a pas de vraie rénovation ecclésiastique sans transformation des institutions ». En particulier, la perspective missionnaire est devenue « dialogue évangélisateur », et l’action sociale « n’est plus seulement la charité et le développement de services, mais aussi le combat pour la justice, les droits humains et la libération… » Mais pourquoi ces changements ?
Parce que « de nouvelles fonctions requièrent de nouvelles institutions appropriées », commence-t-il avant de continuer : « Le Concile a poussé à des rénovations institutionnelles qui embrassent tous les niveaux de l’organisation ecclésiastique. (…) Tout change dans l’Église suivant le modèle pastoral renouvelé. » Vatican II ayant changé le modèle pastoral, tout doit se réaligner. Cependant cette transformation institutionnelle est insuffisante. « Peut-être certains pensent que la rénovation de l’Église se cantonnait à cela. Mais les changements institutionnels et fonctionnels – à eux seuls – se montrent insuffisants. (…) Tout changement dans l’Église requiert en fin de compte de considérer une rénovation des motivations que les nouvelles options inspirent. » Il faut donc changer d’intention, renouveler notre âme, lui donner un intérêt bien plus grand aux choses de ce monde, insuffler un esprit à la réforme, « une mystique et une spiritualité ».
D’après le cardinal, l’une des causes de l’échec de l’application du Concile est précisément l’absence de changement de spiritualité correspondant aux changements inaugurés par le concile. « Il n’y eut pas de rénovation mystique et elle resta « traditionnelle », en accord avec une autre vision de la foi et de la mission, incompatible avec les nouvelles expériences ecclésiales. La spiritualité alors (…) finit par être abandonnée, car une mystique qui ne nourrit pas l’expérience humaine n’a plus de signification ; une spiritualité qui est étrangère au modèle ecclésial qui est vécu, mène à la crise de « schizophrénie » chrétienne. De nombreux abandons de la vie ecclésiastique, et même de la foi, y trouvent leur racine. La seule réponse n’est pas d’abandonner toute mystique ou de renverser la rénovation des institutions, mais une profonde rénovation de la foi et de la spiritualité. » Et en quoi consiste cette nouvelle spiritualité ?
C’est précisément le thème de la conférence. « La rénovation institutionnelle et fonctionnelle de l’Église requiert une rénovation de sa dimension mystique. Et la miséricorde est aux racines de la mystique. » La citation qui suit est très claire : « Le vent qui pousse les voiles de l’Église vers la haute mer de sa rénovation profonde et totale est la miséricorde. » Voilà qui explique le titre : l’Église de la miséricorde. Le cardinal exprime ainsi ce qu’il entend – ainsi que le pape – par le mot de miséricorde, car l’idée de miséricorde est centrale dans l’action de François. Le cardinal Rodriguez dit en effet : « Le pape veut amener la rénovation de l’Église à un point où elle deviendra irréversible. »
Le cardinal prend comme application concrète le synode sur la famille. « La réalité des familles dissoutes et reconstruites n’est pas un empêchement pour vivre et participer de la vie abondante de l’Église ; la « communion sacramentelle » n’est pas le seul chemin pour participer vitalement à la dynamique pastorale de la communauté paroissiale ; tout chrétien remarié peut être un chrétien à plein-temps, a le droit d’être heureux, et sa maison peut aussi devenir une place où l’amour de Dieu porte témoignage. »
Une autre source pour comprendre la miséricorde proposée par le pape est le cardinal Kasper (cf. encadré n° 3 infra). Dans un entretien paru le 7 mai 2014, il revient sur la question de la communion aux divorcés remariés qui complète ce qu’il dit dans l’Évangile de la famille. L’on y découvre les principes sur lesquels il s’appuie. « Je ne peux pas imaginer une situation dans laquelle un être humain serait tombé dans un fossé et où il n’y aurait pas moyen de l’en sortir. (…) La miséricorde signifie que Dieu donne à chacun de se convertir et d’avoir une nouvelle chance. (…) Dieu ne justifie pas le péché, mais il justifie le pécheur. Beaucoup de mes détracteurs ne comprennent pas cette distinction. »
Faisant l’application aux divorcés remariés, il admet d’abord que « l’on admirera et on soutiendra l’héroïsme des partenaires qui ont été abandonnés, qui demeurent seuls et qui vivent péniblement. Mais, ajoute-t-il, beaucoup de partenaires, en raison des enfants, ont besoin de vivre avec un nouveau partenaire et de contracter un mariage civil qu’ils ne peuvent rompre à nouveau sans une nouvelle faute. Souvent, après des expériences amères, ces nouveaux liens permettent à beaucoup de goûter à nouveau au bonheur et d’y voir un véritable don du Ciel [31]. » Il s’interroge donc : « Dieu est miséricordieux et fidèle. Et la question se pose de savoir comment l’Église peut être le signe de ce lien indissoluble entre la fidélité et la miséricorde dans son action pastorale auprès des divorcés civilement remariés [32]. »
Il poursuit : « Nous nous trouvons dans une situation analogue à celle du dernier concile lorsqu’il s’est agi de la question de l’œcuménisme ou de la liberté religieuse. À cette époque, il existait des encycliques et des décisions du Saint-Office qui semblaient barrer tout chemin de dialogue. Mais sans porter atteinte à la tradition dogmatique normative de l’Église, le Concile a ouvert des portes. Aussi pouvons- nous poser aujourd’hui la question : concernant le problème qui nous occupe, un développement est-il possible qui, tout en n’abolissant pas la tradition dogmatique normative, porterait plus loin la question et approfondirait des traditions plus récentes [33] ? » Il déroule alors une nombreuse série d’arguments plus sophistiques les uns que les autres.
Vers le masdu ?
Nous sommes maintenant en mesure de faire une synthèse des données recueillies. Nous sommes invités par l’Église de la miséricorde, « sacrement de l’unité du genre humain », à « construire un monde meilleur » à travers la nouvelle évangélisation et sa dimension sociale obligatoire, au moyen de « l’esprit missionnaire » et de la « miséricorde ». Cette miséricorde est entendue comme une sorte d’humanitarisme universel ; ce qui va unir les hommes, ce sont les droits de l’homme et des peuples, et l’humanitarisme se concrétise dans un mondialisme multiculturaliste et œcuméniste. Sans tourner franchement le dos à la finalité que lui a donnée Jésus-Christ (mission propre de sanctification), l’Église conciliaire s’est assimilée la finalité propre à l’État, et de ce fait en est devenu une partie qu’elle entend comme une âme : elle engendre un monstre, d’autant plus monstrueux que le corps est la démocratie moderne. Tout cela rappelle l’intuition de l’abbé Georges de Nantes, qui voyait dans l’Église conciliaire une sorte de monstre qu’il appelait le « Masdu » (voir encadré n° 4 infra).
La racine la plus profonde de ces déformations paraît bien être l’abandon de la doctrine de la royauté du Christ sur les sociétés, qui conçoit la relation entre l’Église et l’État sur la base de deux principes (doctrine des deux glaives). D’une part l’Église est seule compétente pour le pouvoir surnaturel et divin, qui vise le bien commun extrinsèque de la société, Dieu, car seule elle possède la puissance de nous y diriger. Mais l’État est compétent pour le bien commun intrinsèque de la société civile. Le rapport entre les deux sociétés, divine et humaine, s’exprime par le pouvoir indirect de l’Église dans les choses humaines, qui sont du ressort de l’État. Pour Vatican II cette royauté n’a plus lieu d’être et un laïcisme – certes modéré – la remplace. Mais cela crée un vide, car l’universalité du catholicisme est entamée, et ce vide demande à être comblé : la nouvelle doctrine est là pour cela.
Enfin, la nouvelle doctrine sur la miséricorde permet d’une part, de tenter d’unifier la nouveauté de l’Église conciliaire, en lui donnant un esprit, une mystique, qui lui corresponde ; et d’autre part de la disposer à « animer » la société civile pour la porter à cet accomplissement de l’unité du genre humain, dont l’Église est le sacrement, dans une apothéose de l’oecuménisme d’une part, du mondialisme et des droits de l’homme d’autre part.
Abbé Arnaud Sélégny, prêtre de la FSSPX, Article extrait de Fideliter n° 226 de juillet-août 2015
Encadrés
Encadré n° 1 – La bulle Misericordiæ vultus Cette bulle considère d’abord la miséricorde d’abord en Dieu lui-même. Le pape François envisage ensuite la miséricorde dans l’Église et passe à une application à l’Année Jubilaire. Il insiste sur les œuvres extérieures et reprend l’un de ses leitmotivs : « ouvrir son cœur à ceux qui vivent dans les périphéries existentielles ». Il demande aussi de manière pressante l’accomplissement des œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles. Il révèle encore qu’il enverra dans toute l’Église, durant le carême 2016, des « Missionnaires de la Miséricorde », c’est-à-dire des confesseurs munis de tous les pouvoirs, en particulier pour absoudre les péchés réservés au Saint-Siège. Enfin, après avoir traité du rapport entre justice et miséricorde, et de l’indulgence, le document aborde la miséricorde qui « dépasse les frontières de l’Église » avant de conclure avec la très sainte Vierge, Mère de miséricorde. Quant à la doctrine sur la miséricorde, elle tourne autour de trois pivots : Notes : |
Encadré n° 2 – Le christianisme secondaire L’expression de « christianisme secondaire » est une création de Romano Amerio (1) : « C’est une erreur du XIXe siècle (…) qui a considéré le christianisme comme le système suprême des valeurs humaines, assimilé à l’idéal de perfection de l’homme (2). » Cet esprit se retrouve sous une nouvelle forme dans l’Église postconciliaire, poursuit- il : celle-ci prétend que « le catholicisme ne s’identifie à aucune civilisation mais les soulève toutes. Or la religion a certainement pour effet la civilisation et l’histoire de l’Église en témoigne, mais elle n’a ni pour but ni pour effet premier la civilisation au sens de perfectionnement terrestre. (…) [Aujourd’hui] elle offre au monde ses services et cherche à prendre la tête du progrès humain (3) (…), et elle aspire à faire fermenter toutes les civilisations particulières en les poussant vers une civilisation mondiale (…) qui doit enfanter un monde plus juste et plus humain (4). » Mais, comme l’affirme encore Romano Amerio, « l’Église ne peut sans se dénaturer prendre ce perfectionnement-là comme fin primaire ou égale à sa fin primaire. (…) Certes elle a fait mûrir la civilisation européenne par un effet naturel mais secondaire de la religion. Elle a développé les virtualités civilisatrices du monde profane. Elle s’est chargée à Vatican II de prendre part directement au perfectionnement temporel, tentant ainsi de faire rentrer le progrès des peuples dans la finalité de l’Évangile (5). » Et l’auteur de poursuivre : « Le fait d’avoir intégré dans l’Évangile la civilisation terrestre produit un obscurcissement des fins supraterrestres de la religion (6). » L’Église s’engage dans un idéal humanitaire oecuménique par lequel elle s’associe à tous « les hommes de bonne volonté ». Jean-Paul II dit ainsi : « L’Esprit-Saint exerce son action même en dehors de l’Église en inspirant aux hommes le désir d’une plus grande unité de toutes les nations (7). » Il conclut enfin : « L’Église peut sans aucun doute concourir au progrès du monde, mais non dans la direction que ce progrès a prise en fait. (…) Elle ne peut se mettre à la tête de ce progrès, issu en réalité d’une autre nature que la sienne (8).» Notes : |
Encadré n° 3 – L’Evangile de la famille du cardinal Kasper En ouverture au consistoire extraordinaire sur la famille des 20 et 21 février 2014, le cardinal Kasper a exposé ce qu’il a lui-même intitulé L’Evangile de la famille (publié aux éditions du Cerf en langue française). De cette introduction le pape François disait : « Je voudrais remercier le cardinal Kasper parce que j’ai trouvé une théologie profonde, mais également une pensée sereine dans la théologie. (…) Cela s’appelle « faire de la théologie à genoux ». Merci (1). » Déjà, lors de son premier Angélus, le 17 mars 2013, le pape avait fait l’éloge du cardinal : « Ces jours-ci, j’ai pu livre un livre d’un cardinal – le cardinal Kasper, un théologien très bien, un bon théologien – sur la miséricorde. Ce livre m’a fait tant de bien, tant de bien… Le cardinal Kasper disait que faire l’expérience de la miséricorde change tout. C’est la plus belle parole que nous puissions entendre : elle change le monde. Un peu de miséricorde rend le monde moins froid et plus juste. Il nous faut bien comprendre cette miséricorde de Dieu. » Et le texte de la bulle est visiblement inspiré, à plusieurs titres, par le livre du cardinal Kasper. Ce livre mériterait une étude particulière ; notons seulement qu’il est au fondement de la bulle Misericordiæ Vultus. Même si l’on ne peut affirmer que le cardinal soit le seul inspirateur du pape, l’on peut tout de même constater que ce dernier lui doit beaucoup dans la question qui nous occupe. Note : |
Encadré n° 4 – Le MASDU Ce sigle apparaît sous la plume de l’abbé de Nantes en 1965 (1), et lui sert à désigner le Mouvement d’Animation Spirituelle de la Démocratie Universelle. Il le définit comme « le projet d’une nouvelle et universelle religiosité dont l’Église se ferait l’organe, au service de la Cité humaine à bâtir. » L’idée lui a été inspirée par une citation de Paul VI (Le Chrétien et les affaires publiques, Allocution aux Comités civiques italiens, 30 janvier 1965, Documentation Catholique, n° 1442, pp. 294 & 296.) : « L’Église ne peut se désintéresser de l’animation idéologique, morale et spirituelle de la vie publique. (…) Elle invite à travailler avec confiance, oui, avec confiance dans l’ordre qui constitue la norme et l’histoire de notre société, et qui est aujourd’hui celui de la démocratie. » (2) Certes, ce qui est au fond de cette idée est ancien et Thomas Molnar le rattachera au gnosticisme ; mais le Masdu est très actuel. Il réalise le vieux rêve des catholiques libéraux : unir l’Église et la révolution, mais dans un sens encore plus étendu et plus profond qu’ils ne le pensaient eux-mêmes. Notes : |
- Misericordiæ Vultus (MV), n° 3.[↩]
- MV, n° 5. Dans le nouveau missel, la fête du Christ Roi a été déplacée au dernier dimanche après la Pentecôte, pour souligner son aspect « eschatologique » i. e. qui se rapporte à la fin des temps. C’est une manière de la rejeter dans le monde futur.[↩]
- EG, n° 25.[↩]
- EG, chapitre 1.[↩]
- EG, ch. 1, 3.[↩]
- EG, n° 37.[↩]
- MV, n° 4.[↩]
- Ibid.[↩]
- Discours d’ouverture du concile œcuménique Vatican II, Gaudet Mater Ecclesia, 11 octobre 1962.[↩]
- Discours de clôture du concile œcuménique Vatican II, 7 décembre 1965.[↩]
- MV, n° 8.[↩]
- Lettre 169, 13.[↩]
- MV, n° 19.[↩]
- EG, n° 176.[↩]
- Ibid., n° 183.[↩]
- Ibid., n° 206.[↩]
- Ibid., n° 178.[↩]
- Ibid., n° 187.[↩]
- Ibid., n° 190.[↩]
- Ibid., n° 65.[↩]
- Conseil pontifical « Justice et Paix », Compendium pour la Doctrine sociale de l’Église, n° 157.[↩]
- EG, n° 190.[↩]
- Ibid., n° 202.[↩]
- Benoît XVI, Lettre encyclique Deus caritas est (25 décembre 2005), n° 28.[↩]
- EG, n° 183.[↩]
- Jean-Paul II, Exhortation post-synodale Ecclesia in America (22 janvier 1999), n° 27.[↩]
- EG, n° 182.[↩]
- Conseil pontifical « Justice et Paix », op. cit., n° 12.[↩]
- EG, n° 183.[↩]
- Archevêque de Tegucigalpa, capitale du Honduras, depuis 1993, et cardinal depuis 2001. Il est coordinateur du C9, le groupe de neuf cardinaux chargé de préparer la réforme de la curie romaine.[↩]
- Cardinal Walter Kasper, L’Évangile de la famille, Cerf, Paris, 2014, p. 53–54.[↩]
- Ibid., p. 55.[↩]
- Ibid., p. 56.[↩]