Spe Salvi : Notes de lecture et commentaires, par l’abbé de La Rocque

Notes de lecture et commentaires,
par M. l’abbé de La Rocque – Janvier 2008

Sauvés en espé­rance : Benoît XVI a vou­lu prendre la magni­fique expres­sion de saint Paul (Ro 8, 24) pour titre de sa 2ème encyclique.

A la suite de la recom­man­da­tion de saint Pierre, le pape vient donc rendre compte de l’espérance qui est en lui (1 Pe 3, 15).

En un monde tou­jours plus sécu­la­ri­sé, qui n’aspire hélas sou­vent qu’aux choses de la terre, Benoît XVI cherche de la sorte à ral­lu­mer la flamme de l’espérance.

Ainsi qu’il l’indique (n° 1), son but est donc de mon­trer que seule une espé­rance fiable dans la vie éter­nelle per­met d’affronter le présent.

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Retrouver la dimension spirituelle de l’être humain

Par un pro­cé­dé apo­lo­gé­tique savam­ment mené, le pape tente d’accompagner son lec­teur aus­si loin que pos­sible dans une démarche per­son­nelle de réflexion. Il vou­drait lui faire décou­vrir la dimen­sion immor­telle de son être, et com­bien il est vain de mettre son espé­rance dans les seules choses de ce monde. Le pro­cé­dé uti­li­sé par le pape n’en reste pas moins révé­la­teur du triste état de la chré­tien­té. Bien qu’il adresse cette ency­clique au peuple catho­lique (il aurait pu la des­ti­ner « à tous les hommes de bonne volon­té »), Benoît XVI n’a pas esti­mé pou­voir s’appuyer sur la foi de ses lec­teurs pour leur ensei­gner le conte­nu et le motif de l’espérance chré­tienne : aveu réa­liste de la pau­vre­té de la foi chez nombre de catho­liques, de son manque d’instruction et même par­fois de son refus de se lais­ser ins­truire. Aussi Benoît XVI cherche-​t-​il sim­ple­ment à éveiller chez ses lec­teurs leur dimen­sion spi­ri­tuelle, uti­li­sant pour cela une ana­lyse de type phi­lo­so­phique, d’où la lec­ture par­fois dif­fi­cile de cer­tains paragraphes.

La dénonciation des fausses espérances

Elle n’est pas pour autant benoîte, la démarche de décou­verte que pro­pose Benoît XVI. A l’inverse de Gaudium et spes, le pape n’hésite pas en effet à stig­ma­ti­ser les fausses espé­rances que le monde moderne à ten­té de pré­sen­ter. Assumant cer­taines cri­tiques émises par les phi­lo­sophes de la post-​modernité, le pape dénonce donc clai­re­ment nombre d’illusions, depuis l’idéologie du pro­grès (Bacon) jusqu’à Marx, en pas­sant par cer­taines limites de la révo­lu­tion fran­çaise. Ces dénon­cia­tions nous valent par­fois de belles pages toutes de bon sens, comme celle qui stig­ma­tise l’idéologie du pro­grès matérialiste :

« Sans aucun doute, le pro­grès offre de nou­velles pos­si­bi­li­tés pour le bien, mais il ouvre aus­si des pos­si­bi­li­tés abys­sales de mal – pos­si­bi­li­tés qui n’existaient pas aupa­ra­vant. Nous sommes deve­nus les témoins de ce que le pro­grès, lorsqu’il est entre de mau­vaises mains, peut deve­nir, et qu’il est deve­nu de fait, un pro­grès ter­rible dans le mal. Si au pro­grès tech­nique ne cor­res­pond pas un pro­grès dans la for­ma­tion éthique [morale] de l’homme, dans la crois­sance de l’homme inté­rieur (cf. Ep 3, 16 ; 2 Co 4, 16), alors ce n’est pas un pro­grès, mais une menace pour l’homme et pour le monde. » (n° 22). Notons éga­le­ment la dénon­cia­tion de Marx, celle-​là même que le concile Vatican II refu­sa de pro­non­cer : « Il [Marx] a oublié l’homme et il a oublié sa liber­té […] Il croyait que, une fois mise en place l’économie, tout aurait été mis en place. Sa véri­table erreur est le maté­ria­lisme : en effet, l’homme n’est pas seule­ment le pro­duit de condi­tions éco­no­miques, et il n’est pas pos­sible de le gué­rir uni­que­ment de l’extérieur, en créant des condi­tions éco­no­miques favo­rables. » (n° 21).

D’un point de vue phi­lo­so­phique, seule la cri­tique du ratio­na­lisme don­née par l’encyclique est déce­vante (n° 23) : à la pré­ten­tion de l’autonomie abso­lue de la rai­son n’est oppo­sée que la néces­si­té d’une conscience morale nor­ma­tive de l’agir. Dès lors, la rai­son n’est vue que dans son action direc­trice de la volon­té (bien/​mal) et non dans son action pre­mière de connais­sance de l’être (vrai/​faux). La loi morale, trans­cen­dan­tale et intrin­sèque, a pris le pas sur la loi de l’être, connais­sable par la rai­son. La pos­si­bi­li­té de l’accès à l’être n’étant plus sou­li­gnée, seule l’expé­rience de Dieu devient le fon­de­ment de l’agir droit, d’où une cer­taine confu­sion entre les ordres natu­rels et surnaturels :

« Dieu entre vrai­ment dans les choses humaines seule­ment s’il n’est pas uni­que­ment pen­sé par nous, mais si Lui-​même vient à notre ren­contre et nous parle. C’est pour­quoi la rai­son a besoin de la foi pour arri­ver à être tota­le­ment elle-​même : rai­son et foi ont besoin l’une de l’autre pour réa­li­ser leur véri­table nature et leur mis­sion » (n° 23).

Les limites de l’encyclique

Une fois dénon­cées les fausses espé­rances pro­po­sées à l’homme qui se sent confron­té au mys­tère de sa fini­tude, reste à savoir sur quoi Benoît XVI fonde son espé­rance, autre­ment dit quelle concep­tion il pro­pose de la gué­ri­son de l’homme, de sa rédemp­tion : « En quoi consiste cette espé­rance qui, en tant qu’espérance, est rédemp­tion ? » (n° 3). La réponse don­née par l’encyclique est des plus déce­vantes, parce qu’elle ne reprend pas à son compte la nature de l’espérance chrétienne.

Ce qu’est l’espérance chrétienne, ou la Rédemption

Commençons par rap­pe­ler ce qu’est la Rédemption, sur laquelle se fonde la ver­tu sur­na­tu­relle d’espérance. Tournée vers l’éternité, l’espérance catho­lique trouve son appui dans le fait que l’homme sait qu’il peut faire sienne la Rédemption appor­tée par le Christ son Sauveur. Jusque-​là pécheur et inca­pable d’aller à Dieu quel qu’en fût son désir, l’homme lais­sé à lui-​même était sans espé­rance véri­table. Il ne pou­vait en effet accé­der à l’éternité bien­heu­reuse car, à lui seul, il était inca­pable d’enlever l’obstacle qui le sépa­rait de Dieu, à savoir l’offense et la malice du péché. Selon l’expression de saint Paul, l’homme était « esclave du péché ». Retrouver l’espérance du salut ne pou­vait se faire sans la libé­ra­tion du péché, et donc sans Rédempteur. Notre-​Seigneur, en assu­mant cha­cune de nos fautes, les expia sur le bois de la Croix. Il nous méri­ta ain­si le par­don, ouvrant par là même au pécheur repen­tant le Ciel jusque là fermé :

« Aujourd’hui même, tu seras avec moi dans le Paradis », fut-​il dit au bon Larron. Dès lors, l’espérance chré­tienne réside tota­le­ment dans le Christ, unique Sauveur : « Jésus-​Christ, notre espé­rance », disait saint Paul (1 Tm 1, 1). En s’unissant au Christ pour faire sienne sa Rédemption, le chré­tien retrouve l’espérance de l’éternité. Il sait de plus qu’il n’y a d’espérance que chré­tienne, car l’espérance réside toute dans la croix rédemp­trice de Notre-​Seigneur : O Crux ave spes uni­ca, chante l’hymne de la Passion, Salut ô Croix, notre unique espérance.

Quand la Passion n’est plus que compassion

Cet ensei­gne­ment, si fon­da­men­tal au chris­tia­nisme, est hélas tota­le­ment absent de l’encyclique Spe sal­vi. Aux dires de Benoît XVI, la Passion de Notre-​Seigneur est tout autre chose : elle n’est que com­pas­sion. Le Christ n’y a plus assu­mé nos péchés pour les expier sur le bois de la Croix et nous don­ner ain­si accès au Ciel. Il est sim­ple­ment venu, en rai­son de la soli­da­ri­té qu’engendre l’amour, par­ta­ger notre souf­france pour l’habiter de sa pré­sence. Comprenons-​le bien : il y a une dif­fé­rence fon­da­men­tale entre ces deux pers­pec­tives. Lorsque par com­pas­sion pour un malade je viens le visi­ter, j’accomplis certes une belle œuvre, appor­tant je l’espère un petit rayon de soleil là où domine la souf­france et la soli­tude. Puis-​je pour autant me pro­cla­mer rédemp­teur et sau­veur de ce malade ? Nullement. Il fau­drait pour cela que je détruise la mala­die, que je donne vie là où il n’y avait que mort inéluctable.

De même, la com­pas­sion pour le pri­son­nier n’est pas encore sa libé­ra­tion : elle récla­me­rait que je paye sa cau­tion, si tant est que son déten­teur en accepte le prin­cipe. C’est pré­ci­sé­ment ce que fit Notre-​Seigneur à notre endroit en pre­nant sur lui la dette du péché, en ouvrant les portes de la grâce vivi­fiante à celui qui était mort par le péché. Sa Rédemption est donc infi­ni­ment plus qu’une simple com­pas­sion, elle a chan­gé aux yeux de Dieu le sta­tut de l’humanité. Voici pré­ci­sé­ment ce que l’encyclique ne sou­ligne nul­le­ment. Le seul des­crip­tif qu’elle pro­pose de la Passion est sin­gu­liè­re­ment réduc­teur, il la can­tonne au domaine de la simple compassion

: « L’homme a pour Dieu une valeur si grande que Lui-​même s’est fait homme pour pou­voir com­pa­tir avec l’homme de manière très réelle, dans la chair et le sang, comme cela nous est mon­tré dans le récit de la Passion de Jésus. De là, dans toute souf­france humaine est entré quelqu’un qui par­tage la souf­france et la patience ; de là se répand dans toute souf­france la conso­la­tio [le fait de ne plus être seul dans sa souf­france]. » (n° 39).

Une conséquence immédiate sur notre vie quotidienne

Un tel chan­ge­ment de pers­pec­tive a des consé­quences immé­diates sur notre vie quo­ti­dienne de chré­tiens. Vous avez appris à faire de temps à autre des sacri­fices. Vous vous effor­cez d’unir vos peines, souf­frances et contra­rié­tés à la Croix de Jésus. A chaque messe, vous renou­ve­lez cette offrande de vous-​même en union au Christ vic­time pré­sent sur l’autel « pour la rémis­sion des péchés ». En agis­sant de la sorte, vous avez conscience que ces sacri­fices effacent, ne serait-​ce que par­tiel­le­ment, vos fautes pas­sées et la peine qui en découle. Vous avez rai­son. Le concile de Trente vous l’avait ensei­gné : « La messe est offerte chaque jour en rai­son des péchés com­mis chaque jour. » Vous unis­sant ain­si à l’Hostie, vous savez donc que vous méri­tez le Ciel. Pourtant, l’encyclique n’hésite pas à décla­rer cette pra­tique « exa­gé­rée » et « mal­saine » : « La pen­sée de pou­voir « offrir » les petites peines du quo­ti­dien […] était une forme de dévo­tion, peut-​être moins pra­ti­quée aujourd’hui, mais encore très répan­due il n’y a pas si long­temps. Dans cette dévo­tion, il y avait cer­tai­ne­ment des choses exa­gé­rées et peut-​être aus­si mal­saines. » Ecartant tout ce qu’elle estime « mal­sain » – à savoir ce que nous venons de décrire – l’encyclique ne retient qu’une chose de cette pra­tique : la com­pas­sion, et non plus l’expia­tion : « Il faut se deman­der si quelque chose d’essentiel qui pour­rait être une aide n’y était pas conte­nu [dans cette forme de dévo­tion] de quelque manière. Que veut dire « offrir » ? Ces per­sonnes étaient convain­cues de pou­voir insé­rer dans la grande com­pas­sion du Christ leurs petites peines, qui entraient ain­si d’une cer­taine façon dans le tré­sor de com­pas­sion dont le genre humain a besoin. » Est donc exclu que le genre humain ait besoin de satis­fac­tion pour ses péchés, ce qui por­tant fit l’essentiel de la Rédemption réa­li­sée par le Christ.

La notion de mérite est donc exclue, en quelques lignes hélas cari­ca­tu­rales de la théo­lo­gie « clas­sique » [enten­dez : « traditionnelle] :

« Le règne de Dieu est un don, et jus­te­ment pour cela il est grand et beau, et il consti­tue la réponse à l’espérance. Et nous ne pou­vons pas – pour uti­li­ser une ter­mi­no­lo­gie clas­sique – « méri­ter » le ciel grâce à « nos propres œuvres ». Il est tou­jours plus que ce que nous méri­tons ; il en va de même pour le fait d’être aimé qui n’est jamais une chose « méri­tée », mais est tou­jours un don » (n° 35).

S’il est vrai que l’homme ne peut acqué­rir de lui-​même le Ciel, s’il est évident qu’il ne peut pré­tendre à l’amour de Dieu comme à un droit, il est tout aus­si évident que le Christ par sa mort nous a méri­té le Ciel au sens strict – son sang ver­sé par amour est le prix de notre salut – évident éga­le­ment que Dieu rétri­bue nos bonnes œuvres comme les mau­vaises, les pre­mières nous méri­tant le Ciel tan­dis que les der­nières, non regret­tées, nous méritent l’enfer. C’est là l’Evangile même, là encore que se trouve notre espé­rance : sur­éle­vées par l’amour sur­na­tu­rel de Dieu, nos bonnes œuvres, parce qu’assumées par le Christ, nous méritent le Ciel.

La nouvelle conception de la Rédemption

Si la Rédemption ne se situe plus dans la satis­fac­tion du péché, en quoi consiste-​t-​elle alors ? Ecoutons la réponse pro­po­sée par l’encyclique :

« L’homme est rache­té par l’amour. Cela vaut déjà dans le domaine pure­ment humain. Lorsque quelqu’un dans sa vie, fait l’expérience d’un grand amour, il s’agit d’un moment de « rédemp­tion » qui donne un sens nou­veau à sa vie […] L’être humain a besoin de l’amour incon­di­tion­nel […] Si cet amour abso­lu existe, avec une cer­ti­tude abso­lue, alors – et seule­ment alors – l’homme est « rache­té » quel que soit ce qui lui arrive dans un cas par­ti­cu­lier. C’est ce que l’on entend lorsque l’on dit : Jésus Christ nous a « rache­té ». Par lui, nous sommes deve­nus cer­tains de Dieu » (n° 26).

En un mot, la « Rédemption » telle que la conçoit l’encyclique n’est rien d’autre que la révé­la­tion de l’amour incon­di­tion­nel de Dieu pour l’homme. Dans cette concep­tion, le Christ n’a pas détruit le péché en sa mort rédemp­trice, parce que le péché n’est plus un obs­tacle à l’amour de Dieu : il nous a sim­ple­ment révé­lé que ce péché, pré­ci­sé­ment, n’était pas en fait un obs­tacle. L’espérance n’est rien d’autre que la connais­sance de cette « véri­té ». Et le pape d’illustrer le pro­pos en décri­vant l’état d’âme sup­po­sé d’une sainte cano­ni­sée par Jean-​Paul II, Joséphine Bakhita :

« […] Désormais, elle avait la grande espé­rance : je suis défi­ni­ti­ve­ment aimée et quel que soit ce qui m’arrive, je suis atten­due par cet Amour. Et ain­si ma vie est bonne. Par la connais­sance de cette espé­rance, elle était « rache­tée », elle ne se sen­tait plus une esclave, mais une fille de Dieu libre » (n° 3).

Qu’en est-​il alors de l’enfer ?

S’il en est ain­si de la Rédemption, si le péché n’est plus un obs­tacle à l’amour de Dieu, qu’en est-​il alors de l’enfer ? A l’heure où foi­sonnent les théo­ries selon les­quelles l’enfer serait vide, Benoît XVI rap­pelle que tel n’est pas le cas. C’est heu­reux. Mais, ne décri­vant l’enfer que comme un état psy­cho­lo­gique, le pape le limite à très peu de per­sonnes, uni­que­ment à celles « qui ont détruit tota­le­ment en elles le désir de la véri­té et la dis­po­ni­bi­li­té à l’amour ; des per­sonnes en qui tout est men­songe ; des per­sonnes qui ont vécu pour la haine et qui en elles-​mêmes ont pié­ti­né l’amour » (n° 45). Les décla­rant aus­si rares que les grands saints qui s’envolent direc­te­ment vers le Ciel dès l’instant de leur mort, le pape ima­gine le por­trait robot de ces dam­nés à tra­vers « cer­tains per­son­nages de l’histoire ». Sans doute pense-​t-​il à des Hitler ou des Staline. Mais ce n’est là qu’exception :

« Chez la plu­part des hommes – comme nous pou­vons le pen­ser – demeure pré­sente au plus pro­fond de leur être une ultime ouver­ture inté­rieure pour la véri­té, pour l’amour, pour Dieu. Cependant, dans les choix concrets de la vie, elle est recou­verte depuis tou­jours de nou­veaux com­pro­mis avec le mal – beau­coup de sale­té recouvre la pure­té, dont cepen­dant la soif demeure et qui, mal­gré cela émerge tou­jours de nou­veau de toute la bas­sesse et demeure pré­sente dans l’âme » (n° 46).

D’où le pur­ga­toire, dont on note­ra au pas­sage que Benoît XVI remet en ques­tion le feu (cf. n° 47), peut-​être par sou­ci œcu­mé­nique à l’endroit des orthodoxes.

Quoiqu’il en soit du nombre sup­po­sé des élus – petit ou grand, nul ne le sait –, l’important est le cri­tère dis­tin­guant l’élu du dam­né : tout se joue, selon l’encyclique, sur « le désir de la véri­té et la dis­po­ni­bi­li­té à l’amour ». Pour l’avoir tota­le­ment per­du, quelques rares indi­vi­dus sont irré­mé­dia­ble­ment exclus du Royaume de Dieu ; pour en avoir gar­dé ne serait-​ce qu’une once, les autres sont sau­vés. Un tel cri­tère sur­prend même l’enfant du caté­chisme, si tant est qu’il ait reçu un caté­chisme digne de ce nom. Cet enfant sait qu’un seul péché mor­tel non regret­té ni par­don­né détruit la vie de la grâce, ferme les portes du Ciel, et mérite donc l’enfer ; quelle que soient l’altruisme ou la soif de connais­sance de la per­sonne concer­née. D’où la célèbre phrase qu’adressait Blanche de Castille à son jeune fils, le futur saint Louis : « Je pré­fè­re­rais te voir mort à mes pieds que de te savoir en état de péché mor­tel. » Une telle affir­ma­tion est incom­pré­hen­sible aux yeux de l’encyclique, qui affirme fina­le­ment que Dieu ne déter­mine plus le sort éter­nel des indi­vi­dus en fonc­tion de ses actes, mais seule­ment à rai­son de ses inten­tions. Cela n’est pas sans quelque relent de la doc­trine luthé­rienne : « pèche for­te­ment, mais crois plus for­te­ment encore »…

Conclusion

Symptomatique, cette ency­clique l’est à plus d’un titre. Ses pages phi­lo­so­phiques, quoique géné­ra­le­ment bonnes, disent néan­moins en fili­grane le triste état d’une catho­li­ci­té inca­pable semble-​t-​il d’entendre un ensei­gne­ment de foi, mais seule­ment acces­sible au rai­son­ne­ment ; d’une catho­li­ci­té qui n’accepte donc pas l’argument d’autorité, sou­cieuse qu’elle est de tout pas­ser au crible de sa propre rai­son – ce qui est exac­te­ment le contraire de la démarche de foi.

Le plus grave réside évi­dem­ment dans les défaillances doc­tri­nales rela­tives au dogme de la Rédemption. Elles sont carac­té­ris­tiques du moder­nisme qui, depuis plu­sieurs décen­nies, enva­hit l’Eglise. Epris d’une fausse digni­té de l’homme, le chré­tien moder­niste ne peut en effet admettre que l’homme pécheur, lais­sé à lui-​même, soit inca­pable de se diri­ger effi­ca­ce­ment vers Dieu. Cela s’oppose direc­te­ment à son axiome fon­da­men­tal : tout homme pos­sède au plus pro­fond de son être un élan qui iné­luc­ta­ble­ment le mène à la plé­ni­tude divine.

Du fait même qu’il veut sau­ve­gar­der ce nou­veau « dogme », le moder­niste se voit obli­gé de déna­tu­rer la Croix du Christ. Elle n’est plus l’acte sal­va­teur qui affran­chit l’humanité de la dette du péché pour la rendre agréable à Dieu. Au sens strict du terme elle n’est plus Rédemptrice. Une telle concep­tion effraie. L’encyclique pré­sente nous dit hélas qu’elle elle loin d’être étran­gère à Benoît XVI.

Abbé Patrick de La Rocque

FSSPX

M. l’ab­bé Patrick de la Rocque est actuel­le­ment prieur de Nice. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions théo­lo­giques avec Rome entre 2009 et 2011.