Sermon des funérailles de Grégoire-​Marie Meugniot

Funérailles de Grégoire-​Marie Meugniot – Sermon de l’ab­bé Pierre DUVERGER
Eglise Saint-​Eutrope (Saintes – 17) – Samedi 9 juin 2007

Je tiens tout d’a­bord à remer­cier Monseigneur l’Evêque de La Rochelle et Saintes, pour sa pater­ni­té à l’é­gard des catho­liques que nous sommes et vou­lons être tou­jours ; remer­cier aus­si, M. l’ab­bé Saboride, curé Doyen, pour son esprit de conci­lia­tion et le cha­ri­table accueil qui nous valent d’être réunis en cette belle église Saint-​Eutrope, construite pour cette pro­fonde litur­gie mul­ti­sé­cu­laire de l’Eglise.

« O pro­fon­deur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu ! 
Que ses juge­ments sont incom­pré­hen­sibles et ses voies impénétrables ! 
Car qui a connu la pen­sée du Seigneur ? 
Ou qui a été son conseiller ? 
Ou qui lui a don­né le pre­mier et rece­vra de lui en retour ? 
Car c’est lui, et par lui, et en lui que sont toutes choses : 
à lui la gloire dans tous les siècles ! » [1]

Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, ainsi-soit-il.

Cher M. l’ab­bé Sire,
Mes chers confrères,
Mes Sœurs,
Chers grands parents,
Très chère famille,
Chers enfants et anciens de Saint Michel,
Mes chers amis,

Vous l’au­rez recon­nu peut-​être ce texte de S. Paul, nous le lisions dimanche der­nier, en la fête de la Sainte Trinité alors que Grégoire-​Marie venait de rendre son âme à Dieu.

Qui a connu la pen­sée du Seigneur ? Ou qui a été son conseiller ? [1]

Membre de l’Association répa­ra­trice envers la Sainte Trinité, il fal­lait qu’il nous quit­tât le jour même de la Trinité.

O pro­fon­deur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu ! [1]

Oui, mes bien chers frères, c’est tout d’a­bord l’ac­tion de grâce à notre Dieu, Trinité Sainte que nous vou­lons mani­fes­ter. Adoration sans doute devant ces décrets inson­dables, remer­cie­ments sur­tout de nous avoir don­né Grégoire-​Marie, actions de grâces pour lui avoir don­né ces dix neuf printemps.

D’aucuns pour­raient se deman­der pour­quoi ? Pourquoi ne pas l’a­voir repris, il y a dix neuf ans lorsque atteint d’une leu­cé­mie aiguë, à neuf mois, le chi­rur­gien ne lui don­nait plus que trois jours ? Pourquoi ? Certains diront : « pour­quoi ? » Nous, nous disons : « Merci ! »

Car Grégoire-​Marie, dans la sim­pli­ci­té de sa petite vie, a sa place dans l’Eglise, il a été et sera pour nous un encou­ra­ge­ment, une vivante image de l’espérance.

    Et tout d’abord, un encouragement pour tous les éducateurs.

Pour ses parents en pre­mier lieu, pour ses maîtres et tous ceux qui se sont dévoués pour l’é­du­quer, il pro­clame que l’é­du­ca­tion catho­lique, la lente for­ma­tion d’un homme, d’un étu­diant sérieux, l’ap­pren­tis­sage de l’a­mour et du ser­vice de Dieu ; c’est pos­sible aujourd’hui !

Ô com­bien lui-​même remer­cie l’a­do­rable Trinité de lui avoir don­né une famille chré­tienne, des parents per­sua­dés que les enfants sont des prêts de la part de Dieu, que la vie sur la terre n’est qu’une pré­pa­ra­tion du Ciel et que la valeur de nos actions dépend de leur confor­mi­té à la volon­té divine.

Merci, Benoît et Brigitte, d’a­voir vou­lu lui don­ner la vie, d’a­voir veillé à la lui rendre la plus nor­male pos­sible, d’a­voir tou­jours pri­vi­lé­gié le bien de son âme, à vous par Dieu confiée.

Merci, d’a­voir veillé à lui choi­sir des par­rains qui lui ensei­gne­raient par leur exemple ce qu’est une vie où le Christ Jésus est le centre de l’exis­tence ; ce qu’est une vie chrétienne.

La prière fami­liale, le cha­pe­let quo­ti­dien, la réfé­rence habi­tuelle à la Providence du Cœur de Jésus, éri­gé comme roi de votre foyer sont deve­nus pour son âme aus­si néces­saires et spon­ta­nés que la respiration.

Alors, le caté­chisme et les sacre­ments ont for­ti­fié et mode­lé sa per­sonne. Puis quand la vie fami­liale n’a pu suf­fire à l’en­ri­chis­se­ment de son intel­li­gence, à l’ac­qui­si­tion des ver­tus sociales, quand l’é­cole à la mai­son n’a plus été pos­sible, vous avez réso­lu­ment fait le choix de la pen­sion, mal­gré son âge, mal­gré sa santé.

Car pour une famille catho­lique, mes bien chers frères, la seule édu­ca­tion logique, c’est l’é­cole catho­lique : celle où tout l’en­semble de l’en­sei­gne­ment et de la for­ma­tion est régi par la Foi et la Loi de Dieu.

Inlassablement vous avez assu­mé sépa­ra­tions et aller-​retours, sacri­fices mutuels, per­sua­dés même –et Grégoire-​Marie vous donne aujourd’­hui rai­son– que la pen­sion, loin d’être un pis aller, un moindre mal, est la solu­tion pour édu­quer droi­te­ment et sai­ne­ment la jeu­nesse catholique.

Encouragement pour ses maîtres du col­lège de Saint-​Michel. Et si vous êtes ici, cher M. l’ab­bé Bétin, son ancien direc­teur, chers Frères, qui vous êtes si géné­reu­se­ment dévoués pour le diri­ger, veiller sur lui, l’en­cou­ra­ger et le cor­ri­ger, c’est sans doute pour mani­fes­ter votre atta­che­ment à ce petit homme que vous avez mode­lé et à sa famille qui vous est si chère, mais c’est aus­si pour rece­voir au soir de sa vie l’ex­pres­sion de sa pro­fonde gra­ti­tude d’a­voir été mené par vous sur le che­min du ciel, alors une fois de plus, avec lui et pour lui, je vous dis : « Merci ! »

Oui, qui s’en éton­ne­ra, la famille catho­lique où le mariage est réglé par la loi divine, puis l’é­cole catho­lique où l’é­du­ca­tion est diri­gée par cette haute idée que le plus impor­tant c’est d’ap­prendre à ser­vir Dieu, les deux ensemble pro­duisent des catho­liques qui peuvent, à tout moment, rendre leur âme à Dieu, ayant fait fruc­ti­fié les talents reçus ! Qui lui a don­né le pre­mier et rece­vra de lui en retour ? [1]

    En second lieu, Grégoire-​Marie est un témoin pour tous les malades et personnel soignant.

Vingt ans d’une exis­tence mala­dive, d’une san­té ché­tive, d’un souffle de vie tou­jours en sur­sis, pour nous dire tous les jours que la vie est belle et digne d’être vécue, si elle l’est pour Dieu !
Déjà, tout petit, n’était-​il pas la coque­luche des infir­mières qui ont peut-​être pen­sé com­bien il était beau et magni­fique de conce­voir et de mettre au monde ?

Toujours patient, il a fait l’é­di­fi­ca­tion de tous les méde­cins et per­son­nel soi­gnant par sa gen­tillesse, sa dou­ceur, son inlas­sable sou­rire et courage.

Diminué, il n’a jamais été rabat-​joie mais il a fait fleu­rir autour de lui des tré­sors de déli­ca­tesse et d’at­ten­tion, chez ses frères et sœurs, chez ses cama­rades de classes, chez tous ses amis.

Bienheureux les doux, disait Jésus, car ils pos­sè­de­ront la terre, [2] et votre pré­sence nom­breuse, mes chers amis, n’en est-​elle pas la preuve ? Oui, les doux pos­sè­de­ront la terre !

Eh bien, s’il a su gagner les cœurs et les remuer aujourd’­hui qu’il est par­ti, il nous a aus­si don­né à tous, l’oc­ca­sion de jouir de cette autre béatitude :

Bienheureux les misé­ri­cor­dieux, car il leur sera fait misé­ri­corde [3]. Oui, il nous a don­né de rece­voir et de ser­vir le Christ en sa per­sonne malade et de san­té tou­jours fragile.[4]

Alors quoi d’é­ton­nant qu’il ait cher­ché aus­si, cette année, à Bordeaux, à répandre, à son tour, cette bon­té qui se penche sur la misère d’au­trui, en inté­grant la Conférence S. Vincent de Paul ?

Il aura don­né tout sim­ple­ment, c’est-​à-​dire, sim­ple­ment mais tota­le­ment l’exemple d’un malade, ami de tous parce qu’a­mi du Christ, plein du Christ, sachant comme dit S. Paul, com­plé­ter dans son corps ce qui manque à la Passion du Christ, pour l’Eglise [5].

Jamais ses amis ne l’en­ten­dirent se plaindre !

Jamais sa propre mère ne l’en­ten­dit mur­mu­rer contre son état !

Quel était donc le secret de cette patience qui vaut mieux qu’­hé­roïsme[6] sinon la cha­ri­té, cet amour de Dieu pui­sé dans la prière, car la cha­ri­té est patiente [7]!

Alors si l’Ecriture nous dit que pour avoir un jour souf­fert, les justes rece­vront de grands biens, [8] comme S. Paul, nous sommes fiers en rai­son de sa patience [9] ! Et cette imi­ta­tion de Jésus-​Christ, dans son état souf­frant, n’a-​t-​elle pas reçu une ultime res­sem­blance de confor­mi­té dans ce cœur qui souf­frit et lâcha aux pre­miers jours du mois du Sacré Cœur ? N’a-​t-​il pas por­té, là encore et mys­té­rieu­se­ment, les traces de la mort de Jésus [10]?

    Enfin, Grégoire-​Marie est un encouragement pour la jeunesse !

Dans un monde débous­so­lé, où tous les désordres attirent et séduisent plus que jamais vos jeunes cœurs, à l’aube de votre vie, lui ayant fini la sienne, il vous appelle, mes chers amis, à regar­der ce qu’il fut. Grégoire-​Marie vous dit : « La vie a un sens : c’est gagner le Ciel !»

Que sert, en effet, à l’homme de gagner l’u­ni­vers, s’il vient à perdre son âme ? ou, que ren­dra l’homme en échange de son âme ? [11]

Si nous remer­cions avec lui la Sainte Trinité de lui avoir don­né et gar­dé la vie, de lui avoir pro­cu­ré toutes ses joies fami­liales, tous ces plai­sirs du corps et de l’es­prit –et Dieu sait s’il savait en user !– nos actions de grâces valent sur­tout pour toutes ses joies sur­na­tu­relles. Tous ces sacre­ments reçus : ce bap­tême, tout d’a­bord, qui le fai­sant temple de Dieu l’ap­pe­la à faire par­tie de la famille de la Trinité divine ; cette confir­ma­tion qui fit de son âme un sol­dat du Christ, lui si faible dans son corps ; ces innom­brables com­mu­nions dont la der­nière, en ce lun­di de Pentecôte, était une offrande pour les prêtres ; ces confes­sions régu­lières et fré­quentes qui puri­fient et for­ti­fient l’âme jus­qu’à la rendre inébran­lable ; enfin, l’extrême-​onction, reçue au der­nier jour de Mai en la fête de Marie Reine.

Que de dons, que de grâces divines reçues tout au long de sa vie !

Alors, dans son âme atten­tive, ins­truite par la souf­france [12], s’é­le­va cette ques­tion : « que rendrai-​je au Seigneur pour tout ce qu’il m’a don­né ? [13]» Et cette ques­tion ne res­ta pas sans réponse !

Séduit par l’humble et mys­té­rieuse exis­tence des Frères au col­lège, il deman­da à en faire par­tie. Il vou­lait être reli­gieux : Frère de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X ! Tout don­ner à celui qui nous a don­né le pre­mier [14]. Tel fut son désir, telle fut sa réponse !
Les Supérieurs, en rai­son de sa san­té, refu­sèrent, mais l’of­frande avait eu lieu, le sacri­fice n’a­vait plus qu’à s’achever.

Que les juge­ments de Dieu sont incom­pré­hen­sibles et ses voies impé­né­trables ?[1]

Lui qui vou­lait se don­ner tout entier, il ne le put comme Frère.

Alors vous tous, mes chers amis, ses chers amis, qui chan­tez cette belle messe, qui le pleu­rez parce que vous l’ai­mez, qui res­tez alors qu’il est par­ti, vous, pleins de vie, devant sa dépouille mor­telle, n’entendez-​vous pas qu’il vous dit : « Prendras-​tu ma place ? »

Etre Frère, être prêtre, être reli­gieux ou reli­gieuse, entiè­re­ment consa­cré au ser­vice de Celui qui nous a faits, qui nous prête le temps et une vie tou­jours trop courte, n’est-​ce pas le désir qui devrait ger­mer d’une âme bien née ? N’y a t il per­sonne pour le rem­pla­cer ? N’a-​t-​il pas un ami pour prendre sa place ?

Lui, qui vou­lait, n’a pas pu, et vous qui pou­vez, vous ne vou­driez pas ?

Oh, si vous enten­dez aujourd’­hui sa voix, n’en­dur­cis­sez pas votre cœur ! [15]

Donnez, comme dit S. Paul , donnez-​vous, vous-​mêmes à Dieu, comme des vivants ! [16]

Oui, Grégoire Marie est un encou­ra­ge­ment, une image vivante de l’es­pé­rance chré­tienne, alors soyons, comme dit l’Apôtre, comme il le fut, joyeux dans l’es­pé­rance [17]!

Mes bien chers frères, aimer nos morts, c’est prier pour eux car c’est vou­loir leur bien et si nous croyons qu’il est vivant avec Dieu [18], nous savons aus­si, com­bien le péché qui ter­nit toutes nos exis­tences, doit être expié.

C’est donc à la Très Sainte Vierge qui l’a sau­vé de la mort quand il était petit et dont la médaille, dès lors, ne le quit­ta plus, c’est à Elle que nous deman­dons aujourd’­hui, de le sau­ver bien vite des flammes du Purgatoire. Et pour nous, ô Notre Dame du Sacré Cœur, Consolatrices des affli­gés, donnez-​nous de vivre de telle manière que nous méri­tions un jour la recou­vrance de notre cher défunt dans la lumière du royaume céleste[19]le Seigneur effa­ce­ra toute peine et toutes larmes [20].

Ainsi-​soit-​il !

Abbé Pierre DUVERGER, Doyen-​Prieur d’Aquitaine


Notes

[1] Rom. XI, 33–36
[2] Matt. V, 4
[3] Matt. V, 7
[4] Matt. XV, 40
[5] Col. I, 24
[6] Pr. XVI, 32
[7] I Co. XIII, 4
[8] Sg. III, 5
[9] 2 Th. I, 4
[10] 2 Co. IV, 10
[11] Matt. XVI, 26
[12] Job, XXXIII, 19 ‑28
[13] Ps. CXV, 3
[14] I Jo. IV, 19
[15] Ps. XCIV,8
[16] Rom, VI, 13
[17] Rom. XII, 12
[18] II Tim. II, 11
[19] Prière à Notre-​Dame de Recouvrance
[20] Apoc. XXI, 4