L’Église doit-​elle mourir pour ressembler en tout à son divin Fondateur ?

The Resurrection of Christ, 1463-65, fresco | Artist: PIERO della Francesca (1410/20-92) | Location: Museo Civico Sansepolcro | Photo Credit: The Art Archive/Alfredo Dagli Orti / Art Resource, NY

La Résurrection de Notre-​Seigneur il y a deux mille ans est-​­elle le gage d’une vic­toire de l’Eglise, constante, indis­cu­table et indis­cu­tée, dès ici-bas ?

La Résurrection de Notre Seigneur, il y a deux mille ans de cela, est évi­dem­ment la preuve de la vic­toire défi­ni­tive du Christ sur le démon, le péché et la mort ; et par voie de consé­quence, elle pré­fi­gure la vic­toire de « ceux qui ont lavé leurs robes et les ont blan­chies dans le sang de l’Agneau »[1], la vic­toire de l’Eglise, Corps mys­tique du Christ, sur la même triade de maux. Cependant, cette vic­toire défi­ni­tive est-​­elle le gage d’une vic­toire de l’Eglise, constante, indis­cu­table et indis­cu­tée, dès ici­-​bas ? L’Eglise a reçu pour mis­sion de trans­mettre la Foi, sans en chan­ger un iota. Or, l’interrogation de Notre Seigneur au sujet d’une foi qu’il aura du mal à retrou­ver sur terre à son retour pour­rait faire dou­ter de la péren­ni­té de l’organe res­pon­sable de cette trans­mis­sion, l’Eglise catho­lique. Surtout que cette inter­ro­ga­tion de Notre Seigneur semble tra­giquement reflé­ter les erre­ments de la hié­rar­chie catho­lique actuelle. 

Heureusement, il y a la pro­messe solen­nelle de Notre Seigneur que « les portes de l’enfer ne pré­vau­dront pas con­tre Elle [i.e. l’Egli­se] »[2]. Cette pro­messe atteste de la péren­ni­té de l’Eglise à tra­vers les âges et les vicissitudes. 

Cependant, si Notre Seigneur a pro­cla­mé cette véri­té, c’est que vien­dront des temps où celle-​­ci sera bien obs­cur­cie, au point que cer­tains dou­te­ront de cette péren­ni­té de l’Eglise.

Mais que signi­fie jus­te­ment cette expres­sion : « les portes de l’enfer ne pré­vau­dront pas contre l’Eglise » ? L’expression « portes de l’enfer » a divi­sé les exé­gètes : pour les uns, il s’agit d’une péri­phrase pour sym­bo­li­ser la mort et l’expression serait donc une pro­messe d’immortalité de l’Eglise. Aussi la com­pa­rai­son éclai­rante que fit Mgr Lefebvre entre la Passion subie par Notre Seigneur et ce que subit l’Eglise de nos jours, n’irait pas jusqu’à la mort de l’Eglise, ren­due impos­sible en rai­son des paroles de son divin Fondateur. Pour d’autres spé­cia­listes, l’expression dési­gne­rait l’empire de Satan et le Sauveur pro­met­trait ain­si que son Eglise ne failli­ra jamais, ce qui sup­pose l’infaillibilité de celle-​­ci. Cette der­nière inter­pré­ta­tion s’harmonise mieux avec le contexte qui met aux prises deux édi­fices et où les portes de l’enfer ne triomphe­ront pas contre celles de l’Eglise.

Finalement, quel­le que soit l’interpré­tation don­née à cette expres­sion, « il importe de noter qu’une si glo­rieuse assu­rance n’est garan­tie à l’Eglise qu’à cause de Pierre »[3]. Aussi, si le fon­de­ment de l’Eglise (« Tu es Pierre et sur cette pierre je bâti­rai mon Eglise ») vacille, tout l’édifice sem­ble­ra vaciller avec lui. C’est pour­quoi « je ne trouve pas indis­pen­sable, écri­ra le R.P. Calmel O.P., qu’on lise les textes sublimes et por­teurs d’un récon­fort sou­ve­rain, dans saint Matthieu, dans saint Jean et dans saint Luc, en dehors de leur contexte très humble et d’une cer­taine manière angois­sant[4], de sorte que la gran­deur spé­ci­fique fasse oublier la misère com­mune, que le « Tu es Petrus… », le « Tibi dabo claves… » éclipse le « Vade post me, Satane, scan­da­lum es mihi » ; que le « Pasce agnos meos, parce oves meas » ne tienne pas compte de l’interrogation dou­lou­reuse, trois fois répé­tée « Simon Joannis amas me », qui est sans aucun doute une invi­ta­tion à répa­rer le triple renie­ment, la lâche­té misé­rable du Vendredi­-​Saint. Ce qui fait de saint Pierre le pre­mier Pape ce n’est pas le refus de la croix pour son Maître, le Verbe de Dieu incar­né ; nous le savons bien ; c’est l’investiture solen­nelle après la confes­sion sans faille, divi­ne­ment ins­pi­rée par le « Père de Jésus qui est dans les cieux ». Mais enfin, même après avoir été favo­ri­sé de cette ins­pi­ra­tion, le pre­mier Pape a pu s’égarer. […] Est­-​ce que l’Église l’oublie, elle qui implore pour le Pape dans son orai­son offi­cielle, la grâce de sau­ver son âme ? Est­-​ce que l’Église à cer­taines heures de ver­tige, de trouble, de ten­ta­tions sata­niques redou­blées, n’est pas obli­gée de reprendre à son compte la parole du Seigneur au pre­mier Pape : « Vade post me, Satana ? » Et lorsque l’Église reprend à son compte ce cri ter­rible, avec l’indignation très pure de son cœur d’Épouse du Christ, ne parle-​­t-​­elle pas uni­quement sous la pres­sion de son amour pour son chef visible sur la terre et en ver­tu de sa foi inébran­lable dans la fonc­tion du Pape, dans le pri­vi­lège de cette fonc­tion ? Tenir compte lorsqu’il faut (or dans les périodes révo­lu­tion­naires cette obli­ga­tion peut s’imposer plus sou­vent) tenir compte dans cer­tains cas pré­cis du « Vade post me, Satana » ce n’est pas nier le « Tu es Petrus », adop­ter je ne sais quelle atti­tude pro­tes­tante, s’égarer dans le libre exa­men ; c’est entendre le « Tu es Petrus » selon la doc­trine de la Foi. Car la doc­trine de la Foi, qui est sûre, entend la pri­mau­té pon­ti­fi­cale non dans un sens de pur arbi­traire et de façon que les chré­tiens soient rava­lés au rang indigne de sujets incon­di­tion­nels du Pape, mais dans un sens de confor­mi­té à la Tradition. Par là même l’obéissance du chré­tien est conte­nue dans des limites défi­nies. L’autorité qui pré­tend s’affranchir de ces limites ou qui fait sem­blant, oblige par là même les sujets à ne plus lui obéir. »[5]

Abbé Thierry Legrand

Source : Le Saint-​Anne n°332

Notes de bas de page
  1. Apoc. 7,14[]
  2. Matt. 16, 18[]
  3. R.P. Médebielle, Supplé­ment au Dictionnaire de la Bible, tome II, colonne 577 ; 1934[]
  4. cf. Matt. 16, 13­19 et 16,21­23 ; puis Jn 15, 17 ; puis Lc 22, 31­35[]
  5. Revue Itinéraires n°145[]