Quelle liberté pour quel culte ?

Dans sa déci­sion conten­tieuse du 18 mai 2020, le Conseil d’Etat a don­né rai­son à plu­sieurs requé­rants, dont le District de France de la Fraternité Saint-​Pie X. Le Premier ministre est som­mé de prendre des mesures moins contrai­gnantes que l’interdiction abso­lue des céré­mo­nies dans les lieux de cultes.

Notre recours et nos prières ont donc été enten­dus : Deo Gratias !

Cette déci­sion doit-​elle pour autant faire des catho­liques des défen­seurs de la liber­té de culte ? A bien des égards, n’allons pas trop vite pour chan­ter victoire.

Dans sa déci­sion du 18 mai 2020 ordon­nant de lever l’interdiction de réunion dans les lieux de culte, le Conseil d’État défi­nit ain­si la liber­té de culte selon le droit fran­çais (11e consi­dé­rant) : elle « pré­sente le carac­tère d’une liber­té fon­da­men­tale. Telle qu’elle est régie par la loi, cette liber­té ne se limite pas au droit de tout indi­vi­du d’exprimer les convic­tions reli­gieuses de son choix dans le res­pect de l’ordre public. Elle com­porte éga­le­ment, par­mi ses com­po­santes essen­tielles, le droit de par­ti­ci­per col­lec­ti­ve­ment, sous la même réserve, à des céré­mo­nies, en par­ti­cu­lier dans des lieux de culte ».

L’atteinte à une telle liber­té sert de motif à une déci­sion qui, dans l’état actuel des choses, atté­nue l’injustice faite à l’Église – lui inter­dire de tenir ses céré­mo­nies est recon­nu comme illé­gal – mais béné­fi­cie à tous les cultes, non seule­ment catho­lique, mais aus­si ortho­doxe, juif, musul­man … Il faut dès lors recon­naître dans cette liber­té ain­si défi­nie la « liber­té des cultes », condam­née par Léon XIII dans Libertas. Elle « repose sur ce prin­cipe qu’il est loi­sible à cha­cun de pro­fes­ser la reli­gion qu’il lui plaît », et n’est autre que la mani­fes­ta­tion exté­rieure de la liber­té de conscience elle aus­si condam­née par les papes : car la reli­gion catho­lique étant la seule vou­lue par Dieu, les hommes qui doivent l’embrasser ne peuvent en pro­fes­ser une autre.

Liberté de tous les cultes ? « Dépravation de liber­té », explique Léon XIII ; elle détourne l’homme du « plus saint des devoirs » – rendre au seul vrai Dieu le seul culte qui lui soit agréable, que l’on ne rend que dans la seule Église catho­lique ; pra­tique du seul vrai acte exté­rieur de reli­gion que tout homme a le droit d’exercer libre­ment confor­mé­ment aux règles de l’Église. Quoi qu’il en soit des contraintes concrètes de la mise en œuvre de la déci­sion du Conseil d’État, l’on voit donc qu’il ne s’agit pour l’Église que d’une petite vic­toire, qui mani­feste sur­tout que la laï­ci­té de l’État, loin d’être un idéal, rend la posi­tion de l’Église bien pré­caire. Bien qu’elle soit ponc­tuel­le­ment utile, un catho­lique ne peut consi­dé­rer comme bonne la défi­ni­tion de la liber­té de culte telle que la for­mule l’arrêt du 18 mai.

Le silence des évêques est plus éton­nant. Le concile Vatican II a vou­lu défi­nir la liber­té reli­gieuse comme un droit natu­rel dont une carac­té­ris­tique est qu’en matière reli­gieuse, « nul ne soit empê­ché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en pri­vé comme en public, seul ou asso­cié à d’autres ». Protégeant l’exercice exté­rieur, par toute per­sonne, du culte de son choix sous la condi­tion du res­pect de l’ordre public, la liber­té de culte telle que rap­pe­lée par le Conseil d’État appa­raît comme un bon exemple de déter­mi­na­tion par la loi posi­tive de ce que Vatican II a pré­ten­du être un droit natu­rel, même si son ordon­nance fait réfé­rence à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Comment donc les évêques ont-​ils pu lais­ser pas­ser une atteinte à ce droit que l’instance judi­ciaire juge « grave et mani­fes­te­ment illégale » ?

Deux hypo­thèses sont for­mu­lées par le jour­na­liste du Figaro mon­sieur Guénois. La pre­mière, « la Conférence des évêques n’a pas sui­vi [les autres asso­cia­tions qui ont lan­cé une action devant le Conseil d’État] car ni les pro­tes­tants, ni les ortho­doxes, ni les juifs, ni les musul­mans n’ont emboî­té le pas ». Traduisons : une inac­tion fruit de l’œcuménisme tel qu’il est pra­ti­qué habi­tuel­le­ment dans les dio­cèses. La seconde : la para­ly­sie géné­rée par la confé­rence des évêques de France. « Les aspé­ri­tés, les per­son­na­li­tés, les grandes intui­tions y sont sou­vent réduites à néant. Tout comme l’audace et par­fois … le cou­rage ». Soit un immo­bi­lisme fruit de l’esprit de col­lé­gia­li­té incul­qué à Vatican II.

Un fait est évident : l’Église de France a fait le choix d’une diplo­ma­tie para­ly­sante à l’égard du gou­ver­ne­ment, des autres reli­gions, et des évêques entre eux. Avec cette affaire, le masque est encore tom­bé : une telle tac­tique rabaisse l’Épouse du Christ et se révèle tou­jours per­dante. Elle le sera encore et encore tant que les hommes d’Église s’interdiront de croire et dire qu’elle est la seule arche de salut.

Sources : La Porte Latine 21 mai 2020