Le 4 février 2019, le pape François a signé un document sur « La fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune » avec le Grand Imam de l’Université Al-Azhar du Caire. Si le nom de Dieu est invoqué, celui de Jésus-Christ en est absent. L’Eglise catholique voudrait faire cause commune « avec les musulmans d’Orient et d’Occident » pour bâtir un monde au service de la fraternité humaine et de la paix universelle. Une utopie qui conduit à la ruine du catholicisme.
Un relent de Sillon
L’avant-propos veut inviter « toutes les personnes qui portent dans le cœur la foi en Dieu et la foi dans la fraternité humaine, à s’unir et à travailler ensemble ». Cette invitation à travailler à l’avènement d’une fraternité humaine « en sauvegardant la création et tout l’univers et en soutenant chaque personne », est à rapprocher du Sillon de Marc Sangnier (1873–1950) que le pape saint Pie X condamnait dès 1910.
Il s’agissait alors d’une vaste utopie où, sous les grands mots de « la dignité humaine, de la liberté, de la justice et de la fraternité », les modernes novateurs emmenés par Sangnier prétendaient rénover l’Eglise et construire une nouvelle humanité. Ils en appelaient à la naissance d’un nouveau monde où une fraternité mal comprise, basée sur une vague et fausse notion de la dignité humaine, se substituerait à la véritable charité basée sur la foi. Le saint pape Pie X y voyait la ruine du catholicisme :
« Plus étranges encore, effrayantes et attristantes à la fois, sont l’audace et la légèreté d’esprit d’hommes qui se disent catholiques, qui rêvent de refondre la société dans de pareilles conditions et d’établir sur terre, par-dessus l’Eglise catholique « le règne de la justice et de l’amour », avec des ouvriers venus de toute part, de toutes religions ou sans religion, avec ou sans croyances, pourvu qu’ils oublient ce qui les divise : leurs convictions religieuses et philosophiques, et qu’ils mettent en commun ce qui les unit : un généreux idéalisme et des forces morales prises « où ils peuvent ».
« Quand on songe à tout ce qu’il a fallu de forces, de science, de vertus surnaturelles pour établir la cité chrétienne, et les souffrances de millions de martyrs, et les lumières des Pères et des Docteurs de l’Eglise, et le dévouement de tous les héros de la charité, et une puissante hiérarchie née du ciel, et des fleuves de grâce divine, et le tout édifié, relié, compénétré par la Vie de Jésus-Christ, la Sagesse de Dieu, le Verbe fait homme ; quand on songe, disons-Nous, à tout cela, on est effrayé de voir de nouveaux apôtres s’acharner à faire mieux avec la mise en commun d’un vague idéalisme et de vertus civiques.
« Que vont-ils produire ? Qu’est-ce qui va sortir de cette collaboration ? Une construction purement verbale et chimérique, où l’on verra miroiter pêle-mêle et dans une confusion séduisante les mots de liberté, de justice, de fraternité et d’amour, d’égalité et d’exaltation humaine, le tout basé sur une dignité humaine mal comprise. Ce sera une agitation tumultueuse, stérile pour le but proposé et qui profitera aux remueurs de masses moins utopistes. Oui, vraiment, on peut dire que le Sillon convoie le socialisme, l’œil fixé sur une chimère ».
Il est douloureux de constater que le pape François met résolument ses pas dans le sillage des héritiers de Marc Sangnier, le fondateur du Sillon. Désormais c’est « au nom de Dieu », « au nom de l’âme humaine », « au nom des pauvres », « au nom des peuples », « au nom de la fraternité », « au nom de la liberté », « au nom de la justice et de la miséricorde » que catholiques et musulmans doivent s’engager par le dialogue à « répandre la culture de la tolérance, de la coexistence et de la paix ».
Rôle des religions dans la construction de la paix mondiale : hérésie et blasphème
Le Document co-signé par le Pape verse dans le relativisme doctrinal et l’indifférentisme religieux. En effet, afin de promouvoir « les valeurs de la paix » et la fraternité humaine, la connaissance réciproque et la coexistence commune, « la sagesse, la justice et la charité », « le sens de la religiosité », etc., les religions diverses et variées sont présentées comme voulues par Dieu. Il n’y a plus, contrairement à ce qu’enseigne saint Paul, « un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême » (Ep. 4, 5), mais multitude de credos, la vraie foi se trouvant ravalée au rang des croyances inventées par les hommes et les démons. Voici ce que dit la Déclaration : « Le pluralisme et les diversités de religion, de couleur, de sexe, de race et de langue sont une sage volonté divine, par laquelle Dieu a créé les êtres humains ».
L’affirmation est fausse – c’est une hérésie – et l’attribution faite à la Sagesse divine est un blasphème.
Le Fils de Dieu a clairement dit : « Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé » (Jn 10, 9). Et encore « Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi » (Jn 14, 6). C’est faire naufrage dans la confession de la vraie foi et manquer de charité envers les égarés, les infidèles ou les incroyants que de taire la vérité salvifique en affirmant que « le pluralisme et les diversités de religion… sont une sage volonté divine ». « Quel accord y a‑t-il entre Christ et Bélial ? ou quelle part a le fidèle avec l’infidèle ? », demandait déjà saint Paul (2 Co 6, 15).
En se basant sur un tel faux principe, le Vicaire du Christ déroule en conséquence les libertés individuelles qui se trouvent dans la Déclaration des droits de l’homme comme dans la Déclaration conciliaire sur la Liberté religieuse : liberté de croyance, de pensée, d’expression et d’action, pour toute personne ou groupe religieux (cf. Dignitatis humanae, 7 décembre 1965). C’est le programme de la maçonnerie.
Vers la paix mondiale
La Déclaration commune catholico-musulmane continue en demandant « la protection des lieux de culte – temples, églises et mosquées » et en insistant sur la condamnation du terrorisme, qui ne saurait instrumentaliser la religion. Une façon de dédouaner l’Islam oppresseur et conquérant, dont le cinquième pilier est pourtant le jihad ? Il est loisible de le penser, puisque le texte évoque vaguement « l’accumulation d’interprétations erronées des textes religieux » mais aussi les « politiques de faim, de pauvreté, d’injustice, d’oppression, d’arrogance… » (sic)
Enfin le Document recommande « d’établir dans nos sociétés le concept de la pleine citoyenneté et [de] renoncer à l’usage discriminatoire du terme minorités, qui porte avec lui les germes du sentiment d’isolement et de l’infériorité ». La Novlangue au service du nouveau monde et de l’intégration des populations musulmanes ?
Le texte ne serait pas complet sans un appel à reconnaître « le droit de la femme à l’instruction, au travail et à l’exercice de ses droits politiques », la défense des droits fondamentaux des enfants, des personnes âgées, des faibles, des handicapés, des opprimés, etc.
La Déclaration s’achève par l’engagement ferme de l’Eglise catholique et de l’Université Al-Azhar à coopérer en faisant connaître ce document, à en promouvoir l’application dans les domaines politiques, législatifs, scolaires et éducatifs, etc. Elle lance enfin de nombreux appels à la fraternité et à la prise de conscience « dans le but d’atteindre à une paix universelle ».
Pas de vraie fraternité sans charité catholique
Pour comprendre à quel point cette Déclaration est nocive au véritable esprit catholique et à la vraie foi dans le vrai Dieu, il suffit de lire saint Pie X.
Dans sa Lettre Notre Charge apostolique du 25 août 1910 déjà citée, il explique ce que recouvre cette « notion de fraternité, dont ils [les novateurs] mettent la base dans l’amour des intérêts communs, ou, par-delà toutes les philosophies et toutes les religions, dans la simple notion d’humanité, englobant ainsi dans le même amour et une égale tolérance tous les hommes avec toutes leurs misères, aussi bien intellectuelles et morales que physiques et temporelles :
« Or, la doctrine catholique nous enseigne que le premier devoir de la charité n’est pas dans la tolérance des convictions erronées, quelques sincères qu’elles soient, ni dans l’indifférence théorique ou pratique pour l’erreur ou le vice où nous voyons plongés nos frères, mais dans le zèle pour leur amélioration intellectuelle et morale non moins que pour leur bien-être matériel. Cette même doctrine catholique nous enseigne aussi que la source de l’amour du prochain se trouve dans l’amour de Dieu, père commun et fin commune de toute la famille humaine, et dans l’amour de Jésus-Christ, dont nous sommes les membres au point que soulager un malheureux, c’est faire du bien à Jésus-Christ lui-même. Tout autre amour est illusion ou sentiment stérile et passager. Certes, l’expérience humaine est là, dans les sociétés païennes ou laïques de tous les temps, pour prouver qu’à certaines heures la considération des intérêts communs ou de la similitude de nature pèse fort peu devant les passions et les convoitises du cœur.
« Non, Vénérables Frères, il n’y a pas de vraie fraternité en dehors de la charité chrétienne, qui, par amour pour Dieu et son Fils Jésus-Christ notre Sauveur, embrasse tous les hommes pour les soulager tous et pour les amener tous à la même foi et au même bonheur du ciel. En séparant la fraternité de la charité chrétienne ainsi entendue, la démocratie, loin d’être un progrès, constituerait un recul désastreux pour la civilisation. Car si l’on veut arriver, et Nous le désirons de toute Notre âme, à la plus grande somme de bien-être possible pour la société et pour chacun de ses membres par la fraternité, ou, comme on dit encore, par la solidarité universelle, il faut l’union des esprits dans la vérité, l’union des volontés dans la morale, l’union des cœurs dans l’amour de Dieu et de son Fils, Jésus-Christ. Or, cette union n’est réalisable que par la charité catholique, laquelle seule, par conséquent, peut conduire les peuples dans la marche du progrès, vers l’idéal de la civilisation ».
C’est pour l’avoir oublié que les papes actuels poursuivent une chimère en prêtant la main au grand courant d’apostasie, d’indifférentisme et de confusion qui parcourt le monde. L’origine de cette déviation est à chercher dans le concile Vatican II et sa Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps : « en proclamant la très noble vocation de l’homme et en affirmant qu’un germe divin est déposé en lui, ce saint Synode offre au genre humain la collaboration sincère de l’Eglise pour l’instauration d’une fraternité universelle qui réponde à cette vocation » (Gaudium et Spes, n°3).
En adoptant les valeurs libérales du monde contemporain, l’Eglise a renoué avec l’idéologie du Sillon et son utopie que saint Pie X, pape de foi, avait pourtant condamnées. Toute la crise actuelle de l’Eglise est là.
Sources : fsspx.news