Des femmes prêtres ?

En sup­pri­mant un mot dans le canon 230, le pape François fait-​il un pas vers le sacer­doce des femmes ? Il s’en défend. Mais le pro­ces­sus dans lequel s’inscrit le motu pro­prio Spiritus Domini publié le 11 jan­vier 2021 peut sus­ci­ter quelques perplexités.

Alors que le Code de droit cano­nique de 1983 exi­geait des laïcs hommes pour les admettre d’une manière stable aux minis­tères de lec­teur et d’acolyte, le pape François sup­prime cette réserve.

De fait, dans bon nombre de pays, il y a long­temps que les filles servent la messe, que les femmes font les lec­tures et qu’elles dis­tri­buent la com­mu­nion. Quel sens don­ner à cette déci­sion ? Pour éclai­rer cette ques­tion, rap­pe­lons quelques notions sur le sacre­ment de l’ordre, les degrés qui y conduisent. Nous pour­rons ain­si appré­cier le chan­ge­ment de pers­pec­tive qu’apporte l’introduction des « ministères ».

Les ordres mineurs, étapes vers le sacerdoce

Comme l’affirme le concile de Trente, le sacre­ment de l’ordre contient plu­sieurs degrés : « Si quelqu’un dit qu’en plus du sacer­doce il n’y a pas dans l’Église catho­lique d’autres ordres majeurs et mineurs, par les­quels, comme par degrés, on s’avance jusqu’au sacer­doce : qu’il soit ana­thème.[1] »

Quelques siècles plus tôt, saint Thomas d’Aquin jus­ti­fiait la divi­sion du sacre­ment de l’ordre : « La plu­ra­li­té des ordres a été intro­duite dans l’Église pour trois rai­sons : pre­miè­re­ment, pour mani­fes­ter la sagesse de Dieu qui éclate sur­tout dans la mul­ti­pli­ci­té har­mo­nieuse des choses, soit dans l’ordre natu­rel, soit dans l’ordre sur­na­tu­rel. C’est ce que sym­bo­lise cet épi­sode de la Reine de Saba, qui « devant l’ordonnance du ser­vice de Salomon, fut hors d’elle-même », ravie d’admiration devant cette sagesse. Deuxièmement, pour sou­la­ger la fai­blesse humaine : un seul ne peut satis­faire, sans grande sur­charge, aux exi­gences des divins mys­tères ; c’est pour­quoi on dis­tingue divers ordres pour diverses fonc­tions : ain­si le Seigneur don­na à Moïse pour le secon­der, soixante-​dix vieillards. Troisièmement, pour ouvrir plus large aux hommes la voie de la per­fec­tion : un plus grand nombre étant ain­si pré­po­sé aux divers offices, tous sont coopé­ra­teurs de Dieu, voca­tion divine au plus haut point, affirme Denys.[2] »

Poursuivant sa réflexion, il don­nait la conve­nance de cha­cun des ordres : « Le sacre­ment de l’ordre a pour fin le sacre­ment de l’eucharistie, le sacre­ment des sacre­ments, selon l’expression de Denys. Comme le temple, l’autel, les vases et les vête­ments, les ministres de l’Eucharistie ont besoin d’une consé­cra­tion : cette consé­cra­tion est le sacre­ment de l’ordre. On trou­ve­ra donc la dis­tinc­tion des ordres dans leur rap­port avec l’eucharistie : le pou­voir d’ordre en effet a pour objet, ou la consé­cra­tion de l’eucharistie elle-​même, ou quelque fonc­tion rela­tive au sacre­ment d’eucharistie. Dans le pre­mier cas, c’est l’ordre des prêtres : aus­si à leur ordi­na­tion reçoivent-​ils le calice avec le vin et la patène avec le pain, rece­vant le pou­voir de consa­crer le corps et le sang du Christ. D’autre part, la coopé­ra­tion des ministres a pour objet, soit le sacre­ment lui-​même, soit ceux qui le reçoivent. Dans le pre­mier cas, elle se pré­sente sous trois aspects : d’abord, le minis­tère pro­pre­ment dit par lequel le ministre prête son concours au prêtre dans la dis­pen­sa­tion du sacre­ment, mais non dans sa consé­cra­tion, réser­vée au prêtre seul : tel est l’office du diacre. […] c’est pour­quoi le diacre lui-​même dis­tri­bue le sang du Christ. Puis, le minis­tère dont la fonc­tion est de pré­pa­rer la matière du sacre­ment dans les vases sacrés des­ti­nés à la conte­nir : c’est l’office des sous-​diacres. […] c’est pour­quoi, à leur ordi­na­tion, ils reçoivent le calice, mais vide, de la main de l’évêque. Enfin, le minis­tère dont le rôle est de pré­sen­ter la matière du sacre­ment : celui de l’acolyte. […]

« Le minis­tère, éta­bli en vue de la pré­pa­ra­tion de ceux qui doivent s’approcher du sacre­ment de l’Eucharistie, ne peut s’exercer que sur ceux qui ne sont pas purs ; ceux qui sont purs sont dignes déjà des sacre­ments. Or Denys compte trois sortes d’impurs : les uns qui, refu­sant de croire, sont tota­le­ment infi­dèles ; et ceux-​ci doivent être abso­lu­ment écar­tés de l’assistance aux mys­tères et de l’assemblée des fidèles : ce soin appar­tient au por­tier. D’autres veulent croire, mais ils ne sont point ins­truits, ce sont les caté­chu­mènes ; à leur ensei­gne­ment est pré­po­sé l’ordre des lec­teurs. C’est pour­quoi ceux-​ci sont char­gés de leur lire les pre­miers rudi­ments de la foi, à savoir l’Ancien Testament. D’autres enfin sont des fidèles ins­truits de leur foi, mais para­ly­sés par le pou­voir du démon, ce sont les éner­gu­mènes, pour les­quels est ins­ti­tué l’ordre des exor­cistes. Telle est la rai­son du nombre et de la hié­rar­chie des ordres.[3] »

Sans résoudre la ques­tion du carac­tère sacra­men­tel des ordres mineurs, cette belle syn­thèse mani­feste le lien qui unit les dif­fé­rents degrés de la hié­rar­chie catho­lique. Plus tard, le concile de Trente puis le code de droit cano­nique de 1917 pré­cisent qu’on ne peut rece­voir un ordre infé­rieur qu’en vue du sacer­doce : « La pre­mière ton­sure et les ordres ne seront confé­rés qu’à ceux qui ont le pro­pos d’accéder au sacer­doce et dont on peut conjec­tu­rer à juste titre qu’ils seront un jour de dignes prêtres.[4] »

En consé­quence, on ne trouve en géné­ral des clercs éle­vés aux ordres mineurs que dans les sémi­naires, les cou­vents ou les monas­tères. Leurs fonc­tions litur­giques sont donc assu­rées dans les paroisses soit par des prêtres, soit par des laïcs. Ainsi, les enfants de chœur assurent les fonc­tions des aco­lytes, les caté­chistes celles des lec­teurs ou les sacris­tains celles des por­tiers. Conscient de cette petite dif­fi­cul­té, Mgr Lefebvre envi­sa­geait que les frères de la Fraternité reçoivent les ordres mineurs, afin d’avoir des grâces par­ti­cu­lières en faveur de la dévo­tion à la sainte messe.

Les ministères, liés à la grâce du baptême

Le 15 août 1972, le pape Paul VI, par le motu pro­prio Ministeria quae­dam, réor­ga­nise les ordres mineurs et le sous-​diaconat. Il décide qu’ils seront désor­mais appe­lés « minis­tères », et qu’ils pour­ront être don­nés à des laïcs par une céré­mo­nie d’institution.

Jusqu’ici les ordres mineurs n’étaient don­nés qu’aux clercs et l’évolution du droit de l’Église, sur­tout depuis le concile de Trente, avait accen­tué le lien avec l’ordination sacer­do­tale future. En repous­sant l’entrée dans la clé­ri­ca­ture à la récep­tion du dia­co­nat et en admet­tant à ces minis­tères des hommes qui ne se des­tinent plus à être prêtres, Paul VI entend mani­fes­ter le sacer­doce com­mun des fidèles. Ces minis­tères sont réduits au nombre de deux, lec­teur et aco­lyte, et doivent per­mettre aux laïcs d’exercer leur sacer­doce com­mun qui découle de la grâce du bap­tême : « La mère Église désire beau­coup que tous les fidèles soient ame­nés à cette par­ti­ci­pa­tion pleine, consciente et active aux célé­bra­tions litur­giques, qui est deman­dée par la nature de la litur­gie elle-​même et qui, en ver­tu de son bap­tême, est un droit et un devoir pour le peuple chré­tien.[5] »

L’idée d’un sacer­doce com­mun décou­lant du bap­tême et dis­tinct du sacer­doce minis­té­riel lié au sacre­ment de l’ordre est mise au point dans la consti­tu­tion Lumen gen­tium sur l’Église : « Le sacer­doce com­mun des fidèles et le sacer­doce minis­té­riel ou hié­rar­chique, bien qu’il y ait entre eux une dif­fé­rence essen­tielle et non seule­ment de degré, sont cepen­dant ordon­nés l’un à l’autre : l’un et l’autre, en effet, cha­cun selon son mode propre, par­ti­cipent de l’unique sacer­doce du Christ.[6] »

Les fonc­tions litur­giques de ces nou­veaux minis­tères sont plus larges que celles des ordres mineurs cor­res­pon­dants. Le lec­teur lit toutes les lec­tures sauf l’évangile. L’acolyte sert non seule­ment à l’autel, mais il est aus­si ministre extra­or­di­naire de la dis­tri­bu­tion de la com­mu­nion. De même, il peut être ame­né à expo­ser le Saint-​Sacrement. Jusqu’ici, ces fonc­tions étaient réser­vées au diacre. Peut-​on vrai­ment sou­te­nir qu’il s’agit d’un sacer­doce essen­tiel­le­ment dis­tinct de celui des prêtres ? Ou s’agit-il d’une étape d’un pro­ces­sus de démo­li­tion du sacer­doce catholique ?

À cette époque, Paul VI main­tient que selon la véné­rable tra­di­tion de l’Église, ces minis­tères sont réser­vés aux hommes. Mais il tolère que les fonc­tions de ces minis­tères soient exer­cées par des femmes, comme cela se pra­tique en bien des lieux. Jean Madiran notait avec un humour mêlé d’indignation à pro­pos de l’introduction du rite de la com­mu­nion dans la main : « On sait que depuis 1958, la ferme déso­béis­sance est une nou­velle source du droit et de la loi de l’Église (à condi­tion tou­te­fois que cette déso­béis­sance aille dans un cer­tain sens et non dans un autre)[7] ». Le même pro­ces­sus se répète.

Sans sur­prise, la rédac­tion du code de droit canon de 1983 au canon 230 dis­tingue l’admission d’une manière stable aux minis­tères, réser­vée aux hommes au §1, de la dépu­ta­tion tem­po­raire pour exer­cer dans cer­tains cas les mêmes fonc­tions au §2 et 3, laquelle n’est pas réser­vée aux hommes. Le droit vient sanc­tion­ner vingt ans d’expérience post-conciliaire.

La décision de janvier 2021

Les dis­po­si­tions de Paul VI et du Code de 1983 sur notre sujet mani­festent une petite inco­hé­rence. Si les minis­tères sont liés à la grâce du bap­tême, il n’est pas logique d’en refu­ser l’accès aux femmes.

La déci­sion du pape François vient sup­pri­mer ce manque de cohé­rence et rend offi­cielle une pré­sence fémi­nine près de l’autel lar­ge­ment pra­ti­quée depuis plu­sieurs dizaines d’années.

Bien sûr, le pape François pré­cise que sa déci­sion n’entraîne pas celle de l’ordination sacer­do­tale des femmes. Dans une lettre au car­di­nal Ladaria, il rap­pelle les paroles de Jean-​Paul II selon les­quelles, « en ce qui concerne les minis­tères ordon­nés, l’Église n’a en aucune façon la facul­té de confé­rer l’ordination sacer­do­tale à des femmes », tout en ajou­tant que « pour les minis­tères non ordon­nés, il est pos­sible, et aujourd’hui cela semble oppor­tun, de sur­mon­ter cette réserve ». Le pape François laisse ain­si entendre qu’il ne peut aller plus loin. Mais il est bien clair que la déci­sion s’inscrit dans un pro­ces­sus qui s’éloigne de la théo­lo­gie catho­lique du sacerdoce.

Quand on songe que le pape François a ins­ti­tué en 2016 une pre­mière com­mis­sion sur le dia­co­nat fémi­nin, puis une seconde en avril 2020, on peut vrai­ment se deman­der s’il s’arrêtera en chemin.

Conclusion : la neutralisation du sacerdoce

Quelle est l’origine de ce désir de per­mettre au plus grand nombre d’exercer une part des fonc­tions du sacer­doce ? Pourquoi insis­ter sur l’expression « sacer­doce royal[8] » que la Tradition a tou­jours enten­due dans un sens méta­pho­rique, et non sur les expres­sions très claires de l’épître aux Hébreux ? Ces der­nières mani­festent que le prêtre n’est pas un homme comme les autres : « Tout pon­tife pris d’entre les hommes est éta­bli pour les hommes en ce qui regarde le culte de Dieu … et nul ne s’attribue à lui-​même cet hon­neur ; mais on y est appe­lé de Dieu, comme Aaron[9]. » Il est choi­si pour être média­teur entre Dieu et les hommes. L’insistance sur l’idée d’un sacer­doce com­mun à tous neu­tra­lise la média­tion qu’exerce le prêtre.

Nous retrou­vons ici, sans sur­prise une notion fon­da­men­tale de la théo­lo­gie pro­tes­tante, le refus de la média­tion : refus de l’Église, refus du culte de la Sainte Vierge et refus du sacer­doce. Comme le note l’abbé Dulac, « on ne l’a pas assez dit : la révo­lu­tion pro­tes­tante a été avant tout une révo­lu­tion laï­ciste, anti-​sacerdotale. Si le moine augus­tin et les siens s’en sont pris aus­si furieu­se­ment à toute l’économie des sacre­ments et de la messe, c’est d’abord parce qu’ils en vou­laient au sacer­doce. Et ils atta­quaient le prêtre, parce qu’ils l’avaient été et qu’ils avaient vou­lu ces­ser de l’être. Toute leur théo­lo­gie d’un salut pure­ment inté­rieur, sans média­tion humaine, n’a été, peu à peu, for­gée que pour mas­quer leur déser­tion. La théo­lo­gie pro­tes­tante de la grâce et de la foi est une théo­lo­gie de défro­qués qui cherchent à se ras­su­rer en jus­ti­fiant leur tra­hi­son[10]. »

La réponse à cette dilu­tion du sacer­doce catho­lique par l’œcuménisme nous est don­née par Mgr Lefebvre : « Ce dont l’Église a besoin, ce que le peuple fidèle attend, ce sont des prêtres de Dieu, ces prêtres qui mani­festent Dieu dans toute leur per­sonne, dans toute leur atti­tude, dans toute leur manière d’être, dans toutes leurs paroles.[11] »

Abbé Vincent Gélineau

Source : Le Saint-​Vincent n°29

Notes de bas de page

  1. Concile de Trente, Session XXIII, DS 1772[]
  2. Somme théo­lo­gique, Supp. q. 37 a. 1 cor­pus[]
  3. Somme théo­lo­gique, Supp. q. 37 a. 2 cor­pus[]
  4. Code de droit cano­nique, C 973 §1[]
  5. Concile Vatican II, consti­tu­tion Sacrosanctum conci­lium, n° 21[]
  6. Concile Vatican II, consti­tu­tion Lumen gen­tium, n° 10[]
  7. Itinéraire, 3° sup­plé­ment au n° 135, juillet-​août 1969, p. 11[]
  8. I P 2, 9[]
  9. He 5, 1 et 4[]
  10. Abbé Raymond Dulac, La bulle de saint Pie V Quo Primum, in La rai­son de notre com­bat : la messe catho­lique, Clovis, 1999, p. 350[]
  11. Mgr Lefebvre, Homélie, Écône, 29 juin 1975[]