Deux encycliques sous le patronage d’Assise

2014 Pastoral Visit of Pope Francis to Korea Closing Mass for Asian Youth Day August 17, 2014 Haemi Castle, Seosan-si, Chungcheongnam-do Ministry of Culture, Sports and Tourism Korean Culture and Information Service Korea.net (www.korea.net) Official Photographer : Jeon Han This official Republic of Korea photograph is being made available only for publication by news organizations and/or for personal printing by the subject(s) of the photograph. The photograph may not be manipulated in any way. Also, it may not be used in any type of commercial, advertisement, product or promotion that in any way suggests approval or endorsement from the government of the Republic of Korea. If you require a photograph without a watermark, please contact us via Flickr e-mail. --------------------------------------------------------------- 교황 프란치스코 방한 제6회 아시아 청년대회 폐막미사 2014-08-17 충청남도 서산시 해미읍성 문화체육관광부 해외문화홍보원 코리아넷 전한

Dans deux Encycliques, le Pape François est allé pui­ser son ins­pi­ra­tion ailleurs que dans les sources de la Révélation divine, ailleurs que dans les monu­ments de la Tradition catho­lique. Il a trou­vé son ins­pi­ra­tion auprès d’un schis­ma­tique, pour Laudato si ́, et auprès d’un infi­dèle, pour Fratelli Tutti.

A cinq ans d’intervalles, le Pape François vient de publier deux Lettres Encycliques, dont on peut dire qu’elles se veulent déci­sives pour l’orientation que prend désor­mais la doc­trine offi­cielle dans l’Eglise depuis Vatican II. Et cette orien­ta­tion est mise à chaque fois par le Pape lui-​même sous le patro­nage de saint François d’Assise. Le 24 mai 2015, avec Laudato Si, le Pape fai­sait déjà une réfé­rence expli­cite au Cantique des créa­tures : « Dans ce beau can­tique », écrivait-​il, « [le saint d’Assise] nous rap­pe­lait que notre mai­son com­mune est aus­si comme une sœur, avec laquelle nous par­ta­geons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts »[1] . Le 3 octobre 2020, avec Fratelli Tutti, le Pape fait réfé­rence au texte de la Règle des frères mineurs : « Fratelli Tutti écri­vait saint François d’Assise, en s’adressant à tous ses frères et sœurs, pour leur pro­po­ser un mode de vie au goût de l’Évangile. Parmi ses conseils, je vou­drais en sou­li­gner un par lequel il invite à un amour qui sur­monte les bar­rières de la géo­gra­phie et de l’espace »[2]

2. Cette réfé­rence à saint François d’Assise n’est pas ano­dine, car elle entend mettre en lumière le lien pro­fond qui relie les deux Encycliques, dans la pen­sée du Pape. « Ce Saint de l’amour fra­ter­nel », est-​il dit en effet au tout début de la récente Encyclique, « ce Saint de la sim­pli­ci­té et de la joie, qui m’a ins­pi­ré l’écriture de l’encyclique Laudato si ́, me pousse cette fois-​ci à consa­crer la pré­sente nou­velle ency­clique à la fra­ter­ni­té et à l’amitié sociale »[3] . L’inspiration est donc la même dans les deux cas, et au-​delà d’une pieuse dédi­cace, le pro­pos entend mani­fes­ter un lien orga­nique qui doit gar­der toute son impor­tance. Ce lien pro­fond appa­raît dès le début de Fratelli Tutti, lorsque le Pape évoque le sens de la fra­ter­ni­té chez le Poverello : « En effet, saint François, qui se sen­tait frère du soleil, de la mer et du vent, se savait encore davan­tage uni à ceux qui étaient de sa propre chair »[4] . Le sens de la fra­ter­ni­té rejoint ici le sens de l’écologie : l’un et l’autre doivent se situer sur le même plan, et de l’un à l’autre il y a – du moins dans la pen­sée du Pape – une simple dif­fé­rence de degré, le sens de la fra­ter­ni­té étant seule­ment plus aigu que celui de l’écologie.

3. Un autre indice atteste la paren­té pro­fonde des deux Encycliques. Le Pape indique en effet plus loin quelles furent ses « sources d’inspiration » pour l’un et l’autre de ces deux textes. « Si pour la rédac­tion de Laudato si ́ », écrit-​il, « j’ai trou­vé une source d’inspiration chez mon frère Bartholomée, Patriarche ortho­doxe qui a pro­mu avec beau­coup de vigueur la sau­ve­garde de la créa­tion, dans ce cas-​ci, je me suis par­ti­cu­liè­re­ment sen­ti encou­ra­gé par le Grand Imam Ahmad Al-​Tayyeb que j’ai ren­con­tré à Abou Dhabi pour rap­pe­ler que Dieu a créé tous les êtres humains égaux en droits, en devoirs et en digni­té, et les a appe­lés à coexis­ter comme des frères entre eux » [5]. Dans les deux Encycliques, le Pape est allé pui­ser son ins­pi­ra­tion ailleurs que dans les sources de la Révélation divine, ailleurs que dans les monu­ments de la Tradition catho­lique. Il a trou­vé son ins­pi­ra­tion auprès d’un schis­ma­tique, pour Laudato si ́, et auprès d’un infi­dèle, pour Fratelli Tutti.

4. L’idée cen­trale qui relie les deux Encycliques, et qui est attes­tée à tra­vers ces deux indices, est de cher­cher « à vivre en har­mo­nie avec tout le monde »[6], sans impo­ser des doc­trines. Saint François en effet, aux dires du Pape, « ne fai­sait pas de guerre dia­lec­tique en impo­sant des doc­trines, mais il com­mu­ni­quait l’amour de Dieu » et c’est ain­si qu’il a été « un père fécond qui a réveillé le rêve d’une socié­té fra­ter­nelle »[7]. Ce rêve de la socié­té fra­ter­nelle, qui veut réa­li­ser l’harmonie de tous les êtres humains, pro­longe le rêve éco­lo­gique, qui veut réa­li­ser l’harmonie de toutes les créa­tures. Et il s’agit dans les deux cas du rêve d’une union des volon­tés (ou de ce que la phi­lo­so­phie appelle l’union des ten­dances appé­ti­tives) dans le même amour, qui ne pour­ra se réa­li­ser que si elle est affran­chie de toute réfé­rence pro­pre­ment doc­tri­nale. Sur ce, nous pou­vons obser­ver deux choses.

5. Premièrement, nous retrou­vons là le même genre d’ambition dont le rêve (puisqu’il s’agit d’un rêve) a été déjà condam­né par le Pape Pie XI, dans l’Encyclique Mortalium ani­mos du 6 jan­vier 1928. Contrairement à ce que pré­tend le Père Jean-​Michel Garrigues [8], il n’est donc pas pos­sible de rece­voir cette Encyclique du Pape François en conti­nui­té avec le Magistère constant de l’Eglise catho­lique. En effet, dit Pie XI, vou­loir fon­der l’unité des volon­tés dans l’amour ou la fra­ter­ni­té, sans la faire repo­ser sur l’unité des intel­li­gences dans la doc­trine, cela revient à sou­te­nir que les dif­fé­rentes reli­gions signi­fient de façons diverses un même sen­ti­ment reli­gieux natu­rel, qui en serait comme le déno­mi­na­teur com­mun. Et cela revient à faire pro­fes­sion de natu­ra­lisme, c’est à dire à nier l’existence d’une reli­gion divi­ne­ment révé­lée, pour se conten­ter d’un état de nature pure. L’économie concrète du salut, telle qu’elle a été vou­lue par Dieu, ne consiste pas dans une reli­gion natu­relle ins­crite au cœur de l’homme, mais dans une reli­gion révé­lée, unique et défi­ni­tive, dont l’organe authen­tique est l’Eglise catho­lique et elle seule, unique et défi­ni­tive telle que Dieu l’a vou­lue : unique et défi­ni­tive dans ses sacre­ments, unique et défi­ni­tive dans son Magistère, garant de l’unité de doc­trine et de foi.

6. Deuxièmement, qui dit fra­ter­ni­té dit filia­tion. De quelle filia­tion peut-​il s’agir, dès lors que l’on pré­tend s’affranchir de l’unité de la foi catho­lique, qui est le tout pre­mier fon­de­ment de la filia­tion de l’homme à l’égard de Dieu ? Le Père Garrigues nous donne la réponse : « On ne peut pas res­treindre la filia­tion divine aux seuls bap­ti­sés. Comme le rap­pelle le concile Vatican II en une phrase que saint Jean Paul II a sou­vent reprise dans divers docu­ments de son magis­tère : Par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-​même à tout homme » (cita­tion de Gaudium et spes, n° 22) »[9]. La même consti­tu­tion pas­to­rale Gaudium et spes disait d’ailleurs déjà dès son n° 3 : « En pro­cla­mant la très noble voca­tion de l’homme et en affir­mant qu’un germe divin est dépo­sé en lui, ce saint Synode offre au genre humain la col­la­bo­ra­tion sin­cère de l’Eglise pour l’ins­tau­ra­tion d’une fra­ter­ni­té uni­ver­selle qui réponde à cette voca­tion ». La fra­ter­ni­té uni­ver­selle dont rêve à pré­sent le Pape François trou­ve­rait sa jus­ti­fi­ca­tion dans la pré­sence d’un « germe divin » dépo­sé par Dieu en l’homme, en tout homme, bap­ti­sé ou non. Avant François, Jean-​Paul II l’avait déjà dit, dans l’Encyclique Evangelium vitae du 25 mars 1995 : « En outre, l’homme et sa vie ne nous appa­raissent pas seule­ment comme un des plus grands pro­diges de la créa­tion ; Dieu a confé­ré à l’homme une digni­té qua­si divine (cf. Ps VIII, 6–7). En tout enfant qui naît et en tout homme qui vit ou qui meurt, nous recon­nais­sons l’i­mage de la gloire de Dieu ; nous célé­brons cette gloire en tout homme, signe du Dieu vivant, icône de Jésus Christ ». Plus exac­te­ment que la confu­sion de la nature et de la grâce, ce pré­sup­po­sé est ici, tel qu’il appa­raît dans les textes de Gaudium et spes et de Jean-​Paul II, celui de la néga­tion de la gra­tui­té de la grâce : la grâce, ou le fameux « germe divin » dont parle le Concile, est dépo­sé en tout homme, bap­ti­sé ou non, du fait même que le Christ s’est incar­né. La grâce accom­pagne donc néces­sai­re­ment la nature, en tout homme. Elle n’est plus gra­tuite – et elle n’est plus la grâce : elle en devient pré­ci­sé­ment un « germe divin ». L’humanité pos­sède ain­si un être com­mun de grâce, en même temps qu’un être com­mun de nature, un même germe divin, dans le Christ, et ce serait la rai­son pour laquelle tous les hommes seraient frères, fils du même Père du Christ.

7. L’établissement de cette fra­ter­ni­té ren­drait en tout état de cause néces­saire une com­mu­nau­té mon­diale, au sein de laquelle les dif­fé­rents peuples seraient assu­rés de vivre en confor­mi­té avec ce « germe divin » dépo­sé en eux. « Une meilleure poli­tique, mise au ser­vice du vrai bien com­mun », dit le Pape, « est néces­saire pour per­mettre le déve­lop­pe­ment d’une com­mu­nau­té mon­diale, capable de réa­li­ser la fra­ter­ni­té à par­tir des peuples et des nations qui vivent l’amitié sociale »[10]. En par­faite cohé­rence avec le pré­sup­po­sé ini­tial de Vatican II, et au nom du « germe divin », le Pape actuel se fait, dans cette Encyclique, l’ouvrier d’un mon­dia­lisme naturaliste. 

Abbé Jean-​Michel Gleize

Source : Courrier de Rome n°636

Notes de bas de page

  1. Laudato Si, n° 1.[]
  2. Fratelli Tutti, n° 1.[]
  3. Fratelli Tutti, n° 2[]
  4. Fratelli Tutti, n° 2.[]
  5. Fratelli Tutti, n° 5[]
  6. Fratelli Tutti, n° 4.[]
  7. Fratelli Tutti, n° 4.[]
  8. Jean-​Michel Garrigues, « Fratelli tut­ti : une Encyclique à rece­voir en catho­lique cohé­rent », page du 17 octobre 2020 publiée sur le site « fr​.ale​teia​.org » (https://​fr​.ale​teia​.org/​2​0​2​0​/​1​0​/​1​7​/​f​r​a​t​e​l​l​i​-​t​u​t​t​i​-​u​n​e​-​e​n​c​y​c​l​i​q​u​e​-​a​-​r​e​c​e​v​o​i​r​-​e​n​-​c​a​-​t​h​o​l​i​q​u​e​-​c​o​h​e​r​en/).[]
  9. Jean-​Michel Garrigues, ibi­dem.[]
  10. Fratelli Tutti, n° 154.[]

FSSPX

M. l’ab­bé Jean-​Michel Gleize est pro­fes­seur d’a­po­lo­gé­tique, d’ec­clé­sio­lo­gie et de dogme au Séminaire Saint-​Pie X d’Écône. Il est le prin­ci­pal contri­bu­teur du Courrier de Rome. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions doc­tri­nales entre Rome et la FSSPX entre 2009 et 2011.