L’Eglise de Chine (2) : Des sacres sans mandat

Dans son ana­lyse de la Constitution sovié­tique de 1936, Jean Madiran note que « le Parti doit […] gou­ver­ner les Églises comme il gou­verne les syn­di­cats, les tri­bu­naux et le reste : clan­des­ti­ne­ment, par un “noyau diri­geant”. Le Parti doit uti­li­ser les Églises comme “cour­roies de trans­mis­sion”, tant qu’elles existent, et ce fai­sant, simul­ta­né­ment, tra­vailler à̀ leur dis­pa­ri­tion défi­ni­tive » [1]. Fondée en 1949, la République popu­laire de Chine fonc­tionne selon le même sché­ma. Aussi les auto­ri­tés chi­noises s’efforcent-elles dès 1950 d’imposer aux diverses reli­gions pré­sentes en Chine la réforme des « Trois autonomies ». 

Comme l’Église catho­lique s’oppose à la main­mise de l’État athée, le pou­voir mul­ti­plie les arres­ta­tions, les exé­cu­tions, les expul­sions et les expro­pria­tions. L’opposition ayant été fina­le­ment écra­sée, le Bureau natio­nal des Affaires reli­gieuses (BNAR) n’a aucune peine à trou­ver quelques catho­liques —issus du cler­gé et du laï­cat— suf­fi­sam­ment com­plai­sants pour fon­der l’Association patrio­tique des catho­liques chi­nois (APCC) en août 1957. 

Des évêques illégitimes

La per­sé­cu­tion subie par l’Église catho­lique s’est achar­née en par­ti­cu­lier contre les évêques, les vicaires géné­raux, les admi­nis­tra­teurs apos­to­liques et les prêtres. Le cler­gé d’origine étran­gère a été pure­ment et sim­ple­ment expul­sé. Quant au cler­gé autoch­tone, il a été déci­mé par les arres­ta­tions, les dépor­ta­tions et les exé­cu­tions. De nom­breux titu­laires de sièges épis­co­paux ont été exi­lés ou empri­son­nés. Ces sièges épis­co­paux ne sont donc pas vacants, mais leurs titu­laires sont empê­chés d’exercer leur charge. 

L’APCC décide alors de pro­cé­der à la nomi­na­tion et au sacre épis­co­pal de prêtres des­ti­nés à occu­per les postes de res­pon­sa­bi­li­tés et à relayer auprès des fidèles les direc­tives du pou­voir poli­tique. Dans une pro­cé­dure qua­li­fiée de démo­cra­tique, prêtres et délé­gués des fidèles d’un dio­cèse dont l’évêque est empê­ché élisent leur nou­veau pas­teur. L’APCC se contente de confir­mer offi­ciel­le­ment ce choix et d’organiser la céré­mo­nie du sacre épiscopal.

Or la dis­ci­pline de l’Église sti­pule que la nomi­na­tion des évêques est réser­vée au pape [2], lequel mani­feste son accord en expé­diant un man­dat apos­to­lique qui est lu au début de la céré­mo­nie de consé­cra­tion épis­co­pale (Ib., cn. 953). Faute de man­dat apos­to­lique, consé­cra­teur et consa­cré encourent depuis 1951 la peine d’excommunication (Id., cn. 2370). 

Une pre­mière pro­cé­dure est ini­tiée à l’automne 1957. Le 16 décembre 1957, l’abbé́ Li Xiting est nom­mé évêque de Chengdu par l’APCC mais il n’est sacré que le 16 juillet 1958. Bien que nom­més après l’abbé Li Xiting, deux autres prêtres reçoivent l’onction épis­co­pale avant lui. Les abbés Bernardin Dong Guangqing et Marc Yuan Wen-​hua, appe­lés à occu­per les sièges de Hankou et de Wuhan, sont sacrés dès le 13 avril 1958. La réac­tion du Saint-​Siège ne se fait pas attendre. 

Les conséquences d’un acte

Dès le 29 juin 1958, Pie XII signe l’encyclique Ad Apostolorum prin­ci­pis

C’est l’occasion de rap­pe­ler com­bien la doc­trine des « Trois auto­no­mies » et la créa­tion de l’APCC sont contraires à l’unité de l’Église. Sous cou­leur de patrio­tisme et de paix, l’APCC amène petit à petit les catho­liques à embras­ser les prin­cipes du maté­ria­lisme athée. 

Par ailleurs, les nomi­na­tions et les sacres patron­nés par l’APCC sont inac­cep­tables car les sièges qu’on pré­tend pour­voir ne sont pas vacants. Leurs titu­laires sont tou­jours en vie et ils n’ont pas renon­cé à leur charge. 

Quant aux évêques illé­gi­times, ils exercent vali­de­ment bien qu’illicitement le pou­voir d’ordre reçu lors du sacre, mais ils n’ont aucune juri­dic­tion puisque seul le pape peut la confé­rer aux évêques. Du reste, les consé­cra­teurs comme les consa­crés sont excommuniés. 

Les sacres épis­co­paux illé­gi­times tracent une ligne de par­tage entre les catho­liques chi­nois. Certains estiment qu’un évêque illé­gi­time vaut tou­jours mieux que pas d’évêque du tout. D’autres pensent que nul ne peut édi­fier l’Église sur un autre fon­de­ment que celui éta­bli par le Christ, à savoir sur Pierre et ses successeurs. 

Ces que­relles passent au second plan durant la Révolution cultu­relle qui sévit entre 1966 et 1976. Toutes les reli­gions sont per­sé­cu­tées car elles font par­tie des « quatre vieille­ries » que les Gardes Rouges s’acharnent à détruire. Le BNAR et l’APCC sont sup­pri­més. Quelle que soit leur obé­dience, les prêtres sont per­sé­cu­tés et ne sur­vivent qu’en plon­geant dans la clandestinité.

Une église rouvre à Pékin en 1971, mais elle n’accueille que les diplo­mates et les tou­ristes de pas­sage. La mort de Mao Tsé Toung en 1976 sonne le glas de la Révolution cultu­relle. Une nou­velle Constitution est pro­mul­guée le 5 mars 1978. Le BNAR et l’APCC renaissent alors de leurs cendres et les sacres épis­co­paux illi­cites reprennent à par­tir de décembre 1979 avec la consé­cra­tion de l’abbé Michel Fu Tieshan. Alors que tous les sémi­naires étaient fer­més depuis 1957, un pre­mier sémi­naire contrô­lé par l’APCC ouvre ses portes à Shanghai en octobre 1982. 

Des évêques clandestins

Du 21 au 30 mai 1980, l’APCC tient sa 3e assem­blée natio­nale à Pékin. Elle abou­tit à la créa­tion de la Conférence des évêques de l’Église catho­lique en Chine (jamais recon­nue par Rome). L’unité de façade ain­si affi­chée cache mal les divi­sions dont souffre l’épiscopat chinois. 

On peut en effet dis­tin­guer quatre sortes d’évêque en Chine : 

  • l’évêque mort qui n’a pas été rem­pla­cé et dont le siège épis­co­pal est vacant. 
  • l’évêque empri­son­né ou expul­sé qui est empê­ché d’occuper sa charge. 
  • l’évêque légi­time qui jouit d’une cer­taine liber­té de mou­ve­ment en Chine mais dont l’apostolat, exer­cé hors du contrôle de l’APCC, est clandestin. 
  • l’évêque illé­gi­time qui appar­tient à l’Église « patrio­tique » pilo­tée par l’APCC. 

Cette situa­tion dra­ma­tique conduit l’évêque « clan­des­tin » de Fengxian, Mgr Anthony Zhou Weidao à envi­sa­ger la pos­si­bi­li­té de pro­cé­der à des sacres épis­co­paux sans avoir obte­nu au préa­lable l’accord du Saint-Siège.

Passant de la théo­rie à la pra­tique, il pro­cède en mars 1980 à la consé­cra­tion épis­co­pale de l’abbé Lucas Li Jingfeng au titre de coad­ju­teur. Celui-​ci lui suc­cè­de­ra effec­ti­ve­ment trois ans plus tard à la tête du dio­cèse de Fengxian. 

Une année plus tard, de concert avec Mgr Anthony Zhou Wei-​dao et Mgr Lucas Li Jing- feng, Mgr Joseph Fan Xuyean —évêque de Boading— consacre trois prêtres pour gou­ver­ner les dio­cèses de Tianshui (28 jan­vier 1981), de Zhending (8 février 1981) et de Yixian (16 juin 1981). 

Averti ulté­rieu­re­ment des faits par une lettre de Mgr Fan, le pape Jean-​Paul II fait savoir en pri­vé « qu’aussi long­temps que de graves rai­sons exis­taient et si les qua­li­fi­ca­tions des can­di­dats étaient exa­mi­nées et jugées satis­fai­santes, il était licite de pro­cé­der à des ordi­na­tions épis­co­pales » (John Tong, The Catholic Church in modern China, Orbis Book, 1993, p. 23). 

Les facul­tés extra­or­di­naires confé­rées par Jean-​Paul II aux évêques de l’Église clan­des­tines leur per­mettent à la fois de se don­ner des suc­ces­seurs et de pour­voir aux autres dio­cèses dont le siège est vacant (cf. J. Tong, Défis et espé­rance. Témoignages de l’Église catho­lique en Chine, AED, 2001, p. 95). 

De 1980 à 2014, 99 sacres épis­co­paux clan­des­tins ont lieu en Chine, sans l’accord de Pékin mais confor­mé­ment aux facul­tés extra­or­di­naires concé­dées par Rome. 

A suivre… 

Abbé François KNITTEL 

Sources biblio­gra­phiques :

Source : La lettre de Saint Florent, bul­le­tin du Prieuré d’Urmatt

Notes de bas de page
  1. La vieillesse du monde, DMM, 1975, p. 19–20[]
  2. Code de droit canon de 1917, cn. 329 § 2[]