Sermon de l’abbé Thierry Legrand le 15 novembre 2009 à Versailles

« Danger et problèmes des instituts Ecclesia Dei

»

Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, Ainsi soit il. 

Bien chers fidèles, cer­tains d’entre vous seront peut-​être éton­nés que ce dimanche, ce ne soit pas le prêtre qui célèbre qui prêche à sa Messe. C’est parce que je vou­drais vous entre­te­nir d’un sujet qui me tient à cœur.

Monseigneur Fellay, après le décret de « la levée » de l’excommunication avait décla­ré qu’une période de troubles et de confu­sion allait en découler.

Le motu pro­prio libé­ra­li­sant la messe de Saint Pie V avait déjà pu ame­ner une cer­taine confu­sion : des prêtres de l’église conci­liaire repre­nant, volon­tai­re­ment ou non, le rit ancien de temps en temps, sou­vent d’ailleurs à proxi­mi­té de nos centres de messes ; une FSSPX consi­dé­rée comme n’étant plus excom­mu­niée mais pas en totale com­mu­nion avec Rome ; des ins­ti­tuts Ecclesia Dei qui se féli­citent de cette levée ; des prêtres dio­cé­sains qui s’intéressent à l’ancienne messe et pour cer­tains qui découvrent avec joie la doc­trine tra­di­tion­nelle de l’Eglise ; une FSSP qui est remise entre les mains de prêtres sem­blant plus solides doc­tri­na­le­ment et refu­sant la nou­velle messe. Tout cela, bien chers fidèles, peut être source de troubles et de confu­sion, même s’il ne remet pas en cause le bien fon­dé de la demande des deux préa­lables à toute dis­cus­sion théologiques.

Ces préa­lables ont été obte­nus même si bien évi­de­ment les textes romains sont loin d’être parfaits :

- Messe de Saint Pie V décla­rée ne pou­vant être inter­dite mais en même temps appe­lée rit extra­or­di­naire de l’Eglise romaine et mise sur un pied d’égalité voire d’infériorité à côté de la messe de Paul VI ou rit ordinaire.

- L’étiquette calom­nieuse d’excommunié a été reti­rée à la FSSPX même si, par le fait même, Rome affirme que l’excommunication était valable aupa­ra­vant, ce que bien sûr nous nions catégoriquement.

Cependant tous ces évè­ne­ments amènent une période de confu­sion, de trouble : on peut avoir l’impression de se retrou­ver comme dans un brouillard. 

Or dans le brouillard, il est néces­saire de reprendre la bous­sole, de recher­cher un guide sûr qui nous fera sor­tir de ce brouillard pour se retrou­ver en pleine clar­té et ne plus dou­ter d’être dans la bonne direction.

Cette bous­sole, cela ne peut pas être le concile Vatican II ! car bien évi­de­ment nous ne par­ta­geons aucu­ne­ment l’idée de Benoît XVI que la bous­sole que doive suivre l’Eglise soit le concile Vatican II qui aurait été mal appliqué.

Cette bous­sole n’est pas non plus la messe de Saint Pie V à tout prix, quelle que soit le « milieu » dirons-​nous dans lequel elle est dite : ce n’est pas suf­fi­sant. Reportons-​nous tout sim­ple­ment même si la situa­tion n’est pas exac­te­ment la même, à l’époque de la Révolution fran­çaise. Les prêtres asser­men­tés, ceux qui avaient signé le décret de « sou­mis­sion » aux idées nou­velles et révo­lu­tion­naires, disaient la messe de Saint Pie V, don­naient les sacre­ments de façon tra­di­tion­nelle. Or il était inter­dit et pec­ca­mi­neux d’y assister.

Non, bien chers fidèles, cette bous­sole, c’est la lumière de la Tradition, c’est la conser­va­tion inté­grale de la Foi catho­lique et le rejet des nou­veau­tés, et pas uni­que­ment la conser­va­tion de la Messe de saint Pie V.

Notons qu’il y a eu des pré­cé­dents à la situa­tion que nous vivons depuis quelques mois. En effet, si l’on vou­lait faire des com­pa­rai­sons, on se retrouve un petit peu comme en 1984 ou en 1988.

Que s’est-il pas­sé d’abord en 84 ? Rome, le 3 octobre 1984, publiait un indult accor­dant à la messe de Saint Pie V une liber­té sous condi­tion, cette condi­tion était d’accepter la nou­velle messe.

Or accep­ter la nou­velle messe, c’était accep­ter le concile et les nou­veau­tés que ce concile avait ame­nés dans l’Eglise. Nouveautés qui, selon les paroles du Cardinal Ratzinger en novembre 1984, sont « les valeurs expri­mées dans deux modes de culture libé­rales », c’est-à-dire les prin­cipes de la révo­lu­tion fran­çaise : liber­té, éga­li­té, fra­ter­ni­té, qui dans l’Eglise deviennent liber­té reli­gieuse, col­lé­gia­li­té, œcuménisme.

Monseigneur Lefebvre réagi­ra for­te­ment à cet indult et à la lettre du car­di­nal Ratzinger qui en est la suite : en décembre 1984, il met­tra en garde prêtres et séminaristes :

« atten­tion à la las­si­tude du com­bat dans nos rangs. On nous accorde la messe, disent cer­tains tra­di­tio­na­listes et le Cardinal Ratzinger recon­naît et ana­lyse en détail la crise de l’Eglise, due selon lui à un anti-​esprit du concile, en sorte qu’il invite à reve­nir au vrai concile. Que deman­der de plus pensent cer­tains fidèles ? Acceptons l’indult et réin­té­grons le cadre de l’Eglise visible ; une fois dedans nous pour­rons bous­cu­ler, redres­ser. » « C’est un rai­son­ne­ment abso­lu­ment faux, répli­quait Monseigneur Lefebvre. On ne rentre pas dans un cadre sous des supé­rieurs alors que ceux-​ci ont tout en main pour nous juguler. »

De même, en 88, la bulle Ecclesia Dei, don­nait, je cite, « à tous les fidèles catho­liques qui se sentent atta­chés à cer­taines formes litur­giques et dis­ci­pli­naires anté­rieures de la tra­di­tion latine, la faci­li­té de la com­mu­nion ecclé­siale grâce à des mesures néces­saires pour gar­der le res­pect de leurs aspi­ra­tions ». Le pro­blème ne serait donc selon cette bulle qu’un pro­blème d’attachement à une forme litur­gique et dis­ci­pli­naire de la tradition ? 

Bien évi­de­ment non ! Voila ce que Monseigneur Lefebvre répon­dait, en mars 1989 à Monsieur l’abbé Couture, au sujet de la conduite à tenir vis-​à-​vis des prêtres Ecclesia Dei, de ces prêtres qui se satis­fai­saient de cette bulle de 1988 : 

« Je réponds pour vous dire ce que je pense au sujet de ces prêtres qui reçoivent un « cele­bret » (c’est-​à-​dire un papier auto­ri­sant à célé­brer l’ancienne messe) de la Commission romaine char­gée de nous divi­ser et de nous détruire. Il est évident qu’en se met­tant dans les mains des auto­ri­tés actuelles conci­liaires ils admettent impli­ci­te­ment le concile et les réponses qui en sont issues. Leur parole est para­ly­sée par cette accep­ta­tion. Les évêques les sur­veillent ! C’est bien regret­table que ces prêtres ne prennent pas conscience de cette réa­li­té. Mais nous ne pou­vons pas trom­per les fidèles. Il en est de même pour ces « messes tra­di­tion­nelles » orga­ni­sées par les conci­liaires. Elles sont célé­brées entre deux messes conci­liaires. Le prêtre célé­brant dit aus­si bien la nou­velle que l’ancienne. Comment et par qui est dis­tri­buée la sainte com­mu­nion ? Quelle sera la pré­di­ca­tion ? etc… Ces messes sont des attrapes nigauds qui entraînent les fidèles dans la com­pro­mis­sion. Beaucoup ont déjà aban­don­né… Ce qu’ils doivent chan­ger, c’est leur doc­trine libé­rale et moder­niste. Il faut s’armer de patience et prier. »

Je crois que c’est deux textes sont tou­jours valables à 20 ou 25 ans d’écart.

Certains diront peut-​être qu’il y a eu des chan­ge­ments depuis : il y a des prêtres dio­cé­sains qui grâce au motu pro­prio libé­ra­li­sant la messe de Saint Pie V, l’ont repris ou apprennent à la dire sans volon­té de trom­per. Il semble que les prêtres actuels de la FSSP n’ont pas les mêmes opi­nions que les fon­da­teurs de cet ins­ti­tut et d’ailleurs, ajou­te­ront cer­tains, les élec­tions de leur Supérieur Général en 2006 montrent que cette FSSP ne veut pas du rit de Paul VI. De plus, cer­tains prêtres admettent main­te­nant qu’il existe un pro­blème doc­tri­nal sous jacent au pro­blème de la Messe. 

On ne devrait plus alors être aus­si caté­go­rique et ne pas regar­der ces messes dites par ces prêtres comme des « attrape nigauds qui entrainent les fidèles dans la com­pro­mis­sion ». Pour reprendre ce que disaient cer­tains fidèles ou prêtres en 1984, « accep­tons [le motu pro­prio] et réin­té­grons le cadre de l’Eglise visible ; une fois dedans nous pour­rons bous­cu­ler, redres­ser. »

Les cir­cons­tances locales peuvent éga­le­ment ajou­ter au trouble, mais ne nous lais­sons pas abu­ser, la proxi­mi­té géo­gra­phique entre notre cha­pelle et la cha­pelle des­ser­vie par la FSSP ne doit pas être pris pour un rap­pro­che­ment doctrinal !

Le fait qu’ils aient été prié de démé­na­ger de Notre-​Dame-​des-​Armées, qu’ils aient subi une cer­taine per­sé­cu­tion de la part de Monseigneur l’évêque de Versailles n’est pas un signe qu’ils seraient plus proches de nous doctrinalement.

1er danger des instituts Ecclesia Dei

Car c’est bien là que réside le vrai pro­blème : dans la doc­trine et pas dans une pré­fé­rence de la messe de Saint Pie V, dans un « atta­che­ment à cer­taines formes litur­giques et dis­ci­pli­naires anté­rieures de la tra­di­tion latine ».

Or, les ins­ti­tuts Ecclesia Dei en effet ont cen­tré leur com­bat sur la messe de Saint Pie V presque exclu­si­ve­ment et ils conti­nuent de le faire.

A l’origine les membres de ces ins­ti­tuts ont vou­lu main­te­nir la messe de Saint Pie V coûte que coûte, tout en vou­lant être recon­nu par les auto­ri­tés de l’Eglise conci­liaire. Cette volon­té de léga­lisme à outrance les a obli­gés au silence et conti­nue de le faire, un silence proche de la tra­hi­son quand il concerne les erreurs doc­tri­nales actuelles.

Leur prio­ri­té n’est pas la défense de la Foi mais de main­te­nir la messe de Saint Pie V dans des struc­tures cano­niques recon­nues par l’Eglise officielle.

Nécessairement alors, la défense de la Foi pas­se­ra au second plan, pour évi­ter de gêner les auto­ri­tés ecclé­siales ; d’où ce silence sur les erreurs modernes : œcu­mé­nisme, liber­té reli­gieuse, col­lé­gia­li­té entre autres.

Cela peut même aller plus loin qu’un silence face aux erreurs pro­fes­sées. Chez cer­tains, il y a un véri­table flé­chis­se­ment de la Foi catho­lique. « A ne pas vivre comme on pense, on finit par pen­ser comme on vit » comme aimait à le répé­ter le Père Morandi. « A ne pas condam­ner l’erreur, même si au départ on est conscient qu’erreur il y a, à ne pas vivre en stig­ma­ti­sant ces erreurs, on finit par pen­ser qu’il n’existe plus d’erreurs ».

Quelques exemples : voyez la thèse d’un reli­gieux du Barroux, il a écrit une thèse en 6 volumes pour ten­ter de prou­ver que la liber­té reli­gieuse telle qu’elle est conçue par le concile Vatican II fait par­tie de l’enseignement constant du Magistère de l’Eglise : il faut bien 6 volumes pour essayer de noyer le pois­son, alors que l’un des inven­teurs de cette doc­trine admet­tait lui-​même, mal­gré ces recherches assi­dues, n’avoir trou­vé aucun argu­ment, ni scrip­tu­raire, ni magis­té­riel, à l’appui de sa thèse. Voyez aus­si le seul évêque concé­dé par Rome à ces ins­ti­tuts Ecclesia Dei, Monseigneur Rifan. Il n’y en a pas d’autres ! Eh bien, il a évo­lué à une vitesse incroyable, recon­nais­sant la valeur de la messe de Paul VI, concé­lé­brant, se mon­trant plus dur presque que les autres évêques bré­si­liens contre ses anciens fidèles. Voyez l’abbé Ribeton, supé­rieur du dis­trict de France de la FSSP, disant à Versailles en 2007 qu’il y a du bien qui se fait par la messe de Paul VI.

Eh bien non ! Désolé, si cer­tains dans l’Eglise moderne gardent la Foi, si cer­tains reviennent à la Foi dans l’Eglise moderne ce n’est pas grâce à cette messe de Paul VI, mais bien mal­gré elle, car son fruit ordi­naire c’est l’apostasie, c’est la perte de la Foi. C’est-à-dire, que l’habitude que l’on acquiert en allant à cette messe, c’est de perdre la Foi catholique.

On voit que ce flé­chis­se­ment doc­tri­nal atteint même ce pour quoi ces ins­ti­tuts existent, la défense exclu­sive de la messe de Saint Pie V. A force de com­pro­mis de non-​dits de silences, ils en arrivent à une rela­ti­vi­sa­tion des dan­gers du nou­veau rit. 

Aussi, mal­gré sans doute la bonne volon­té de ces prêtres, il arrive ce qui doit arri­ver : quand on se refuse d’appeler erreur ce qui l’est effec­ti­ve­ment, on finit par ne plus la voir. Quand on écoute ces prêtres, on a l’impression qu’ils ont déve­lop­pé un art de la sur­vie, un art pour gar­der la tête hors de l’eau dans la situa­tion actuelle, mais leur but n’est pas la défense de la Foi et de la Vérité.

2° danger des instituts Ecclesia Dei

L’autre dan­ger de ces ins­ti­tuts, bien chers fidèles, c’est qu’ils sont ins­tru­men­ta­li­sés par ceux qui conti­nuent à détruire l’Eglise.

Voyez au point de vue local : Monseigneur Aumonier n’a pas ins­tal­lé la FSSP à côté de son évê­ché et de nous, par la même occa­sion, parce qu’il serait comme Jacob, dési­reux de gar­der ses fils pré­fé­rés (Joseph puis Benjamin) auprès de lui ! Oh non, il veut uti­li­ser cet ins­ti­tut pour essayer de mettre encore plus la confu­sion dans nos esprits.

Il y a une image excel­lente trou­vée par M. l’abbé Jean-​Baptiste Frament je crois, et qui illustre bien l’instrument que ces ins­ti­tuts Ecclesia Dei sont deve­nus entre les mains de nom­breux évêques. Cette image c’est celle du sas. Un sas est fait pour pas­ser d’un milieu dans un autre, incom­pa­tibles l’un envers l’autre, ain­si que, par­fois, pour décon­ta­mi­ner ceux qui y passent. Eh bien, les auto­ri­tés offi­cielles se servent des ins­ti­tuts Ecclesia Dei, et pour cer­tains sans leur accord, comme d’un sas pour faire pas­ser les fidèles de la FSSPX dans l’église conci­liaire, tout en les décon­ta­mi­nant du virus de la tra­di­tion. S’il est vrai qu’un sas fonc­tionne dans les deux sens, et que cer­tains découvrent le vrai pro­blème de la crise dans l’Eglise, qui est un pro­blème de Foi, ce n’est pas une rai­son pour nous intro­duire nous-​mêmes dans ces sas, au risque de, petit à petit, perdre le sens de la Foi et de la Tradition. 

3° problème posé par les instituts Ecclesia Dei

Enfin, et ce n’est pas non plus à négli­ger, nous ne devons pas oublier que ces ins­ti­tuts Ecclesia Dei ont été fon­dés sur la bulle du même nom où sont décla­rés excom­mu­niés Monseigneur Lefebvre et les quatre évêques consa­crés, où les consé­cra­tions épis­co­pales sont affu­blées du titre infa­mant d’actes schismatiques.

Et si, selon Rome, les excom­mu­ni­ca­tions ont été levées pour les quatre évêques de la Fraternité, si la FSSP par exemple s’est réjouie de cette levée, il ne faut pas oublier que cela signi­fie que, pour eux, que ces excom­mu­ni­ca­tions étaient bien valables et qu’elle demeure valable pour Monseigneur Lefebvre. Aussi, sou­te­nir d’une façon ou d’une autre ces ins­ti­tuts, c’est faire injure à Monseigneur Lefebvre et aux évêques de la FSSPX.

Il existe sûre­ment de bons prêtres dans les rangs de ces ins­ti­tuts mais, de par la posi­tion de leurs ins­ti­tuts, ils sont qua­si obli­gés au silence face aux erreurs, cer­tains vont fai­blir dans la pro­cla­ma­tion de la Foi ; et dans tous les cas, ils sont ins­tru­men­ta­li­sés par ceux qui refusent de voir le salut de l’Eglise dans le retour à la Tradition intégrale.

Bien chers fidèles, à vous de tirer les conclu­sions qui s’imposent. On ne peut pas se dire : « ce com­bat, ces ques­tions me dépassent ; du moment que j’ai la Messe de saint Pie V, cela me suf­fit. » La crise que subit l’Eglise est beau­coup trop grave pour ne pen­ser qu’à soi. Et puis cette crise a sa source dans des ques­tions doc­tri­nales et pas seule­ment dans la Messe qui est certes l’aspect le plus visible de cette crise, mais qui ne résume pas à elle toute seule cette crise. 

Abbé Thierry Legrand, ledi­manche 15 novembre 2009