Saint Dominique, poursuiveur des hérétiques

Le pré­di­ca­teur de la foi pour­sui­vait ses per­sé­cu­teurs pour les rame­ner à la véri­té en toute humi­li­té, par la modé­ra­tion et la patience.

Dans les fan­tai­sies his­to­riques à très grand tirage, voire dans les émis­sions de télé­vi­sion, on assigne à saint Dominique un zèle pré­co­ce­ment inqui­si­to­rial : il serait le per­sé­cu­teur des Cathares. En fait, l’expression « per­se­quu­tor heri­ti­co­rum » appa­rait en 1223 dans la liste des 25 traits de sain­te­té, sou­li­gnés lors de son pro­cès de cano­ni­sa­tion, et s’inspire de la décla­ra­tion de Jean de Navarre, seul témoin de Bologne, qui ait connu saint Dominique en Languedoc. Il décla­rait : « il était aimé de tous, excep­té des héré­tiques et des enne­mis de l’Eglise qu’il pour­sui­vait et convain­quait dans des dis­pu­ta­tions et par sa pré­di­ca­tion ». Cette expres­sion latine du XIIIème siècle n’a aucune notion défa­vo­rable, mais signi­fie ori­gi­nel­le­ment : « suivre avec téna­ci­té » ; « suivre jusqu’au bout ». Le zèle de saint Dominique pour les âmes n’a rien de plus tou­chant. Combien de fois ses com­pa­gnons ne l’entendirent pas se lamen­ter sur le sort des pécheurs : « Mon Dieu, que vont deve­nir les pécheurs ! » Les yeux bai­gnés de larmes il éle­vait sou­vent les mains vers le Ciel : « Seigneur, dai­gnez m’accorder une cha­ri­té véri­table, un zèle capable d’obtenir le salut de mes frères… » 

Sa pre­mière conquête, si on peut la nom­mer ain­si, a lieu à Toulouse en 1205 : c’est un albi­geois qui a accep­té de l’héberger. Rien ne res­semble ici à une joute ora­toire ; ses répliques sont sans vio­lence ni amer­tume, il ne cherche pas un triomphe per­son­nel, lui qui n’est que de pas­sage. C’est sa clar­té et sa patience qui auront le der­nier mot. En juin 1206 saint Dominique qui accom­pagne l’évêque Diégo d’Osma ren­contre les cis­ter­ciens légats du pape réunis à Montpellier et char­gés d’organiser la pré­di­ca­tion contre l’hérésie. Ces légats avaient un train fas­tueux, che­vaux, habits coû­teux. « Ce n’est pas par de simples paroles que vous ramè­ne­rez des hommes qui suivent sur­tout des exemples. Les héré­tiques montrent les appa­rences de la pié­té. Ils per­suadent les gens simples par l’exemple men­teur de la sim­pli­ci­té et de l’austérité évan­gé­lique. Chassez un clou par un autre, met­tez en fuite la sain­te­té simu­lée au moyen de la véri­table vie reli­gieuse. » Tel sera son train de vie.

Cependant sa pré­di­ca­tion pren­dra mal­gré lui des allures solen­nelles lorsqu’il est convo­qué avec son évêque à des dis­putes majeures devant un grand audi­toire com­po­sé de sei­gneurs locaux adeptes de l’hérésie. A Fanjeaux ou à Montréal, ont lieu ces fameuses « dis­pu­ta­tio » qui dure­ront jusqu’à quinze jours. Controverses tenaces, ardentes, sui­vies par une foule pas­sion­née. On rap­porte que c’est à cette occa­sion que les héré­tiques déci­dèrent de sou­mettre la feuille d’argumentation de Saint Dominique à l’épreuve du feu. Par trois fois l’écrit résis­ta mira­cu­leu­se­ment aux flammes et s’éleva dans les airs.

Dès 1207, Dominique s’établit à Prouille où il fonde un monas­tère au pied du châ­teau de Fanjeaux. Son but est plein de sol­li­ci­tude. Il veut recueillir cer­taines femmes nobles que leurs parents, pous­sés par la misère, livraient aux héré­tiques pour qu’ils les ins­truisent et les nour­rissent. Cependant la mort de son évêque en 1208 le laisse seul. S’ensuit peu après l’assassinat de Pierre de Castelneau, légat pon­ti­fi­cal, qui plon­ge­ra sa pré­di­ca­tion dans un cli­mat hou­leux. On l’épie, on le traque, on le hait. Les héré­tiques com­prennent que c’est lui, bien plus que les hommes d’armes mobi­li­sés par la croi­sade, qui est leur véri­table adver­saire. Mais les menaces de mort n’entament aucu­ne­ment son zèle, ni les embûches, sa paix et sa joie. Un jour, alors qu’on lui ten­dait une embus­cade, ses meur­triers sont aba­sour­dis par sa gaie­té : « Il chante même » ! Leur stu­pé­fac­tion n’était pas à sa fin quand ils l’interrogèrent et apprirent plus tard que s’il avait à mou­rir, il sou­hai­tait l’être dans de grandes souf­frances pour res­sem­bler au Christ et sau­ver les pécheurs.

Même per­sé­cu­té, rap­porte Pierre de Vaux de Cernai, le pré­di­ca­teur de la foi, « l’homme de toute sain­te­té » pour­sui­vait ses per­sé­cu­teurs pour les rame­ner à la véri­té « en toute humi­li­té, par la modé­ra­tion et la patience ».

Abbé Denis Quigley

Source : Apostol n°154