La vénérable Antoinette Meo (1930–1937)

Souffrant d’un can­cer des os, cette petite fille ampu­tée d’une jambe mou­rut pré­ma­tu­ré­ment à Rome, à l’âge de six ans. Conversions et grâces accom­pa­gne­ront sa mort : au cime­tière romain du Verano, sa tombe sera jon­chée de petits billets de prière et d’actions de grâce. Le pro­cès de béa­ti­fi­ca­tion s’est ouvert dès 1942.

Antonietta, que sa famille va très vite appe­ler « Nennolina », est née à Rome le 15 décembre 1930, dans une famille aisée dont la mai­son se trouve à quelques pas de la basi­lique Sainte-​Croix-​en-​Jérusalem. Elle est la qua­trième d’une famille dont deux enfants sont déjà au ciel. La famille Meo est très chré­tienne : les parents de Nennolina, qui aiment beau­coup la Sainte Vierge, sont allés, pour leur voyage de noces, en pèle­ri­nage au sanc­tuaire de la Reine du Rosaire de Pompéi. Chaque jour, à la mai­son, on récite le cha­pe­let et le plus sou­vent pos­sible, on va à la messe en famille. Nennolina est une petite fille brune, obéis­sante, tou­jours joyeuse, très vive, mali­cieuse, aimant beau­coup chan­ter. Sa pure­té d’âme et sa capa­ci­té de réflexion sont très au-​dessus de son âge. 

A trois ans, en octobre 1933, ses parents l’inscrivent dans une crèche tenue par des reli­gieuses à deux pas de chez elle. Sa sœur Margherita raconte : « Elle y allait volon­tiers, et sou­vent, quand nous jouions ensemble, elle me disait : “je m’amuse beau­coup à l’école… j’irais même la nuit !” » Tout de suite, elle s’est prise d’affection pour sa maî­tresse, et les reli­gieuses disaient à ma mère : « Elle ne tient pas en place ! Mais elle est très éveillée et elle appren­dra très vite. C’est une enfant mûre pour son âge. » Un jour, dans le jar­din de la mai­son, elle tombe à terre et se cogne le genou gauche sur un caillou. On la soigne, mais la dou­leur ne passe pas ; le mal gran­dit et empire. Les méde­cins consul­tés ne com­prennent pas tout de suite la nature de son mal. Après quelques trai­te­ments et quelques diag­nos­tics erro­nés, la sen­tence tombe : ostéo­sar­come, une tumeur can­cé­reuse aux os ; il faut l’amputer (lui cou­per la jambe) alors qu’elle n’a que cinq ans et demi ! Tout le monde est bou­le­ver­sé sauf elle ! 

Au prin­temps 1936, après l’intervention chi­rur­gi­cale, on lui met une lourde pro­thèse ortho­pé­dique (jambe arti­fi­cielle) et Nennolina reprend sa vie de petite fille. Et chaque jour, elle prend l’habitude, d’abord de dic­ter à sa maman, puis d’écrire elle-​même, une petite lettre adres­sée à Jésus ou à la Vierge Marie, qu’elle dépose sous une sta­tue de l’Enfant-Jésus, « pour qu’il vienne la lire la nuit. » 

On a ain­si retrou­vé cent cin­quante lettres, toutes rem­plies d’amour et d’émotion ! Nennolina, mal­gré son jeune âge, com­prend que sur le cal­vaire la Sainte Vierge a souf­fert avec Jésus et pour Jésus, et elle écrit : « Cher Jésus, je sais com­bien vous avez souf­fert sur la Croix, aus­si je veux vous offrir de petites fleurs et res­ter tou­jours près de vous… près de votre Petite Maman. Cher Jésus, dites à Dieu le Père que je l’aime tant ! Cher Jésus, je vous adore et j’embrasse vos pieds ! Cher Jésus, je veux être votre lampe… la lampe qui brûle nuit et jour devant le taber­nacle, ne vous lais­sant jamais seul ! » Antonietta désire que Jésus soit tou­jours avec elle, alors elle écrit : « Cher Jésus, venez à l’école avec moi demain !… Aidez-​moi parce que sans vous, je ne peux rien faire ! » Elle écrit aus­si à Notre-​Dame : « Chère Bonne Vierge Marie, pre­nez mon cœur et portez-​le à Jésus ! » Quand elle se rend à l’hôpital, sur son fau­teuil rou­lant, Nennolina se fait conduire devant une sta­tue de la Sainte Vierge ; sa maman raconte :
- Nous ne ren­trions jamais de pro­me­nade tant que nous n’étions pas allées dépo­ser un bou­quet de fleurs auprès de la Vierge, des fleurs que je ramas­sais sur ses indi­ca­tions car elle avait des yeux de lynx, des yeux qui voyaient loin. Alors elle pre­nait les fleurs dans ses bras, joi­gnait ses petites mains et fai­sait une prière à la Sainte Vierge. À la fin, elle lui envoyait un bai­ser en disant : « au revoir chère Petite Maman ! » 

Nennolina sait qu’aimer Jésus, c’est faire sa volon­té jusqu’à l’héroïsme : « Rendez-​moi ma petite jambe si vous vou­lez, mais si vous ne vou­lez pas, fiat volun­tas tua. » Un peu plus tard, sa géné­ro­si­té extrême la fait mon­ter encore plus haut : « Je ne vous demande pas de me rendre ma jambe, je vous l’ai don­née. » Elle com­prend qu’aimer Jésus, c’est aus­si « lui don­ner des âmes. » Aussi, offre-​t-​elle ses souf­frances pour les pécheurs, « sur­tout pour les plus méchants », précise-​t-​elle. Elle déclare vou­loir beau­coup souf­frir dans ce but : « Quand vous sen­tez la dou­leur, vous devez gar­der le silence et l’offrir à Jésus pour un pécheur. Jésus a tant souf­fert pour nous, alors qu’il n’a pas com­mis de péché : Il était Dieu. Et com­ment pouvons-​nous nous plaindre, nous qui sommes pécheurs, et com-​ment pouvons-​nous tou­jours lui faire de la peine ? » 

Nennolina com­mence à aller à l’école pri­maire avec sa pro­thèse qui la gêne beau­coup. Mais elle offre tout à Jésus : « Chaque pas que je fais, que ce soit un mot d’amour. » Le jour anni­ver­saire de l’amputation, elle veut le célé­brer par un grand repas et par une neu­vaine à la Vierge de Pompéi, parce que grâce à cet évé­ne­ment elle a pu offrir sa souf­france à Jésus. À sa grande joie, ses parents décident d’avancer la date de sa pre­mière com­mu­nion. Se pré­pa­rant avec une grande pié­té, elle pro­met à Jésus, quand il sera dans son cœur, de lui « dire des petits mots pour le conso­ler. » A la veille de ce grand jour, voi­ci ce qu’elle dicte à sa mère : « Cher Jésus, demain vous serez dans mon cœur, faites comme si mon âme était une pomme. Et faites qu’il y ait une petite armoire à l’intérieur de mon âme, comme les pépins qui sont à l’intérieur d’une pomme. Et comme la graine blanche qui est sous la peau noire des pépins, faites qu’à l’intérieur de la petite armoire il y ait votre grâce, qui serait comme la graine blanche. » À ce moment-​là, sa mère l’interrompt :
- Mais Antonietta, qu’est-ce que tu dis ? Qu’est-ce que c’est, cet inté­rieur ? Qu’est-ce qui est à l’intérieur ? Que veux-​tu dire ?
Et Antonietta explique à sa mère :
- Écoute, maman, fais comme si mon âme était une pomme. À l’intérieur, il y a ces petites choses noires qui sont les pépins. Et dans la peau des pépins, il y a cette chose blanche. Eh bien, fais comme si c’était la grâce.
Puis elle com­plète sa pen­sée : « Jésus, lais­sez cette grâce res­ter tou­jours, tou­jours avec moi. » 

La nuit de Noël 1936, à l’âge de six ans, Antonietta reçoit avec fer­veur Jésus dans son cœur, comme le per­met désor­mais l’Église grâce au grand pape saint Pie X, auto­ri­sant la com­mu­nion des enfants « à l’âge de rai­son, c’est-à-dire sept ans et même avant. » Cette nuit-​là, les fidèles la voient res­ter plus d’une heure à genoux, immo­bile, les mains jointes, mal­gré les souf­frances que lui cause sa prothèse. 

En mai, Antonietta est confir­mée. Elle est désor­mais arri­vée aux der­niers jours de sa vie. L’amputation de la jambe gauche n’a pas blo­qué la tumeur, qui s’étend à la tête, à la main, au pied, à la gorge et à la bouche. Voici le récit de sa mère : « Après la confir­ma­tion, son état s’est mis à empi­rer pro­gres­si­ve­ment. Elle s’étouffait et elle tous­sait sans cesse. Elle ne réus­sis­sait même plus à se tenir assise et elle a été obli­gée de res­ter au lit. On voyait qu’elle souf­frait, mais elle disait tou­jours à tout le monde, et même à moi : « je vais bien. » Elle a tou­jours vou­lu réci­ter ses petites prières du matin et du soir même si cela lui coû­tait par­fois de grands efforts. Puis elle a deman­dé que le prêtre lui apporte la com­mu­nion tous les jours, et les heures qui sui­vaient la com­mu­nion étaient tou­jours plus calmes. » 

Dans sa der­nière lettre, le 2 juin 1937, elle dicte à sa mère : « Cher Jésus cru­ci­fié, je vous aime tant, vous m’êtes si cher ! Je veux être avec vous sur le cal­vaire. Cher Jésus, dites à Dieu le Père que je l’aime beau­coup, lui aus­si. Cher Jésus, donnez-​moi la force néces­saire pour sup­por­ter ces dou­leurs que j’offre pour les pécheurs. » À ce moment-​là, Antonietta est prise d’une vio­lente crise de toux et de vomis­se­ments, mais aus­si­tôt que la crise a pris fin, elle veut conti­nuer à dic­ter : « Cher Jésus, dites à l’Esprit-Saint qu’il m’illumine d’amour et qu’il me rem­plisse de ses sept dons. Cher Jésus, dites à la Sainte Vierge que je l’aime tant et que je veux être à côté d’elle. Cher Jésus, je veux vous répé­ter que je vous aime beau­coup. Mon bon Jésus, je vous recom­mande mon père spi­ri­tuel, donnez-​lui les grâces néces­saires. Cher Jésus, je vous recom­mande mes parents et Margherita. Votre petite fille vous envoie beau­coup de baisers… » 

Le 12 juin, l’état d’Antonietta s’aggrave. Elle res­pire avec peine. On extrait du liquide de ses pou­mons. Le 23, on lui scie trois côtes. Elle est très faible. Voici ce que dit sa mère : « Je ne peux décrire le sup­plice de ce petit corps mar­ty­ri­sé. Ce jour-​là, j’ai rete­nu mes larmes de toutes mes forces et je lui ai dit : « tu ver­ras, ma petite fille, dès que tu seras remise, nous irons en vacances, nous irons au bord de la mer… tu aimes tant la mer… tu pour­ras aus­si te bai­gner, tu sais ! » Elle m’a regar­dée et m’a dit avec ten­dresse : « Maman, sois heu­reuse, sois contente… Je sor­ti­rai d’ici dans un peu moins de dix jours. » 

Le père d’Antonietta rend le témoi­gnage sui­vant : « Un jour, voyant son état s’aggraver, j’ai déci­dé qu’il fal­lait admi­nis­trer l’extrême-onction à ma petite fille. Je lui ai deman­dé : « Tu sais ce que c’est les saintes huiles ? »
– « Le sacre­ment que l’on donne à ceux qui vont mou­rir », a‑t-​elle répon­du.
Mais je ne vou­lais pas la trou­bler. C’est pour­quoi j’ai ajou­té : quel­que­fois il apporte la san­té du corps… Mais Antonietta a refu­sé : « Il est trop tôt », dit-​elle et je n’ai pas insis­té. Mais lorsque, plus tard, le prêtre lui a dit que les saintes huiles aug­men­taient la grâce, Antonietta, qui écou­tait atten­ti­ve­ment, a répon­du : « Oui, je les veux. » Elle a répon­du avec calme à toutes les prières, elle a réci­té l’acte de contri­tion, puis elle a ten­du ses petites mains ouvertes au prêtre pour qu’il l’oigne… Elle a posé un bai­ser sur le cru­ci­fix de sa pre­mière com­mu­nion. Tout s’est pas­sé avec sim­pli­ci­té, dans la sérénité. » 

Le 3 juillet 1937, son père s’approche d’elle pour arran­ger l’oreiller sur lequel elle repose ; Antonietta l’embrasse et lui sou­rit ; puis, après avoir dit une der­nière fois « Jésus, Marie, maman, papa », cette enfant qui se pré­oc­cu­pait tou­jours des autres et qui ne se plai­gnait jamais, sou­rit à ses parents et rend sa belle âme à Dieu, un same­di, comme elle l’a annon­cé ! Le petit cer­cueil blanc est trans­por­té le len­de­main, accom­pa­gné d’une foule émue, dans la basi­lique Sainte-​Croix-​en-​Jérusalem, dans cette même basi­lique où se trouvent les reliques de la pas­sion de Jésus, pas­sion à laquelle Nennolina s’est tant asso­ciée par l’offrande de ses souf­frances, basi­lique où elle a été bap­ti­sée à peine six ans auparavant. 

« Il y aura des saints par­mi les enfants ! » Le pape saint Pie X ne s’était pas trom­pé en disant cela. La vie toute simple et très brève de Nennolina nous montre, à tous, que la sain­te­té est pour tous les âges : pour les enfants et pour les jeunes, pour les adultes et pour les anciens.

Source : Le Croisé n° 342