Le vêtement est le reflet et l’expression de notre personnalité profonde et de notre adhésion personnelle à telle ou telle manière de penser et de vivre.
A toute activité ou initiative, on nous recommande aujourd’hui de « donner du sens » et cette formule conventionnelle nous convient tout à fait par sa pertinence : en effet, le chrétien ne peut supporter l’insignifiance qui consiste surtout à adopter un comportement et à accomplir ses activités de manière machinale et routinière c’est-à-dire en l’absence de véritable intention ou de manière mondaine c’est-à-dire sous l’inspiration dominante du respect humain. St. Paul encourageait ses fidèles à « tout faire pour la gloire de Dieu » même en mangeant ou en dormant. Porter un vêtement n’est jamais anodin puisqu’en s’habillant on devient inévitablement porteur d’un message fort dont, par le fait même, on assume la responsabilité et les conséquences. Il s’agit donc de déterminer bien consciemment la signification que l’on entend donner au port de tel ou tel vêtement en tenant compte au moins des trois paramètres suivants.
Un signe d’identification et de bienséance dans la vie sociale
Au moins en temps normal (et donc en dehors des périodes de crises politiques, persécutions religieuses…) il est légitime et même opportun de se faire reconnaître au premier coup d’œil par une apparence évidente : le fait de porter un costume en est la meilleure illustration. On respecte immédiatement un agent de circulation parce qu’il s’affiche par son uniforme comme représentant de la police ou de la gendarmerie. On s’enthousiasme à rendre hommage à la bravoure de nos soldats quand ils défilent dans leur costume d’apparat. Sans doute, le choix du vêtement laisse une large part aux goûts de chacun mais dans une certaine mesure seulement car il n’est jamais laissé à la pure fantaisie ni au caprice du moment. Une des premières règles du savoir-vivre et le respect élémentaire dû au prochain demandent de s’habiller selon les usages légitimes et les convenances attachées à l’âge, au sexe, à la condition, à la fonction, aux circonstances (mariage ou enterrement par exemple)…Dans ce domaine, les pratiques du monde sont parfois bien éclairantes : dans un restaurant un peu « chic », les serveurs se doivent de porter un vêtement adéquat pour respecter l’honorabilité des clients même si ce costume est assez inconfortable en lui-même ; par contre dans une cantine pour « routiers », on peut se permettre, sans scrupule, de se mettre à l’aise en assurant le service en tee-shirt, bermuda et basket. Le bon sens tolère évidemment de porter une tenue « banalisée » dans certaines activités comme la détente sportive et les travaux manuels. Par ailleurs, les rapports avec autrui engagent chacun à rendre sa fréquentation au moins supportable sinon agréable et sous ce rapport un vêtement propre, soigné, de bon goût et même élégant devient un élément appréciable de convivialité.
Arme de combat et de victoire dans la vie spirituelle
La Bible fournit l’origine du vêtement dans l’histoire de la chute de nos premiers parents : dès qu’ils ont offensé Dieu, ils découvrent le désordre de la concupiscence et la révolte des sens contre la raison et ils éprouvent immédiatement le besoin de s’habiller pour atténuer au moins en partie cette honte. L’Eglise en a fait un des tout premiers dogmes essentiels de notre foi : tout chrétien doit savoir qu’en tant que « racheté » il reste très vulnérable et il n’est jamais complètement affranchi de cette lutte de la chair contre l’esprit malgré la grâce initiale du baptême et les secours de la vie chrétienne avec la prière et des sacrements. Mais les effets de la Rédemption ne permettent pas de se décourager en présence de cette dure réalité : soutenu par la grâce, l’homme possède les moyens de reconquérir une certaine « intégrité » où l’âme retrouve toute sa dignité et son excellence par rapport au corps qu’elle réussit à nouveau à dominer. Mais il s’agit de pratiquer une véritable ascèse dont St. Paul a déclaré la nécessité en référence à sa propre expérience : « je châtie mon corps et je le réduis en servitude de peur qu’après avoir prêché aux autres je ne sois moi-même réprouvé » (1 Cor 9, 27). Cette « mortification » de la chair peut se pratiquer de manière suffisante et très sanctifiante sans aller jusqu’aux austérités sanglantes des anachorètes et leurs exploits de pénitence obtenus avec leurs flagellations, cilices et autres instruments de « tortures »… La simple fidélité à porter en toute occasion un vêtement décent, comme celui qu’exige l’Eglise pour la réception de la sainte communion, peut suffire à honorer notre statut de « pénitents » sans pour autant le subir mais en le vivant avec un noble idéal : « nous portons toujours dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre corps » (2 Co. 4, 10).
Témoignage de fidélité dans la consécration à Dieu
Le chrétien sait qu’il ne suffit pas de croire pour être sauvé mais chacun doit encore manifester publiquement sa croyance, quels que soient son état et sa fonction : « c’est en croyant de cœur qu’on parvient à la justice, et c’est en confessant de bouche (et en acte) qu’on parvient au salut » (Rom. 10, 10). En effet, pour réaliser ce rayonnement extérieur, tout baptisé reçoit le sacrement de confirmation qui lui confère la mission et les armes de « soldat du Christ ». Mais en quoi consiste cet apostolat et quelles sont les vérités qu’il importe surtout de faire connaître ? Il semble que le saint pape Pie XII ait répondu à cette double question quand il recommandait à des pèlerins venus le visiter à Rome : « il faudrait qu’on vous trouve « habités » en vivant dans le monde ». Cette exhortation du pontife est facile à comprendre : pour devenir un authentique représentant du Christ, il n’est pas nécessaire de se transformer en « témoin de Jéhovah » en harcelant les passants jusque dans leur domicile mais il suffit de rayonner la présence de Dieu en soi.
Il est vrai que, dans la réception du baptême, notre âme d’abord a été purifiée et enrichie de la vie surnaturelle, mais notre corps aussi a été sanctifié par le saint Chrême que l’Eglise utilise pour la consécration d’un calice, d’une église et des mains du nouveau prêtre. Pour engager les premiers chrétiens à renoncer à toute forme d’impureté, St. Paul employait surtout cet argument : « ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint Esprit qui est en vous… et que vous n’êtes plus à vous-mêmes ? » (1 Cor. 6, 19). On est évidemment aux antipodes des revendications des féministes déclarant : « mon corps m’appartient ! ». Par ailleurs, on sait que le prêtre est engagé à porter sa soutane même en dehors des cérémonies liturgiques parce qu’il doit se conduire partout comme un « homme de Dieu » même dans ses occupations les plus ordinaires. Au chrétien non plus, il n’est jamais permis d’être un « homme comme les autres » mais il est tenu de proclamer partout et toujours sa dignité et sa fierté d’offrir un tabernacle vivant pour l’Hôte divin en suivant St. Paul : « glorifiez et portez Dieu dans votre corps » (1Cor. 6, 20). Et le plus souvent, la manière de s’habiller chrétiennement suffit, à elle-seule, à réaliser ce programme enthousiasmant en devenant par le fait même un véritable apôtre du Christ !
Répétons-le, le vêtement ne peut jamais rester neutre mais inévitablement il est le reflet et l’expression de notre personnalité profonde et de notre adhésion personnelle à telle ou telle manière de penser et de vivre : il s’agit donc d’être cohérent avec soi-même et dans toute la réalité de ce que nous sommes. L’ « être » et le « paraître » sont inséparables :
- soigner son « image » extérieure avec la préoccupation prioritaire de plaire ou de se faire accepter, serait s’exposer à la vanité ou à la complicité
- par ailleurs, dissimuler ses convictions intérieures surtout par crainte d’être critiqué ou marginalisé, serait se risquer à la lâcheté ou à la pusillanimité.
Dans la pratique, l’homme peut aussi, par le vêtement qu’il porte, s’élever lui-même et élever les autres au vrai, au bien, au beau.
Abbé Pierre-Marie Laurençon
Source : Le Parvis n°111