Célibat sacerdotal : réponse aux objections courantes

Lire aus­si : Le céli­bat sacer­do­tal dans l’histoire

Objection 1 : c’est une obligation qui date du Moyen-Âge !

Réponse : c’est une tradition enracinée.

La loi du céli­bat ecclé­sias­tique appa­raît très tôt dans l’Église latine, pro­ba­ble­ment dès l’époque des Apôtres : les études clas­siques du car­di­nal Stickler (Le céli­bat des clercs, Téqui, 1998) et du père jésuite Christian Cochini (Origines apos­to­liques du céli­bat sacer­do­tal, Lethielleux, 1981) l’établissent sur la base d’un fais­ceau de docu­ments historiques.

Le prin­cipe du céli­bat des prêtres est for­mu­lé dans les textes légis­la­tifs vers le début du IVe siècle, par le concile d’Elvire, mais cela ne signi­fie pas que l’usage n’ait pas exis­té aupa­ra­vant. De fait, le pape saint Sirice en 386 et le concile de Carthage de 390 se réfèrent à une tra­di­tion remon­tant jusqu’aux Apôtres. A par­tir de là, l’Église est tou­jours res­tée stable dans son ensei­gne­ment et sa pra­tique sur ce point.

C’est expli­ci­te­ment ce que dit le pape Paul VI dans Sacerdotalis cæli­ba­tus (1967) : « Dans l’Antiquité chré­tienne, les Pères de l’Église et écri­vains ecclé­sias­tiques témoignent de la dif­fu­sion qu’avait pris chez les ministres sacrés, tant en Orient qu’en Occident, la pra­tique libre­ment assu­mée du céli­bat, à cause de son émi­nente conve­nance au don total qu’ils font d’eux-mêmes au ser­vice du Christ et de son Église. A par­tir du début du IVe siècle, l’Église d’Occident, par suite des inter­ven­tions de plu­sieurs conciles pro­vin­ciaux et des Souverains Pontifes, ren­for­ça, déve­lop­pa et sanc­tion­na cette pra­tique du célibat ».

Contrairement aux affir­ma­tions de cer­tains jour­na­listes trop super­fi­ciels (par exemple, Jean-​Marie Guénois dans Le Figaro), le céli­bat des prêtres n’apparaît donc pas au XIe siècle : ce qui appa­raît alors, et de nou­veau au XIIe siècle, lors du concile de Latran de 1139, ce sont seule­ment les ana­thèmes cano­niques por­tés contre les prêtres qui ne res­pec­te­raient pas leur célibat.

Cette longue pra­tique inin­ter­rom­pue, sanc­tion­née par tant d’écrits des Pères, de déci­sions des conciles, de décrets des Papes et des évêques du monde entier, tout au long de l’histoire de l’Église, mani­feste que le céli­bat sacer­do­tal ne fait pas seule­ment l’objet d’une loi et d’une dis­ci­pline ecclé­sias­tiques, qui seraient réfor­mables selon la simple volon­té d’un Pape. Cette pra­tique du céli­bat sacer­do­tal consti­tue en véri­té une tra­di­tion d’origine apos­to­lique, ou du moins qui s’enracine dans les tré­fonds de la nais­sance de l’Église. Un peu comme la dis­ci­pline du bap­tême des petits enfants n’est pas qu’une dis­ci­pline, mais consti­tue une tra­di­tion pro­pre­ment ecclé­siale qui atteste le dogme de l’universalité du péché originel.

Objection 2 : alors qu’on manque de prêtres (en Amazonie comme partout ailleurs), cette règle empêche le recrutement !

Réponse : c’est un a priori simpliste qui ne résiste pas au réel.

L’idée qui pré­side au pro­jet d’ordonner des « viri pro­ba­ti » mariés consiste à pen­ser que ces « nou­veaux prêtres » vont s’ajouter, pure­ment et sim­ple­ment, aux « anciens prêtres » céli­ba­taires, et que le résul­tat sera auto­ma­ti­que­ment un cler­gé plus nom­breux. Cette concep­tion est en réa­li­té tout à fait sim­pliste, et pour une bonne part illusoire.

Si les choses mar­chaient aus­si faci­le­ment, il suf­fi­rait qu’un construc­teur auto­mo­bile sorte un nou­veau modèle de voi­ture pour qu’automatiquement ses ventes aug­mentent. Or, ce n’est abso­lu­ment pas le cas. Il arrive, bien sûr, que cela se passe ain­si (et c’est tant mieux pour l’industrie auto­mo­bile). Mais il arrive plus sou­vent que les ventes res­tent sta­tion­naires, et dans cer­tains cas qu’elles baissent. Car le nombre des clients de ce construc­teur est fini et assez stable. Lorsque sort un nou­veau modèle, si celui-​ci est par­ti­cu­liè­re­ment réus­si, il va sans doute séduire quelques per­sonnes qui, jusqu’ici, n’étaient pas clientes : les ventes aug­mentent donc. Dans la plu­part des cas, si le nou­veau modèle est hon­nê­te­ment réus­si, il va rem­pla­cer l’ancien modèle en fin de course comme une évo­lu­tion nor­male : les ventes vont donc sim­ple­ment se main­te­nir au même niveau. Mais si le nou­veau modèle est raté, il ne va pas se vendre, et l’ancien modèle dépas­sé va voir ses ventes chu­ter : les ventes glo­bales vont ain­si bais­ser. Si le construc­teur sort un modèle qui est cen­sé être dif­fé­rent de tous ses autres modèles, il espère alors conqué­rir un nou­veau public ; mais s’il a mal posi­tion­né ce nou­veau modèle, celui-​ci peut, comme on dit, « can­ni­ba­li­ser » ses autres modèles et, au résul­tat, ses ventes glo­bales vont se main­te­nir, voire diminuer.

Ce petit exemple com­mer­cial mani­feste que les solu­tions sont très rare­ment simples : nous ne sommes pas les pre­miers à être confron­tés à tel pro­blème (ici la pénu­rie du cler­gé) et à pen­ser à des solu­tions appa­rem­ment nouvelles.

La pre­mière dif­fi­cul­té est qu’il n’est pas du tout prou­vé que des « viri pro­ba­ti » puissent être trou­vés en nombre, qui accep­te­raient de rece­voir le sacer­doce. Être prêtre, même en gar­dant sa vie fami­liale, engage des élé­ments très pro­fonds de notre exis­tence, et on peut dou­ter que les volon­taires soient si nom­breux. Il faut savoir que, dans les Églises orien­tales, la plu­part des prêtres mariés se recrutent dans les familles de prêtres, et que leurs épouses viennent aus­si des familles de prêtres : car eux seuls connaissent et acceptent les charges et les contraintes de la vie sacer­do­tale dans une famille.

La seconde dif­fi­cul­té, la plus grave en pra­tique, est que l’ouverture du sacer­doce à des per­sonnes mariées va consti­tuer un puis­sant appel d’air pour le sacer­doce marié. Le sacer­doce marié va donc très cer­tai­ne­ment tendre à « can­ni­ba­li­ser » le sacer­doce céli­ba­taire. Beaucoup d’hommes accep­tant le sacer­doce après s’être mariés seraient entrés, en l’absence de cette pos­si­bi­li­té, dans la voie du sacer­doce céli­ba­taire. Les prêtres mariés, dans ce cas, ne s’ajouteraient pas aux prêtres céli­ba­taires, mais ils vien­draient sim­ple­ment les rem­pla­cer, et le résul­tat final serait fort décevant.

Par ailleurs, il est à noter que les Églises et com­mu­nau­tés ecclé­siales qui pra­tiquent le sacer­doce ou le pas­to­rat marié connaissent des dif­fi­cul­tés de recru­te­ment de leur « cler­gé » au moins aus­si impor­tants que celles de l’Église latine. Il est tout à fait faux de croire qu’en ouvrant les portes à un cler­gé marié, on résout ipso fac­to les dif­fi­cul­tés : on les déplace, on les modi­fie, mais elles conti­nuent à exister.

Objection 3 : les orientaux catholiques le font bien, eux !

Réponse : ils le font, mais cet exemple est trompeur.

Il est vrai que les Églises orien­tales connaissent la coexis­tence d’un cler­gé céli­ba­taire et d’un cler­gé marié. Mais cette loi par­ti­cu­lière des Église d’Orient est tar­dive, puisqu’elle remonte seule­ment à la fin du VIIe siècle, avec le canon 13 du concile in Trullo II (ou Quinisexte) de 691.

Ce canon auto­rise les prêtres, diacres et sous-​diacres, qui auraient été déjà mariés avant leur ordi­na­tion, à conser­ver leurs épouses et à user du mariage, sauf pen­dant le temps où ils assurent le ser­vice de l’autel. Le canon 26 inter­dit à un céli­ba­taire de se marier une fois qu’il a été ordon­né prêtre. Le canon 48 pré­voit qu’un évêque déjà marié avant son sacre devra se sépa­rer de son épouse et ne plus user du mariage.

Comme l’a mon­tré le car­di­nal Stickler, cet usage par­ti­cu­lier n’a pu s’autoriser d’aucune tra­di­tion ecclé­sias­tique anté­rieure, sinon en fal­si­fiant les textes : avant le VIIe siècle, les Église d’Orient rete­naient en prin­cipe, comme l’Église latine, la loi du céli­bat sacer­do­tal, héri­tée des Apôtres. La nou­velle légis­la­tion, sur­ve­nue pos­té­rieu­re­ment, repré­sente donc une régres­sion, une ten­ta­tive de frei­ner et de régu­ler une déca­dence morale déjà trop enracinée.

Cette dis­po­si­tion demeure néan­moins une simple tolé­rance, une exemp­tion à la loi pre­mière et uni­ver­selle du céli­bat sacer­do­tal. Un prêtre n’est jamais auto­ri­sé à se marier : il est seule­ment pos­sible d’ordonner prêtre un homme pré­cé­dem­ment marié, en ne l’obligeant qu’à une conti­nence tem­po­raire. Les digni­tés ecclé­sias­tiques, et au pre­mier chef l’épiscopat, sont réser­vées exclu­si­ve­ment à des prêtres céli­ba­taires. Souvent, les confes­seurs sont des moines ou des prêtres non mariés.

Si, dans sa pru­dence, Rome auto­ri­sa les Églises d’Orient à conser­ver leur usage propre, elle n’en encou­ra­gea pas moins celles de ces Églises qui dési­raient reve­nir à la pra­tique tra­di­tion­nelle du céli­bat sacerdotal.

Même si ces objections ne valent pas, quel sens a cette obligation ?

Voir ici le fon­de­ment du céli­bat ecclésiastique.

Sources : La Lettre à nos frères prêtres n°73 /​La Porte Latine du 16 jan­vier 2020