On trouve dans l’ explication suivie de l’évangile de st Luc par saint Thomas,( Catena Aurea), les citations des pères de l’Eglise concernant la généalogie du Christ et la généalogie de Joseph selon saint Luc et Saint Matthieu. Les différences entre les deux généalogies sont interprétées par les Pères de l’Eglise en fonction de la généalogie divine et du baptême du Christ ( saint Luc, génalogie remontant les ancêtres jusqu’à Dieu), et en fonction de la généalogie naturelle ( Saint Matthieu, généalogie descendant de Dieu jusqu’à Joseph) et donc de l’Incarnation. Joseph se trouve au croisement de ces deux généalogies comme père adoptif du Christ s’effaçant devant le Père des Cieux et l’indiquant par cet effacement même.
Luc 3, 23–38
Généalogie, baptême et seconde naissance : remonter vers Dieu
Origène. (homélie. 28.) Après avoir raconté le baptême du Seigneur, l’Évangéliste donne sa généalogie, non point en descendant des pères aux enfants, mais en remontant de Jésus-Christ jusqu’à Dieu même. Or Jésus avait, quand il commença son ministère, environ trente ans. Saint Luc dit qu’il commença, lorsqu’il eut reçu dans le baptême, comme une seconde et mystérieuse naissance, pour vous enseigner la nécessité de détruire la première naissance, afin de renaître mystérieusement une seconde fois.
Généalogie de Joseph et généalogie de Marie : Jésus Fils de David
S. Cyril. Quoique Jésus-Christ n’eût pas de père selon la chair, on croyait assez généralement qu’il en avait un, c’est cette opinion que l’Évangéliste exprime en disant : « Etant, comme l’on croyait, fils de Joseph. »
– S. Ambroise. Cette expression, « comme l’on croyait, » est très juste, car il ne l’était pas en effet, mais il passait pour l’être, parce que Marie sa mère était l’épouse de Joseph. Mais pourquoi donner la généalogie de Joseph plutôt que celle de Marie, alors que Marie a enfanté Jésus-Christ par l’opération de l’Esprit saint, et que Joseph est tout à fait étranger à cette divine naissance ? Nous aurions lieu d’en être surpris, si nous ne savions que c’est la coutume de l’Écriture, de remonter toujours à l’origine du mari plutôt que de la femme, ce qui est ici d’autant plus naturel, que Marie et Joseph avaient une même origine. En effet, comme Joseph était un homme juste, il dut choisir une épouse de sa tribu et de sa famille. Aussi à l’époque du dénombrement, nous voyons Joseph, qui était de la maison et de la famille de David, se rendre à Bethléem pour s’y faire inscrire avec Marie son épouse, qui était enceinte. Puisqu’elle se fait inscrire comme étant de la même tribu et de la même famille, c’est qu’elle en était en effet ; voilà donc pourquoi l’Évangéliste nous donne la génération de Joseph et la commence ainsi : « Qui fut fils d’Héli. » Mais remarquons que d’après saint Matthieu, Jacob, qui fut père de Joseph, est fils de Nathan, tandis que d’après saint Luc, Joseph, époux de Marie, est fils d’Héli. Or, comment un seul et même homme peut-il avoir deux pères, Héli et Jacob ?
– S. Grégoire de Naziance. Quelques-uns prétendent qu’il n’y a qu’une seule généalogie de David à Joseph, mais reproduite sous des noms différents par les deux Evangélistes. Mais cette opinion est tout simplement absurde, puisque en tête de cette généalogie, nous voyons deux frères, Nathan et Salomon, tous deux souches de deux générations tout à fait distinctes.
Luc insiste sur la généalogie baptismale et divine, Matthieu insiste sur la généalogie incarnée et ancestrale.
Eusèbe. (Hist. eccl., 1, 6.) Entrons plus avant dans l’intelligence de ces paroles si tandis que saint Matthieu affirme que Joseph est fils de Jacob, saint Luc, de son côté, affirmait également que Joseph est fils d’Héli, il y aurait quelque difficulté. Mais comme en face de l’affirmation de saint Matthieu, saint Luc ne fait qu’exprimer l’opinion d’un certain nombre de personnes, et non pas la sienne, en disant « Comme l’on croyait, » il ne peut y avoir de place pour le doute. En effet, il y avait parmi les Juifs partage d’opinions sur la personne du Christ ; tous le faisaient descendre de David par suite des promesses que Dieu lui avait faites ; mais la plupart croyaient qu’il devait descendre de David par Salomon et par les autres rois ses successeurs, tandis que d’autres rejetaient cette opinion à cause des crimes énormes dont plusieurs de ces rois s’étaient rendus coupables, et aussi parce que Jérémie avait prédit de Jéchonias, qu’aucun rejeton de sa race ne s’assoierait sur le trône de David (Jr 21). Or, c’est cette dernière opinion que rapporte saint Luc, bien qu’il sût que la généalogie rapportée par saint Matthieu, fût seule la vraie. A cette première raison nous pouvons en ajouter une plus profonde ; saint Matthieu commence son Évangile avant le récit de la conception et de la naissance temporelle de Jésus-Christ ; il était donc naturel qu’il fit précéder ce récit, comme dans toute histoire, de la généalogie de ses ancêtres selon la chair. Voilà pourquoi il donne cette généalogie en descendant des ancêtres aux enfants, parce qu’en effet, le Verbe divin est descendu en se revêtant de notre chair.
Saint Luc : une généalogie de la nouvelle naissance
Saint Luc, au contraire, saute comme d’un bond jusqu’à la nouvelle naissance que Jésus semble prendre dans les eaux du baptême, et il dresse une autre généalogie en remontant des derniers aux premiers, des enfants à leurs pères. De plus, il passe sous silence le nom des rois coupables que saint Matthieu avait inséré dans sa généalogie, parce que tout homme qui reçoit de Dieu une nouvelle naissance, devient étranger à ses parents coupables, en qualité d’enfant de Dieu, et il ne fait mention que de ceux qui ont mené une vie vertueuse aux yeux de Dieu. Car ainsi qu’il fut dit à Abraham : » Vous irez rejoindre vos pères, » (Gn 15), non pas vos pères selon la chair, mais vos pères selon Dieu, à cause de la conformité de votre vie avec leurs vertus. Ainsi saint Luc donne à celui qui a reçu de Dieu une nouvelle naissance des ancêtres selon Dieu, à cause de la ressemblance de moeurs qui existe entre les pères et les enfants.
Matthieu : une généalogie qui met en valeur les patriarches et Joseph comme dernier des Patriarches
– S. Aug. (quest. sur l’Anc. et le Nouv. Test., quest. 65.) Oui bien encore, saint Matthieu descend de David par Salomon jusqu’à Joseph ; saint Luc au contraire remonte d’Héli contemporain du Sauveur par la ligne de Nathan fils de David, et il réunit les tribus d’Héli et de Joseph ; montrant ainsi qu’ils sont de la même famille, et qu’ainsi le Sauveur n’est pas seulement fils de Joseph, mais d’Héli. Par la même raison, en effet, que le Sauveur est appelé fils de Joseph, il est aussi le fils d’Héli et de tous les ancêtres de la même tribu ; vérité que l’Apôtre exprime en ces termes : « Qui ont pour pères les patriarches, et de qui est sorti selon la chair Jésus-Christ. »
Double généalogie de Joseph : l’Adoption filiale
– S. Aug. (quest. év., 2, 5.) On peut donner trois différentes explications de cette divergence entre les deux généalogies de saint Matthieu et de saint Luc,
1- ou bien, l’un donne le nom du père de Joseph, l’autre celui de son aïeul maternel ou d’un de ses ancêtres ;
2‑ou bien d’un côté nous avons le père naturel de Joseph, de l’autre son père adoptif ;
3- ou bien encore l’un des deux qui nous sont donnés comme pères de Joseph, étant mort sans enfants, son plus proche parent aura épousé sa femme, selon la coutume des Juifs, et donné ainsi un enfant à celui qui était mort.
– S. Ambr. La tradition nous apprend en effet, que Nathan qui descend de Salomon, eut un fils nommé Jacob, et mourut avant sa femme que Melchi épousa, et dont il eut un fils appelé Héli. Jacob à son tour étant mort sans enfants, Héli épousa sa femme et en eut pour fils Joseph, qui, d’après la loi, est appelé fils de Jacob, parce qu’Héli, conformément aux dispositions de la loi (Dt 25), donnait des enfants à son frère mort.
– Bède. Ou bien encore, on peut dire que Jacob, pour obéir à la loi, a épousé la femme de son frère Héli, mort sans enfants, et qu’il en eut Joseph, qui était son fils dans l’ordre naturel, mais qui d’après les prescriptions de la loi, était le fils d’Héli.
– S. Aug. (de l’acc. des Evang., 1, 3.) Il est plus probable que saint Luc nous a donné la généalogie des ancêtres adoptifs de Joseph, puisqu’il ne dit pas que Joseph ait été engendré par celui dont il l’appelle le fils. On conçoit mieux, en effet, qu’on puisse appeler un homme le fils de celui qui l’a adopté, que de dire qu’il a été engendré par celui qui n’est pas son père naturel. Saint Matthieu, au contraire, en s’exprimant de la sorte : « Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, » et en continuant ainsi jusqu’à la fin de la généalogie, qu’il termine en disant : « Jacob engendra Joseph, » nous indique assez clairement qu’il a voulu donner la généalogie des ancêtres naturels de Joseph, plutôt que la généalogie de ses ancêtres adoptifs. Mais supposons même que saint Luc ait dit que Joseph ait été engendré par Héli, il n’y aurait pas de quoi nous troubler ; ne peut-on pas dire en effet, sans absurdité, que celui qui adopte un fils l’engendre, non selon la chair, mais par l’affection qu’il lui porte ? Or saint Luc nous donne la généalogie des ancêtres adoptifs de saint Joseph, parce que c’est la foi au Fils de Dieu qui nous fait enfants adoptifs.