De l’authenticité des Evangiles

Par l’ab­bé Etienne Beauvais

Les témoi­gnages des auteurs anciens com­plètent les infor­ma­tions que nous four­nissent les manus­crits : c’est sur eux sur­tout que s’est tou­jours appuyée la cer­ti­tude de l’Eglise quant à l’au­then­ti­ci­té des Evangiles. Ces témoi­gnages du 1er au 4ème siècle, c’est-​à-​dire de l’é­poque apos­to­lique jus­qu’aux pre­miers écri­vains ecclé­sias­tiques et Pères de l’Eglise, nous ren­seignent sur la façon dont ont pu être trans­mis ces récits de la vie de Jésus : qui les ont écrits ou les ont rap­por­tés et dans quelle langue ?…

Bien que tous les livres que l’Eglise devait ins­crire au Canon étaient écrits à la mort du der­nier apôtre saint Jean, ce n’est que peu à peu que le dis­cer­ne­ment des ouvrages le com­po­sant s’o­pé­ra (de 50 envi­ron à 220).

Le Canon de Muratori est un docu­ment un peu à part : rédi­gé en latin, datant du 7ème ou 8ème siècle, il est la tra­duc­tion d’un ori­gi­nal grec datant du 2ème siècle ; c’est notre plus ancienne source d’in­for­ma­tion sur le canon des Ecritures. Cette liste muti­lée des livres du Nouveau Testament a été décou­verte dans la Bibliothèque Ambrosienne de Milan et publiée la pre­mière fois par le savant jésuite Muratori en 1740. Elle est issue de l’Eglise de Rome et datée aux envi­rons de 170. Il y est ques­tion des quatre évan­giles mais seule­ment deux, celui de saint Luc et celui de saint Jean sont expres­sé­ment attri­bués à leurs auteurs.

Au 1er siècle

Pour cette période nous n’a­vons pas de listes mais de nom­breuses cita­tions des livres saints.. Le pre­mier et le plus impor­tant témoi­gnage est celui de Papias, évêque de Hiérapolis en Phrygie (avant 130). Saint Irénée dit de lui qu’il était « audi­teur de Jean, com­pa­gnon de Polycarpe, un ancien ». Il a écrit cinq livres d’Explications des sen­tences du Seigneur, dont nous connais­sons seule­ment des extraits cités par Eusèbe de Césarée dans son Histoire ecclé­sias­tique.

Voici ces extraits :

- « Marc, qui était l’in­ter­prète de Pierre, a écrit avec exac­ti­tude, mais pour­tant sans ordre, tout ce dont il se sou­ve­nait de ce qui avait été dit ou fait par le Seigneur. Car il n’a­vait pas enten­du ni accom­pa­gné le Seigneur, mais plus tard, comme je l’ai dit, il a accom­pa­gné Pierre. Celui-​ci don­nait ses ensei­gne­ments selon les besoins, mais sans faire une syn­thèse des faits et gestes du Seigneur. De la sorte, Marc n’a pas com­mis d’er­reur en écri­vant comme il se sou­ve­nait. Il n’a eu, en effet, qu’un seul des­sein, celui de ne rien lais­ser de côté de ce qu’il avait enten­du et de ne trom­per en rien dans ce qu’il rapportait. »

- « Matthieu réunit donc en langue hébraïque les faits et gestes [du Seigneur] et cha­cun les tra­duit comme il en était capable. »

Saint Clément de Rome était dis­ciple de saint Pierre et son pre­mier suc­ces­seur. Il écrit vers 96 une Lettre aux Corinthiens dans laquelle il se réfère à plu­sieurs pas­sages des évan­giles synop­tiques, dont il cite les auteurs, Matthieu, Marc et Luc.

Saint Ignace d’Antioche († 107) cite les Evangiles des saints Matthieu, Luc et Jean dans ses Lettres aux habi­tants de Smyrne et Philadelphie.

Au 2ème siècle

A cette époque et à la sui­vante com­mence à se pré­ci­ser le canon des Ecritures en réponse aux attaques des héré­tiques (notam­ment Marcion qui reje­tait cer­tains livres).

Saint Irénée de Lyon (140–202). Le grand évêque de Lyon, a écrit, dans les années 180–185, Contre les Hérésies dans lequel on trouve ce témoignage :

« Matthieu qui vivait chez les Hébreux publia son Evangile écrit en hébreu, tan­dis que Pierre et Paul évan­gé­li­saient Rome et y fon­daient l’Eglise ; après leur départ, Marc, le dis­ciple et tra­duc­teur de Pierre, lui aus­si nous a trans­mis par écrit la pré­di­ca­tion de Pierre. Luc, le com­pa­gnon de Paul, mit dans un livre l’Évangile prê­ché par lui. » .

Le « Pasteur » d’Hermas (+140/​145). Le Fragment de Muratori, cité plus haut, nous situe l’au­teur : « Récemment, de notre temps, dans la cité de Rome, Hermas écri­vit le Pasteur, lorsque son frère Pie, l’é­vêque, sié­geait sur la chaire de la cité de Rome. » L’ouvrage qui fut écrit entre 100 et 150 et qui ser­vit long­temps pour la for­ma­tion spi­ri­tuelle des caté­chu­mènes nous livre un témoi­gnage sur saint Luc, auteur du 3ème livre des Evangiles.

Nous pou­vons encore citer saint Polycarpe de Smyrne (+156), dis­ciple de saint Jean et maître de saint Irénée, qui cite à plu­sieurs reprises les évan­giles synop­tiques en les attri­buant à leurs auteurs et saint Justin mar­tyr (+165), le pre­mier et le plus grand des apo­lo­gistes du 2ème siècle qui affirme dans son Apologie adres­sée à l’empereur Antonin que les Evangiles ont été écrit « par les apôtres et dis­ciples du Seigneur ».

Au 3ème siècle

Eusèbe de Césarée, né vers 265 et mort vers 340, est l’au­teur du livre Histoire ecclé­sias­tique. Il a recueilli et nous livre là divers témoi­gnages, pour cer­tains aujourd’­hui per­dus, sur les Evangiles. Parmi ceux-​ci, celui de Clément d’Alexandrie (150-​avant 215) qui s’at­ta­cha, au moment de sa conver­sion, à un cer­tain Panthène lequel diri­geait alors « l’a­ca­dé­mie » d’Alexandrie et auquel il suc­cé­da. Eusèbe, rap­por­tant les écrits de Clément et par­lant de Panthène, écrit :

« On dit qu’il alla dans les Indes ; on dit encore qu’il trou­va sa venue devan­cée par l’Evangile de Matthieu, chez cer­tains indi­gènes du pays qui connais­saient le Christ : à ces gens-​là, Barthélemy, un des apôtres, aurait prê­ché et il leur aurait lais­sé, en carac­tères hébreux, l’ou­vrage de Matthieu, qu’ils avaient conser­vé jus­qu’au temps dont nous par­lons. » Ailleurs, Eusèbe ajoute : « Matthieu prê­cha d’a­bord aux Hébreux. Comme il devait aller aus­si vers d’autres, il livra à l’é­cri­ture, dans sa langue mater­nelle, son Évangile, sup­pléant du reste à sa pré­sence par le moyen de l’Ecriture, pour ceux dont il s’éloignait. »

Concernant les autres Evangiles, Eusèbe nous rap­porte tout ce que la Tradition affirme déjà una­ni­me­ment : Marc, Luc et Jean ont écrit cha­cun un évan­gile : Marc nous livre la pré­di­ca­tion de saint Pierre ; Luc qui était méde­cin a écrit un autre livre appe­lé Actes des Apôtres.

Origène (185–253/254), dit dans son « Commentaire sur Saint Matthieu » (écrit vers 245) :

« Comme je l’ai appris dans la tra­di­tion au sujet des quatre Évangiles qui sont aus­si seuls incon­tes­tés dans l’Eglise de Dieu qui est sous le Ciel, d’a­bord a été écrit celui qui est selon Matthieu, pre­miè­re­ment publi­cain, puis apôtre de Jésus-​Christ : il l’a édi­té pour les croyants venus du Judaïsme, et com­po­sé en langue hébraïque. Le second [Évangile] est celui selon Marc, qui l’a fait comme Pierre le lui avait indi­qué. »

Au 4ème siècle

Les auteurs de cette époque, écri­vains ecclé­sias­tiques et Pères de l’Eglise, témoignent de l’u­ni­ver­sa­li­té de la croyance d’un unique canon des Ecritures issu de la Tradition.

Saint Ephrem (306–373), diacre de l’é­glise de Syrie nous rap­porte la croyance de ces contrées :

« Matthieu écri­vit un évan­gile en hébreux qui par la suite fut tra­duit en langue grecque ».

Saint Cyrille de Jérusalem (313–386) témoin de l’é­glise de Jérusalem enseigne la même chose dans ses Catéchèses et nous four­nit une liste exacte des écrits cano­niques tels qu’ils sont aujourd’­hui dans l’Eglise catholique.

Saint Epiphane (315–403) est un témoin de l’é­glise de Palestine :

« C’est ain­si que Matthieu écri­vit et prê­cha un évan­gile en langue hébraïque… c’est pour­quoi aus­si­tôt après Matthieu, Marc, qui fut com­pa­gnon de saint Pierre à Rome… ».

Saint Epiphane rap­porte encore com­ment, Luc et Jean, ins­pi­ré par le Saint Esprit com­po­sèrent un évan­gile où cha­cun s’at­ta­cha à un aspect dif­fé­rent de la vie du Christ.

Saint Jean Chrysostome (344–407) rap­porte ce qui était cru par l’Eglise d’Antioche.

Saint Augustin (354–430) est témoin de l’é­glise d’Afrique. En plu­sieurs de ces œuvres il rap­porte ce que la Tradition a trans­mis et ce qui est cru désor­mais de façon certaine :

« Parmi tous les livres divins, conte­nus dans les saintes Ecritures, l’Evangile tient à bon droit le pre­mier rang. Nous y voyons, en effet, l’ex­pli­ca­tion et l’ac­com­plis­se­ment de ce que la Loi et les Prophètes ont annon­cé et figu­ré. Il eut pour pre­miers pré­di­ca­teurs les Apôtres… et qui ensuite revê­tus de la fonc­tion d’Evangélistes s’employèrent à publier dans le monde ce qu’ils se sou­ve­naient de lui avoir enten­du dire ou de lui avoir vu faire… Deux d’entre eux, saint Matthieu et saint Jean nous ont même lais­sé sur Lui, cha­cun dans un livre, ce qu’ils ont cru devoir consi­gner par écrit. (…) la divine Providence a pour­vu par l’Esprit-​Saint à ce que quelques uns des dis­ciples de ces mêmes Apôtres reçussent non seule­ment le pou­voir d’an­non­cer l’Evangile mais encore celui de l’é­crire. Nous en comp­tons deux, saint Marc et saint Luc. » (De consen­su evan­ge­lis­ta­rum) .

Enfin saint Jérôme (347–420) est le témoin de ce que l’on pen­sait et croyait dans les églises de Palestine et à Rome :

« Matthieu, aus­si nom­mé Lévi, était publi­cain avant de deve­nir apôtre. Il fut le pre­mier en Judée qui mit par écrit l’Evangile de Notre Seigneur Jésus-​Christ, et il rédi­gea en langue hébraïque à l’u­sage des juifs conver­tis. On ne connaît pas au juste celui qui l’a tra­duit en grec. (…) Luc, méde­cin d’Antioche, comme l’in­dique ses ouvrages, était ver­sé dans la lit­té­ra­ture grecque. Disciple de Paul, il l’ac­com­pa­gna dans tous ses voyages. Il a publié l’é­van­gile qui lui a valu un éloge de ce grand apôtre… Ce der­nier (Luc) a encore com­po­sé un excellent ouvrage inti­tu­lé Actes des Apôtres. Cette rela­tion his­to­rique va jus­qu’au séjour de Paul à Rome, c’est-​à-​dire à la qua­trième année du règne de Néron. On peut conjec­tu­rer par là que l’ou­vrage a été écrit en cette ville. Marc, dis­ciple et inter­prète de Pierre, écri­vit, à la demande de ses frères de Rome, un évan­gile résu­mé d’a­près ce qu’il avait recueilli de la bouche de Pierre lui-​même. Cet apôtre l’ayant lu, l’ap­prou­va, le fit publier, et ordon­na qu’il fût lu dans les églises. (…) Jean, l’a­pôtre que Jésus aimait le plus, était fils de Zébédée et frère de Jacques, apôtre… A la demande des évêques d’Asie, il écri­vit le der­nier son évan­gile, pour com­battre Cerinthus et la secte nais­sante des ébio­nites, qui sou­te­nait que le Christ n’exis­tait pas avant Marie. » (De viris illustribus)

Chez tous les écri­vains ecclé­sias­tiques et Pères de l’Eglise des quatre pre­miers siècles le seul cri­tère rete­nu de l’au­then­ti­ci­té des Evangiles des saints Matthieu, Marc Luc et Jean est la tra­di­tion apos­to­lique. Dans le pro­chain article nous revien­drons sur les décou­vertes des papy­rus de Qumran qui ont tant à nous dire.

Abbé Etienne Beuavais

Source : Acampado n° 84 de juillet-​août 2013