Notre-Seigneur n’a pas fondé un groupe de discussion sur l’avenir de la planète. Il a fondé l’Église sur Pierre pour transmettre la foi et conduire les âmes au Ciel.
En mars 2020, le pape François annonçait un synode sur la synodalité pour 2022. Dès 2015, François exprimait son intention de se pencher sur ce sujet. Dans un discours du 17 octobre 2015, il affirmait : « Le chemin de la synodalité est justement celui que Dieu attend de l’Église du troisième millénaire. » Il expliquait alors qu’« Une Église synodale est une Église de l’écoute, avec la conscience qu’écouter est plus qu’entendre. C’est une écoute réciproque dans laquelle chacun a quelque chose à apprendre. Le peuple fidèle, le Collège épiscopal, l’Évêque de Rome, chacun à l’écoute des autres ; et tous à l’écoute de l’Esprit Saint, l’Esprit de Vérité, pour savoir ce qu’il dit aux Églises. »
Que faut-il comprendre par cette expression d’Église synodale ? L’Église catholique gagne-t-elle à être plus synodale ?
Qu’est-ce que l’Église synodale ?
Conciliarisme et collégialité
Le terme de « conciliarisme » renvoie à une période troublée de l’histoire de l’Église, la fin du grand schisme d’Occident au début du XVe siècle. En un mot, les conciliaristes estimaient que le pouvoir du concile était supérieur à celui du pape.
La notion de collégialité introduite vers 1950 par le P. Congar OP reprend l’idée en suggérant que le corps des évêques est une personne morale, dotée de prérogatives spéciales, succédant au corps des apôtres. Elle entre au concile Vatican II avec la Constitution Lumen gentium du 21 novembre 1964, et elle joue le rôle de principe directeur pour le nouveau Droit Canon de 1983. Le pape Jean-Paul II l’explique lorsqu’il promulgue le nouveau Code : « Ces travaux ont été faits jusqu’au bout dans un esprit merveilleusement collégial… Or cette note de collégialité, qui caractérise et distingue tout le processus d’enfantement de ce nouveau Code, correspond parfaitement au magistère et au caractère du concile Vatican II. C’est pourquoi le Code … a mis en acte l’esprit du concile dont les documents présentent l’Église, “sacrement universel de salut”, comme le Peuple de Dieu et où la constitution hiérarchique apparaît fondée sur le collège des évêques uni à son chef [1] »
Autrement dit, l’Église conciliaire, régie par le Code de 1983, est une Église plus démocratique.
L’Église synodale de François
Avec l’Église synodale, le pape François va au bout de cette logique démocratique et égalitaire. Il invite la hiérarchie à se mettre à l’écoute de la base. L’Église synodale est une Église conciliaire dans le sens où le rôle décisif est désormais donné aux différentes assemblées : conseil presbytéral, synode diocésain, conférences épiscopales, synode des évêques,…
Cette Église synodale nous vient du concile Vatican II, qui a cherché à mettre à jour l’Église pour la rendre acceptable à un monde qui estime beaucoup la démocratie. Peut-on dire que l’Église est plus catholique parce qu’elle est plus synodale ?
L’Église catholique est-elle synodale ?
Cette tendance démocratique, si appréciée aujourd’hui, apporte-t-elle vraiment un progrès dans l’Église catholique ?
Le primat du pontife romain
La collégialité n’a pas la faveur de la Tradition. Comme le notait avec humour le cardinal Ottaviani, la collégialité n’a pour fondement scripturaire qu’une action peu glorieuse des apôtres au moment de la Passion : « Alors les disciples, l’abandonnant (Jésus), s’enfuirent tous[2]. » En revanche, l’Evangile est très clair sur l’autorité transmise à saint Pierre : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle[3]. » La primauté de l’évêque de Rome, successeur de saint Pierre, est reconnue dès les premiers siècles de l’histoire de l’Église.
La constitution de l’Église instituée par Notre-Seigneur est une monarchie dont saint Pierre et ses successeurs sont les chefs. Ces vérités ne seront mises en doute qu’après plusieurs siècles, lorsque les orthodoxes et les protestants éprouveront le besoin de justifier leur révolte. Nous ne sommes pas étonnés de retrouver le thème de la collégialité à l’heure de l’œcuménisme. En effet, ce qui gêne les hérétiques (protestants) et les schismatiques grecs, c’est l’autorité du pontife romain.
La collégialité, révolution dans l’Église
Dans une page admirable de son ouvrage Iota unum, Romano Amerio note que « ces corps de l’Église appelés à la participation deviennent en réalité organes de dissension et d’indépendance du peuple de Dieu à l’égard de leurs pasteurs et du pasteur suprême. Ce que l’on prévoyait devoir rejaillir de la démocratisation de l’Église s’est manifesté a posteriori par les effets malheureux des synodes nationaux… Ce qui est commun à tous les synodes, diocésains ou nationaux, c’est leur propension à l’indépendance et d’avoir établi des thèses et proposé des réformes en opposition avec la pensée déclarée du Saint-Siège, en demandant par exemple l’ordination d’hommes mariés, la prêtrise pour les femmes, le partage de l’Eucharistie avec les frères séparés, l’admission aux sacrements des divorcés bigames[4]. »
Judicieusement, il relève « la contradiction qu’il y a entre la démocratisation et la constitution divine de l’Église. Il y a une différence et même une opposition entre l’Église du Christ et les sociétés civiles. Celles-ci possèdent d’abord l’existence, et ensuite forment leur propre gouvernement… L’Église, au contraire, ne s’est pas formée d’elle-même, ni n’a formé son gouvernement ; elle a été faite toute entière par le Christ qui en a établi les lois fondamentales avant d’appeler les fidèles… L’Église est donc une société sans égale, où le chef est antérieur aux membres, et où l’autorité passe avant la communauté[5]. » La conclusion qui suit immédiatement est une condamnation très claire du projet du pape François : « Une doctrine, qui se fonderait sur le peuple de Dieu démocratiquement conçu et dans le sentiment et l’opinion du peuple de Dieu, est contraire à celle de l’Église. »
Le résultat désastreux de la doctrine de la collégialité n’a pas mis longtemps à se manifester. L’Église devient rapidement ingouvernable, comme l’illustre ces quelques mots du Père de la Morandais : « Le problème n’est pas d’obéir au pape. Qui me donne les ordres ? C’est la collégialité des évêques. Je n’obéirai que si l’évêque de Paris me donne cet ordre. Mais vous savez, l’obéissance actuelle est un consensus entre les évêques et les prêtres. Ce n’est plus comme autrefois où un ordre était un ordre. Et je vois mal l’évêque de Paris me dire : “Mettez-vous en clergyman”, pour la bonne raison que cet ordre, il ne le donnera pas, car il n’a aucune chance d’être obéi[6].»
La collégialité bouleverse, dans les principes comme dans la pratique, la constitution divine de l’Église.
Le respect de l’opinion publique dans l’Église
Il ne faudrait pas croire, comme le prétendait le cardinal Suenens à l’issue du concile Vatican II, que l’attention à l’opinion publique soit une nouveauté dans l’Église. Romano Amerio donne une série d’exemples au cours de l’histoire de l’Église, en commençant par la fameuse formule des Actes des Apôtres : « Il a paru bon au Saint-Esprit et à nous[7]. » Il rappelle qu’à Paris, au XlIIe siècle, saint Thomas d’Aquin répondait aux questions théologiques du petit peuple, qu’au XVIIe siècle, les petites gens s’agitaient pour ou contre l’immaculée conception, arrachant à leur chaire ceux qui la combattaient. Ce qui est nouveau, c’est la force nouvelle de l’opinion publique. Elle finit par être considérée comme égale voire supérieure à la hiérarchie. Et ainsi, l’Église synodale désirée par François s’écarte de l’Église catholique fondée par Notre-Seigneur.
Le combat du Cœtus
Les difficultés que pose cette nouvelle conception de l’Église n’ont pas laissé les Pères conciliaires indifférents. Le P. Ralph Wiltgen estime que la collégialité fut le débat le plus important du concile. « La lutte la plus importante et la plus dramatique du deuxième concile du Vatican ne fut pas celle que suscita la question de la liberté religieuse, qui reçut un si large écho dans la presse, mais celle qui eut pour objet la collégialité, et qui se déroula pour la plus grande partie derrière la scène[8]. »
Les membres du Cœtus[9] seront particulièrement vigilants sur ce point.
Dès la deuxième session du concile, Mgr Lefebvre intervient deux fois sur ce sujet dans l’aula conciliaire. Dans une interview du 15 octobre 1963 accordée au P. Wiltgen[10], il explique qu’il voit dans de puissantes conférences épiscopales « une menace pour le magistère et la responsabilité pastorale des évêques pris individuellement. » En effet, « il est très difficile à un évêque de se dissocier de la position qui a été publiquement prise, et il se trouve simplement réduit au silence. » Allant plus loin, il parle d’« une nouvelle sorte de collectivisme qui envahissait l’Église, […] les évêques perdraient toute initiative. »
Quelques jours plus tard, il explique non sans ironie : « Si en ce concile, on le (le principe de la collégialité juridique) découvre comme par miracle, […] il faut logiquement affirmer, comme l’a presque affirmé l’un des Pères : l’Église romaine s’est trompée en ignorant le principe fondamental de sa divine constitution[11]. »
Objet de vifs débats lors de la seconde session du concile, le texte est révisé avant la troisième session, mais sans tenir compte des remarques du Cœtus. Mgr Staffa et le Cœtus reprennent le combat dès le début de la troisième session et obtiennent du pape Paul VI l’ajout de la fameuse Nota explicativa prævia qui rappelle la doctrine traditionnelle.
Mgr Tissier de Mallerais résume : « L’action du Cœtus avait sauvé la primauté du pontife romain d’un péril mortel. La Note fixait l’interprétation du texte conciliaire dans un sens restreint, que Mgr Lefebvre admit. Elle ferait partie intégrante de la constitution Lumen gentium, tout en manifestant l’intrinsèque faiblesse d’un texte qui, sans elle, est équivoque[12]. »
Conclusion
L’Église synodale de François, qui se veut encore plus conciliaire que l’Église conciliaire ne peut que nous inquiéter. Elle s’éloigne de la constitution de l’Église telle qu’elle a été fondée par Notre-Seigneur et ouvre la porte à l’esprit du monde. Sous le refus du primat du pontife romain, se cache à peine le refus de l’autorité divine. En effet, Notre-Seigneur a fondé l’Église sur Pierre pour transmettre la foi et conduire les âmes au Ciel. Il n’a pas fondé un groupe de discussion sur l’avenir de la planète.
Source : Le Saint-Vincent n° 27, septembre 2020, reproduit dans Pour qu’Il règne n° 158.
- Constitution apostolique Sacræ disciplinæ leges, 25 janvier 1983[↩]
- Mt 26, 56, cité par Raffard de Brienne, Il n’y a qu’un seul Dieu, Chiré, 2003, p. 209[↩]
- Mt 16, 18[↩]
- Iota unum, NEL, 1987, p. 431[↩]
- id. , p. 432[↩]
- Père de la Morandais, de Saint-Méry, Paris, in L’Aurore du 2 octobre 1979[↩]
- Ac 15, 28[↩]
- Le Rhin se jette dans le Tibre, p. 224[↩]
- Groupe de Pères conciliaires qui défend les thèses traditionnelles au concile Vatican II[↩]
- Le Rhin se jette dans le Tibre, p. 89[↩]
- Mgr Lefebvre, J’accuse le concile, p. 31[↩]
- Mgr Tissier de Mallerais, Marcel Lefebvre une vie, p. 319[↩]