L’Amour plus puissant que Dieu même ?

Lorsque les nou­veaux pro­phètes répètent à satié­té la défi­ni­tion admi­rable de saint Jean, Dieu est amour, on a par­fois l’impression qu’ils l’interprètent : Dieu est sou­mis à l’Amour.

L’antiquité a eu quelque peine à recon­naître un Dieu Tout-​Puissant. Au delà du Dieu suprême, la mytho­lo­gie a tou­jours pla­cé un dieu imper­son­nel ou aveugle contre lequel Jupiter ne pou­vait rien : c’était Chronos (le temps), ou bien Fatum (le des­tin). Souvent aus­si Jupiter n’échappait pas aux entre­prises de Vénus.

Aujourd’hui, la nou­velle reli­gion gnos­tique post-​conciliaire hésite à admettre que Dieu soit tout-​puissant. Elle lui refuse volon­tiers le pou­voir de faire des miracles et d’échapper aux lois de sa propre créa­tion. Le mythe de l’Evolution a pris, au-​dessus de Dieu, la place que tenait jadis Chronos au-​dessus de Zeus. Lorsque les nou­veaux pro­phètes répètent à satié­té la défi­ni­tion admi­rable de saint Jean, Dieu est amour, on a par­fois l’impression qu’ils l’interprètent : Dieu est sou­mis à l’Amour.

L’Amour, avec un A majus­cule, devient ain­si comme une divi­ni­té abso­lue à laquelle Dieu, aus­si bien que les hommes, doit rendre des comptes.

Dieu n’est plus tout-​à-​fait le maître. L’Amour lui ôte le pou­voir de punir les méchants. L’Amour lui ôte le pou­voir d’édicter des com­man­de­ments. L’Amour lui confère nos fai­blesses humaines car les hommes se flattent de connaître l’Amour mieux que Dieu ne le connaît, et les experts en huma­ni­té ont pour mis­sion d’instruire Dieu sur l’art d’aimer.

L’Amour chez les hommes a pour auxi­liaire la trom­pe­rie : il est chan­geant, se recycle, com­porte des péri­pé­ties pas­sion­nantes et des rebon­dis­se­ments, incon­nus d’un Dieu demeu­ré qui en vingt siècles n’a eu pour épouse qu’une seule Eglise.

On com­pren­dra que dans ces condi­tions il soit plus inté­res­sant de célé­brer le culte de l’Homme que le culte de Dieu.

Si c’est à l’Amour que doit aller au bout du compte notre révé­rence, si c’est l’Amour qui mène Dieu aus­si bien que les hommes par le bout du nez, il est assez ten­tant d’offrir notre encens à l’Homme dont le nez nous est plus fami­lier que celui de Dieu.

Le culte pour l’homme, c’est bien sûr aus­si le culte pour la femme : Rendez à César ce qui est à César, et à Cléopâtre ce qui est à Cléopâtre.

Abbé Philippe Sulmont

Source : Bulletin parois­sial de Domqueur n° 105

Curé de Domqueur † 2010

L’abbé Philippe Sulmont (1921–2010), second d’une famille de qua­torze enfants, ancien sémi­na­riste des Carmes, fut pro­fes­seur de col­lège, puis de sémi­naire, aumô­nier d’un pen­sion­nat de filles, puis enfin curé durant 37 ans de Domqueur et de six paroisses avoi­si­nantes entre Amiens et Abbeville.