Le Figaro du 22 janvier 2016 a publié un entretien du Père François Jourdan, islamologue, à l’occasion de la parution de son ouvrage Islam et christianisme, comprendre les différences de fond (éd. du Toucan). Interrogé par Eléonore de Vulpillières, le religieux eudiste ne se place pas sur le terrain de la critique théologique du dialogue interreligieux, il montre simplement les impasses auxquelles ce dialogue aboutit aujourd’hui. Et il en donne les raisons. Voici quelques extraits particulièrement éclairants de cet entretien :
Estimez-vous (…) que souvent, les chrétiens, par paresse intellectuelle, appliquent à l’islam des schémas de pensée chrétiens, ce qui les mène à le comprendre comme une sorte de christianisme, l’exotisme en plus ?
L’ignorance (…) masquée, fait qu’on se laisse berner par les apparences constamment trompeuses avec l’islam qui est un syncrétisme d’éléments païens (les djinns, la Ka‘ba), manichéens (prophétisme gnostique refaçonné hors de l’histoire réelle, avec Manî le ‘sceau des prophètes’), juifs (Noé, Abraham, Moïse, David, Jésus… mais devenus musulmans avant la lettre et ne fonctionnant pas du tout pareil : Salomon est prophète et parle avec les fourmis…), et chrétiens (Jésus a un autre nom Îsâ, n’est ni mort ni ressuscité, mais parle au berceau et donne vie aux oiseaux d’argile…). La phonétique des noms fait croire qu’il s’agit de la même chose. Sans parler des axes profonds de la vision coranique de Dieu et du monde : Dieu pesant qui surplombe et gère tout, sans laisser de place réelle et autonome à ce qui n’est pas Lui (problème fondamental de manque d’altérité dû à l’hyper-transcendance divine sans l’Alliance biblique). Alors si nous avons ‘le même Dieu’, chacun le voit à sa façon et, pour se rassurer, croit que l’autre le voit pareil… C’est l’incompréhension totale et la récupération permanente dans les relations mutuelles (sans le dire bien sûr : il faudrait oser décoder).
Si l’on reconnaît parfois quelques différences pour paraître lucide, on est la plupart du temps (et sans le dire) sur une tout autre planète, mais on se rassure mutuellement qu’on fait du ‘dialogue’ et qu’on peut donc dormir tranquilles.
Une fois que le concile Vatican II a « ouvert les portes de l’altérité et du dialogue », écrivez-vous, « on s’est installé dans le dialogue superficiel, le dialogue de salon, faussement consensuel. » Comment se manifeste ce consensualisme sur l’islam ?
Par l’ignorance, ou par les connaissances vues de loin et à bon compte : c’est la facilité. Alors on fait accréditer que l’islam est ‘abrahamique’, que ‘nous avons la même foi’, que nous sommes les religions ‘du Livre’, et que nous avons le ‘même’ Dieu, que l’on peut prier avec les ‘mêmes’ mots, que le chrétien lui aussi doit reconnaître que Muhammad est « prophète » et au sens fort ‘comme les prophètes bibliques’, et que le Coran est ‘révélé’ pour lui au sens fort « comme la Bible », alors qu’il fait pourtant tomber 4/5e de la doctrine chrétienne… Et nous nous découvrons, par ce forcing déshonnête, que « nous avons beaucoup de points communs » ! C’est indéfendable.
Pour maintenir le « vivre-ensemble » et sauvegarder un calme relationnel entre islam et christianisme ou entre islam et République, se contente-t-on d’approximations ?
Ces approximations sont des erreurs importantes. On entretient la confusion qui arrange tout le monde : les musulmans et les non-musulmans. C’est du pacifisme : on masque les réalités de nos différences qui sont bien plus conséquentes que ce qu’on ose en dire, et tout cela par peur de nos différences. On croit à bon compte que nous sommes proches et que donc on peut vivre en paix, alors qu’en fait on n’a pas besoin d’avoir des choses en commun pour être en dialogue. Ce forcing est l’expression inavouée d’une peur de l’inconnu de l’autre (et du retard inavoué de connaissance que nous avons de lui et de son chemin). Par exemple, la liberté religieuse, droit de l’homme fondamental, devra remettre en cause la charia (organisation islamique de la vie, notamment en société). Il va bien falloir en parler un jour entre nous. On en a peur : ce n’est pas « politiquement correct ». Donc ça risque de se résoudre par le rapport de force démographique… et la violence future dans la société française. Bien sûr on n’est plus dans cette période ancienne, mais la charia est coranique, et l’islam doit supplanter toutes les autres religions (Coran 48,28 ; 3,19.85 ; et 2,286 récité dans les jardins du Vatican devant le Pape François et Shimon Pérès en juin 2014)[1]. D’ailleurs Boumédienne, Kadhafi, et Erdogan l’ont déclaré sans ambages.
Vous citez des propos de Tariq Ramadan, qui déclarait : « L’islam n’est pas une religion comme le judaïsme ou le christianisme. L’islam investit le champ social. Il ajoute à ce qui est proprement religieux les éléments du mode de vie, de la civilisation et de la culture. Ce caractère englobant est caractéristique de l’islam. » L’islam est-il compatible avec la laïcité ?
Cette définition est celle de la charia, c’est-à-dire que l’islam, comme Dieu, doit être victorieux et gérer le monde dans toutes ses dimensions. L’islam est globalisant. Les musulmans de Chine ou du sud des Philippines veulent faire leur Etat islamique… Ce n’est pas une dérive, mais c’est la cohérence profonde du Coran. C’est incompatible avec la liberté religieuse réelle. On le voit bien avec les musulmans qui voudraient quitter l’islam pour une autre religion ou être sans religion : dans leur propre pays islamique, c’est redoutable. De même, trois versets du Coran (60,10 ; 2,221 ; 5,5) obligent l’homme non musulman à se convertir à l’islam pour épouser une femme musulmane, y compris en France, pour que ses enfants soient musulmans. Bien sûr tout le monde n’est pas forcément pratiquant, et donc c’est une question de négociation avec pressions, y compris en France où personne ne dit rien. On a peur. Or aujourd’hui, il faut dire clairement qu’on ne peut plus bâtir une société d’une seule religion, chrétienne, juive, islamique, bouddhiste… ou athée. Cette phase de l’histoire humaine est désormais dépassée par la liberté religieuse et les droits de l’Homme. La laïcité exige non pas l’interdiction mais la discrétion de toutes les religions dans l’espace public, car les autres citoyens ont le droit d’avoir un autre chemin de vie. Ce n’est pas la tendance coranique où l’islam ne se considère pas comme les autres religions et doit dominer (2,193 ; 3,10.110.116 ; 9,29.33).
Commentaire : Le P. Jourdan considère la liberté religieuse et la laïcité comme des acquis de la modernité, incompatibles avec la charia que l’islam veut promouvoir partout. Mais il ne voit pas que les islamistes ne cherchent pas à contourner cette incompatibilité de la charia avec la liberté religieuse et la laïcité des pays occidentaux, bien au contraire ils utilisent cette liberté religieuse et cette laïcité, de façon transitoire, comme des moyens qui leur permettront d’installer un jour la loi coranique. C’est ce que montre le journaliste Frédéric Pons, rédacteur-en-chef à Valeurs Actuelles dans les réponses qu’il donne à Sylvain Dorient sur le site catholique Aleteia, le 4 février : « Les islamistes disent ouvertement qu’ils utilisent les lois démocratiques, assure le journaliste qui se fonde sur les déclarations de chefs religieux libyens. » – Et nous ajouterons que les islamistes utilisent les principes idéologiques sur lesquels s’appuient ces lois démocratiques : la liberté religieuse et la laïcité. NDLR. Et plus concrètement Frédéric Pons complète : « Ils disent qu’ils utiliseront les migrants pour porter leurs combattants jusqu’au cœur de l’Europe, mais les écoutons-nous ? »
Précisons qu’il faut certainement ouvrir les yeux sur cet afflux massif de migrants, mais aussi sur les principes idéologiques au nom desquels est autorisée cette migration de masse. Un pays ne peut être envahi que parce que les esprits de ses habitants l’ont été préalablement et subrepticement. Dès lors, le débat sur le dialogue interreligieux et la liberté religieuse, promues par Vatican II, cesse d’être une discussion apparemment byzantine, entre experts. Les idéologies ne restent pas longtemps à une hauteur stratosphérique rassurante, elles finissent toujours par atterrir, avec des conséquences pratiques très concrètes. C’est le retour au réel.
Sources : Le Figaro /Aleteia – Les passages soulignés sont de la rédaction – du 12/02/16
[1] Allusion à la prière pour la paix organisée par le pape François, le 8 juin 2014, avec l’Israélien Shimon Peres et le Palestinien Mahmoud Abbas. Voir ICI : « Ce qui a suscité un vif émoi dans les milieux catholiques, ce fut la découverte dans la soirée du 8 juin que la prière prononcée en arabe par le musulman participant à cette réunion, ne correspondait pas entièrement à celle qui figurait dans le livret officiel. A la prière imprimée furent ajoutés oralement les derniers mots de la deuxième sourate, dite « de la vache », (versets 284 à 286) : « Tu es notre Maître, accorde-nous la victoire sur les peuples infidèles« . »Voir ci-dessous :