Répondant aux questions du National Catholic Register, le nouveau préfet de la CDF s’explique sur tout, et en particulier, ses écrits polémiques et les discussions avec la FSSPX. L’interviewe, en deux parties, a été réalisée en septembre, et la deuxième partie a été publiée le 4 octobre.
Première Partie – Mgr Gerhard Müller : « L’Eglise n’est pas une forteresse »
Dans un entretien exclusif en deux parties avec National Catholic Register, le nouveau préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi parle de son nouveau job et souligne le message positif d’espoir de l’Eglise.
Le 2 Juillet, le Vatican a annoncé que le pape Benoît XVI avait nommé Mgr Gerhard Müller comme nouveau préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, sans doute le plus influent et prestigieux de tous les dicastères du Vatican. Le’homme de 64 ans, natif de Mayence, en Allemagne centrale a ensuite été élevé au rang d’archevêque et fait office président de la Commission biblique pontificale et de la Commission théologique internationale. Il dirige aussi à présent la Commission pontificale Ecclesia Dei – l’organe chargé de ramener la Fraternité Saint-Pie X en communion avec Rome.
Dans cette interview exclusive, donnée le mois dernier à la Congrégation, Mgr Müller nous parle de son nouveau rôle et comment il espère travailler avec le Saint-Père. Il réfléchit également sur le Concile Vatican II, aborde les discussions délicates avec la FSSPX, explique ses déclarations sur Marie et sur l’Eucharistie qui ont provoqué une polémique dans certains milieux, et propose une mise à jour sur la situation actuelle concernant les pourparlers entre la congrégation et la Leadership Conference of Women Religious.
- Comment vous êtes-vous installé dans votre poste, et quelles sont vos impressions sur celui-ci, maintenant que vous êtes arrivé à Rome ?
– Jusqu’ici, tout va bien ! Nous avons beaucoup de travail et beaucoup de problèmes à résoudre, mais je ne suis pas ici pour des vacances ! Je suis venu ici pour aider le Saint-Père et travailler pour le Royaume de Dieu. Nous croyons que Jésus-Christ a fondé son Eglise sur le rocher de Saint-Pierre. Certes, le Saint-Père compte sur l’aide des congrégations et des dicastères de la Curie romaine, en particulier notre dicastère, qui concerne la promotion de notre foi en Jésus-Christ, ce que nous croyons dans le Credo.
- Vous connaissez le Saint-Père depuis un certain temps. A quoi ressemble votre relation de travail avec lui ?
– Nous avons une relation professionnelle, et j’ai maintenant des audiences régulières avec le Saint Père. Mais avant ma nomination ici, j’ai déjà eu beaucoup affaire avec le théologien Joseph Ratzinger, et maintenant je suis le curateur (responsable de la publication) de ses œuvres complètes, qui nous l’espérons seront également publié en anglais sous peu. Nous avons donc été liés pendant une longue période, ce qui nous aide à continuer à travailler ensemble. J’ai également travaillé en étroite collaboration avec lui à la Commission théologique internationale, dont il était le président.
- La nomination a‑t-elle été une surprise pour vous ?
– Étant donné que j’avais été un membre de cette congrégation pendant un certain nombre d’années, et que j’avais été un professeur de dogmatique durant les années avant, ce n’était pas tout à fait surprenant. Il y a, bien sûr, beaucoup d’autres personnes qui auraient pu être nommés, mais je suis le curateur de ses œuvres complètes, il me connaît très bien, et il sait où je me situe sur les choses – et donc le pape a décidé de me nommer.
- Est-ce que le Saint-Père vous donne beaucoup de liberté dans votre travail ?
– Le Saint-Père me donnera pour ma part toute la liberté dont j’ai besoin, et il n’y a pas d’opposition ou de contradiction, parce que nos rôles respectifs sont très clairs. Le Saint-Père est le Successeur de Pierre, le Vicaire du Christ. Je suis un évêque, et dans cette position de responsabilité, je suis chargé d’assister le Saint-Père dans ce domaine spécifique de compétence. Le Pape doit défendre et promouvoir la foi catholique ; la seule raison de l’existence de cette congrégation est d’aider le Saint-Père dans cette tâche. Nous ne sommes pas ici pour nous acquitter de nos propres activités ou de faire nos propres jugements en dehors de lui. Ce serait absolument contraire à notre mission.
- Quelles seront vos priorités en tant que préfet, en termes de défendre la doctrine ? Est-ce que votre objectif principal, par exemple, sera l’Europe post-chrétienne ?
- La défense de la foi est la deuxième tâche que nous avons. Notre premier rôle est de promouvoir la foi. L’Eglise n’est pas une forteresse, mais, plutôt, un sacrement, un signe, un symbole et un instrument de salut pour tous les hommes. Les apôtres ont été envoyés dans le monde pour prêcher l’Evangile et pour édifier et redonner espoir aux gens. Donc, nous sommes les témoins et les missionnaires de la foi, l’espérance et l’amour, et c’est la première tâche de toute l’Église.
Le rôle de la congrégation, par conséquent, est d’abord et avant tout d’appuyer cette mission de toute l’Église. Bien sûr, faire cela aujourd’hui signifie que nous devons défendre la foi contre l’assaut du sécularisme et du matérialisme, qui nie la dimension transcendante de l’existence humaine et fausse donc l’orientation éthique, morale et intellectuelle de la société.
- L’Année de la Foi commence le 11 octobre. Quel sera votre rôle durant cette année spéciale ?
– Il y aura le Synode des Évêques sur l’Année de la foi, auquel je vais participer, mais évidemment, la Congrégation a ses propres priorités. Par-dessus tout, nous devons relever les défis posés par ce qu’on nomme le nouvel athéisme, qui en réalité est agressif dans son intolérance du christianisme. Les nouveaux athées veulent établir un monde sans Dieu, que nous ne pourrons jamais accepter. L’Eglise a besoin de retrouver sa confiance et trouver encore une fois son propre rôle dans ce monde. Nous devons cesser de regarder à l’intérieur, vers nous-mêmes, discutant toujours des mêmes questions inter-ecclésiales. Nous devons concentrer nos forces sur la nouvelle évangélisation, surtout dans les vieux pays chrétiens d’Occident, qui ont un peu perdu leur chemin.
- Le 50e anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II a également lieu le 11 octobre. Certains diront que l’Eglise a été entravée dans sa mission d’évangéliser par la confusion qui a suivi le Concile. Y aura-t-il des initiatives au cours de cette Année de la foi pour aider à éliminer une partie de cette confusion ?
– Les problèmes que nous avons eus après que le Concile n’ont pas été causés par le Concile. Le développement de la mentalité sécularisée, par exemple, n’a rien à voir avec le Concile. Il était venu avant le Concile, au 19ème siècle, quand nous avons eu le sécularisme promu par les libéraux, qui niaient le surnaturel et voyaient l’Église seulement comme une institution de charité.
Mais le rôle de l’Eglise n’est pas seulement d’aider dans le domaine social ; sa mission secondaire est de contribuer au « bonum commune » [le bien commun]. Mais la première raison de son existence est de prêcher l’Évangile et donc donner de l’espérance pour le monde. Par conséquent, nous avons une interconnexion entre l’évènement du Concile et les assauts du sécularisme. Les vagues de sécularisme ont commencé à saper l’Eglise bien avant le Concile, mais elles se sont accumulés dans un tsunami en même temps que le grand événement du Concile. En partie à cause de cette coïncidence, un certain type de lsécularisme a alors trouvé son chemin dans les cercles intérieurs de l’Église.
Le résultat est que nous avons maintenant non seulement le sécularisme venant de l’extérieur de l’Eglise, mais nous avons une sorte de libéralisme au sein de l’Eglise, qui nous a fait perdre quelque peu notre chemin. Nous devons nous tourner vers nos propres ressources – les Écritures, les Pères, les enseignements dogmatiques de l’Eglise – et, comme un bon capitaine, barrer le chemin à suivre.
- Comme il continue à y avoir un manque de clarté sur le Concile, notamment dans son interprétation, une encyclique du pape pourrait-elle clarifier les choses ?
– Oui, nous avons besoin d’une interprétation authentique du Magistère du Concile. Le pape a offert une interprétation bonne et fidèle du Concile quand il a dit qu’il n’avait pas créé une nouvelle Eglise. Comme chaque autre Concile œcuménique Vatican II doit être interprété selon la tradition, fondée sur la Révélation et sur l’Écriture.
La grande réussite de Vatican II, c’est qu’il apportait la doctrine de l’Eglise comme un tout ; il procurait une vue d’ensemble. En d’autres termes, il ne soulignait pas seulement certains aspects de la doctrine comme dans d’autres Conciless, mais, plutôt, il résumait les principaux éléments de notre foi. Ce qu’il a dit dans Dei Verbum sur la Révélation divine, par exemple, est un résumé de tout ce qui est dit dans le magistère sur la révélation personnelle. Et dans Lumen Gentium , nous avons une vision globale de toutes les dimensions appartenant à l’ecclésiologie, les sacrements fondés par Jésus-Christ, la hiérarchie, les laïcs, le peuple de Dieu, le corps du Christ, le temple de l’Esprit Saint. Nous avons une ecclésiologie unifiée. Toujours dans Gaudium et spes et dans d’autres documents, nous pouvons dire que le Concile Vatican II rassemblé les éléments de base de notre doctrine en un seul endroit.
- Mais si il présente une telle vue d’ensemble de l’ecclésiologie, pourquoi y a‑t-il des groupes comme la Fraternité Saint-Pie X qui veulent s’en tenir à une « tradition congelée » en quelque sorte, plutôt que de venir à la pleine communion ? Est-ce que cela suggère des erreurs dans cette vision globale ?
– Nous avons des groupes séparatistes, non seulement dans l’aile traditionaliste, mais aussi dans l’aile libérale. Je pense que certains ont développé des ensembles d’idées, qu’ils ont constitué en une idéologie, après quoi ils jugent toutes choses dans le contexte de cet ensemble d’idées. Les traditionalistes, par exemple, se concentrent fortement sur la liturgie. Mais on ne peut pas dire qu’il n’y a qu’une seule forme sous laquelle la liturgie peut être célébrée, que la forme extraordinaire est la seule forme de la messe. Nous ne pouvons pas non plus changer le contenu de la sainte Messe – c’est le même contenu – mais certains éléments de la liturgie se sont développés. Nous avons eu beaucoup de rites, romains, byzantins, etc, et tous sont valables, et tous ont eu une certaine évolution.
- La Fraternité Saint Pie X et certains traditionalistes en communion avec l’Église ont du mal à accepter le fait que nous avons eu dans le passé des Papes qui ont catégoriquement formulé des enseignements qui semblaient être réfutée par le Concile, la liberté religieuse est un exemple. Que voulez-vous dire en réponse à cette préoccupation ?
– Ce n’est pas vrai – c’est une interprétation erronée de l’histoire. Au 19ème siècle, les francs-maçons ou les libéraux interprétaient la liberté religieuse comme la liberté de rejeter la vérité donnée par Dieu. C’est cette fausse notion de la liberté religieuse que les papes du 19e siècle ont rejetée, et le Concile Vatican II répète que nous ne sommes pas libres de rejeter la vérité. C’est à un autre niveau, au niveau des droits de l’homme, que chacun doit être vrai avec lui-même ou elle-même et agir selon sa propre conscience.
Par ailleurs, l’Église ne peut, sur le plan doctrinal, se contredire – c’est impossible. Toute contradiction perçue est causée par une fausse interprétation. Nous ne pouvons pas dire aujourd’hui : « Jésus est le Fils de Dieu, il a une nature divine », et puis demain accepter ce que disaient les ariens [que le Christ était nettement distinct de Dieu le Père]. Cela, ce serait une vraie contradiction.
Ce qu’ils [FSSPX] proposent est, par essence, une tension résultant de l’utilisation de la terminologie, mais l’Eglise ne s’est jamais contredite. Si vous étudiez les textes de différentes époques, de différents contextes, de langues différentes, vous devez le faire sur la base de la doctrine catholique établie.
- Acceptez-vous néanmoins le fait qu’il y a eu un affaiblissement de l’enseignement de l’Eglise à cause de cette confusion sous-jacente dans la terminologie ? Un exemple parfois cité est que l’enseignement de « pas de salut hors de l’Eglise » semble être devenu moins important.
– Cela a été discuté, mais là aussi, il y a eu un développement de tout ce qui a été dit dans l’Eglise, à commencer par saint Cyprien, l’un des Pères de l’Église, au troisième siècle. Encore une fois, la perspective est différente entre alors et maintenant. Au troisième siècle, certains groupes chrétiens voulaient être hors de l’Église, et ce que dit saint Cyprien, c’est que sans l’Eglise, un chrétien ne peut pas être sauvé. Le Concile Vatican II a aussi dit ceci : Lumen Gentium 14 dit : «. Quiconque, donc, sachant que l’Eglise catholique a été rendue nécessaire par le Christ, refuserait d’entrer ou de demeurer en elle, ne pourrait pas être sauvé ». Celui qui est conscient de la présence de la Révélation est obligé dans sa conscience d’appartenir publiquement – et pas seulement dans sa conscience, dans son cœur – à l’Eglise catholique en restant en communion avec le Pape et les évêques qui sont en communion avec lui.
Mais on ne peut pas dire que ceux qui, sans que ce soit de leur faute, sont ignorants de cette vérité sont nécessairement condamnées pour ce motif. Nous devons espérer que ceux qui n’appartiennent pas à l’Eglise sans aucune faute de leur part, mais qui suivent les préceptes de la conscience que Dieu leur a donnée, seront sauvés par Jésus-Christ, qu’ils ne connaissent pas encore. Toute personne a le droit d’agir selon sa propre conscience. Toutefois, si un catholique affirme aujourd’hui : « Je vais me mettre hors de l’Église,« nous aurions à lui répondre que, sans l’Eglise, cette personne est en danger de perdre le salut.
Par conséquent, nous devons toujours examiner le contexte de ces déclarations. Le problème que beaucoup de gens ont, c’est qu’ils lient des déclarations de doctrine de siècles différents et dans des contextes différents – et cela ne peut être fait de façon rationnelle, sans une herméneutique de l’interprétation. Nous avons besoin d’une herméneutique théologique pour une interprétation authentique, mais l’interprétation ne modifie pas le contenu de l’enseignement.
Deuxième partie – Mgr Müller sur la FSSPX et sur ses écrits controversés
Dans la deuxième partie de cet entretien avec Mgr Gerhard Ludwig Müller, le nouveau préfet de la CDF discute des derniers efforts pour ramener la Fraternité Saint-Pie X dans la pleine communion avec l’Église, la situation actuelle concernant la LCWR, et répond à ce que certains considèrent comme des polémiques sur plusieurs de ses écrits antérieurs sur la virginité perpétuelle de la Bienheureuse Vierge Marie et l’Eucharistie.
- À quelle étape en sommes-nous dans le dialogue entre le Vatican et la Fraternité Saint-Pie X ?
– Je n’appellerais pas cela un dialogue entre deux partenaires dans l’Eglise. Il s’agissait d’un colloque fraternel pour surmonter les difficultés avec une interprétation authentique de la doctrine catholique. Cette interprétation authentique est garantie par le pape. La FSSPX doit accepter le Saint-Père, le Pape, en tant que chef visible de l’Eglise. Ils ont un grand respect pour la Tradition. Ils doivent donc accepter la position du Pape comme indiqué dans le premier concile du Vatican. Ils doivent aussi accepter les prises de position doctrinales apportées depuis le Concile Vatican II, qui ont été autorisés officiellement par le Pape.
Une partie du problème est que, après 30 années ou plus de séparation de l’Eglise, certains groupes ou personnes peuvent être très fermés dans leur propre dynamique, dans leurs propres groupes, et très fixés sur ces points. Je crois que ces questions seront résolues dans le long terme.
- La réconciliation est-elle possible avec l’évêque Richard Williamson au sein de la Fraternité ?
– Williamson est un problème distinct de ce processus de réconciliation. Il est tout simplement inacceptable qu’un chrétien ou même plus, un évêque – bien sûr, il n’est pas un évêque catholique, puisqu’un évêque n’est catholique que quand il est en pleine communion avec le Pape, Successeur de Pierre, ce que Williamson n’est pas – nie tout ce que les nazis ont fait contre le peuple juif, leur extermination. Comment est-il possible d’être aussi insensible à ce sujet ? C’est absolument inacceptable, mais c’est un autre problème.
Ils [la FSSPX] doivent accepter la doctrine complète de l’Église catholique : la confession de foi, le Credo, et également accepter le magistère du Pape, ainsi qu’il est authentiquement interprété. Ceci est nécessaire. Ils doivent aussi accepter certaines formes de développement dans la liturgie. Le Saint-Père a reconnu la validité pérenne de la forme extraordinaire de la liturgie, mais ils doivent aussi accepter que la nouvelle forme ordinaire de la liturgie, mise au point après le Concile, est valide et légitime.
- Certains avancent le Concile Vatican II était simplement pastoral et, par conséquent, pas contraignant. Comment réagissez-vous à cela ?
– Le problème ici est l’interprétation du mot « pastoral ». Tous les Conciles sont pastoraux, en ce sens qu’ils sont concernés par le travail de l’Eglise – mais cela ne veut pas dire qu’ils ne sont que « poétique » et donc pas contraignant. Vatican II est un concile œcuménique officiel, et tout ce qui a été dit au Concile est donc contraignant pour tout le monde, mais à des niveaux différents. Nous avons des constitutions dogmatiques, et vous êtes bien sûr obligés de les accepter si vous êtes catholiques. Dei Verbum parle la Révélation divine ; il parle du Dieu trinitaire se révélant lui-même, et de l’Incarnation, comme enseignement fondamental. Ce ne sont pas seulement des enseignements pastoraux – ce sont des éléments fondamentaux de notre foi catholique.
Certains éléments pratiques contenus dans les différents documents pourraient être modifiés, mais le corps de la doctrine du Concile est contraignant pour tout le monde.
- Compte tenu de tout cela, êtes-vous tout de même confiant et optimiste, qu’il y aura une réconciliation avec la Fraternité Saint-Pie X ?
– Je suis toujours confiant dans notre foi, et optimiste. Nous devons prier pour la bonne volonté et pour l’unité dans l’Église. La FSSPX n’est pas le seul groupe séparatiste dans l’Église. Il y a pire de l’autre côté aussi. Ces mouvements sont pires, car ils nient souvent l’essentiel du christianisme. Nous devons travailler pour l’unité, et c’est donc aussi ma tâche d’inviter tous à revenir dans la pleine communion avec l’Église catholique, qui est dirigé par le pasteur suprême, le Pape – qui est le vicaire du Christ.
- S’ils reviennent, quels aspects positifs pourraient-ils apporter à l’Eglise ?
– Ils pourraient souligner ce que la Tradition est, mais ils doivent aussi devenir plus large dans leur point de vue, parce que la Tradition apostolique de l’Eglise n’est pas seulement sur quelques éléments. La Tradition de l’Eglise est grande et large. D’autre part, il faut aussi un renouveau dans la célébration de la liturgie, parce que nous avons eu beaucoup d’abus de la liturgie, qui ont endommagé la foi de beaucoup de gens.
- Peut-être pourraient-ils aider à corriger certains abus ?
- Ce n’est pas leur tâche, mais la nôtre. Un extrême ne peut pas être l’équivalent de l’autre. Les extrêmes doivent être corrigées par le centre.
- Il y a eu quelques controverses entourant votre nomination, au sujet de vos enseignements précédents sur Marie et l’Eucharistie. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
[NDLR : Sur la virginité perpétuelle de la Bienheureuse Vierge Marie, Mgr Müller a écrit que la doctrine n’est « pas tellement préoccupés par certaines propriétés physiologiques dans le processus naturel de la naissance (comme le canal de naissance n’ayant pas été ouvert, l’hymen intact, ou l’absence de douleurs de l’enfantement), mais par l’influence salvatrice de la grâce du Sauveur sur la nature humaine ». Sur l’Eucharistie, il a déclaré : « En réalité, le corps et le sang du Christ ne signifient pas les composants matériel de la personne humaine de Jésus pendant sa vie ou dans sa corporalité transfigurée. Ici, le corps et le sang signifie la présence du Christ dans les signes au moyen du pain et du vin ».]
- Il ne s’agissait pas tant de critiques que de provocations infondées visant à me discréditer, mais tout le monde peut lire ce que j’ai écrit dans son contexte et de manière systématique. Pourquoi aurais-je nié la doctrine de la transsubstantiation ou la virginité perpétuelle de Marie ? J’ai écrit des livres entiers en défense de ces doctrines. En ce qui concerne les miracles, nous devons nous rappeler que l’objet primaire de notre foi, c’est l’action de Dieu ; l’objet secondaire est ce que Dieu a fait inclusivement dans la dimension matérielle. Il ne suffit pas de dire que les miracles sont une action inexplicable – quelque chose de tout à fait exceptionnel dans le monde matériel – qui prouve l’existence de Dieu. Au contraire, les miracles accomplis par Jésus révèlent qu’il est notre divin Sauveur qui est venu pour guérir un monde blessé par le péché.
Ainsi, par exemple, lorsque Jésus accomplit un miracle, comme la guérison du malade, le premier aspect à considérer n’est pas la simple suspension de l’ordre naturel. La première priorité est d’examiner le fait que Dieu a guéri de cette personne qui avait besoin d’être guéri ; la suspension des lois de la nature est une conséquence de cette intervention divine. Souvent, les gens ne comprennent pas ce point de vue de la foi.
- Certains ont suggéré que vous tentiez de repousser les limites, d’aller jusqu’à de nouvelles idées, comme les chercheurs font souvent. Est-ce que cela a quelque chose à voir avec la polémique ?
– Voyez-vous, la base de notre foi, c’est la révélation. Mais nous avons besoin d’explications théologiques, d’interprétations, d’expliquer la vérité historique de la révélation, et de la présenter et la défendre contre les erreurs et les hérésies. Ainsi, par exemple, les dogmes christologiques des premiers conciles étaient absolument nécessaires pour expliquer d’une autre manière les vérités au sujet du Christ témoignées par et contenues dans le Nouveau Testament. Si vous voulez conserver le contenu de la vérité dans d’autres contextes, il faut parfois expliquer dans d’autres catégories.
Dans l’Evangile, Jésus a dit : « Ceci est mon sang, ceci est mon corps ». Quel est le sens de cela ? Cela se réfère à la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, mais dans le Nouveau Testament, vous ne trouvez pas cette expression – « présence réelle ». Il s’agit d’un terme théologique ultérieur pour expliquer la vérité contenue dans l’Evangile. Ensuite, dans le contexte des 12e et 13e siècles, l’Église a dû défendre la doctrine de la Présence Réelle, et elle l’a fait en l’exprimant en termes philosophiques pour expliquer la différence entre la substance et l’apparence. Telle est la doctrine de la transsubstantiation – un mot que vous ne trouverez pas dans le Nouveau Testament, mais qui était nécessaire pour expliquer et défendre ce qui a été révélé dans le Nouveau Testament. Souvent, les gens ne comprennent pas la relation entre révélation et théologie.
- Enfin, quelle est la situation en ce qui concerne la Leadership Conference of Women Religious(LCWR)? La Congrégation a récemment publié une évaluation doctrinale pour un renouvellement de cette organisation américaine. Y‑a-t-il un conflit persistant entre la CDF et l’organisation ?
– Il n’y a pas de lutte entre le Saint-Siège et cette organisation, mais nous voulons aider la LCWR dans son renouveau de la vie religieuse – précisément en raison de l’importance de la vie religieuse pour l’Eglise. De nos jours, un tel renouveau ne sera possible que s’il y a un engagement renouvelé pour les trois vœux [chasteté, pauvreté et obéissance] et une nouvelle identification avec notre foi et la vie catholique. Nous ne pouvons pas accomplir notre mission si nous sommes divisés, chacun parlant contre l’autre, travaillant contre l’autre, ou d’accepter des idées venant de l’extérieur qui n’appartiennent pas à notre foi. Et nous ne pouvons pas accepter des doctrines sur la sexualité qui ne respectent pas les bases fondamentales de l’anthropologie révélée. Il nous faut donc trouver de nouvelles façons de servir la société d’aujourd’hui, ne pas perdre notre temps en « guerres civiles » à l’intérieur de l’Église catholique. Nous devons travailler ensemble et avoir confiance.
Mais il est important de se rappeler qu’à aucun moment dans l’histoire de l’Eglise, un groupe ou un mouvement dans un pays n’a réussi quand il a pris une attitude contre Rome, quand il a été « anti-Rome ». Se placer contre « Rome » n’a jamais apporté de réforme authentique ou de renouvellement de l’Église. Ce n’est que par un engagement renouvelé dans le plein enseignement du Christ et de son Église, et par un esprit renouvelé de collaboration avec le Saint-Père et les évêques en communion avec lui, qu’il y aura un renouvellement et une vie nouvelle dans l’Église catholique et une nouvelle évangélisation de notre société. Prêcher l’Evangile du Christ à un monde fatigué, qui a désespérément besoin de sa vérité libératrice – ce doit être notre priorité.
Edward Pentin, correspondant à Rome du National catholic Register.
Traduction française : Benoit et moi