Entretien en deux parties de Mgr Gerhard Müller à New Catholic Register

Répondant aux ques­tions du National Catholic Register, le nou­veau pré­fet de la CDF s’ex­plique sur tout, et en par­ti­cu­lier, ses écrits polé­miques et les dis­cus­sions avec la FSSPX. L’interviewe, en deux par­ties, a été réa­li­sée en sep­tembre, et la deuxième par­tie a été publiée le 4 octobre.

Première Partie – Mgr Gerhard Müller : « L’Eglise n’est pas une forteresse »

Dans un entre­tien exclu­sif en deux par­ties avec National Catholic Register, le nou­veau pré­fet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi parle de son nou­veau job et sou­ligne le mes­sage posi­tif d’es­poir de l’Eglise.

Le 2 Juillet, le Vatican a annon­cé que le pape Benoît XVI avait nom­mé Mgr Gerhard Müller comme nou­veau pré­fet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, sans doute le plus influent et pres­ti­gieux de tous les dicas­tères du Vatican. Le’homme de 64 ans, natif de Mayence, en Allemagne cen­trale a ensuite été éle­vé au rang d’ar­che­vêque et fait office pré­sident de la Commission biblique pon­ti­fi­cale et de la Commission théo­lo­gique inter­na­tio­nale. Il dirige aus­si à pré­sent la Commission pon­ti­fi­cale Ecclesia Dei – l’or­gane char­gé de rame­ner la Fraternité Saint-​Pie X en com­mu­nion avec Rome.

Dans cette inter­view exclu­sive, don­née le mois der­nier à la Congrégation, Mgr Müller nous parle de son nou­veau rôle et com­ment il espère tra­vailler avec le Saint-​Père. Il réflé­chit éga­le­ment sur le Concile Vatican II, aborde les dis­cus­sions déli­cates avec la FSSPX, explique ses décla­ra­tions sur Marie et sur l’Eucharistie qui ont pro­vo­qué une polé­mique dans cer­tains milieux, et pro­pose une mise à jour sur la situa­tion actuelle concer­nant les pour­par­lers entre la congré­ga­tion et la Leadership Conference of Women Religious.

- Comment vous êtes-​vous ins­tal­lé dans votre poste, et quelles sont vos impres­sions sur celui-​ci, main­te­nant que vous êtes arri­vé à Rome ?
– Jusqu’ici, tout va bien ! Nous avons beau­coup de tra­vail et beau­coup de pro­blèmes à résoudre, mais je ne suis pas ici pour des vacances ! Je suis venu ici pour aider le Saint-​Père et tra­vailler pour le Royaume de Dieu. Nous croyons que Jésus-​Christ a fon­dé son Eglise sur le rocher de Saint-​Pierre. Certes, le Saint-​Père compte sur l’aide des congré­ga­tions et des dicas­tères de la Curie romaine, en par­ti­cu­lier notre dicas­tère, qui concerne la pro­mo­tion de notre foi en Jésus-​Christ, ce que nous croyons dans le Credo.

- Vous connais­sez le Saint-​Père depuis un cer­tain temps. A quoi res­semble votre rela­tion de tra­vail avec lui ?
– Nous avons une rela­tion pro­fes­sion­nelle, et j’ai main­te­nant des audiences régu­lières avec le Saint Père. Mais avant ma nomi­na­tion ici, j’ai déjà eu beau­coup affaire avec le théo­lo­gien Joseph Ratzinger, et main­te­nant je suis le cura­teur (res­pon­sable de la publi­ca­tion) de ses œuvres com­plètes, qui nous l’es­pé­rons seront éga­le­ment publié en anglais sous peu. Nous avons donc été liés pen­dant une longue période, ce qui nous aide à conti­nuer à tra­vailler ensemble. J’ai éga­le­ment tra­vaillé en étroite col­la­bo­ra­tion avec lui à la Commission théo­lo­gique inter­na­tio­nale, dont il était le président.

- La nomi­na­tion a‑t-​elle été une sur­prise pour vous ?
– Étant don­né que j’a­vais été un membre de cette congré­ga­tion pen­dant un cer­tain nombre d’an­nées, et que j’a­vais été un pro­fes­seur de dog­ma­tique durant les années avant, ce n’é­tait pas tout à fait sur­pre­nant. Il y a, bien sûr, beau­coup d’autres per­sonnes qui auraient pu être nom­més, mais je suis le cura­teur de ses œuvres com­plètes, il me connaît très bien, et il sait où je me situe sur les choses – et donc le pape a déci­dé de me nommer.

- Est-​ce que le Saint-​Père vous donne beau­coup de liber­té dans votre travail ?
– Le Saint-​Père me don­ne­ra pour ma part toute la liber­té dont j’ai besoin, et il n’y a pas d’op­po­si­tion ou de contra­dic­tion, parce que nos rôles res­pec­tifs sont très clairs. Le Saint-​Père est le Successeur de Pierre, le Vicaire du Christ. Je suis un évêque, et dans cette posi­tion de res­pon­sa­bi­li­té, je suis char­gé d’as­sis­ter le Saint-​Père dans ce domaine spé­ci­fique de com­pé­tence. Le Pape doit défendre et pro­mou­voir la foi catho­lique ; la seule rai­son de l’exis­tence de cette congré­ga­tion est d’ai­der le Saint-​Père dans cette tâche. Nous ne sommes pas ici pour nous acquit­ter de nos propres acti­vi­tés ou de faire nos propres juge­ments en dehors de lui. Ce serait abso­lu­ment contraire à notre mission.

- Quelles seront vos prio­ri­tés en tant que pré­fet, en termes de défendre la doc­trine ? Est-​ce que votre objec­tif prin­ci­pal, par exemple, sera l’Europe post-chrétienne ?
- La défense de la foi est la deuxième tâche que nous avons. Notre pre­mier rôle est de pro­mou­voir la foi. L’Eglise n’est pas une for­te­resse, mais, plu­tôt, un sacre­ment, un signe, un sym­bole et un ins­tru­ment de salut pour tous les hommes. Les apôtres ont été envoyés dans le monde pour prê­cher l’Evangile et pour édi­fier et redon­ner espoir aux gens. Donc, nous sommes les témoins et les mis­sion­naires de la foi, l’es­pé­rance et l’a­mour, et c’est la pre­mière tâche de toute l’Église.
Le rôle de la congré­ga­tion, par consé­quent, est d’a­bord et avant tout d’ap­puyer cette mis­sion de toute l’Église. Bien sûr, faire cela aujourd’­hui signi­fie que nous devons défendre la foi contre l’as­saut du sécu­la­risme et du maté­ria­lisme, qui nie la dimen­sion trans­cen­dante de l’exis­tence humaine et fausse donc l’o­rien­ta­tion éthique, morale et intel­lec­tuelle de la société.

- L’Année de la Foi com­mence le 11 octobre. Quel sera votre rôle durant cette année spéciale ?
– Il y aura le Synode des Évêques sur l’Année de la foi, auquel je vais par­ti­ci­per, mais évi­dem­ment, la Congrégation a ses propres prio­ri­tés. Par-​dessus tout, nous devons rele­ver les défis posés par ce qu’on nomme le nou­vel athéisme, qui en réa­li­té est agres­sif dans son into­lé­rance du chris­tia­nisme. Les nou­veaux athées veulent éta­blir un monde sans Dieu, que nous ne pour­rons jamais accep­ter. L’Eglise a besoin de retrou­ver sa confiance et trou­ver encore une fois son propre rôle dans ce monde. Nous devons ces­ser de regar­der à l’in­té­rieur, vers nous-​mêmes, dis­cu­tant tou­jours des mêmes ques­tions inter-​ecclésiales. Nous devons concen­trer nos forces sur la nou­velle évan­gé­li­sa­tion, sur­tout dans les vieux pays chré­tiens d’Occident, qui ont un peu per­du leur chemin.

- Le 50e anni­ver­saire de l’ou­ver­ture du Concile Vatican II a éga­le­ment lieu le 11 octobre. Certains diront que l’Eglise a été entra­vée dans sa mis­sion d’é­van­gé­li­ser par la confu­sion qui a sui­vi le Concile. Y aura-​t-​il des ini­tia­tives au cours de cette Année de la foi pour aider à éli­mi­ner une par­tie de cette confusion ?
– Les pro­blèmes que nous avons eus après que le Concile n’ont pas été cau­sés par le Concile. Le déve­lop­pe­ment de la men­ta­li­té sécu­la­ri­sée, par exemple, n’a rien à voir avec le Concile. Il était venu avant le Concile, au 19ème siècle, quand nous avons eu le sécu­la­risme pro­mu par les libé­raux, qui niaient le sur­na­tu­rel et voyaient l’Église seule­ment comme une ins­ti­tu­tion de charité.
Mais le rôle de l’Eglise n’est pas seule­ment d’ai­der dans le domaine social ; sa mis­sion secon­daire est de contri­buer au « bonum com­mune » [le bien com­mun]. Mais la pre­mière rai­son de son exis­tence est de prê­cher l’Évangile et donc don­ner de l’es­pé­rance pour le monde. Par consé­quent, nous avons une inter­con­nexion entre l’é­vè­ne­ment du Concile et les assauts du sécu­la­risme. Les vagues de sécu­la­risme ont com­men­cé à saper l’Eglise bien avant le Concile, mais elles se sont accu­mu­lés dans un tsu­na­mi en même temps que le grand évé­ne­ment du Concile. En par­tie à cause de cette coïn­ci­dence, un cer­tain type de lsé­cu­la­risme a alors trou­vé son che­min dans les cercles inté­rieurs de l’Église.
Le résul­tat est que nous avons main­te­nant non seule­ment le sécu­la­risme venant de l’ex­té­rieur de l’Eglise, mais nous avons une sorte de libé­ra­lisme au sein de l’Eglise, qui nous a fait perdre quelque peu notre che­min. Nous devons nous tour­ner vers nos propres res­sources – les Écritures, les Pères, les ensei­gne­ments dog­ma­tiques de l’Eglise – et, comme un bon capi­taine, bar­rer le che­min à suivre.

- Comme il conti­nue à y avoir un manque de clar­té sur le Concile, notam­ment dans son inter­pré­ta­tion, une ency­clique du pape pourrait-​elle cla­ri­fier les choses ?
– Oui, nous avons besoin d’une inter­pré­ta­tion authen­tique du Magistère du Concile. Le pape a offert une inter­pré­ta­tion bonne et fidèle du Concile quand il a dit qu’il n’a­vait pas créé une nou­velle Eglise. Comme chaque autre Concile œcu­mé­nique Vatican II doit être inter­pré­té selon la tra­di­tion, fon­dée sur la Révélation et sur l’Écriture.
La grande réus­site de Vatican II, c’est qu’il appor­tait la doc­trine de l’Eglise comme un tout ; il pro­cu­rait une vue d’en­semble. En d’autres termes, il ne sou­li­gnait pas seule­ment cer­tains aspects de la doc­trine comme dans d’autres Conciless, mais, plu­tôt, il résu­mait les prin­ci­paux élé­ments de notre foi. Ce qu’il a dit dans Dei Verbum sur la Révélation divine, par exemple, est un résu­mé de tout ce qui est dit dans le magis­tère sur la révé­la­tion per­son­nelle. Et dans Lumen Gentium , nous avons une vision glo­bale de toutes les dimen­sions appar­te­nant à l’ec­clé­sio­lo­gie, les sacre­ments fon­dés par Jésus-​Christ, la hié­rar­chie, les laïcs, le peuple de Dieu, le corps du Christ, le temple de l’Esprit Saint. Nous avons une ecclé­sio­lo­gie uni­fiée. Toujours dans Gaudium et spes et dans d’autres docu­ments, nous pou­vons dire que le Concile Vatican II ras­sem­blé les élé­ments de base de notre doc­trine en un seul endroit.

- Mais si il pré­sente une telle vue d’en­semble de l’ec­clé­sio­lo­gie, pour­quoi y a‑t-​il des groupes comme la Fraternité Saint-​Pie X qui veulent s’en tenir à une « tra­di­tion conge­lée » en quelque sorte, plu­tôt que de venir à la pleine com­mu­nion ? Est-​ce que cela sug­gère des erreurs dans cette vision globale ?
– Nous avons des groupes sépa­ra­tistes, non seule­ment dans l’aile tra­di­tio­na­liste, mais aus­si dans l’aile libé­rale. Je pense que cer­tains ont déve­lop­pé des ensembles d’i­dées, qu’ils ont consti­tué en une idéo­lo­gie, après quoi ils jugent toutes choses dans le contexte de cet ensemble d’i­dées. Les tra­di­tio­na­listes, par exemple, se concentrent for­te­ment sur la litur­gie. Mais on ne peut pas dire qu’il n’y a qu’une seule forme sous laquelle la litur­gie peut être célé­brée, que la forme extra­or­di­naire est la seule forme de la messe. Nous ne pou­vons pas non plus chan­ger le conte­nu de la sainte Messe – c’est le même conte­nu – mais cer­tains élé­ments de la litur­gie se sont déve­lop­pés. Nous avons eu beau­coup de rites, romains, byzan­tins, etc, et tous sont valables, et tous ont eu une cer­taine évolution.

- La Fraternité Saint Pie X et cer­tains tra­di­tio­na­listes en com­mu­nion avec l’Église ont du mal à accep­ter le fait que nous avons eu dans le pas­sé des Papes qui ont caté­go­ri­que­ment for­mu­lé des ensei­gne­ments qui sem­blaient être réfu­tée par le Concile, la liber­té reli­gieuse est un exemple. Que voulez-​vous dire en réponse à cette préoccupation ?
– Ce n’est pas vrai – c’est une inter­pré­ta­tion erro­née de l’his­toire. Au 19ème siècle, les francs-​maçons ou les libé­raux inter­pré­taient la liber­té reli­gieuse comme la liber­té de reje­ter la véri­té don­née par Dieu. C’est cette fausse notion de la liber­té reli­gieuse que les papes du 19e siècle ont reje­tée, et le Concile Vatican II répète que nous ne sommes pas libres de reje­ter la véri­té. C’est à un autre niveau, au niveau des droits de l’homme, que cha­cun doit être vrai avec lui-​même ou elle-​même et agir selon sa propre conscience.
Par ailleurs, l’Église ne peut, sur le plan doc­tri­nal, se contre­dire – c’est impos­sible. Toute contra­dic­tion per­çue est cau­sée par une fausse inter­pré­ta­tion. Nous ne pou­vons pas dire aujourd’­hui : « Jésus est le Fils de Dieu, il a une nature divine », et puis demain accep­ter ce que disaient les ariens [que le Christ était net­te­ment dis­tinct de Dieu le Père]. Cela, ce serait une vraie contradiction.
Ce qu’ils [FSSPX] pro­posent est, par essence, une ten­sion résul­tant de l’u­ti­li­sa­tion de la ter­mi­no­lo­gie, mais l’Eglise ne s’est jamais contre­dite. Si vous étu­diez les textes de dif­fé­rentes époques, de dif­fé­rents contextes, de langues dif­fé­rentes, vous devez le faire sur la base de la doc­trine catho­lique établie.

- Acceptez-​vous néan­moins le fait qu’il y a eu un affai­blis­se­ment de l’en­sei­gne­ment de l’Eglise à cause de cette confu­sion sous-​jacente dans la ter­mi­no­lo­gie ? Un exemple par­fois cité est que l’en­sei­gne­ment de « pas de salut hors de l’Eglise » semble être deve­nu moins important.
– Cela a été dis­cu­té, mais là aus­si, il y a eu un déve­lop­pe­ment de tout ce qui a été dit dans l’Eglise, à com­men­cer par saint Cyprien, l’un des Pères de l’Église, au troi­sième siècle. Encore une fois, la pers­pec­tive est dif­fé­rente entre alors et main­te­nant. Au troi­sième siècle, cer­tains groupes chré­tiens vou­laient être hors de l’Église, et ce que dit saint Cyprien, c’est que sans l’Eglise, un chré­tien ne peut pas être sau­vé. Le Concile Vatican II a aus­si dit ceci : Lumen Gentium 14 dit : «. Quiconque, donc, sachant que l’Eglise catho­lique a été ren­due néces­saire par le Christ, refu­se­rait d’en­trer ou de demeu­rer en elle, ne pour­rait pas être sau­vé ». Celui qui est conscient de la pré­sence de la Révélation est obli­gé dans sa conscience d’ap­par­te­nir publi­que­ment – et pas seule­ment dans sa conscience, dans son cœur – à l’Eglise catho­lique en res­tant en com­mu­nion avec le Pape et les évêques qui sont en com­mu­nion avec lui.
Mais on ne peut pas dire que ceux qui, sans que ce soit de leur faute, sont igno­rants de cette véri­té sont néces­sai­re­ment condam­nées pour ce motif. Nous devons espé­rer que ceux qui n’ap­par­tiennent pas à l’Eglise sans aucune faute de leur part, mais qui suivent les pré­ceptes de la conscience que Dieu leur a don­née, seront sau­vés par Jésus-​Christ, qu’ils ne connaissent pas encore. Toute per­sonne a le droit d’a­gir selon sa propre conscience. Toutefois, si un catho­lique affirme aujourd’­hui : « Je vais me mettre hors de l’Église,« nous aurions à lui répondre que, sans l’Eglise, cette per­sonne est en dan­ger de perdre le salut.
Par consé­quent, nous devons tou­jours exa­mi­ner le contexte de ces décla­ra­tions. Le pro­blème que beau­coup de gens ont, c’est qu’ils lient des décla­ra­tions de doc­trine de siècles dif­fé­rents et dans des contextes dif­fé­rents – et cela ne peut être fait de façon ration­nelle, sans une her­mé­neu­tique de l’in­ter­pré­ta­tion. Nous avons besoin d’une her­mé­neu­tique théo­lo­gique pour une inter­pré­ta­tion authen­tique, mais l’in­ter­pré­ta­tion ne modi­fie pas le conte­nu de l’enseignement.

Deuxième partie – Mgr Müller sur la FSSPX et sur ses écrits controversés

Dans la deuxième par­tie de cet entre­tien avec Mgr Gerhard Ludwig Müller, le nou­veau pré­fet de la CDF dis­cute des der­niers efforts pour rame­ner la Fraternité Saint-​Pie X dans la pleine com­mu­nion avec l’Église, la situa­tion actuelle concer­nant la LCWR, et répond à ce que cer­tains consi­dèrent comme des polé­miques sur plu­sieurs de ses écrits anté­rieurs sur la vir­gi­ni­té per­pé­tuelle de la Bienheureuse Vierge Marie et l’Eucharistie.

- À quelle étape en sommes-​nous dans le dia­logue entre le Vatican et la Fraternité Saint-​Pie X ?
– Je n’ap­pel­le­rais pas cela un dia­logue entre deux par­te­naires dans l’Eglise. Il s’a­gis­sait d’un col­loque fra­ter­nel pour sur­mon­ter les dif­fi­cul­tés avec une inter­pré­ta­tion authen­tique de la doc­trine catho­lique. Cette inter­pré­ta­tion authen­tique est garan­tie par le pape. La FSSPX doit accep­ter le Saint-​Père, le Pape, en tant que chef visible de l’Eglise. Ils ont un grand res­pect pour la Tradition. Ils doivent donc accep­ter la posi­tion du Pape comme indi­qué dans le pre­mier concile du Vatican. Ils doivent aus­si accep­ter les prises de posi­tion doc­tri­nales appor­tées depuis le Concile Vatican II, qui ont été auto­ri­sés offi­ciel­le­ment par le Pape.
Une par­tie du pro­blème est que, après 30 années ou plus de sépa­ra­tion de l’Eglise, cer­tains groupes ou per­sonnes peuvent être très fer­més dans leur propre dyna­mique, dans leurs propres groupes, et très fixés sur ces points. Je crois que ces ques­tions seront réso­lues dans le long terme.

- La récon­ci­lia­tion est-​elle pos­sible avec l’é­vêque Richard Williamson au sein de la Fraternité ?
– Williamson est un pro­blème dis­tinct de ce pro­ces­sus de récon­ci­lia­tion. Il est tout sim­ple­ment inac­cep­table qu’un chré­tien ou même plus, un évêque – bien sûr, il n’est pas un évêque catho­lique, puis­qu’un évêque n’est catho­lique que quand il est en pleine com­mu­nion avec le Pape, Successeur de Pierre, ce que Williamson n’est pas – nie tout ce que les nazis ont fait contre le peuple juif, leur exter­mi­na­tion. Comment est-​il pos­sible d’être aus­si insen­sible à ce sujet ? C’est abso­lu­ment inac­cep­table, mais c’est un autre problème.
Ils [la FSSPX] doivent accep­ter la doc­trine com­plète de l’Église catho­lique : la confes­sion de foi, le Credo, et éga­le­ment accep­ter le magis­tère du Pape, ain­si qu’il est authen­ti­que­ment inter­pré­té. Ceci est néces­saire. Ils doivent aus­si accep­ter cer­taines formes de déve­lop­pe­ment dans la litur­gie. Le Saint-​Père a recon­nu la vali­di­té pérenne de la forme extra­or­di­naire de la litur­gie, mais ils doivent aus­si accep­ter que la nou­velle forme ordi­naire de la litur­gie, mise au point après le Concile, est valide et légitime.

- Certains avancent le Concile Vatican II était sim­ple­ment pas­to­ral et, par consé­quent, pas contrai­gnant. Comment réagissez-​vous à cela ?
– Le pro­blème ici est l’in­ter­pré­ta­tion du mot « pas­to­ral ». Tous les Conciles sont pas­to­raux, en ce sens qu’ils sont concer­nés par le tra­vail de l’Eglise – mais cela ne veut pas dire qu’ils ne sont que « poé­tique » et donc pas contrai­gnant. Vatican II est un concile œcu­mé­nique offi­ciel, et tout ce qui a été dit au Concile est donc contrai­gnant pour tout le monde, mais à des niveaux dif­fé­rents. Nous avons des consti­tu­tions dog­ma­tiques, et vous êtes bien sûr obli­gés de les accep­ter si vous êtes catho­liques. Dei Verbum parle la Révélation divine ; il parle du Dieu tri­ni­taire se révé­lant lui-​même, et de l’Incarnation, comme ensei­gne­ment fon­da­men­tal. Ce ne sont pas seule­ment des ensei­gne­ments pas­to­raux – ce sont des élé­ments fon­da­men­taux de notre foi catholique.
Certains élé­ments pra­tiques conte­nus dans les dif­fé­rents docu­ments pour­raient être modi­fiés, mais le corps de la doc­trine du Concile est contrai­gnant pour tout le monde.

- Compte tenu de tout cela, êtes-​vous tout de même confiant et opti­miste, qu’il y aura une récon­ci­lia­tion avec la Fraternité Saint-​Pie X ?
– Je suis tou­jours confiant dans notre foi, et opti­miste. Nous devons prier pour la bonne volon­té et pour l’u­ni­té dans l’Église. La FSSPX n’est pas le seul groupe sépa­ra­tiste dans l’Église. Il y a pire de l’autre côté aus­si. Ces mou­ve­ments sont pires, car ils nient sou­vent l’es­sen­tiel du chris­tia­nisme. Nous devons tra­vailler pour l’u­ni­té, et c’est donc aus­si ma tâche d’in­vi­ter tous à reve­nir dans la pleine com­mu­nion avec l’Église catho­lique, qui est diri­gé par le pas­teur suprême, le Pape – qui est le vicaire du Christ.

- S’ils reviennent, quels aspects posi­tifs pourraient-​ils appor­ter à l’Eglise ?
– Ils pour­raient sou­li­gner ce que la Tradition est, mais ils doivent aus­si deve­nir plus large dans leur point de vue, parce que la Tradition apos­to­lique de l’Eglise n’est pas seule­ment sur quelques élé­ments. La Tradition de l’Eglise est grande et large. D’autre part, il faut aus­si un renou­veau dans la célé­bra­tion de la litur­gie, parce que nous avons eu beau­coup d’a­bus de la litur­gie, qui ont endom­ma­gé la foi de beau­coup de gens.

- Peut-​être pourraient-​ils aider à cor­ri­ger cer­tains abus ?
- Ce n’est pas leur tâche, mais la nôtre. Un extrême ne peut pas être l’é­qui­valent de l’autre. Les extrêmes doivent être cor­ri­gées par le centre.

- Il y a eu quelques contro­verses entou­rant votre nomi­na­tion, au sujet de vos ensei­gne­ments pré­cé­dents sur Marie et l’Eucharistie. Pourriez-​vous nous en dire plus à ce sujet ?

[NDLR : Sur la vir­gi­ni­té per­pé­tuelle de la Bienheureuse Vierge Marie, Mgr Müller a écrit que la doc­trine n’est « pas tel­le­ment pré­oc­cu­pés par cer­taines pro­prié­tés phy­sio­lo­giques dans le pro­ces­sus natu­rel de la nais­sance (comme le canal de nais­sance n’ayant pas été ouvert, l’hy­men intact, ou l’ab­sence de dou­leurs de l’en­fan­te­ment), mais par l’in­fluence sal­va­trice de la grâce du Sauveur sur la nature humaine ». Sur l’Eucharistie, il a décla­ré : « En réa­li­té, le corps et le sang du Christ ne signi­fient pas les com­po­sants maté­riel de la per­sonne humaine de Jésus pen­dant sa vie ou dans sa cor­po­ra­li­té trans­fi­gu­rée. Ici, le corps et le sang signi­fie la pré­sence du Christ dans les signes au moyen du pain et du vin ».]

- Il ne s’a­gis­sait pas tant de cri­tiques que de pro­vo­ca­tions infon­dées visant à me dis­cré­di­ter, mais tout le monde peut lire ce que j’ai écrit dans son contexte et de manière sys­té­ma­tique. Pourquoi aurais-​je nié la doc­trine de la trans­sub­stan­tia­tion ou la vir­gi­ni­té per­pé­tuelle de Marie ? J’ai écrit des livres entiers en défense de ces doc­trines. En ce qui concerne les miracles, nous devons nous rap­pe­ler que l’ob­jet pri­maire de notre foi, c’est l’ac­tion de Dieu ; l’ob­jet secon­daire est ce que Dieu a fait inclu­si­ve­ment dans la dimen­sion maté­rielle. Il ne suf­fit pas de dire que les miracles sont une action inex­pli­cable – quelque chose de tout à fait excep­tion­nel dans le monde maté­riel – qui prouve l’exis­tence de Dieu. Au contraire, les miracles accom­plis par Jésus révèlent qu’il est notre divin Sauveur qui est venu pour gué­rir un monde bles­sé par le péché.
Ainsi, par exemple, lorsque Jésus accom­plit un miracle, comme la gué­ri­son du malade, le pre­mier aspect à consi­dé­rer n’est pas la simple sus­pen­sion de l’ordre natu­rel. La pre­mière prio­ri­té est d’exa­mi­ner le fait que Dieu a gué­ri de cette per­sonne qui avait besoin d’être gué­ri ; la sus­pen­sion des lois de la nature est une consé­quence de cette inter­ven­tion divine. Souvent, les gens ne com­prennent pas ce point de vue de la foi.

- Certains ont sug­gé­ré que vous ten­tiez de repous­ser les limites, d’al­ler jus­qu’à de nou­velles idées, comme les cher­cheurs font sou­vent. Est-​ce que cela a quelque chose à voir avec la polémique ?
– Voyez-​vous, la base de notre foi, c’est la révé­la­tion. Mais nous avons besoin d’ex­pli­ca­tions théo­lo­giques, d’in­ter­pré­ta­tions, d’ex­pli­quer la véri­té his­to­rique de la révé­la­tion, et de la pré­sen­ter et la défendre contre les erreurs et les héré­sies. Ainsi, par exemple, les dogmes chris­to­lo­giques des pre­miers conciles étaient abso­lu­ment néces­saires pour expli­quer d’une autre manière les véri­tés au sujet du Christ témoi­gnées par et conte­nues dans le Nouveau Testament. Si vous vou­lez conser­ver le conte­nu de la véri­té dans d’autres contextes, il faut par­fois expli­quer dans d’autres catégories.
Dans l’Evangile, Jésus a dit : « Ceci est mon sang, ceci est mon corps ». Quel est le sens de cela ? Cela se réfère à la pré­sence réelle du Christ dans l’Eucharistie, mais dans le Nouveau Testament, vous ne trou­vez pas cette expres­sion – « pré­sence réelle ». Il s’a­git d’un terme théo­lo­gique ulté­rieur pour expli­quer la véri­té conte­nue dans l’Evangile. Ensuite, dans le contexte des 12e et 13e siècles, l’Église a dû défendre la doc­trine de la Présence Réelle, et elle l’a fait en l’ex­pri­mant en termes phi­lo­so­phiques pour expli­quer la dif­fé­rence entre la sub­stance et l’ap­pa­rence. Telle est la doc­trine de la trans­sub­stan­tia­tion – un mot que vous ne trou­ve­rez pas dans le Nouveau Testament, mais qui était néces­saire pour expli­quer et défendre ce qui a été révé­lé dans le Nouveau Testament. Souvent, les gens ne com­prennent pas la rela­tion entre révé­la­tion et théologie.

- Enfin, quelle est la situa­tion en ce qui concerne la Leadership Conference of Women Religious(LCWR)? La Congrégation a récem­ment publié une éva­lua­tion doc­tri­nale pour un renou­vel­le­ment de cette orga­ni­sa­tion amé­ri­caine. Y‑a-​t-​il un conflit per­sis­tant entre la CDF et l’organisation ?
– Il n’y a pas de lutte entre le Saint-​Siège et cette orga­ni­sa­tion, mais nous vou­lons aider la LCWR dans son renou­veau de la vie reli­gieuse – pré­ci­sé­ment en rai­son de l’im­por­tance de la vie reli­gieuse pour l’Eglise. De nos jours, un tel renou­veau ne sera pos­sible que s’il y a un enga­ge­ment renou­ve­lé pour les trois vœux [chas­te­té, pau­vre­té et obéis­sance] et une nou­velle iden­ti­fi­ca­tion avec notre foi et la vie catho­lique. Nous ne pou­vons pas accom­plir notre mis­sion si nous sommes divi­sés, cha­cun par­lant contre l’autre, tra­vaillant contre l’autre, ou d’ac­cep­ter des idées venant de l’ex­té­rieur qui n’ap­par­tiennent pas à notre foi. Et nous ne pou­vons pas accep­ter des doc­trines sur la sexua­li­té qui ne res­pectent pas les bases fon­da­men­tales de l’an­thro­po­lo­gie révé­lée. Il nous faut donc trou­ver de nou­velles façons de ser­vir la socié­té d’au­jourd’­hui, ne pas perdre notre temps en « guerres civiles » à l’in­té­rieur de l’Église catho­lique. Nous devons tra­vailler ensemble et avoir confiance.
Mais il est impor­tant de se rap­pe­ler qu’à aucun moment dans l’his­toire de l’Eglise, un groupe ou un mou­ve­ment dans un pays n’a réus­si quand il a pris une atti­tude contre Rome, quand il a été « anti-​Rome ». Se pla­cer contre « Rome » n’a jamais appor­té de réforme authen­tique ou de renou­vel­le­ment de l’Église. Ce n’est que par un enga­ge­ment renou­ve­lé dans le plein ensei­gne­ment du Christ et de son Église, et par un esprit renou­ve­lé de col­la­bo­ra­tion avec le Saint-​Père et les évêques en com­mu­nion avec lui, qu’il y aura un renou­vel­le­ment et une vie nou­velle dans l’Église catho­lique et une nou­velle évan­gé­li­sa­tion de notre socié­té. Prêcher l’Evangile du Christ à un monde fati­gué, qui a déses­pé­ré­ment besoin de sa véri­té libé­ra­trice – ce doit être notre priorité.

Edward Pentin, cor­res­pon­dant à Rome du National catho­lic Register.

Traduction fran­çaise : Benoit et moi