Au Souverain Pontife Benoît XVI, afin qu’il veuille bien promouvoir un examen approfondi du concile pastoral Vatican II.
Très Saint Père,
Mgr Brunero Gherardini, prêtre du diocèse de Prato et chanoine de la Basilique de Saint-Pierre, bien connu comme ancien professeur d’Ecclésiologie à l’Université pontificale du Latran et comme doyen des théologiens italiens, a adressé, en 2009, à Votre Sainteté une très respectueuse et pressante supplique, en vue d’obtenir l’ouverture d’un débat critique sur les textes de VaticanII, un débat critique qui se tiendrait de façon pondérée et publique. A cette démarche s’est associé en 2010 Roberto de Mattei, professeur d’Histoire de l’Eglise et du Christianisme à l’Université européenne de Rome, vice-président du Conseil National de la Recherche.
Dans sa supplique, Mgr Gherardini écrivait :
« Pour le bien de l’Eglise –et plus spécialement pour la réalisation du salut des âmes, qui en est la loi première et la plus haute (cf. CJC de 1983, canon 1752)–, après des décennies de libre créativité exégétique, théologique, historiographique et ‘pastorale’ au nom du concile œcuménique Vatican II, il me paraît urgent qu’un peu de clarté soit faite, en répondant avec autorité à la question de la continuité de ce concile (cette fois-ci, non de façon déclamatoire, mais en proposant une véritable démonstration) avec les autres conciles, à la question de sa fidélité à la Tradition de l’Eglise. » […]
« Il semble, en effet, sinon impossible, du moins très difficile de faire émerger cette herméneutique de continuité [avec tout le Magistère précédent] que vous souhaitez, sans procéder d’abord à une analyse attentive et scientifique du Concile en général, de chacun de ses documents, de chacun des thèmes de ces documents, des sources immédiates et lointaines de ces thèmes et de ces documents… Il serait plutôt vain de continuer à ne parler du Concile qu’en répétant son contenu ou en le présentant comme une nouveauté absolue.
« Mais un examen d’une telle portée dépasse de beaucoup les possibilités d’une seule personne, non seulement parce qu’un même sujet exige des développements à des niveaux différents (historique, patristique, juridique, philosophique, liturgique, théologique, exégétique, sociologique, scientifique), mais aussi parce que chaque document conciliaire touche à des dizaines et des dizaines de sujets, que seuls des spécialistes de chacun de ces sujets sont en mesure d’aborder de façon efficace.
« Il y a déjà longtemps que l’idée (que j’ose à présent soumettre à Votre Sainteté) m’était venue d’une mise au point grandiose, et si possible définitive, sur le dernier concile, concernant chacun de ses aspects et de ses contenus.
« Il paraît, en effet, logique, et il me semble impératif que chacun de ces aspects et contenus soit étudié en soi et dans le contexte de tous les autres, en observant attentivement toutes les sources, et sous l’angle spécifique de la continuité avec le Magistère ecclésiastique précédent, qu’il soit solennel ou ordinaire. A partir d’un travail scientifique et critique aussi ample et irréprochable que possible, en lien avec le Magistère traditionnel de l’Eglise, il sera possible de tirer ensuite matière à une évaluation sûre et objective de Vatican II.
« Ceci permettra de répondre aux questions suivantes, parmi de nombreuses autres :
1) Quelle est la vraie nature de Vatican II ?
2) Quel est le rapport entre son caractère pastoral (dont il faudra préciser avec autorité la notion) et son éventuel caractère dogmatique ? Le pastoral est-il conciliable avec le dogmatique ? Le suppose-t-il ? Le contredit-il ? L’ignore-t-il ?
3) Est-il vraiment possible de définir le concile Vatican II comme ‘dogmatique’ ? Et donc de se référer à lui comme dogmatique ? De fonder sur lui de nouvelles assertions théologiques ? En quel sens ? Dans quelles limites ?
4) Vatican II est-il un ‘événement’ dans le sens de l’école de Bologne, c’est-à-dire qui coupe les liens avec le passé et instaure une ère nouvelle sous tous les aspects ? Ou bien tout le passé revit-il en lui eodem sensu eademque sententia ?
« Il est évident que l’herméneutique de la rupture et celle de la continuité dépendent des réponses qu’on donnera à ces questions. Mais si la conclusion scientifique de l’examen aboutit à admettre l’herméneutique de continuité comme la seule recevable et la seule possible, alors il faudra démontrer (au-delà de toute déclamation) que cette continuité est réelle, qu’elle se manifeste dans l’identité dogmatique de fond.
« Dans le cas où, en tout ou en partie, cette continuité ne pourrait être scientifiquement prouvée, il serait nécessaire de le dire avec sérénité et franchise, en réponse à l’exigence de clarté attendue depuis presque un demi-siècle ». [1]
Pour vérifier sa continuité avec les vingt conciles précédents
Dans sa récente et très documentée Histoire de Vatican II, le professeur de Mattei a offert au public un tableau précis, réaliste du déroulement tourmenté et dramatique de ce Concile, et il conclut :
« Au terme de ce volume qu’il me soit permis de m’adresser avec vénération à Sa Sainteté Benoît XVI, en qui je reconnais le successeur de Pierre auquel je me sens indissolublement lié, lui exprimant un profond remerciement pour avoir ouvert les portes à un débat sérieux sur le concile Vatican II. A ce débat je répète avoir voulu offrir une contribution, non pas comme théologien mais comme historien, m’unissant cependant à la supplique de ces théologiens qui demandent respectueusement et filialement au Vicaire du Christ sur terre, de promouvoir un examen approfondi du concile Vatican II, dans toute sa complexité et toute son extension, pour vérifier sa continuité avec les vingt conciles précédents et pour dissiper les ombres et les doutes qui, depuis presque un demi-siècle, font souffrir l’Eglise, avec la certitude que jamais les portes de l’enfer ne prévaudront sur Elle (Mt 16,18) ». [2]
Et nous, signataires, simples croyants que nous sommes, nous nous associons pleinement à ces demandes respectueuses et autorisées. Sûrs de ne pas manquer de respect filial à l’égard de Votre Sainteté, nous nous permettons d’ajouter (aux quatre questions posées ci-dessus) quelques-unes des nombreuses interrogations qui, à notre avis, mériteraient certainement une réponse clarificatrice, comme il ressort des analyses de Mgr Gherardini, des théologiens et des intellectuels qui depuis le début du post-concile se sont battus pour obtenir des éclaircissements sur Vatican II :
5) Quelle est la signification exacte donnée au concept de « tradition vivante » apparu dans la Constitution Dei Verbum sur la divine Révélation ? Dans sa récente et fondamentale étude sur le concept de tradition catholique, Mgr Gherardini a soutenu que, dans Vatican II, il se serait produit une « révolution copernicienne » dans la manière de concevoir la Tradition de l’Eglise, puisqu’on n’y a pas clairement défini la valeur dogmatique de la Tradition (DV,8) ; de façon inhabituelle on y réalise une réduction ad unum des deux sources de la Révélation divine (Ecriture et Tradition), qui ont toujours été admises dans l’Eglise et confirmées par les conciles dogmatiques de Trente et de Vatican I (DV,9). Et là, se manifeste même une opposition au dogme de l’inerrance de la Sainte Ecriture (DV,11.2), car pourquoi « après avoir déclaré que tout ce que les auteurs inspirés affirment vient de l’Esprit Saint, le privilège de l’inerrance n’est-il attribué qu’aux seules ‘vérités salutaires’ ou ‘salvifiques’, comme une partie du tout (veritatem, quam Deus nostrae salutis causae Litteris sacris consignari voluit) ? Si l’Esprit Saint a inspiré tout ce que les auteurs bibliques ont écrit, l’inerrance devrait s’appliquer à tout, et non aux seules vérités salvifiques. Le texte apparaît donc illogique ».[3]
6) Quelle est la signification exacte à donner à la nouvelle définition de l’Eglise catholique, contenue dans la Constitution dogmatique (qui toutefois ne définit pas de dogme) Lumen gentium sur l’Eglise ? Si elle coïncide avec celle de toujours, à savoir que seule l’Eglise catholique est l’unique et vraie Eglise du Christ parce que l’unique à avoir maintenu dans les siècles le dépôt de la foi transmise par Notre Seigneur et les apôtres sous la conduite du Saint-Esprit, en ce cas pourquoi a‑t-on voulu changer, en écrivant d’une manière peu compréhensible pour un simple croyant et jamais clairement expliquée (il faut le dire), que « l’unique » Eglise du Christ « subsiste dans l’Eglise catholique, gouvernée par le successeur de Pierre et par les évêques qui sont en communion avec lui, alors qu’en dehors d’elle, se trouvent de nombreux éléments de sanctification et de vérité, qui, appartenant en propre par don de Dieu à l’Eglise du Christ, appellent par eux-mêmes l’unité catholique » ? Dans cette formulation, ne semble-t-il pas que l’Eglise apparaît comme une simple partie de l’Eglise du Christ ? Simple partie, puisque l’Eglise du Christ comprendrait aussi – en plus de l’Eglise catholique – de « nombreux éléments de sanctification et de vérité », situés « en dehors » de l’Eglise catholique ? Avec la conséquence que l’« unique vraie religion qui subsiste dans l’Eglise catholique (Déclaration Dignitatis humanae sur la liberté religieuse, 1.2) serait celle d’une « Eglise du Christ » qui possède des « éléments » en dehors de l’Eglise catholique. Ce qui peut aussi se comprendre, si l’on veut, comme « l’unique vraie religion » subsistant, selon le Concile, également dans les « éléments » non-catholiques de « l’Eglise du Christ » ?
7) Quelle est la vraie signification à donner à la notion d’Eglise comprise globalement comme « Peuple de Dieu » (Lumen gentium, 9–17), notion qui dans le passé indiquait seulement une partie du tout, le tout représentant, par contre, le « Corps mystique du Christ » ?
8 ) Quelle signification faut-il donner à l’omission des termes « surnaturel » et « transsubstantiation » dans les textes du Concile ? Cette omission modifie-t-elle aussi le contenu de ces concepts, comme certains l’affirment ?
9) Quelle est la signification exacte de la nouvelle notion de collégialité ? Comment doit-on considérer à la lumière de l’enseignement constant de l’Eglise, l’interprétation de la Nota explicativa praevia, mise en tête de Lumen gentium (note qui fut placée là pour dirimer la controverse entre les Pères conciliaires) ? Nous nous référons aux doutes clairement exposés par Romano Amerio :
« La ‘Note préalable’ (Nota praevia) rejette l’interprétation classique de la collégialité, selon laquelle le sujet du pouvoir suprême dans l’Eglise est le Pape seul, qui le partage, lorsqu’il le veut, avec l’universalité des évêques réunis en concile par lui. Le pouvoir suprême ne devient collégial que communiqué par le Pape, à son gré (ad nutum). La ‘Note Préalable’ rejette pareillement le sentiment des novateurs selon lequel le sujet du pouvoir suprême dans l’Eglise est le collège épiscopal uni au Pape et non sans le Pape qui en est le chef, mais de telle sorte que lorsque le Pape exerce, même à lui seul, le pouvoir suprême, il le fait précisément en tant que chef dudit collège, et donc en tant que représentant ce collège qu’il est obligé de consulter pour en exprimer l’avis. C’est une théorie calquée sur celle qui veut que toute autorité doive son pouvoir à la multitude : théorie difficile à concilier avec la constitution divine de l’Eglise (qui est hiérarchique et d’origine divine, non populaire). En réfutant les deux théories, la Nota praevia tient fermement que le pouvoir suprême appartient au collège des évêques unis à leur chef, mais que le chef peut l’exercer indépendamment du collège, tandis que le collège ne peut l’exercer indépendamment du chef (et ceci serait une concession à la Tradition) ».[4]
Est-il exact de soutenir que l’attribution des pouvoirs juridiques – ceux d’un vrai et propre collège –, à l’institution des Conférences épiscopales, a de fait déprécié et déformé le rôle de l’évêque ? En effet, aujourd’hui, dans l’Eglise, les évêques, pris singulièrement, ne semblent pratiquement compter pour rien (Votre Sainteté nous pardonnera notre franchise). Sur ce point, voici encore Amerio :
« La nouveauté qui a pris le plus de relief dans l’Eglise postconciliaire est d’avoir ouvert à la participation de tous les instances de l’Eglise qui sont des organes juridiquement définis, tels que les Synodes diocésains et nationaux, les Conseils pastoraux et presbytéraux, etc. […] La constitution de Conférences épiscopales a produit deux effets : elle a déformé la structure organique de l’Eglise, et elle a engendré la perte de l’autorité des évêques. Selon le droit en vigueur avant le Concile, les évêques sont successeurs des Apôtres et gouvernent chacun dans son diocèse avec pouvoir ordinaire au spirituel et au temporel, y exerçant un pouvoir législatif, judiciaire et exécutif (can. 329 et 335). L’autorité était précise, individuelle, et sauf l’institution du vicaire général, non susceptible de délégation (le vicaire général dépendant, lui, du bon gré de l’évêque – ad nutum) […]. Le Décret Christus Dominus attribue au corps épiscopal la collégialité au titre de « suprême et plein pouvoir sur l’Eglise universelle » qui serait en tout égal à celui du Pape s’il pouvait s’exercer sans son consentement. Ce pouvoir suprême a toujours été reconnu à l’assemblée des évêques réunis en concile œcuménique par le Pape. Mais la question se pose de savoir si une autorité, qui ne peut être mise en œuvre que par une instance supérieure, peut être considérée comme suprême et ne revient pas à une pure virtualité, à un simple être de raison (ens rationis). Or selon l’esprit de Vatican II, l’exercice du pouvoir épiscopal où se concrétise la collégialité, est celui des Conférences épiscopales.
« Voici une singularité : le Décret trouve (au n°37) la raison d’être de cette nouvelle institution dans la nécessité pour les évêques d’un même pays d’agir de concert, il ne voit pas que ce nouveau lien de coopération, qui a désormais sa configuration juridique, altère l’ordonnance de l’Eglise, en substituant à l’évêque un corps d’évêques, et à la responsabilité personnelle une responsabilité collective, donc une responsabilité fragmentée. […] Par l’institution des Conférences épiscopales l’Eglise est devenue un corps polycentrique. […] La première conséquence de la nouvelle organisation est donc le relâchement du lien d’unité [avec le Pape] ; il s’est manifesté par d’énormes dissensions sur les points les plus graves [par exemple sur la doctrine de l’encyclique Humanae vitae du 25 juillet 1968, qui interdisait l’usage des contraceptifs]. La seconde conséquence de la nouvelle organisation est la perte de l’autorité de chaque évêque pris séparément en tant que tel. Ils ne sont plus responsables devant leur propre peuple, ni devant le Saint-Siège, car à leur responsabilité personnelle s’est substituée une responsabilité collégiale qui, appartenant au corps tout entier, ne peut plus s’imputer aux différents éléments composant ce corps ».[5]
Le prêtre est-il réduit aujourd’hui au rôle d’animateur et de président de l’assemblée du Peuple de Dieu ?
10) Quelle est la signification exacte à donner aujourd’hui au sacerdoce, authentique institution de l’Eglise ? Est-il vrai que depuis le Concile, le prêtre, de « sacerdos Dei » a été réduit à être « sacerdos populi Dei », et réduit principalement au rôle d’ « animateur » et de « président de l’assemblée » du « Peuple de Dieu », et au rôle d’ « assistant social » ? A ce propos, sont objets de critiques : Lumen gentium, 10.2 qui semble vouloir mettre sur le même plan le sacerdoce « ministériel » ou « hiérarchique » et le prétendu sacerdoce « commun des fidèles » – considéré autrefois comme un simple titre d’honneur – avec cette affirmation que tous les deux « sont toutefois ordonnés l’un à l’autre, ad invicem tamen ordinantur » (voir aussi LG, 62.2) ; LG, 13.3 qui semble indiquer le sacerdoce comme simple « fonction » du « Peuple de Dieu » ; le fait qu’on place en premier lieu de la « fonction » sacerdotale la prédication de l’Evangile (Décret Presbytorum Ordinis sur le ministère et la vie sacerdotale, 4 : les prêtres « comme coopérateurs des évêques, ont pour première charge d’annoncer l’Evangile de Dieu ») quand au contraire le concile de Trente a rappelé que ce qui caractérise la mission du prêtre est en premier lieu « le pouvoir de consacrer, d’offrir, d’administrer le corps et le sang du Seigneur » et en second lieu celui « de pardonner ou retenir les péchés » (DS, 957/1764). Est-il vrai que Vatican II déprécie de fait le célibat ecclésiastique, en affirmant que « la continence parfaite et perpétuelle pour le Royaume des Cieux, recommandée par le Christ […] a toujours été considérée par l’Eglise comme particulièrement convenable pour la vie sacerdotale [même si] elle n’est pas requise par la nature même du sacerdoce » (PO, 16) ; cette dernière affirmation ne serait-elle pas justifiée par une fausse interprétation de 1Tm 3, 2–5 et Tt 1,6 ?
11) Quelle est la signification exacte du principe de « créativité » dans la Liturgie, qui sans aucun doute vient du fait d’avoir concédé aux Conférences épiscopales une ample compétence en la matière, y compris la faculté d’expérimenter des formes nouvelles de culte, pour les adapter aux caractères et aux traditions des peuples et pour les simplifier au maximum ? Tout cela est proposé dans la Constitution Sacrosanctum Concilium sur la liturgie : art. 22.2 sur les nouvelles compétences des Conférences épiscopales ; 37, 39 et 40 sur l’adaptation aux caractères et aux traditions des peuples et sur les critères d’adaptation liturgique en général ; art. 21 et 34 sur la simplification liturgique. De semblables facultés d’innovation en matière liturgique ne furent-elles pas, en tout temps, réprouvées par le Magistère de l’Eglise ? Il est vrai que la Constitution Sacrosanctum Concilium impose toujours le contrôle du Saint-Siège sur la liturgie et les innovations (SC. 22.1, 40.1 et 2), mais ce contrôle s’est révélé incapable d’empêcher la dévastation diffuse de la liturgie, qui a éloigné les fidèles des églises, cette dévastation continue de se déchainer aujourd’hui encore, malgré l’action disciplinaire et l’élimination des abus voulue par Votre Sainteté. Des études compétentes ne pourraient-elles pas mettre en évidence les motifs de cet échec ?
Quelle différence y a‑t-il entre la liberté religieuse conciliaire et la liberté de conscience laïque ?
Nous ne pouvons évidemment pas formuler toutes les questions que les textes du concile suscitent et qui ont un rapport avec la situation actuelle de l’Eglise. A ce sujet nous nous permettons d’ajouter seulement ce qui suit :
12) Le principe de la liberté religieuse, proclamé par le Concile, pour la première fois dans l’histoire de l’Eglise, comme « droit humain » ou « naturel » de la personne, quelle que soit sa religion, et de ce fait droit supérieur au droit de l’unique Vérité Révélée (notre religion catholique) à être professée comme vraie religion, de préférence aux autres qui ne sont pas révélées et qui donc ne proviennent pas de Dieu ; ce principe de liberté religieuse se fonde sur le présupposé que toutes les religions sont égales, et son application a pour conséquence la promotion de l’indifférentisme, de l’agnosticisme et pour finir de l’athéisme ; telle qu’elle est ainsi comprise par le Concile, en quoi se distingue-t-elle réellement de la liberté de conscience laïque, honorée parmi « les droits de l’homme » qu’a professés la Révolution française antichrétienne ?
13) L’œcuménisme actuel ne semble-t-il pas aussi conduire à un résultat semblable (indifférentisme et perte de la foi), étant donné que son but principal paraît être non pas tant la conversion (autant que possible) du genre humain au Christ que son unité et même son unification en une sorte de nouvelle Eglise ou religion mondiale, capable d’inaugurer une ère messianique de paix et de fraternité entre tous les peuples ? Si ce sont là les finalités de l’œcuménisme actuel – et elles se trouvent déjà en partie dans la Constitution pastorale Gaudium et spes sur l’Eglise et le monde contemporain –, ce dialogue œcuménique ne semble-t-il pas glisser dangereusement vers un certain « accord entre le Christ et Bélial » ? [6] Tout le dialogue de l’Eglise postconciliaire avec le monde contemporain ne devrait-il pas être reconsidéré ?
Très Saint Père,
Les demandes que nous avons eu l’audace de vous adresser dans cette humble supplique, peuvent certainement déplaire à cette partie de la hiérarchie qui a déjà déclaré ne pas apprécier la supplique de Mgr Gherardini, il y a deux ans. Il s’agit de cette partie de la hiérarchie qui ne semble pas avoir encore compris la gravité exceptionnelle de la crise qui afflige l’Eglise depuis cinquante ans ; crise dont les prémisses préconciliaires éclatèrent lors du Concile, comme l’ont démontré le livre du professeur de Mattei et avant lui, d’une manière plus succincte, celui du P. Ralph M. Wiltgen S.V.D. et du professeur Romano Amerio.
En notre âme et conscience de croyants, cette supplique écrite en toute déférence à votre égard, nous semble parfaitement en harmonie, nous osons le dire, avec l’œuvre de restauration, renouvellement et purification de l’Eglise militante, entreprise courageusement par Votre Sainteté, malgré les résistances et difficultés de toutes sortes, et connues de tous. Nous ne nous référons pas seulement à l’inflexible action de Votre Sainteté contre la corruption des mœurs qui a pénétré une partie du clergé, ni à l’opération d’assainissement auprès d’institutions de charité et d’assistance bien connues, qui ne sont plus catholiques que de nom. Nous nous référons aussi à la « libération » de la célébration de la messe de l’ancien rite romain (improprement dite « tridentine » vu que son canon remonte, selon une tradition sûre, aux temps apostoliques) et de l’administration des sacrements et du rite de l’exorcisme, selon le rituel préconciliaire. Nous nous référons aussi à votre rémission des excommunications qui pesaient (pour des motifs disciplinaires connus) sur les évêques de la Fraternité Saint-Pie X, fondée par Mgr Marcel Lefebvre, et dont la « levée » avait été sollicitée auprès de Votre Sainteté, avec respect et ténacité, en lançant à cette fin une « Croisade internationale du Rosaire », qui a reçu une ample adhésion parmi les fidèles.
Dans toutes ces dispositions, certainement d’une extrême importance pour l’Eglise, prises motu proprio, avec la pleine autorité de Souverain Pontife qui découle de votre potestas iurisdictionis sur toute l’Eglise de Notre Seigneur, en tout cela notre sensus fidei de simples catholiques voit l’œuvre évidente de l’Esprit Saint. Nous concluons donc notre humble supplique, invoquant l’aide de l’Esprit Saint afin que, dans l’entreprise de rétablissement du Christ au cœur de la catholicité, Votre Sainteté puisse inclure aussi la révision souhaitée du Concile.
Avec l’assurance de notre dévotion filiale et de notre déférence,
In Domino et in corde Mariae.
Le 24 septembre 2011
Suivent les signatures de 80 personnalités italiennes parmi lesquelles :
Prof. Paolo Pasqualucci, professeur de philosophie ; Mgr Brunero Gherardini, doyen des théologiens italiens, professeur d’Ecclésiologie ; Mgr Antonio Livi, professeur émérite de philosophie de la connaissance à l’Université du Latran ; Prof. Roberto de Mattei, Università Europea di Roma ; Prof. Luigi Coda Nunziante, à titre personnel et en qualité de président de l’association Famiglia Domani ; Dott. Paolo Deotto, directeur de Riscossa Cristiana (www.riscossa cristiana.it) ; Prof. Piero Vassallo, professeur de philosophie, co-directeur de Riscossa Cristiana ; Dr.ssa Virginia Coda Nunziante ; Dott. Pucci Cipriani ; Don Marcello Stanzione et toute la Milizia di San Michele Arcangelo ; Prof. Dante Pastorelli, Governatore de la Venerabile Confraternita di S. Girolamo e S. Francesco Poverino in S. Filippo Benizi, Florence, président d’Una Voce – Florence ; Calogero Cammarata, président de Inter Multiplices Una Vox – Turin ; Dr.ssa Cristina Siccardi – Castiglione Torinese (TO) ; Dott. Carlo Manetti – Castiglione Torinese (TO) ; Alessandro Gnocchi ; Mario Palmaro ; Mario Crisconio, chevalier de l’Ordre de Malte, Governatore del Pio Monte della Misericordia (Naples), président d’Una Voce – Naples ; Enrico Villari, ingénieur, docteur en philosophie – Naples ; Marcello Paratore, professeur de philosophie – Naples ; Giuseppe De Vargas Machuca, Primo Governatore della Reale Arciconfraternita e Monte del SS. Sacramento dei Nobili Spagnoli – Naples ; Giovanni Turco, professeur d’université, président de la Società Internazionale Tommaso d’Aquino, section de Naples ; Giovanni Tortelli, écrivain, chercheur en droit ecclésiastique et histoire de l’Eglise (Florence).
Cette Supplique est diffusée par le site Riscossa cristiana, sur lequel se trouve le texte en italien.
Intertitres et traduction : DICI n°242 du 14/10/11
- B. Gherardini, « Supplique au Saint Père », en appendice à : Le Concile Œcuménique Vatican II. Un débat à ouvrir, Casa Mariana Editrice, Frigento (AV), 2010.[↩]
- R. de Mattei, Il Concilio Vaticano II. Una storia mai scritta (Le concile Vatican II. Une histoire jamais écrite), Lindau, Torino, 2010, p. 591.[↩]
- B. Gherardini, « Quod et tradidi vobis ». La Tradizione vita e giovinezza della Chiesa, in Divinitas, Nova Series, 2010 (53) nn. 1–2‑3, pp. 165–186.[↩]
- Romano Amerio, Iota Unum. Etude des variations de l’Eglise catholique au XXe siècle, Nouvelles Editions Latines, 1985, pp.82–83 (§44).[↩]
- Ibid. pp. 431–433 (§ 232 et 233).[↩]
- B. Gherardini, Quale accordo fra Cristo e Beliar ? Osservazioni teologiche sui problemi, gli equivoci ed i compromessi del dialogo interreligioso, Fede & Cultura, Verona, 2009.[↩]