Aux origines du Concile Vatican II
Il m’a été demandé d’éclairer un point d’histoire qui a trait aux origines du Concile. Il concerne le plan initial que je soumis au Pape Jean XXIII et auquel Montini, alors Cardinal, fit référence dans une lettre à Jean XXIII, que j’ai communiquée à l’Istituto Paolo VI de Brescia, lequel la rendit publique son bulletin.
Voici donc les antécédents. Au cours d’une audience, en mars 1962, je me plaignis au Pape Jean XXIII du nombre, à mon sens abusif, de schémas préparés en vue de la discussion conciliaire à venir. Il y en avait, je crois, 72, de valeur fort inégale et, en tout cas, d’un poids excessif, empêchant a priori un travail fructueux et valable au sein du Concile. Jean XXIII me demanda de déblayer le terrain et de lui faire un projet à partir de ces schémas préparés.
Après étude de ces documents, j’adressais à Jean XXIII une note préliminaire qui avait comme but d’élaguer et de situer le Concile dans une vraie perspective pastorale. La note était à la fois négative et positive : le « idem nolle » et le « idem velle » étant essentiels pour faire ensuite un travail plus élaboré. J’annexe ici cette note (annexe 1), que Jean XXIII approuva de vive voix et qui fraya la route au travail ultérieur.
Fin avril 1962 le plan était prêt. J’y avais inséré, au maximum du possible, les thèmes qui m’étaient chers, avec le constant souci de promouvoir des adaptations pastorales qui me paraissaient de première importance. Le document, étant confidentiel, resta strictement personnel jusqu’au moment où je crus utile de le communiquer a quelques cardinaux amis, dont le Cardinal Montini. Je retrouve dans mes archives une lettre du Cardinal Liénart qui m’écrit son adhésion (voir annexe 2) ; les autres réagirent dans le même sens, oralement.
De son côté, le Cardinal Cicognani, Secrétaire d’État, envoya par ordre de Jean XXIII des photocopies de ce plan à un certain nombre de Cardinaux, pour information, cet envoi date du 19 mai 1962.
Jean XXIII souhaitait rallier quelques Cardinaux influents à ce projet, de manière à pouvoir le présenter au moment voulu sous leur patronage. Il me demanda dans ce but de rencontrer quelques cardinaux qu’il désigna lui-même.
Une première rencontre eut lieu au Collège belge au début de juillet 1962. J’en rendis compte au Pape dans une lettre datée du 4 juillet 1962 (voir annexe 3). Une deuxième rencontre, peu après l’ouverture du Concile, eut lieu au Collège belge, comprenant outre le Cardinal Montini, d’autres Cardinaux tels le Cardinal Siri et le Cardinal Lercaro. Le ralliement au plan se fit sans peine puisqu’il s’agissait d’établir un cadre général pour discussion ultérieure au Concile.
On trouvera, en annexe 4, le plan proposé par moi dans son stade final. Jean XXIII, de son côté, l’avait fait sien dans ses traits essentiels. On le devine, en interligne, dans le mémorable Radio-Message qu’il fit le 12 septembre 1962, annonçant et présentant le Concile qui allait s’ouvrir quelques semaines plus tard. L’Osservatore Romano du 12 septembre 1962 introduisit le Concile sous le titre « Ecclesia Christi, lumen gentium ». Jean XXIII présentait le Concile à venir en continuité avec l’ordre du Seigneur : « Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit ; apprenez-leur a garder tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28, 19–20). Ces paroles constituaient les thèmes mêmes du plan, et le discours du Saint-Père faisait également sienne la distinction proposée entre l’Église « ad intra » et l’Eglise « ad extra », qui constituait la charnière du plan.
Le Concile s’ouvrit le 11 octobre 1962. Jean XXIII avait dit : « en matière de Concile nous sommes tous novices », et il laissa au Concile le soin de faire ses premiers pas. Il m’avait dit : Le premier devoir du Pape est d’écouter et de se taire pour laisser libre jeu à l’Esprit Saint » et, me montrant le plan dans son bureau, il me dit qu’il en ferait usage au bon moment. Voila pour les antécédents.
On sait que, pendant les premières semaines, le Concile eut quelque peine à trouver sa voie et son orientation. Pour éclairer la suite des évènements, il faut se rappeler par ailleurs l’état de santé du Pape, qui commença à nous inquiéter. En date du 18 octobre 1962, le Cardinal Montini, préoccupé lui aussi du flottement, écrivit une lettre à Jean XXIII pour demander plus de structure et de cohérence dans le déroulement du Concile et, en finale de sa lettre, il fit allusion au plan que j’avais proposé. Le Pape m’envoya une photocopie de cette lettre à mon usage : elle est à présent de notoriété publique et intéresse particulièrement les historiens du Concile, car cette lettre éclaire déjà certains aspects du nouveau Pontificat a venir.
L’état de santé du Pape s’aggravant, je me suis trouvé devant un problème de conscience : fallait-il prendre l’initiative de proposer le plan ou rester passif, puisque Jean XXIII s’était réservé le moment de le faire connaître ? Le Pape, malade, ne pouvant plus être approché directement, je lui écrivis une lettre d’affection et de sympathie sans soulever de questions, mais j’adressai à son secrétaire, Mgr L. Capovilla, à toute fin utile, copie de l’intervention que je comptais faire le surlendemain au Concile pour proposer le plan dans ses traits essentiels. Je n’imaginais pas que le Pape malade en aurait pris connaissance. A ma surprise, Mgr Dell’Acqua m’appela au Vatican le lendemain de grand matin pour me dire que Jean XXIII était non seulement pleinement d’accord avec mon texte, mais qu’il l’avait lu au lit et annoté, écrivant en marge quelques réflexions supplémentaires en italien.
J’ai demandé à Mgr Dell’Acqua de faire mettre en latin par ses services ces ajouts pontificaux, pour être sûr de ne pas trahir la pensée du Saint-Père, et c’est donc en toute sécurité de conscience que je fis in aula le discours du 4 décembre 1962, qui proposait le thème central auquel le Concile se rallia. L’adhésion fut d’autant plus unanime que le lendemain le Cardinal Montini, qui était resté très réservé pendant la première session du Concile, se prononça chaleureusement en faveur de ma proposition, ainsi que le Cardinal Lercaro.
Voilà, aussi objectivement que possible, l’enchaînement des faits. Avec le recul de l’histoire, Vatican II, j’en suis sûr, apparaîtra comme une grâce pentecostale pour laquelle Jean XXIII n’a pas prié en vain et pour laquelle il offrit sa souffrance et sa vie.
† L.-J. Card, SUENENS,Boulevard de Smet de Naeyer, 570 – B‑1020 Bruxelles
Source : Nouvelle Revue Théologique n° 107, page 3 à 21, 1985