Qu’un sang impur abreuve nos sillons

C’est au son endia­blé de La Marseillaise, d’Ah ! ça ira, de La Carmagnole, et autres hymnes révo­lu­tion­naires que des cen­taines de mil­liers de catho­liques de toutes condi­tions, « sus­pects » aux yeux des fon­da­teurs de la Première République, ont été mas­sa­crés. Parmi eux, les nom­breux prêtres mar­tyrs assas­si­nés en France les 2 et 3 sep­tembre 1792 sous les yeux de foules fana­ti­sées par la pro­pa­gande des loges maçon­niques et des clubs révo­lu­tion­naires. Un fait his­to­rique à ne pas oublier.

Le 2 sep­tembre, à midi, le canon d’a­larme ton­na au Pont-​Neuf ; un grand dra­peau noir fut his­sé sur l’hô­tel de ville de Paris. Cette mise en scène avait pour but, disait-​on, de sus­ci­ter contre les troupes autri­chiennes et prus­siennes s’ap­pro­chant de la capi­tale, des légions de héros. Elle mit sur­tout en mou­ve­ment, contre les pri­son­niers de la Commune, une troupe d’assassins.

Les massacres à l’Abbaye

La plu­part des prêtres arrêtes récem­ment avaient été diri­gés soit à la pri­son de l’ab­baye Saint-​Germain, soit à la pri­son du couvent des Carmes. Deux heures envi­ron s’é­taient écu­lés que le toc­sin avait ces­sé de son­ner. Les égor­geurs et la foule fana­ti­sée s’é­taient réunis dans la cour du monas­tère, atten­dant l’ar­ri­vée des prisonniers.

« Nous arri­vons à l’Abbaye, écrit l’ab­bé Sicard. la cour était pleine d’une foule immense. On entoure nos voi­tures ; un de nos cama­rades croit pou­voir s’é­chap­per ; il ouvre la por­tière et s’é­lance au milieu de la foule ; il est aus­si­tôt égor­gé. Un second fait le même essai ; il fend la presse et allait se sau­ver ; mais les égor­geurs tombent sur cette nou­velle vic­time, et le sang coule encore. Un troi­sième n’est pas plus épar­gné. La voi­ture avance vers la salle du comi­té ; un qua­trième veut éga­le­ment sor­tir, il reçoit un coup de sabre… Les égor­geurs se portent avec la même rage sur la seconde voi­ture. »[1]

« Il faut les tuer tous, ce sont des scé­lé­rats », s’é­criaient les assis­tants. la qua­trième voi­ture ne conte­nait que des cadavres… Les cadavres des morts sont jetés dans la cour. Les douze pri­son­niers vivants des­cendent pour entrer au comi­té civil ; deux sont immo­lés en met­tant pied à terre. Le comi­té n’a pas le temps de pro­cé­der au plus léger inter­ro­ga­toire. Une mul­ti­tude armée de piques, d’é­pées, de sabres, vient fondre arrache et tue les pri­son­niers… Il était cinq heures du soir. Arrive Billaud-​Varenne, le sub­sti­tut du pro­cu­reur de la Commune. Il marche sur les cadavres, fait au peuple une courte harangue, et finit ain­si : « Peuple, tu immoles tes enne­mis ; tu fais ton devoir. »[2]

21 prêtres venaient de périr ain­si, en arri­vant dans la cour de l’Abbaye. 

Les massacres aux Carmes

Aux Carmes, depuis midi, le poste avait été rele­vé. les nou­veaux gardes étaient des hommes à figures sinistres, coif­fés du bon­net rouge et armés de piques. A deux heures, le com­mis­saire de la sec­tion avait ordon­né aux pri­son­niers de se rendre au jar­din pour leur pro­me­nade quo­ti­dienne. On avait for­cé les vieillards et les malades eux-​mêmes à sortir.

« Nous nous reti­râmes, dit un pri­son­nier, tout au fond, der­rière une char­mil­le ; d’autres se réfu­gièrent dans un petit ora­toire pla­cé dans un angle du jar­din, où ils se mirent à réci­ter leurs vêpres. »[3] Tout à coup, des cris se firent entendre du côté de la rue Cassette et de la rue Vaugirard. « Pour le coup, Monseigneur, s’é­cria l’ab­bé de la Pannonie en se tour­nant vers M. du Lau, arche­vêque d’Arles, je crois qu’il vont nous assas­si­ner. – Mon cher, répon­dit l’ar­che­vêque, si c’est le moment de notre sacri­fice, remer­cions Dieu d’a­voir à lui offrir notre sang pour une si belle cause. »

Les pri­son­niers ne se trom­paient pas. Quelques ins­tants aupa­ra­vant, dans l’é­glise Saint-​Sulpice, trans­for­mée en salle de déli­bé­ra­tions de la sec­tion du Luxembourg, un mar­chand de vins, Louis Prière, après avoir bon­di dans la chaire, qui ser­vait alors de tri­bune, y avait décla­ré qu’il ne bou­ge­rait pas tant qu’on ne se serait pas débar­ras­sé des pri­son­niers et sur­tout des prêtres déte­nus au couvent des Carmes. En consé­quence, l’as­sem­blée avait déci­dé, à la majo­ri­té des voix, « de pur­ger les pri­sons en fai­sant cou­ler le sang de tous les déte­nus. »[4] Une troupe de furieux sor­tit alors en désordre de l’é­glise, y ren­con­tra un groupe d’hommes armés de sabres et de piques ensan­glan­tés qui venaient de l’Abbaye. Les deux troupes se confon­dirent et firent irrup­tion dans le couvent des Carmes.

« Nous vîmes d’a­bord entrer en furieux sept à huit jeunes gens, écrit l’ab­bé Berthelet. Chacun d’eux avait une cein­ture gar­nie de pis­to­lets, indé­pen­dam­ment de celui qu’il tenait de la main gauche, en même temps que, de la droite, il bran­dis­sait un sabre. »[5] Les mas­sa­creurs abattent d’a­bord à coup de sabre l’ab­bé de Salins, absor­bé dans une lec­ture ; puis, bles­sant ou touant ceux qu’ils ren­contrent sur leur pas­sage, ils se pré­ci­pitent vers le fond du jar­din, en criant : « L’archevêque d’Arles ! l’ar­che­vêque d’Arles ! » M. du Lau était à genoux devant l’o­ra­toire. Il se lève et se retourne vers les assaillants : « Je suis celui que vous cher­chez », leur dit-​il. Un violent coup de sabre lui est assé­né sur le front. Un second coup lui est por­té par der­rière et lui ouvre le crâne. Trois autres coups l’a­battent à terre, où il reste sans connais­sance. Alors une pique lui est enfon­cée dans la poi­trine et les assas­sins le foulent aux pieds.[6]

Tandis qu’une véri­table chasse est orga­ni­sée dans le jar­din par les meur­triers, un bon nombre de pri­son­niers pénètrent dans l’é­glise. Ils se rangent près de l’au­tel, se donnent l’ab­so­lu­tion les uns aux autres et récitent les prières des mourants.

Pendant ce temps-​là, un des chefs s’ins­talle devant une petite table près de la porte qui donne sur le jar­din. Il se fait appor­ter la liste des prêtres incar­cé­rés, pro­cède à l’ap­pel des pri­son­niers, demande à cha­cun s’il per­sé­vère à refu­ser le ser­ment, et, sur sa réponse affir­ma­tive, le ren­voie au jar­din, où le pri­son­nier est aus­si­tôt mas­sa­cré au milieu de hur­le­ments furieux, par­mi les­quels on dis­tingue le cri de : Vive la nation !

Grâce au désordre, plu­sieurs par­vinrent à s’é­chap­per, en tra­ver­sant le jar­din et en fran­chis­sant le mur de clô­ture. Près de 120 prêtres per­dirent ain­si la vie en moins de deux heures. 

Le len­de­main, 76 prêtres périrent au sémi­naire de Saint-​Firmin, 3 prêtres furent immo­lés à la pri­son de la Force. Des scènes non moins hor­ribles eurent lieu dans les autres pri­sons de Paris, au Châtelet, à la Conciergerie, à la tour Saint-​Bernard, à Bicêtre, à la Salpêtrière.[7]

Circulaire envoyée par la Commune de Paris en province

Pendant que le sang cou­lait ain­si à Paris, le 3 sep­tembre, le comi­té d’exécution et de vigi­lance de la Commune envoya à toutes les muni­ci­pa­li­tés de France la cir­cu­laire suivante :

« La Commune de Paris se hâte d’in­for­mer ses frères dans tous les dépar­te­ments qu’une par­tie des conspi­ra­teurs féroces déte­nus dans les pri­sons a été mise à mort par le peuple ; actes de jus­tice qui lui ont paru indis­pen­sables pour rete­nir par la ter­reur les légions de traîtres ren­fer­més dans ses murs, au moment où il allait mar­cher à l’en­ne­mi : et sans doute la nation s’empressera d’a­dop­ter ce moyen si utile et si néces­saire. »[8]

Peu contente de cette mis­sion san­gui­naire, la Commune avait envoyé dans les dépar­te­ments des émis­saires char­gés d’exé­cu­ter ses volon­tés. Dès le 3 sep­tembre, des révo­lu­tion­naires pari­siens arri­vaient à Reims et y arrê­taient 4 prêtres, bien­tôt mas­sa­crés par la popu­lace[9]. Le len­de­main, à Meaux, 7 prêtres étaient mis à mort dans les mêmes cir­cons­tances[10]. Le 3 sep­tembre, à Versailles, est déter­mi­née l’exé­cu­tion de 44 prêtres. Parmi ces der­niers se trou­vait l’é­vêque de Mende, M. de Castellane, qui reçut, dit-​on, la confes­sion de tous les pri­son­niers[11].

Sur toutes les routes, des groupes de prêtres qui, pour échap­per à la fureur des assas­sins, s’a­che­mi­naient vers les fron­tières, étaient assaillis, mal­trai­tés, égor­gés, assom­més à coups de pierres ou de bâtons, pré­ci­pi­tés dans les rivières[12].

Dans les dépar­te­ments, dit Taine, c’est par cen­taines que l’on compte les jour­nées sem­blables à celle du 2 sep­tembre. de toutes parts, la même fièvre, le même délire indiquent la pré­sence du même virus ; et ce virus est le dogme jaco­bin. Grâce à lui l’as­sas­si­nat s’en­ve­loppe de phi­lo­so­phie poli­tique ; le pires atten­tats deviennent légi­times, car ils sont les actes du sou­ve­rain légi­time, char­gé de pour­voir au salut public.

Taine, les Origines, t. VI, p.65

Source : d’a­près Fernand Mourret, Histoire géné­rale de l’Église, tome VII, p. 160–166

Notes de bas de page
  1. Relation de l’ab­bé Sicard, repro­duite par Dom Leclercq, les Martyrs, t. XI, p. 70[]
  2. Relation de Méhée de Latouche, repro­duite par Lenotre, p. 178–182[]
  3. Relation de l’ab­bé Berthelet de Barbot[]
  4. L’original du procès-​verbal de cette séance a été trou­vé aux Archives du palais de jus­tice par Dom Leclercq et publié par lui pour la pre­mière fois en 1912, dans les Martyrs, t. XI, p. 67[]
  5. Relation de l’ab­bé Berthelet de Barbot, repro­duite par Lenôtre, p. 253[]
  6. Guillon, les Martyrs de la foi, t. III, p. 39[]
  7. Cf. Taine, les Origines, t. VI, p. 56–57 ; Mortimer-​Ternaun, Histoire de la Terreur, t. III, p. 399, 592, 602–606. Un pro­cès d’in­for­ma­tion a été entre­pris, en 1901, par l’ordre de S.E. e car­di­nal Richard, pour la cano­ni­sa­tion des prêtres mis à mort pour la foi pen­dant les jour­nées de Septembre 1792. Les recherches de Mgr de Teil ont abou­ti à la pré­sen­ta­tion d’une liste de 217 mar­tyrs. Voir cette liste dans Leclercq, op. cit. , p. 137 et s.[]
  8. Cité par Papon, Histoire de la révo­lu­tion, t. VI, p. 277[]
  9. Picot, Mémoires, VI, 220[]
  10. Id. ibid., 221[]
  11. Id., ibid., 222[]
  12. Id. ibid., 223[]