Le saint Père a commandé à la Congrégation chargée de la révision des livres d’examiner trois livres du Père Frohschammer. Cette Congrégation « jugea qu’en plusieurs points l’auteur s’égarait et que sa doctrine s’éloignait de la vérité catholique. C’est principalement sous deux rapports : premièrement l’auteur accorde à la raison humaine des forces qui ne lui appartiennent nullement ; secondement en octroyant à cette même raison la liberté de tout penser et de toujours tout oser, il supprime entièrement les droits, les fonctions et l’autorité de l’Eglise ». Fidèle donc à son devoir de défendre la doctrine contre les erreurs condamne ces écrits « comme contenant des propositions et des doctrines respectivement fausses, erronées, injurieuses à l’Eglise, à son autorité, à ses droits ».
À Notre vénérable Frère Grégoire, Archevêque de Munich et Freisingen
Vénérable Frère,
Salut et bénédiction apostolique
Au milieu des pesantes afflictions qui Nous accablent en ces temps si troublés et si remplis d’iniquités, Nous gémissons douloureusement d’apprendre que dans différentes parties de l’Allemagne se rencontrent même des catholiques qui ne craignent nullement, dans leur cours de théologie sacrée et de philosophie, d’introduire une certaine liberté d’enseigner et d’écrire inconnue jusque là dans l’Eglise et de professer ostensiblement, publiquement ; de répandre même dans le monde des opinions nouvelles et absolument condamnables. Aussi nous n’avons pas été peu péniblement affecté, vénérables Frères, quand Nous est parvenu la triste nouvelle que le prêtre Jacques Frohschammer, professeur de philosophie dans l’université de Munich, porte plus loin que tout autre cette licence de parler et d’écrire et que dans des livres parus au jour il défend les plus pernicieuses erreurs.
Immédiatement donc Nous avons commandé à Notre Congrégation chargée de la révision des livres d’examiner avec soin et avec toute la diligence possible les principaux ouvrages qui circulent sous le nom du prêtre Frohschammer et de Nous adresser un rapport. Ces volumes écrits en allemand sont intitulés : Introduction à la philosophie ; De l’indépendance de la science ; Athénées. Ils ont été successivement édités à Munich, le premier en 1838, le second en 1861 et le troisième dans le courant de cette année 1862. Exécutant Nos ordres sans délai, la Congrégation précitée commença avec le plus grand zèle un examen fort attentif, et après avoir selon sa coutume, tout discuté, tout pesé sérieusement et mûrement à plusieurs reprises, elle jugea qu’en plusieurs points l’auteur s’égarait et que sa doctrine s’éloignait de la vérité catholique. C’est principalement sous deux rapports : premièrement l’auteur accorde à la raison humaine des forces qui ne lui appartiennent nullement ; secondement en octroyant à cette même raison la liberté de tout penser et de toujours tout oser, il supprime entièrement les droits, les fonctions et l’autorité de l’Eglise.
Magnification de la pensée humaine
En effet, il enseigne d’abord que la philosophie, si l’on s’en fait une juste idée, peut non seulement percevoir et comprendre ces dogmes chrétiens que la raison naturelle possède en commun avec la foi, en tant, bien entendu, qu’ils peuvent être perçus par l’une et par l’autre ; mais encore ceux qui constituent proprement et principalement la religion chrétienne et la foi. Il veut donc que même la fin surnaturelle de l’homme et tout ce qui s’y rapporte, sans en excepter le mystère sacré de l’incarnation du Seigneur, soient du ressort de la raison humaine et de la philosophie ; il prétend qu’une fois ces vérités présentées à la raison comme son objet, elle peut d’après ses propres principes parvenir à les démontrer. L’auteur, il est vrai, met quelque différence entre ces dernières vérités et les premières ; il attribue à la raison un moindre droit sur les dernières ; il proteste néanmoins clairement et ostensiblement que celles-ci font partie de ce qui constitue la matière propre et véritable de la science ou de la philosophie. D’après lui on pourrait donc, on devrait même conclure absolument que nonobstant le fait de la révélation, la raison pourrait par elle-même, non pas en s’appuyant sur le principe de l’autorité divine, mais sur les principes et sur les forces naturelles, arriver à comprendre avec la certitude que donne la science, les mystères le plus profonds de la sagesse, de la bonté et même de la libre volonté de Dieu.
S’attachant à ces passages et à d’autres qui sont presque innombrables dans les divines Ecritures, les saints Pères, lorsqu’ils ont voulu exposer la doctrine de l’Eglise, ont toujours eu soin de distinguer la connaissance des choses divines, à laquelle toute intelligence humaine peut arriver par ses seuls efforts, de la connaissance de ces mêmes vérité, que donne la foi avec l’assistance du Saint-Esprit. Ils ont constamment enseigné que par la foi nous sont révélés en Jésus-Christ des mystères qui surpassent, non seulement la philosophie humaine, mais encore les intelligences angéliques ; si ces mystères sont manifestés par la révélation divine et adoptés par la foi, ils demeurent cependant cachés encore sous le voile sacré de cette foi et enveloppés de profondes ténèbres, tant de voyageurs en cette vie mortelle, nous demeurons loin du Seigneur.
On voit, par ce qui précède, combien diffère de la doctrine de l’Eglise catholique le sentiment de Frohschammer, lorsqu’il dit sans hésiter : que tous les dogmes du christianisme indistinctement sont l’objet de la science naturelle ou de la philosophie ; que, si ces dogmes lui sont proposés comme objet, la raison humaine en les connaissant d’une manière simplement historique peut s’élever, avec ses forces et ses principes naturels, à une connaissance véritablement scientifique de tous et des plus profonds même.
Liberté totale de la philosophie
Dans les écrits susmentionnés de ce même auteur, règne un second sentiment qui contredit ouvertement l’enseignement et la pensée de l’Eglise. Il accorde à la philosophie une liberté qu’il faut nommer, non pas la liberté de la science, mais une licence philosophique condamnable et absolument intolérable. Par une distinction qu’il établit entre le philosophe et la philosophie, il accorde au philosophe le droit et le devoir de se soumettre à l’autorité qu’il aura approuvée comme vraie et il affirme que jamais la philosophie ne doit ni ne peut se soumettre à l’autorité. Peut-être pourrait-on tolérer ce sentiment, l’admettre même, s’il était simplement question du droit qu’à la philosophie, comme les autres sciences, de tenir à ses principes, à sa méthode, à ses conclusions ; et si la liberté consistait à user de ce droit et à ne rien admettre de ce qui ne rentre pas dans des conditions qu’elle exige ou de ce qui lui est étranger. Mais cette juste liberté de la philosophie doit connaître ses limites et s’y arrêter. Jamais, en effet, ni le philosophe, ni la philosophie même, n’auront le droit, ni d’enseigner ces choses contraires à ce qu’enseignent la révélation et l’Eglise, ni de révoquer en doute ces vérités révélées, parce qu’elle ne les comprend pas, ni de récuser le jugement que l’autorité de l’Eglise a cru devoir porter sur certaine conclusion philosophique, laissée libre jusque là. De plus, cet auteur combat avec tant d’opiniâtreté, avec tant de témérité pour la liberté ou plutôt la licence effrénée de la philosophie, que, peu content d’affirmer que l’Eglise ne doit jamais sévir contre la philosophie, il ajoute que son devoir est d’en tolérer les erreurs, de lui laisser la soin de se corriger elle-même ; ce qui revient nécessairement à octroyer aux philosophes la liberté qu’ils réclament pour la philosophie et par là à les soustraire à toute loi.
La condamnation
Qui ne voit avec quelle énergie on doit rejeter, réprouver et condamner ce sentiment et cette doctrine de Frohschammer ? En effet, l’Eglise, en vertu de son institution divine, est tenue de garder avec le plus grand soin le dépôt entier et inaltérable de la foi, de veiller continuellement et avec le plus grand zèle au salut des âmes ; d’écarter et d’éloigner soigneusement tout ce qui peut ou contredire la foi ou mettre de quelque façon le salut en péril. C’est pourquoi, en vertu de la puissance qu’elle tient de son divin Créateur, elle a le droit, surtout, le devoir, non de tolérer, mais de prescrire et de condamner toutes les erreurs, quand le réclament l’intégrité de la foi et le salut des âmes ; et à tout philosophe qui veut être fils de l’Eglise, à la philosophie même incombe le devoir de ne rien dire contre les enseignements de l’Eglise et de rétracter ce qu’elle leur signale. Nous proclamons, Nous déclarons entièrement erroné et surtout très injurieux pour la foi de l’Eglise et pour son autorité le sentiment qui enseigne le contraire.
Après avoir examiner avec soin, de l’avis de la congrégation des cardinaux préposée à la révision des livres, de Notre propre mouvement et de science certaine, après en avoir mûrement délibéré Nous-même, et en vertu de Notre plein pouvoir apostolique, Nous réprouvons, Nous condamnons les susdits livres du prêtre Frohschammer, comme contenant des propositions et des doctrines respectivement fausses, erronées, injurieuses à l’Eglise, à son autorité, à ses droits ; Nous voulons que tous les tiennent pour réprouvés et condamnés, et nous ordonnons à cette même congrégation d’inscrire ces mêmes livres sur l’index des ouvrages prohibés.
En vous communiquant cette décision, vénérable Frère, il Nous est impossible de ne pas vous faire part de la douleur qui Nous accable, lorsque Nous voyons Notre Fils, l’auteur de ces livres, qui eût pu si bien mériter de l’Eglise, entrainé misérablement par son cœur, se précipiter vers des voies qui ne conduisent pas au salut et de plus en plus s’éloigner du droit entier. Car, après la condamnation d’un autre de ses ouvrages, « sur l’origine des âmes » il a refusé de se soumettre : il n’a même pas craint d’enseigner de nouveau cette erreur dans les livres dont Nous Nous occupons ; d’accabler d’injures Notre Congrégation de l’index et de publier contre la conduite de l’Eglise une foule de témérités et de faussetés. Elles sont telles qu’à bon droit et à juste titre Nous pourrions Nous indigner.
Mais Nous ne voulons pas encore quitter envers lui les sentiments de Notre paternelle charité. Voilà pourquoi, vénérable Frère, Nous vous prions de vouloir lui manifester ces paternelles dispositions de Notre cœur et l’extrême douleur qu’il Nous a causée. Donnez-lui, en même temps, de salutaires avis ; exhortez-le, conseillez-lui de prêter l’oreille à Notre voix, à la voix du Père commun des fidèles, de revenir à résipiscence, comme il convient à un fils de l’Eglise catholique. Ainsi il Nous remplira tous de joie, il expérimentera lui-même combien il est doux, non de jouir d’une certaine liberté vaine et funeste, mais de s’attacher au Seigneur, « dont le joug est suave et le fardeau léger ; dont la parole est immaculée, épurée par le feu ; dont les jugements sont vrais, portant en eux-mêmes leurs justifications, et dont les voies sont miséricorde et vérité. » Enfin, Nous profitons volontiers de cette occasion pour vous offrir un nouveau témoignage et une preuve nouvelle de Notre bienveillance toute particulière ; Nous voulons vous en donner pour gage Notre bénédiction apostolique ; et de toute l’affection de Notre cœur, Nous la répandons avec amour sur vous, vénérable frère, et sur le troupeau confié à votre sollicitude.
Donné à Rome, près saint-Pierre, le 11 décembre de l’année 1862, la dix-septième de Notre pontificat.
Source : Jean Baptiste Raulx, Encyclique et documents, 1er volume ; Bar-le-Duc ; Paris ; Bruxelles, 1865.