Sainte Marie-​Madeleine Postel

Ourville-en-Caux (Seine-Mar.) église Notre-Dame-de-l'Assomption, statue (12) Sainte-Marie-Madeleine Postel

Vierge, fon­da­trice des Sœurs des Ecoles chré­tiennes de la Miséricorde (1756–1846).

Fête le 16 juillet.

Cette vierge, au carac­tère éner­gique, à la foi inébran­lable, au dévoue­ment inin­ter­rom­pu, a réa­li­sé pen­dant sa vie presque sécu­laire, au milieu des dif­fi­cul­tés de toutes sortes, deux grandes œuvres : la fon­da­tion d’un Institut voué à l’éducation chré­tienne des enfants du peuple et au soin des malades, la res­tau­ra­tion d’une des plus anciennes abbayes de France.

Une enfant prédestinée. — Chez les Bénédictines de Valognes.

Le 28 novembre 1756, à Barfleur, petit port du dio­cèse de Cou­tances, nais­sait Julie-​Françoise-​Catherine Postel (la future Mère Marie- Madeleine), si ché­tive et si déli­cate qu’on s’empressa de l’ondoyer et de faire le soir même les céré­mo­nies du bap­tême. Les parents, Jean Postel et Thérèse Levallois, demi-​bourgeois cam­pa­gnards, posses­seurs de mai­sons et de jar­dins au vil­lage de La Bretonne, près de Barfleur, étaient encore plus riches de foi et de ver­tus chré­tiennes : c’est dire quelle solide et sur­na­tu­relle édu­ca­tion reçurent leurs sept enfants.

A ce foyer chré­tien, l’âme de la petite Julie s’épanouit merveil­leusement sous la douce influence de la grâce bap­tis­male. L’enfant récite le cha­pe­let avec son père qui corde le chanvre ; à l’église, après les expli­ca­tions don­nées par la mère, ses regards res­te­ront fixés, au moment des offices, sur l’autel et le prêtre. Si le ton­nerre gronde, elle est bien contente parce que, dit-​elle : la peur de la foudre em­pêche les hommes d’offenser, pen­dant l’orage, le bon Dieu. A cinq ans, elle donne une par­tie de ses vête­ments à une pau­vresse, ses chaus­sures dans une autre cir­cons­tance. Elle va au caté­chisme comme à une fête : ses réponses, note le curé, sont meilleures que celles des per­sonnes beau­coup plus âgées. L’enseignement reli­gieux, rete­nu par une mémoire extra­or­di­naire, est mis aus­si­tôt en pra­tique. La fillette, pen­dant le Carême, pèse avec des coquilles dis­po­sées en balance, son pain ; elle met une planche dans son lit et une pierre à la place de l’oreiller.

La grande pure­té de conscience (elle ne fut jamais ter­nie par aucun péché déli­bé­ré, affirme la Bulle de béa­ti­fi­ca­tion), le sérieux de la conduite (selon une de ses sœurs, Julie n’a pas eu d’enfance), le très vif attrait pour l’Eucharistie, valurent à la petite Julie la faveur de faire à neuf ans, au lieu de douze, cette pre­mière com­mu­nion qui doré­na­vant se renou­vel­le­ra chaque jour ou presque, jusqu’à la mort.

La maî­tresse d’école en fît la sur­veillante, la « moni­trice » des fillettes, et elle n’eut qu’à s’en féli­ci­ter. Après les classes, Julie por­tait aux indi­gents leurs por­tions de soupe et de bois, quê­tait pour eux de porte en porte. Pour la pré­pa­rer à sa mis­sion future, Dieu ins­pi­ra à une bien­fai­trice l’idée de payer les frais de sa pen­sion chez les Bénédictines de l’abbaye royale de Valognes. Là comme à Bar- fleur, la jeune fille fut un modèle pour ses com­pagnes, la consola­tion de ses maî­tresses. Elle fit le vœu de se consa­crer au ser­vice de Dieu et du pro­chain, non pas cepen­dant dans cette abbaye de Valognes, dont la règle lui parut trop douce et les reve­nus trop abon­dants. Elle vou­lait des reli­gieuses qui n’auraient d’autres rentes que leurs doigts et qui seraient obli­gées de tra­vailler pour sub­ve­nir à leurs besoins et à ceux des pauvres.

Ecole-​ouvroir à Barfleur. — La vierge gardienne de l’Eucharistie.

En 1774, Julie regagne la mai­son pater­nelle, déci­dée à faire pour les jeunes filles l’œuvre de for­ma­tion et d’instruction chré­tiennes que saint Jean-​Baptiste de la Salle a accom­plie pour les gar­çons. Elle a dix-​huit ans ; le savoir, une pié­té solide, ali­men­tée et for­ti­fiée par la prière et la com­mu­nion quo­ti­dienne : son cœur, débor­dant de dévoue­ment, appar­tient aux enfants, qu’il attire comme l’aimant le fer. Dans l’école qu’elle fonde, et à laquelle est joint un inter­nat des­ti­né sur­tout aux orphe­lines, elle enseigne, avec le caté­chisme, le cal­cul et l’écriture, tous les ouvrages ou tra­vaux fémi­nins utiles.

L’infatigable maî­tresse soigne aus­si les malades, assiste les mou­rants, quête pour les pauvres, leur don­nant d’abord ce qu’elle a de meilleur en fait d’habits ou d’aliments : pour eux elle tra­vaille la nuit, filant le rouet dans l’obscurité, par éco­no­mie ou pour ne pas éveiller les soup­çons de sa famille. Son unique repas quo­ti­dien se com­pose d’un maigre potage, accom­pa­gné de légumes rem­pla­cés le plus sou­vent par le pain sec et l’eau. Jamais de viande ni de pois­son. Elle couche sur des planches, ayant dans sa main droite un cru­ci­fix ; elle pra­ti­que­ra cette vie d’austérité jusqu’à la mort.

Survient la san­glante per­sé­cu­tion de la Terreur en 1791. La « sainte demoi­selle » cache les vases sacrés, refuse, mal­gré les menaces et la vio­lence, d’assister aux offices du curé intrus. Dans sa mai­son de La Bretonne, sous un esca­lier de gra­nit, elle amé­nage en cha­pelle dédiée à Marie, Mère de Miséricorde, un réduit de quelques mètres car­rés. Un prêtre y laisse le Saint Sacrement à demeure. Julie en sera la pieuse et vigi­lante gar­dienne ; le jour et une bonne par­tie de la nuit (toute la nuit, le jeu­di soir), elle fera amende hono­rable pour les péchés et les outrages des hommes. Pendant ces veillées noc­turnes, elle lit les ouvrages des Pères, des auteurs ascé­tiques et mys­tiques, car un curé lui a con­fié sa biblio­thèque. Jamais, lors des nom­breuses visites domi­ciliaires, l’oratoire ne fut décou­vert ni pro­fa­né. Cependant, des prêtres y venaient dire la messe, don­ner les sacre­ments, dis­tri­buer la com­mu­nion aux enfants et aux adultes que Julie avait pré­pa­rés et convo­qués. Elle-​même fut auto­ri­sée à se com­mu­nier chaque jour, à por­ter l’Eucharistie aux mou­rants, quand le ministre sacré ne peut venir la cher­cher ; à la dis­tri­buer aux fidèles qui fré­quentent sa cha­pelle. Les anges gar­diens — Julie les hono­rait d’un culte parti­culier — veillent sur sa mai­son, et plu­sieurs fois, grâce à eux, elle fran­chit en quelques ins­tants des obs­tacles insur­mon­tables ou trop longs à contour­ner, comme un étang. Par sa prière, elle pro­cure à son père ense­ve­li sous les décombres d’une mai­son écrou­lée l’absolution d’un prêtre insermenté.

Les prédictions d’une fillette. — La fondation de l’Institut à Cherbourg.

Des épreuves fort pénibles fondent sur elle : mort de sa mère en 1804, adhé­sion d’un de ses tantes au schisme de la Petite Eglise, dis­sen­sions et que­relles entre curés et parois­siens. Tout cela, mais sur­tout la véné­ra­tion décla­rée ou ingé­nue de ses com­pa­triotes, qui blesse son humi­li­té, la détachent de la terre natale. Dieu vient de lui faire connaître sa mis­sion et sa des­ti­née par­ti­cu­lières, par la bouche d’une fillette de huit ans, que Julie, sa maî­tresse, a pré­pa­rée à la pre­mière Communion.

« Vous for­me­rez, lui dit l’enfant à son lit de mort, une com­mu­nau­té reli­gieuse à tra­vers de grandes tri­bu­la­tions : vous demeu­re­rez à Tamerville ; pen­dant de longues années, vos filles seront peu nom­breuses et on n’en fera aucun cas ; puis, des prêtres vous condui­ront dans une abbaye ; vous mour­rez dans un âge avan­cé, après vous être occu­pée d’une église. »

La pré­dic­tion va se réa­li­ser point par point ; elle sera la lumière et la force de la nou­velle fondatrice.

Julie a quarante-​neuf ans ; les tra­vaux, les aus­té­ri­tés, les veilles ont alté­ré sa san­té. Elle quitte Barfleur, après avoir pro­mis à Dieu de ne plus y reve­nir. A Cherbourg, gui­dée par la grâce, elle ren­contre, dans la cha­pelle de l’hospice, l’aumônier de la mai­son, l’abbé Louis Cabart, qui, depuis long­temps, consa­crait aux pauvres sa for­tune et son temps. Elle se confesse, lui fait part de son inten­tion d’instruire les jeunes filles pauvres, de se sacri­fier pour les mal­heu­reux et de fon­der une Congrégation ayant ce double but. Elle ne pos­sède d’autres res­sources que la Providence, secon­dée par le tra­vail de ses doigts et la pau­vre­té per­son­nelle. L’abbé Cabart a trou­vé la per­sonne qu’il cher­chait pour rem­pla­cer, auprès des enfants déshé­ri­tés, les Sœurs de la Providence qui ne sont pas encore réins­tal­lées à Cherbourg. Il loue une mai­son et y ins­talle une école qui compte bien­tôt près de trois cents enfants de la classe ouvrière. La direc­trice est aidée par une de ses amies de Barfleur ; puis arrivent deux jeunes recrues, dont Louise Viel, la future Mère Placide. L’Institut se fonde avec l’approbation de l’évêque de Cou­tances sous la direc­tion de l’abbé Cabart. Le 8 sep­tembre 1807, la fon­da­trice (désor­mais, Mère Marie Madeleine) et ses deux com­pagnes font pro­fes­sion. Les Filles de la Miséricorde (c’est le nom qu’elles ont choi­si) se consacrent à l’instruction et à l’éducation des filles pauvres, au soin des malades ; le silence sera presque conti­nuel comme le tra­vail ; l’austérité la plus grande s’observera dans le repas, dans le som­meil : on réci­te­ra le bré­viaire, comme les prêtres du dio­cèse ; on fera le plus de bien pos­sible en se cachant le plus pos­sible ; on vivra de son tra­vail et l’on tra­vaille­ra même la nuit pour n’être à charge à personne.

Quelques pos­tu­lantes se pré­sen­tèrent bien­tôt. La fon­da­trice put envoyer deux de ses filles diri­ger l’école d’Oteville‑l’Avenel ou La Venelle, à 28 kilo­mètres de Cherbourg. Bientôt même, en 1811, toute la com­mu­nau­té se trans­por­ta dans cette loca­li­té, car les Sœurs de la Providence réor­ga­ni­saient à Cherbourg ate­liers et classes, et, par une géné­ro­si­té héroïque, la Mère Marie-​Madeleine Postel réso­lut de leur céder la place pour se réser­ver les campagnes.

Les résidences d’Octeville, de Tamerville, de Valognes.

La mai­son d’Octeville‑l’Avenel était une étable spa­cieuse ; on en avait seule­ment reti­ré les ani­maux la veille de l’arrivée des Sœurs. C’était dans toute sa rigueur la pau­vre­té de Bethléem. On dut tra­vailler beau­coup pour vivre très mal ; une Sœur et une orphe­line ame­nées de Cherbourg mou­rurent : d’autres décès allaient suivre, déci­mant la petite communauté.

Aucune œuvre pos­sible. La situa­tion ne pou­vait durer. A Tamer­ville, l’ancienne école des Sœurs de Saint-​Vincent de Paul conve­nait par­fai­te­ment comme maison-​mère. Le pro­prié­taire consen­tait à la louer, mais une fille de conduite équi­voque l’avait en bail. Après bien des démarches et des prières, sous l’influence de reproches sévères que lui adres­sa la fon­da­trice, la loca­taire aban­donna la mai­son. Les reli­gieuses y trans­por­tèrent leur modeste mobi­lier, prirent à leur charge douze orphe­lines, sans ouvrir d’école pour ne pas faire concur­rence à l’institutrice com­mu­nale. Les épreuves ne man­quèrent pas ; mort de la Sœur Catherine Bellot, la pre­mière com­pagne de Julie Postel ; per­sé­cu­tion de l’institutrice ; refus par le pro­prié­taire de renou­ve­ler le bail. Il fau­dra ache­ter ou s’en aller. Dieu inter­vint. Le prince Lebrun, archi­tré­so­rier de l’empire, ache­ta l’établissement en 1813 avec l’intention d’en lais­ser la jouis­sance aux reli­gieuses. Mais l’administration com­mu­nale et le curé les obli­gèrent à par­tir au mois d’octobre sui­vant. La supé­rieure, por­tant la sta­tue de la Vierge dou­lou­reuse dans ses bras, se retour­na en disait : « Je te rever­rai, Tamerville. »

Sainte Marie-​Madeleine Postel, expul­sée de sa mai­son avec ses reli­gieuses, emporte pour toute richesse une sta­tue de la Vierge douloureuse

A Valognes où elles s’installent dans une modeste mai­son louée par M. Cabart, les Sœurs ne peuvent rien faire ; les places sont prises ; il y a déjà trois com­mu­nau­tés pour l’instruction et les ate­liers. On ren­voie les orphe­lines ; on essaye de gagner le pain quo­ti­dien en fabri­quant des para­pluies. C’est l’extrême pau­vre­té. Aucun secours humain. Les supé­rieurs ecclé­sias­tiques qui avaient jusqu’alors diri­gé et sou­te­nu la fon­da­trice, lui conseillent, ain­si qu’à ses filles, de reprendre leur liber­té ; l’œuvre ne semble pas viable. Tout appui humain a dis­pa­ru. Julie ne perd ni cou­rage ni confiance. Les Sœurs tinrent conseil : on loua auprès de Tamerville une misé­rable chau­mière et de nou­veau on s’installa en com­pa­gnie de la pauvreté.

Le retour providentiel à Tamerville.

M. Gisles, régis­seur des pro­prié­tés du prince Lebrun à Tamerville devint maire de cette com­mune. Par lui les Filles de la Miséricorde purent, en 1816, ren­trer dans leur ancienne mai­son, y recueillir des orphe­lines. Outre le soin des malades, l’enseignement du caté­chisme, elles ont la direc­tion de l’école com­mu­nale. La loi exi­geant que toute ins­ti­tu­trice ait pas­sé un exa­men, la supé­rieure, mal­gré ses 62 ans, se sou­met en toute sim­pli­ci­té à cette épreuve pour encou­rager ses filles. Elle éta­blit aus­si le pieux exer­cice du mois de Marie. Pour faire face à la ter­rible disette sur­ve­nue en 1817, elle ven­dit tout ce qu’elle put, hor­mis l’habit des Sœurs ; ses filles durent se nour­rir d’herbes ou d’orties bouillies, mais le pain ne man­qua pas aux orphe­lines ni aux indi­gents qui se présentaient.

Epreuves et joies s’entremêlaient dans l’existence de la fon­da­trice. Plusieurs pos­tu­lantes par­tirent, des pro­fesses mou­rurent ou tom­bèrent gra­ve­ment malades ; en appli­quant sur la plaie can­cé­reuse de l’une de ses filles le der­nier linge qui lui res­tait, la supé­rieure obtint sa gué­ri­son. Deux petites rési­dences purent être fon­dées à Tourlaville et à la Glacerie. Vers 1827, la Mère Marie-​Madeleine per­dit les deux prêtres qui depuis long­temps la diri­geaient : M. Dancel fut nom­mé évêque de Bayonne ; M. Cabart qui avait pré­sidé à la fon­da­tion du petit Institut, mou­rut et fut rem­pla­cé par l’abbé Lerenard ; ce prêtre allait jouer un rôle impor­tant dans l’installation de la maison-​mère à Saint-Sauveur-le-Vicomte.

Transport de la maison-​mère à Saint-Sauveur-le-Vicomte.

Le couvent de Tamerville abri­tait les Sœurs, le novi­ciat, des pen­sionnaires et des orphe­lines. Il était trop petit, encore que les reli­gieuses fussent assez peu nom­breuses. En 1832, la Mère Marie- Madeleine achète, sous le nom de son éco­nome, la vieille abbaye béné­dic­tine de Saint-​Sauveur-​le-​Vicomte ; l’église et la plu­part des bâti­ments sont à moi­tié démo­lis ; on n’a même pas de quoi payer le notaire, et la fon­da­trice a 76 ans ; elle compte sur la Providence comme par le pas­sé. Le 15 octobre 1832, selon la pré­diction rela­tée plus haut, la Supérieure, conduite par deux prêtres, s’installe avec sa petite com­mu­nau­té dans les construc­tions déla­brées. Elle orga­nise la nou­velle mai­son ; ins­talle la cha­pelle au bas côté sud de l’église, amé­nage un vaste pota­ger, éta­blit des ate­liers de tis­sage, de cou­ture ; recueille les orphe­lines, ouvre une école avec pen­sion­naires. L’extrême pau­vre­té, le tra­vail écra­sant, les sou­cis de tout genre, la jalou­sie, la cri­tique, l’hostilité même du cler­gé et de la muni­ci­pa­li­té, ces croix et bien d’autres pèsent sur les épaules de la Bonne Mère sans affai­blir sa confiance et son courage.

L’abbé Delamare, vicaire géné­ral de Coutances, a été nom­mé supé­rieur ecclé­sias­tique. La Mère Postel le reçoit comme l’envoyé de Dieu, des­ti­né à lui don­ner, au nom de l’autorité dio­cé­saine, une Règle approu­vée par l’Eglise. Sur sa pro­po­si­tion, avec une humi­li­té qui est l’un de ses plus beaux titres de gloire, elle accepte sans hési­ter et avec joie, pour sa famille reli­gieuse, les Constitutions des Frères des Ecoles chré­tiennes. « C’est tout à fait la volon­té de Dieu », affirme-​t-​elle. Les vœux furent pré­cé­dés d’un an de novi­ciat sui­vi d’une retraite mémo­rable. La fon­da­trice avait quatre-​vingt- deux ans quand, le 21 sep­tembre 1838, elle fit pro­fes­sion avec ses filles, selon les Règles défi­ni­tives qui adou­cis­saient en quelques points les pré­cé­dentes. Un lien intime unis­sait dès lors les deux Instituts voués à peu près à la même œuvre d’éducation de la jeu­nesse. La supé­rieure obtint de conser­ver le bré­viaire des prêtres, sa charge de sacris­tine, sa place près du taber­nacle, son unique repas quo­ti­dien, ses jeûnes, ses nuits d’adoration, son cor­set aux mille pointes de fer, son lit de planches et ses autres pra­tiques d’austérité et d’humilité.

La restauration de l’église abbatiale.

C’est par miracle que la nom­breuse com­mu­nau­té vit au jour le jour. Malgré le dénue­ment, les épreuves, les objec­tions les plus sérieuses, la Mère Marie-​Madeleine entre­prend de res­tau­rer, d’abord par­tiel­le­ment, l’église abba­tiale. « Dieu le veut ! » dit-​elle. De fait, les obs­tacles venant des pro­prié­taires dis­pa­raissent ; la Provi­dence envoie les res­sources selon la néces­si­té. Par obéis­sance à sa Mère, la Sœur Placide Viel, qui lui suc­cé­de­ra dans la charge de Supérieure géné­rale, ira en 1842 quê­ter à Paris, en pro­vince, hors de France : Dieu pro­té­ge­ra et béni­ra l’humble reli­gieuse. Pour ne pas lais­ser Jésus dans un cor­ri­dor, la supé­rieure et ses filles dé­blayent le ter­rain, trient les pierres, pré­parent les maté­riaux avec une ardeur extra­or­di­naire. Sous l’impulsion de la Bonne Mère, François Halley, un simple menui­sier, rem­plit à mer­veille les fonc­tions d’architecte, de sculp­teur, de conduc­teur des travaux.

Cependant, le 25 novembre 1842, le clo­cher, que l’on avait réédi­fié s’écroule en s’ouvrant comme un livre. Pas de morts ni de bles­sés ; c’est pro­vi­den­tiel, on chante le Te Deum. Tout le monde se lamente et se décou­rage. La fon­da­trice résiste aux objec­tions, aux remon­trances, aux prières de la Sœur éco­nome. « Nous allons tout recons­truire à la fois ; Dieu le veut ! l’argent ne man­que­ra pas jusqu’à ce que l’église soit rebâ­tie ; moi, j’en ver­rai la fin… du para­dis. » On démo­lit et on recom­men­ça à construire ; sur une pierre d’angle, la Mère Marie-​Madeleine fit gra­ver ces mots qui étaient toute sa devise : « Confiance en Dieu ». La Sœur Placide quête les fonds néces­saires. Plusieurs fois la situa­tion est cri­tique : cer­tains veulent arrê­ter les tra­vaux, ren­voyer les ouvriers ; la Supé­rieure s’y oppose et la Providence réa­lise sa pré­dic­tion par des secours ines­pé­rés. L’église rebâ­tie fut consa­crée en 1856 par Mgr Delamare, évêque de Luçon. La bonne Mère avait pré­dit que l’ab­bé Delamare, pro­po­sé plu­sieurs fois pour un évê­ché, ne devien­drait évêque que lorsque les Sœurs n’auraient plus besoin de lui.

Les dernières années, la mort, le rayonnement dans la gloire.

Dans les der­nières années, le nombre tou­jours crois­sant des voca­tions per­mit à Madeleine Postel de fon­der de nom­breuses écoles et rési­dences, dont une à Paris. Elle contri­bua aus­si beau­coup à éta­blir une Congrégation d’hommes, les Frères de la Miséricorde, sem­blable à la sienne. Malgré sa vieillesse patriar­cale, elle conti­nuait sa vie de tra­vail, d’austérité ; les épreuves ne man­quaient pas ; elle disait alors, comme au milieu de ses crises d’asthme : « Merci, mon Dieu, encore plus ! »

Cependant elle sen­tait ses forces fai­blir et sa mort prochaine.

Le 2 juillet 1846, elle confia à son entou­rage que la pro­chaine fête de la Vierge serait son der­nier jour sur la terre. Marie vint la cher­cher, le 16 juillet 1846, jour de Notre-​Dame du Mont-​Carmel ; Marie-​Madeleine mou­rut en disant : « Mon Dieu, je remets mon âme entre vos mains. » Elle était plus que nona­gé­naire et elle avait pu, selon la pra­tique de toute sa vie, com­mu­nier le matin même et dire l’office du jour.

Au jour des obsèques, on se recom­man­da plus à son inter­ces­sion qu’on ne pria pour le repos de son âme. Le corps, pla­cé dans le caveau situé dans le chœur de l’église abba­tiale, fut trans­fé­ré en 1855 dans la cha­pelle de la Groix. Là, à fleur de pavé, sous une arcade creu­sée dans le mur, on éle­va un tom­beau que sur­monte la sta­tue en pierre de la Mère Postel ; elle y est repré­sen­tée à genoux, devant une croix où sont gra­vés ces mots : « Obéissance jusqu’à la mort. » On ne ces­sa d’y venir prier. Des grâces sans nombre, des pro­diges écla­tants furent obte­nus par l’entremise de l’humble fon­da­trice, en par­ti­cu­lier en 1870, en faveur de son abbaye.

Inaugurés en 1891 et conduits avec maî­trise, les divers pro­cès cano­niques abou­tirent rapi­de­ment. Marie-​Madeleine Postel fut béa­tifiée le 17 mai 1908. A cette occa­sion, Pie X sou­li­gna l’angélique pure­té, le minis­tère qua­si sacer­do­tal, la foi inébran­lable, l’apostolat de la nou­velle Bienheureuse. La fon­da­trice des Sœurs des Ecoles chré­tiennes de la Miséricorde fut cano­ni­sée en même temps que la fon­da­trice d’un autre Institut ensei­gnant, sainte Madeleine-​Sophie Barat, le 24 mai 1925. Sa fête fut fixée au 16 juillet. Aux solen­ni­tés qui, quelques mois plus tard, eurent lieu à Saint-​Sauveur-​le-​Vicomte, le car­di­nal Tacci, pro­tec­teur de l’Institut deve­nu un grand arbre, repré­sen­tait le Pape Pie XI.

F. Carret.

Sources consul­tées. — Mgr Arsène Legoux, La Bienheureuse Marie-​Madeleine Postel (Lille, Paris, 1908). — G. Grente, La Bienheureuse Marie-​Madeleine Postel (col­lec­tion Les Saints, Paris, 1917). — Abbé Delamare, Vie édi­fiante de la Très Honorée Supérieure Marie-​Madeleine, née Julie Postel (Coutances, 1852). — Dom G. Meunier, O. S. B., Gerbe de mer­veilles (Paris, 1931). (V. S. B. P., nos 1415 et 1476.)