Cléricalisme ou règne du Christ Roi ?

« Ne pas tom­ber dans le clé­ri­ca­lisme », voi­là ce que le site offi­ciel Vatican News met en exergue de son entre­tien avec le car­di­nal Schönborn, le 22 octobre 2019. C’est la nou­velle devise de qui veut être bien vu à Rome : les mêmes mots pour­raient être ceux du pape François, qui en a fait l’un des axes majeurs de ses interventions.

Nous qui vou­lons le règne du Christ Roi, cela signifie-​t-​il qu’à l’in­verse de ces dis­cours, nous appe­lons de nos vœux ce clé­ri­ca­lisme tant pour­fen­du par le Souverain Pontife ? non.

Le règne du Christ Roi n’est pas le cléricalisme.

Le règne du Christ n’est pas le cléricalisme

Le terme clé­ri­ca­lisme ne désigne pas le gou­ver­ne­ment de l’Église par les clercs. C’est ce régime poli­tique et social où le gou­ver­ne­ment humain est entre les mains des ecclé­sias­tiques en tant qu’ecclésiastiques. Le seul « pays » où règne aujourd’hui le clé­ri­ca­lisme est l’État du Vatican, État ecclé­sias­tique dont le chef est le Souverain Pontife. Mais ce royaume ne couvre que quarante-​quatre hec­tares et compte moins de mille habi­tants, eux-​mêmes ecclé­sias­tiques pour la plupart.

Il ne faut pas confondre le clé­ri­ca­lisme avec le fait qu’un ecclé­sias­tique, au titre de ses com­pé­tences per­son­nelles (non ecclé­sias­tiques), puisse par­ti­ci­per, de près ou de loin, au gou­ver­ne­ment du pays : comme ce fut le cas pour Richelieu ou Mazarin. Plus près de nous, on peut citer par exemple l’abbé Fulbert Youlou, pré­sident du Congo (1959–1963), Mgr Isidore De Souza, pré­sident de l’Assemblée natio­nale béni­noise en 1990, ou le cha­noine Kir, député-​maire de Dijon de 1945 à 1968.

Le règne du Christ ne confisque nul­le­ment le pou­voir des laïcs, même s’il com­prend un rôle (nor­mal) de l’Église dans la vie sociale et poli­tique et un rôle (nor­mal) du cler­gé comme « ordre » dans la socié­té, les ecclé­sias­tiques étant eux aus­si des citoyens. Ce n’est pas l’Église en tant que telle qui est appe­lée à diri­ger la socié­té poli­tique : ceci reste l’apanage des hommes dési­gnés selon les règles propres à chaque pays, qui éla­borent des poli­tiques selon les règles propres au pays, et en fonc­tion des inté­rêts légi­times de ce pays.

Qu’est-ce que ce règne du Christ ?

Un règne actuel et réel

Le cœur de la doc­trine que veut rap­pe­ler Pie XI par l’institution de cette fête est que, contrai­re­ment aux erreurs pro­pa­gées par le laï­cisme, le Christ est véri­ta­ble­ment le sou­ve­rain des socié­tés humaines, qu’il s’agisse des socié­tés poli­tiques, éco­no­miques, cultu­relles, etc.

Il ne s’agit pas d’une simple fic­tion, d’un titre hyper­bo­lique, d’une image pure­ment péda­go­gique. Il ne s’agit pas d’une chose éthé­rée, vapo­reuse, loin­taine, éva­nes­cente, incon­sis­tante. La royau­té du Christ signi­fie bien ce qu’expriment les mots. Le Christ est réel­le­ment roi, concrè­te­ment roi, donc il pos­sède le pou­voir de com­man­der, qui se résume dans les trois pré­ro­ga­tives clas­siques : le pou­voir légis­la­tif, le pou­voir exé­cu­tif et le pou­voir judi­ciaire. Et comme le Christ est le roi uni­ver­sel, ce com­man­de­ment réel, effec­tif, s’exerce sur les indi­vi­dus, sur les familles et sur toutes les socié­tés, y com­pris les États natio­naux et les ins­tances internationales.

Contrairement aux affir­ma­tions fausses du laï­cisme, la royau­té du Christ, étant réelle et concrète, a tout à faire dans la vie de la cité. Cette royau­té́ signi­fie que le Christ a un droit effec­tif de com­man­der les hommes et les socié­tés humaines, et que les hommes et les socié­tés humaines doivent effec­ti­ve­ment recon­naître cette royau­té, la res­pec­ter et la mettre en œuvre quotidiennement.

Dans le concret

Dans une de ses homé­lies, Mgr Lefebvre donne un exemple très simple de ce qu’entraînerait le règne du Christ dans notre socié­té actuelle, capi­ta­liste : « Les pro­blèmes éco­no­miques et sociaux seraient réso­lus si la ver­tu de tem­pé­rance, plus encore que la ver­tu de jus­tice, était pra­ti­quée par tout le monde. Le mépris des choses de ce monde, la mesure en toutes choses, dans tout ce qu’il faut employer ici-​bas, dans tous les biens dont il faut user : voi­là la tem­pé­rance. Si tout le monde pra­ti­quait la ver­tu de tem­pé­rance, la ver­tu de jus­tice serait vite réso­lue. Mais parce qu’on ne veut plus pra­ti­quer la ver­tu de tem­pé­rance, parce que tout le monde recherche davan­tage de biens, tou­jours davan­tage de jouis­sance à n’importe quel prix, dans n’importe quelles condi­tions, alors la jalou­sie, l’envie se mettent dans le cœur des hommes, et ain­si la lutte se répand dans le monde entier. De même, si ceux qui pos­sèdent com­pre­naient davan­tage qu’ils doivent, eux aus­si, user avec modé­ra­tion des biens de ce monde, ils pour­raient se mon­trer plus géné­reux envers ceux qui manquent » (ser­mon à Écône, 7 jan­vier 1973).

Reconstruire la chrétienté

La base de cette doc­trine du règne du Christ, rap­pe­lée par Pie XI, est claire. D’une part, la socié­té humaine est une créa­ture de Dieu et, comme telle, doit rendre un culte à Dieu. D’autre part, la socié­té humaine forme l’homme, comme nous le voyons a contra­rio aujourd’hui, où une socié­té laï­ciste forme des hommes laï­ci­sés, apos­tats de leur bap­tême. Évangéliser, c’est chris­tia­ni­ser les âmes, mais aus­si impré­gner les ins­ti­tu­tions d’esprit chré­tien. A l’inverse, des ins­ti­tu­tions impré­gnées d’esprit chré­tien contri­buent à chris­tia­ni­ser les âmes, donc à évan­gé­li­ser. Autrement dit : à peuple chré­tien, État chré­tien ; mais aus­si : à État chré­tien, peuple chrétien.

Comme la haine anti­chré­tienne et le laï­cisme montent sans cesse, comme l’espace social de la foi se rétré­cit, comme notre foi est sans cesse agres­sée par l’immoralité, le blas­phème, le natu­ra­lisme, le pape Pie XI veut nous inci­ter à nous réveiller, à résis­ter, à entrer en esprit de résis­tance face au mal et à l’erreur. Et même, plus fort encore, il veut nous inci­ter à entre­prendre cou­ra­geu­se­ment la recon­quête de la socié­té au Christ, la recons­truc­tion de la chré­tien­té, même si maté­riel­le­ment, bien sûr, la chré­tien­té contem­po­raine va être en par­tie dif­fé­rente de la chré­tien­té antique ou médiévale.

Sources : Lettre à nos frères prêtres n° 75