La fédération européenne One of us organisait le 23 février dernier un colloque au Sénat. Ce fut l’occasion pour le Professeur Assuntina Morresi de souligner le fait que l’invention et la généralisation de la PMA était à la base d’une véritable révolution anthropologique dont notre société découvre à peine aujourd’hui les conséquences dramatiques.
Nous recenserons d’abord les différentes possibilités qu’offre aujourd’hui la science médicale aux futurs « parents », avant d’en souligner les conséquences néfastes pour finalement rappeler les principes de la loi naturelle qui gouvernent cette question.
I.- Les différentes techniques pour intervenir sur l’embryon avant sa naissance
Jusqu’il y a peu un enfant ne pouvait être que le fruit d’un acte sexuel entre son père et sa mère et celle-ci était nécessairement celle qui lui donnait naissance. Depuis plus d’un demi-siècle maintenant, la science s’est attachée à remettre en cause cette loi de la nature et à développer différentes techniques pour intervenir dans ce processus naturel avant la naissance de l’enfant. Ces méthodes sont regroupées sous le titre générique de PMA : procréation médicalement assistée.
L’IA ou insémination artificielle
L’IA ou insémination artificielle consiste à introduire artificiellement le sperme masculin dans l’utérus de la femme. Utilisée dans un premier temps comme remède à l’infertilité des époux, elle offre aussi de multiples possibilités : un couple peut faire appel à un donneur de sperme pour palier à l’infertilité du mari ; une femme peut désormais choisir sur catalogue le sperme d’un donneur anonyme pour ensuite mener seule son « projet parental » en privant son enfant de la connaissance et de la présence de son père biologique ; des couples homosexuels féminins peuvent « avoir » des enfants (l’une des deux a recours à cette technique et est reconnue comme la mère biologique de l’enfant qu’elle éduque ensuite avec sa compagne qui a même la possibilité de l’adopter légalement).
La FIV « classique » ou fécondation « in vitro »
Dans la FIV, l’ovocyte d’une femme et le sperme d’un homme sont prélevés pour ensuite être réuni « in vitro ». Ici aussi cette méthode offre de multiples possibilités : la « donneuse » d’ovocyte peut être différente de la femme qui reçoit ensuite l’embryon dans son utérus ; on peut procéder à des analyses sur l’embryon avant son implantation dans l’utérus pour choisir celui-ci (De fait, vu les problèmes de qualité des embryons obtenus, on le fait systématiquement). On s’assurera ainsi que celui-ci est sain malgré les maladies héréditaires portées par ses parents ; on le sélectionnera pour qu’il soit compatible avec un ainé atteint d’une grave maladie qu’il servira ensuite à soigner (bébé médicament [1]) ; des parents sourds pourront s’assurer que leur enfant aura la même infirmité (cas réel) ; mais plus simplement, on peut aussi choisir le sexe de l’enfant, sa couleur d’yeux, etc…
La FIV ICSI
Dans la FIV « normale » chaque ovocyte est entouré d’environ 50 000 spermatozoïdes dans l’espoir de susciter quelques fécondations. La FIV ICSI est une technique particulière qui consiste à injecter un spermatozoïde sélectionné pour sa grande qualité directement dans l’ovocyte. Elle est surtout utilisée comme remède à l’infertilité masculine due à la mauvaise qualité des spermatozoïdes ou à leur petite quantité, car elle demande beaucoup moins de spermatozoïdes que la FIV « classique ». Si le sperme ne contient pas de spermatozoïdes, on peut aller jusqu’à les prélever par biopsie testiculaire.
La FIV à trois parents [2]
C’est à la base une FIV, mais avec une intervention supplémentaire sur l’embryon avant son implantation. Elle est utilisée dans le cas de maladies mitochondriales chez la mère. Les mitochondries sont présentes dans le cytoplasme de la cellule à l’extérieur du noyau qui lui contient les chromosomes. Un défaut de fonctionnement des mitochondries de la femme peut entrainer une maladie mitochondriale dont le risque de transmission est très élevée. On prélève donc le noyau de l’ovocyte de la mère pour l’implanter dans l’ovocyte énuclée d’une « donneuse » avec des mitochondries saines.
Or les mitochondries présentes dans l’ovocyte contiennent de l’ADN distinct de l’ADN contenu dans le noyau. Il en résulte donc que l’enfant naît d’une telle FIV à trois ADN : celui de son père, celui de la donneuse du noyau et celui de la donneuse de l’ovocyte ! [3] Si on peut conclure que la « vraie » mère est assurément celle qui a donné le noyau qui contient les chromosomes, faut-il pour autant considérer le don d’ovocyte comme un geste anodin ne créant aucun lien naturel entre la donneuse et l’enfant issu de son don ?
La GPA ou gestation pour autrui
Elle consiste à faire porter par une autre femme (la mère porteuse) l’enfant d’un couple dont la mère ne peut pas (ou ne veut pas) accueillir l’embryon dans son utérus. En soi, elle est vieille comme le monde. Ainsi la Bible nous parle de Sarah, la femme d’Abraham qui, ne pouvant avoir d’enfant, demanda à son mari d’aller « vers sa servante » Agar pour avoir par elle des enfants (Ge. 16,1–2). Mais la PMA permet désormais que l’enfant « portée » soit issu génétiquement de la mère d’intention, à savoir celle pour laquelle il est « portée ». En fait, la GPA n’est qu’une des nombreuses manipulations que la PMA a rendues possible. Elle peut avoir lieu de deux façons : soit la mère porteuse est fécondée artificiellement par le sperme du père ; soit on lui implante un ovocyte de la mère génétique fécondé par le sperme du père. Dans le premier cas, elle fournit aussi l’ovocyte et est donc la « vraie » mère, la mère biologique de l’enfant ; dans le deuxième cas, la mère porteuse ne fait qu’offrir un réceptacle gestationnel à l’embryon. Elle porte un enfant qui n’est pas le sien et qu’elle s’engage à abandonner aux « vrais » parents à sa naissance. Finalement, elle loue son utérus, comme elle louerait une chambre avec service compris. Cependant, une telle gestation n’est pas anodine. Elle crée des liens forts entre la « porteuse » et l’enfant portée comme l’ont clairement manifestés plusieurs cas où la « mère porteuse » a refusé de se séparer de l’enfant à sa naissance.
Perspectives d’avenir
Jusqu’à maintenant ces différents « progrès » de la science ont surtout concerné la femme. Mais nombre de scientifiques se projettent déjà sur l’avenir pour ne pas laisser de côté l’homme. On envisage la possibilité de la greffe d’utérus sur un homme pour lui permettre d’être « père porteur » (Source : http://www.genethique.org/fr/les-hommes-pourraient-mettre-au-monde-des-enfants-dici‑5–10-ans-64499.html ; de la procréation par 2 hommes, 2 femmes ou même une seule personne (« Reproduire des souris sans recourir à des ovocytes » ? http://www.genethique.org/fr/reproduire-des-souris-sans-recourir-des-ovocytes-66132.html ). Certes, ces aberrations n’ont pas encore été réalisées et se révèleront peut-être impossibles. Il n’en reste pas moins que des scientifiques a priori sérieux n’y voient pas d’obstacles majeurs et travaillent à les rendre possibles. Mû par un désir insatiable de dominer la nature pour la plier à sa volonté, l’homme ne se reconnaît plus aucune limite.
Que dit la loi française
Le code de la santé restreint l’usage de la PMA aux couples stables composés d’un homme et une femme dans des cas précis, à savoir l’infertilité ou le risque de transmission de maladie grave : « L’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité. Le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué. » (art. L2141‑2) L’embryon « ne peut être conçu avec des gamètes ne provenant pas d’un au moins des membres du couple » (art. L2141‑2). Une fois reconnu ce principe, le code se voit dans l’obligation de préciser de nombreux points (Titre IV : Assistance médicale à la procréation) pour essayer d’éviter les nombreuses dérives auxquelles la PMA peut donner lieu. Par exemple, il doit stipuler qu” « un embryon humain ne peut être conçu ni utilisé à des fins commerciales ou industrielles » (art. L2141‑8).
Le code civil proscrit fermement la GPA sans exception : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle. » (Art. 16–7, créé par la loi n°94–653 du 29 juillet 1994 – art. 3 JORF 30 juillet 1994)
Quant à la filiation, le code civil affirme que « l’enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari » (Code civil, art. 312).
Pour la maternité, la loi ne précisait rien jusqu’il y a peu. En effet l’acte de naissance était réalisé suite à l’accouchement qui désignait clairement la mère de l’enfant. Depuis l’avènement de ces nouvelles techniques médicales, la question n’est plus si simple. La loi du 4 juillet 2005 a pris en compte cette évolution en ajoutant au code civil l’article 225–11 : « La filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant. » Si on se réfère au seul texte de cet article, il semble que le législateur ouvre la porte à la reconnaissance de l’enfant par une femme autre que celle qui a accouché du moment que cette dernière ne s’y oppose pas et donc, en autres, à la reconnaissance de la filiation d’intention des enfants nés par GPA. La GPA étant interdit sur le territoire français (voir ci-dessus), le problème ne se pose que pour les enfants dont la GPA a eu lieu à l’étranger. La loi française ne peut pas sanctionner des actes ayant eu lieu dans un pays étranger quand la loi de ce pays les y autorise. Elle ne peut donc pas interdire purement et simplement le recours à la GPA hors de son territoire. Cependant, elle interdit tout démarchage en France par des sociétés étrangères en punissant « celui qui sert d’entremetteur entre la mère naturelle et les parents d’intention dans un but lucratif ou par don, promesse, menace ou abus d’autorité » (Code pénal, art. 227–12 [4]). De plus, elle punit « de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende » « la substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant. » (art. 227–13). Cet article a été utilisé pour poursuivre des parents ayant demandé la transcription sur les registres d’état civil d’un acte étranger portant mention de la mère d’intention et non de la mère « porteuse » [5]. Concrètement, la plupart des enfants nés par GPA à l’étranger sont inscrits sans difficultés sur les registres d’état civil par des officiers négligents ou bienveillants [6].
2.- Les dramatiques conséquences de cette pratique (à suivre)
Sources : Abbé François Castel
- Voir par exemple Le Figaro santé : le premier « bébé médicament » français a cinq ans (http://sante.lefigaro.fr/actualite/2016/01/26/24536-premier-bebe-medicament-francais-5-ans[↩]
- Interdite en France, cette technique a été autorisée en Angleterre en 2015. On recense aussi d’autres cas au Mexique et en Ukraine. Sources : https://www.alliancevita.org/2018/02/fiv-a-3-parents-premieres-autorisations-grande-bretagne/ ; http://www.genethique.org/fr/naissance-dun-bebe-trois-parents-en-grece-71658.html.[↩]
- Cf site internet Doctissimo, la FIV « à trois parents ». « De cette façon, le patrimoine génétique de la mère, présent dans le noyau, serait (sic) en parité conservé et transmis à l’enfant. »[↩]
- Article 227–12 : « Le fait de provoquer soit dans un but lucratif, soit par don, promesse, menace ou abus d’autorité, les parents ou l’un d’entre eux à abandonner un enfant né ou à naître est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. »
« Le fait, dans un but lucratif, de s’entremettre entre une personne désireuse d’adopter un enfant et un parent désireux d’abandonner son enfant né ou à naître est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
« Est puni des peines prévues au deuxième alinéa le fait de s’entremettre entre une personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre. Lorsque ces faits ont été commis à titre habituel ou dans un but lucratif, les peines sont portées au double.
« La tentative des infractions prévues par les deuxième et troisième alinéas du présent article est punie des mêmes peines. »[↩] - Si, en effet, l’officier d’état civil soupçonne une GPA, il doit saisir le parquet du tribunal de grande instance de Nantes « aux fins de vérification et la filiation des enfants peut être contestée selon la procédure suivante : le parquet devrait tout d’abord faire transcrire les actes de l’état civil étrangers sur les registres de l’état civil consulaires pour ensuite en demander l’annulation, non pas sur le fondement de leur irrégularité ou de l’inexactitude des faits qui y sont relatés mais sur celui de la fraude aux règles d’ordre public édictées par la loi française ».
« Le parquet du tribunal de grande instance a ainsi été conduit à élaborer sa propre « jurisprudence », s’il est possible d’employer ce terme compte tenu du faible nombre des dossiers traités, avec pour principal critère la vérité de l’accouchement.
« Sur les quinze affaires dont il a été saisi, sept concernaient des hommes célibataires, dont la paternité était établie. Dans la mesure où les actes de naissance des enfants désignaient la femme ayant porté l’enfant en qualité de mère, le parquet n’avait pas de raison de s’opposer à leur transcription sur les registres de l’état civil français.
« Huit affaires concernaient des couples de sexe différent. La mention de la maternité de la mère intentionnelle sur les registres de l’état civil français étant impossible car contraire à l’ordre public, il leur fut proposé de faire désigner la mère porteuse étrangère en qualité de mère. En cas d’acceptation, la transcription a été réalisée et aucune action judiciaire n’a été engagée. En cas de refus, la transcription a été réalisée, avec mention de la mère intentionnelle en qualité de mère, mais aux seules fins de permettre au parquet territorialement compétent d’engager une action en contestation d’état. » (Rapport du Sénat Contribution à la réflexion sur la maternité pour autrui, 25 juin 2008, https://www.senat.fr/notice-rapport/2007/r07-421-notice.html)
Depuis, le Conseil d’Etat a validé le 12 décembre 2014, une circulaire du ministre de la justice Christiane Taubira de janvier 2013 qui précisait que le seul soupçon de recours à une convention de GPA à l’étranger ne pouvait suffire à opposer un refus de délivrance : « Le Conseil d’État juge que la seule circonstance qu’un enfant soit né à l’étranger dans le cadre d’un contrat (de gestation ou de procréation pour autrui), même s’il est nul et non avenu au regard du droit français, ne peut conduire à priver cet enfant de la nationalité française ». La justice continue, cependant, à s’opposer à l’inscription dans les registres d’état civil de ces enfants.
Ces différentes interventions témoignent d’une certaine ambiguïté du droit dans ce cas précis de la reconnaissance des enfants né par GPA à l’étranger. Celle-ci a donné lieu à de véritables thrillers juridiques aux nombreux rebondissements. Ainsi la famille Mennesson se bat depuis 1998 pour faire inscrire leurs deux filles nés par GPA aux Etats-Unis (https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/10/05/le-couple-mennesson-symbole-du-combat-pour-la-reconnaissance-des-enfants-nes-par-gpa_5364981_3224.html). Dernier jugement en date, la décision de la Cour Européenne des droits de l’homme du 11 avril 2019 qui « affirme que la reconnaissance de cette filiation est exigée par « l’intérêt supérieur de l’enfant » mais ne passe pas obligatoirement pas la transcription de l’acte de naissance établi à l’étranger. Chaque Etat européen peut choisir du « mode » de reconnaissance, et ainsi passer par l’adoption en ce qui concerne la mère d’intention. « Le droit au respect de la vie privée d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une GPA requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la “mère légale”» affirme la CEDH dans son avis consultatif, ajoutant qu’il « importe cependant que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de leur mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant. » » (http://genethique.org/fr/gpa-la-cedh-ne-preconise-pas-la-transcription-des-actes-de-naissance-71650.html ;http://www.lefigaro.fr/vox/societe/la-cedh-reconnait-du-bout-des-levres-que-la-gpa-est-problematique-20190411?redirect_premium).[↩] - Il est difficile de donner un chiffre exact du nombre d’enfants qui naissent par GPA hors de France, mais des estimations sérieuses avancent le chiffre de 100 à 200 par an (https://www.europe1.fr/societe/Combien-y-a-t-il-d-enfants-nes-d-une-GPA-399108 ; http://www.leparisien.fr/espace-premium/air-du-temps/l‑etonnant-rapport-sur-les-meres-porteuses-09–07-2013–2966989.php). En janvier 2013, Christiane Taubira faisait état d’une quarantaine de cas litigieux sur plusieurs années. Il faut conclure que plus de 90 % des enfants nés de GPA hors de France sont inscrits sans la moindre réclamation sur les registres d’état civil français.[↩]