Quelle paternité pour demain ?

Depuis le droit romain, la loi demande de gérer ses biens ou ceux dont on a la charge « en bon père de famille ». Depuis 2014, la légis­la­tion fran­çaise indique de le faire sim­ple­ment « raisonnablement »

« Men in progress » : bon père de famille ou raisonnablement ?

« Allez… Sois un homme ! Attends, attends, stop !
C’est quoi être homme ?
Un homme doit être capable de… sou­le­ver son poids ? Vraiment ?
(…) On dit qu’un homme doit être grand. Et qu’un homme ne pleure qu’une fois dans sa vie. On dit qu’un homme doit être un bon père. Mais deux bons pères, ça marche aus­si. Et cer­tains disent qu’on ne chan­ge­ra jamais.
Vous pen­siez vrai­ment que j’étais comme ça ?
Eh oui, on peut chan­ger les codes.
On dit qu’un homme doit défendre son pays.
Et quel que soit l’uniforme.
On dit qu’un vrai mec prend son cou­rage à deux mains.
Et qu’un homme, un vrai, ça maî­trise le feu.

Mais non, faut qu’on arrête avec tout ça.
Et si être un homme, c’était être prêt à por­ter le pro­grès ?
Alors allons‑y. Un T‑shirt bio à la fois. Un jeans recy­clé à la fois. »

Voilà une publi­ci­té pour vête­ments mas­cu­lins, impo­sée à nos oreilles, résu­mée à la fin en un slo­gan : « Men in pro­gress ». Le pro­grès, le pro­grès… Y aurait-​il une mas­cu­li­ni­té et une pater­ni­té qui devraient s’adapter au pro­grès ? Celle qui doit com­prendre que « deux bons pères, ça marche aus­si ». Celle qui sup­prime l’expression « en bon père de famille » dans la loi fran­çaise[1] ?

Qui veut quoi ?

Cette évo­lu­tion n’est pas inno­cente, il y a un plan. Ne serait-​il pas un peu com­plo­tiste d’affirmer cela ? C’est très pro­bable, mais ce com­plot ne fait pas l’ombre d’un doute. Il s’agit de la volon­té des­truc­trice de celui qu’on appelle l’Ennemi ou Satan. Ce com­plo­teur ne date pas d’hier, il est vieux comme le monde, et nous n’aborderons pas ici la ques­tion de savoir si ceux qui portent ses idées le font volon­tai­re­ment ou consciem­ment, quoique ce sujet soit fort inté­res­sant, il nous mène­rait trop loin. Nous nous conten­te­rons ici de consta­ter ses opérations.

Satan est l’Ennemi de Dieu et de tout ce qui rap­proche de Dieu. L’ enfant sera tué avant le bap­tême, c’est déjà une pre­mière chose ; puis, pour l’enfant né, voire bap­ti­sé, il faut faire en sorte qu’il reçoive le moins de Dieu. Pour ce faire, la mater­ni­té est atta­quée, l’école catho­lique est atta­quée, la pater­ni­té aus­si est attaquée.

Il n’y a rien d’étonnant à cela. Il y a en effet tout inté­rêt à détruire la pater­ni­té si l’on veut cou­per les âmes de Dieu. Quand un chré­tien s’adresse à Dieu, il dit « Notre Père ». Mais si l’image du père ne le ren­voie à rien, ou rien de posi­tif, il ne sait plus qui est Dieu. Dieu passe par la nature, la nature passe par la famille, la famille par le père. Détruisez le père, et la famille se déli­te­ra. Détruisez la famille et la nature sera oubliée. Oubliez la nature, et Dieu ne devient qu’un empê­cheur de pro­gres­ser en rond.

Le père progressiste

Quel est donc le père de demain, rêvé par les progressistes ? 

Il est néant. Éventuellement un adulte réfé­rent, res­pon­sable légal du mineur, peu importe son iden­ti­té, son orien­ta­tion, son lien de sang avec l’enfant, son lien avec le deuxième réfé­rent, homme ou femme, s’il y en a un deuxième. Plus le lien sera ténu, mieux ce sera. En effet, l’homme indi­vi­du est beau­coup plus influen­çable et « déna­tu­ra­li­sable » que l’homme en socié­té natu­relle, à savoir la famille.

Nous voyons ain­si le pro­jet — heu­reu­se­ment inap­pli­qué dans sa lettre, et mal­heu­reu­se­ment rete­nu quant à son esprit — de Michel le Peletier de Saint-​Fargeaux, pré­sen­té le 13 juillet 1793 à la tri­bune de la Convention par le triste Robespierre. Ce pro­jet veut don­ner le mono­pole à l’État tant en matière d’instruction que d’éducation dès l’âge de 5 ans : « Je demande que vous décré­tiez que, depuis l’âge de cinq ans jus­qu’à douze pour les gar­çons, et jus­qu’à onze pour les filles, tous les enfants sans dis­tinc­tion et sans excep­tion seront éle­vés en com­mun, aux dépens de la République ; et que tous, sous la sainte loi de l’é­ga­li­té, rece­vront mêmes vête­ments, même nour­ri­ture, même ins­truc­tion, mêmes soins[2]. (…) Jusqu’à cinq ans on ne peut qu’a­ban­don­ner l’en­fance aux soins des mères ; c’est le vœu, c’est le besoin de la nature : trop de détails, des atten­tions trop minu­tieuses sont néces­saires à cet âge ; tout cela appar­tient à la mater­ni­té ».

Exit donc la fonc­tion du père[3]. Le père se conten­te­ra d’être géni­teur, pour le reste, adressez-​vous à la Patrie, en l’occurrence, la République. Elle seule est dans la pos­si­bi­li­té de don­ner ins­truc­tion et édu­ca­tion conformes non plus à la nature, mais à l’homme nou­veau, c’est-à-dire l’homme affran­chi de la nature et de Dieu, et par consé­quent affran­chi du père et du Père[4].

Le père réaliste

Face à ce constat, à ce com­plot de Satan, por­té consciem­ment ou non par des « pro­gres­sistes » en tout genre, que faire ? Il s’agit de reve­nir à la réa­li­té de la nature, la nature de la pater­ni­té, et la nature ren­ver­ra à son Créateur, et par­tant nous condui­ra dans la voie surnaturelle.

Par nature, le père est une pièce maî­tresse de la famille, bio­lo­gi­que­ment, mais aus­si psy­cho­lo­gi­que­ment. Une famille sans père au sens propre ou figu­ré, est une famille en souf­france. Il arrive que l’absence soit au sens figu­ré ; en effet le lien bio­lo­gique est beau­coup plus fort entre l’enfant et sa mère par nature ; d’ailleurs, dans les pre­miers moments de sa vie le nour­ris­son se passe tota­le­ment du père. Mais il faut que cette absence natu­relle évo­lue. Le père aura alors la place que la mère lui lais­se­ra prendre et qu’il sau­ra prendre. À cha­cun des deux de prendre ou lais­ser la place comme il convient, afin que le père puisse accom­plir ce qu’on attend de lui.

Qu’attend-on du père ?

Cette place n’est pas négli­geable, elle est même néces­saire afin de per­mettre à la mère de rem­plir sa voca­tion propre.

Autorité

Ainsi, le père par nature est l’autorité. C’est lui qui com­mande. Que la mère lui ins­pire les ordres à don­ner est tout à fait bien­ve­nu : son intui­tion sau­ra repé­rer ce qu’il faut pour tel ou tel enfant. Mais c’est à l’autorité d’ordonner et de faire en sorte que l’ordre soit sui­vi d’effet. Là où la mère sera natu­rel­le­ment por­tée à l’indulgence, il fau­dra que le père affirme l’autorité fami­liale, voire aille jusqu’à pro­té­ger la mère de la « mani­pu­la­tion » des enfants, qui savent com­ment faire « cra­quer » maman. 

Cette auto­ri­té don­ne­ra aus­si la direc­tion à la famille. Quoique les déci­sions aient été mûries à deux, c’est le père qui com­mande à toute la famille : tant en matière d’éducation, qu’en matière de vie spi­ri­tuelle (à qui allons-​nous confier nos âmes ? messes le dimanche et en semaine…), jusqu’aux règles de vie fami­liale (horaires, uti­li­sa­tion d’Internet, téléphones…)

Protecteur et émancipateur

Par son rôle d’autorité, le père devient aus­si un pro­tec­teur : si la mère est obli­gée d’assumer une auto­ri­té pater­nelle, alors elle s’use, se fatigue et craque, ou alors elle devient imbu­vable… L’autorité pater­nelle la pro­té­ge­ra. La mère pour­ra accom­plir ses fonc­tions mater­nelles sous la pro­tec­tion de l’autorité pater­nelle ( le fameux « on ver­ra ça ce soir avec ton père »). Il sera même pro­tec­teur spé­cial de son épouse contre les petites et grandes rebel­lions des enfants. C’est au père qu’il revient de faire com­prendre qu’on ne touche pas à la reine du foyer.

Protecteur, le père sera aus­si sans contra­dic­tion éman­ci­pa­teur : autant la mère aura ten­dance à main­te­nir ses enfants dans l’atmosphère pro­tec­trice du foyer et à en éloi­gner les dan­gers, autant la fonc­tion du père sera d’ouvrir les enfants au monde, et de rompre le cocon mère-​enfant (ce qu’on appelle aus­si cou­per le cor­don ombi­li­cal), et de faire prendre des risques à ses enfants, (sport à risque, mani­fes­ta­tion légi­time mais dan­ge­reuse, tra­vail risqué,etc.) notam­ment les gar­çons. Ces risques seront pris en sûre­té, parce que papa est là, et c’est ain­si que l’enfant déve­lop­pe­ra la confiance en soi, appren­dra l’autonomie, la maî­trise de son anxié­té natu­relle face au dan­ger et à l’inconnu ; en un mot, il appren­dra la vraie pru­dence. Pour les enfants, cela peut être sen­ti comme une frus­tra­tion, un arra­che­ment à la tran­quilli­té, mais c’est l’apprentissage néces­saire, même au regard natu­rel, du sacrifice. 

Don de soi

Naturellement, la mère se donne tota­le­ment à ses enfants. Elle se charge aus­si, en bonne maî­tresse de mai­son, de don­ner à cha­cun sa charge et d’impliquer les enfants dans la vie fami­liale. Le père quant à lui se char­ge­ra de déve­lop­per la géné­ro­si­té de l’enfant au niveau social : dans la paroisse, le vil­lage, éven­tuel­le­ment la vie poli­tique, etc. Par son exemple et son impli­ca­tion, il sor­ti­ra les enfants du petit confort fami­lial, dans une juste mesure. 

Vers le Ciel

Toutes ces choses qui sont atten­dues du père n’ont pour but que d’épanouir la nature de telle sorte que le sur­na­tu­rel s’y retrou­ve­ra à l’aise. Les parents, par l’autorité pater­nelle et par la pié­té mater­nelle, déve­lop­pe­ront une vie chré­tienne, mais qui ne pour­ra res­ter indé­fi­ni­ment dans la famille. Au père donc de veiller aus­si, en pre­mier lieu par son exemple, à la vie spi­ri­tuelle auto­nome des grands enfants.

Conclusion

Terminons avec les paroles du pape Pie XII aux jeunes époux : 

« Comme elle est belle et mémo­rable, cette béné­dic­tion que Raguel pro­nonce sur le jeune Tobie, lorsqu’il apprend de qui il est le fils : « Sois béni, mon fils, car tu es fils d’un homme de bien, du meilleur des hommes » (Tb 7, 7). Le vieux Tobie n’était plus riche des biens de la terre ; le Seigneur lui avait envoyé l’épreuve de l’exil et de la céci­té. Mais il avait pour richesse quelque chose de mieux : les admi­rables exemples de sa ver­tu et les sages avis qu’il don­nait à son fils. Nous aus­si nous vivons en des temps dif­fi­ciles ; et vous ne réus­si­rez peut-​être pas tou­jours à pro­cu­rer à vos enfants la vie belle et aisée dont vous rêvez pour eux : la vie tran­quille et contente, avec le pain quo­ti­dien — lequel, grâce à la divine Providence, ne leur man­que­ra jamais, nous l’espérons — et avec tous les biens que vous aime­riez leur assu­rer.
Mais plus encore que les biens de cette terre qui ne changent pour per­sonne cette val­lée de larmes en un para­dis de délices, pas même pour les puis­sants et les hommes de bonne chère, vous devez don­ner à vos enfants et héri­tiers des biens supé­rieurs : ce pain et cette richesse de la foi, cet esprit d’espérance et de cha­ri­té, cet élan de vie chré­tienne, de vaillance et de fidé­li­té où votre tâche de père et de mère conscients de la pater­ni­té que vous avez reçue du Ciel, les fera gran­dir et pro­gres­ser, pour votre récon­fort, devant Dieu et devant les hommes. »

Abbé Michel Morille

Source : La Voix des clo­chers n° 65

Notes de bas de page
  1. Depuis le droit romain, la loi demande de gérer ses biens ou ceux dont on a la charge « en bon père de famille ». Depuis 2014, il s’agit de le faire sim­ple­ment « rai­son­na­ble­ment ».[]
  2. Danton dira, quant à lui, le 11 août 1793 : « Mon fils ne m’appartient pas, il est à la République ; c’est à elle à lui dic­ter ses devoirs pour qu’il la serve bien. » Plus tard, Laurence Rossignol dira au Sénat le 21 février 2018 : « je n’ai aucune dif­fi­cul­té à dire et répé­ter que les enfants n’appartiennent pas à leurs parents. C’est d’ailleurs une évi­dence : édu­quer des enfants, c’est les por­ter hors du foyer. » À qui donc appartiennent-​ils pour la séna­trice socia­liste ?[]
  3. Dans sa Dystopie Le meilleur des mondes Aldous Huxley va plus loin : c’est la notion même de mater­ni­té qui est pré­sen­tée comme obs­cène : les bébés sortent avec une plus grande hygiène des éprou­vettes.[]
  4. Il n’en reste pas moins vrai que la nature ne se laisse pas faire, et Dieu non plus. Nous pou­vons ain­si trou­ver de belles éloges du père chez un homme comme Victor Hugo, le chantre de la République : nul n’est tota­le­ment mau­vais.[]