Vivre en mère chrétienne

Que serait le monde, sans la mère de famille ? Son mari comme ses enfants sont sa cou­ronne : en sa paix, une deuxième fois elle les a engendrés.

Les rides d’un visage mater­nel sont sacrées : l’amour les a creu­sées (Cal Mindszenty). À abor­der la mater­ni­té, c’est d’abord un sen­ti­ment d’immense recon­nais­sance pour nos propres mères qui nous enva­hit, pour l’amour dont elles nous ont gra­ti­fiés. N’oublions pas trop vite ce qu’elles ont don­né pour nous, com­bien elles étaient prêtes à don­ner leur propre vie pour nous don­ner vie. Avec la cru­di­té qui la carac­té­ri­sait, la loi mosaïque savait le rap­pe­ler à sa façon : Celui qui frappe son père ou sa mère doit être mis à mort (Ex 21, 15) ! Si nous adhé­rons à la leçon plus qu’à ses termes, peut-​être préférons-​nous ceux de l’Ecclésiastique, épu­rés par un mil­lé­naire de contacts avec Dieu : C’est amas­ser un tré­sor que d’honorer sa mère (Si 3, 4), n’oublie jamais ce qu’elle a souf­fert pour toi (Si 7, 27).

De la mater­ni­té, on dit qu’elle est innée chez les femmes. En témoigne l’attraction de leurs pre­miers âges pour les pou­pées, sur­tout quand la venue d’un petit frère ou d’une petite sœur les rend vivantes. Oui, Dieu a don­né à la femme un ins­tinct de mater­ni­té. L’instinct cepen­dant ne sau­rait suf­fire. Vivre en mère chré­tienne s’apprend, tant les écueils sont abon­dants. Partons néan­moins de ce pre­mier point, l’instinct, pour décou­vrir pro­gres­si­ve­ment ce que ce c’est que vivre en mère.

Quel est donc ce don inné en toute maman, irrem­pla­çable pour l’enfant ? L’hébreu le dit quand, pour nom­mer la misé­ri­corde, il use du mot raha­min, dési­gnant les entrailles mater­nelles. Par nature, la psy­cho­lo­gie fémi­nine sait se por­ter sur tout ce qu’il y a de petit et de faible, afin d’en prendre soin et de le pro­té­ger. Son intui­tion sait même sou­vent décou­vrir cette fai­blesse là où tant d’autres l’ignorent, pour lui venir en aide. Aussi l’enfant, à ce contact bien­fai­sant, accepte de n’être qu’enfant, autre­ment dit de se lais­ser faire tota­le­ment. Nul doute que cet ins­tinct décuple lorsqu’il porte sur celui qui est la chair de sa chair, son enfant. Il est alors un ins­tru­ment pour ain­si dire tout-​puissant ; au risque de le deve­nir trop ! Mais admirons-​le préa­la­ble­ment, uti­li­sé sainement.

Le cœur maternel, ce cœur que l’enfant n’a pas encore

En dotant la femme de ce que nous appe­lons l’intelligence du cœur, Dieu lui a don­né de pou­voir être tout entière pré­sente à celui qui lui fait face, plus encore à l’écoute des besoins de son être que de ses paroles. Mère, elle est en quelque sorte plus pré­sente à son jeune enfant que cet enfant ne l’est à lui-​même. Elle est pour lui ce cœur qu’il n’a pas encore. Ce der­nier, à tout rece­voir d’elle depuis le pre­mier ins­tant de son exis­tence, est tota­le­ment ouvert à une telle influence. Pour l’expérimenter, il sait com­bien l’amour mater­nel est inconditionnel.

C’est dire l’action pré­pon­dé­rante et irrem­pla­çable de la mère dans les pre­miers âges. C’est aux bat­te­ments du cœur mater­nel que l’enfant len­te­ment for­me­ra le sien. En elle et par elle, il découvre len­te­ment ce qui l’entoure ; il aime­ra ce qu’elle aime, se méfie­ra de ce qu’elle craint. Par elle encore, il appren­dra à com­mu­ni­quer. Le lan­gage ain­si appris, il le dési­gne­ra d’ailleurs du beau nom de langue mater­nelle. Plus qu’une langue, c’est une âme qu’ainsi sa mère peut for­ger jour après jour en son petit. Du choix des ber­ceuses à celui des his­toires contées, de la nature des héros véné­rés, dépendent sou­vent les pre­miers pen­chants de ce cœur d’enfant.

Véritablement, ils ne se sont pas trom­pés, ceux qui ont affir­mé com­bien la culture pas­sait par la femme. La main qui meut le ber­ceau meut le monde, dit le pro­verbe espa­gnol, et on com­prend la sainte jalou­sie que les mamans ont de leur influence sur les pre­miers âges de leurs enfants. Qu’elles le soient d’autant plus que l’inhumanité ambiante tend à leur arra­cher ce rôle de pre­mier plan, quoique secret. Notre mode de vie pousse en effet les jeunes mères à dépo­ser les enfants à la crèche pour tra­vailler, à les lais­ser devant l’écran pour se repo­ser. L’État fran­çais y va aus­si du sien, impo­sant l’école dès trois ans, sous pré­texte d’égalité des chances. Mères, autant qu’il est vous, pré­ser­vez vos pré­ro­ga­tives, ne lais­sez pas à d’autres le soin de vous rem­pla­cer gau­che­ment en la si belle mis­sion que Dieu vous a confiée sur vos petits. 

Ce qui est vrai de la culture sim­ple­ment humaine l’est tout autant de foi chré­tienne : déter­mi­nante est l’action mater­nelle sur le cœur de l’enfant. De la mère, le car­di­nal Mindszenty disait qu’elle était, après le prêtre, l’alliée la plus pré­cieuse de Dieu, le pre­mier apôtre de l’Église. C’est de la bouche de sa mère que l’enfant entend pour la pre­mière fois le nom de Jésus, qu’il en découvre l’histoire, qu’il apprend à l’aimer, tout comme à lui deman­der par­don. Aussi Pie XII n’hésite pas à décrire la mater­ni­té comme le sacer­doce des pre­miers âges. Le témoi­gnage le plus célèbre est celui lais­sé par saint Augustin en ses Confessions, lorsqu’il dit avoir bu le Christ avec le lait mater­nel : Seigneur, je suis deve­nu votre ser­vi­teur, parce que j’étais l’enfant de votre ser­vante… Ce que je suis, je le dois à la ver­tu et aux prières de ma mère. Témoignage poi­gnant, quand on sait com­bien le jeune Augustin s’éloigna de la foi comme de la morale catho­lique. De sa mère, il dira : Son fils qu’elle avait nour­ri, elle l’enfantait autant de fois qu’elle le voyait s’éloigner de vous, Seigneur… car les larmes de ma mère, ce sang de son cœur qui cou­lait nuit et jour, mon­taient vers vous en sacri­fice pour moi. Et de résu­mer d’un trait ce que tout enfant devrait pou­voir dire de sa mère : Sa chair m’a engen­dré au temps, son cœur à l’éternité.

L’écueil de la possessivité

Pour por­ter ses fruits,une telle influence doit être vécue dans un grand déta­che­ment. Car appa­raît la limite de l’instinct mater­nel lais­sé à lui-​même, le grand dan­ger qu’il peut repré­sen­ter. La bible nous en aver­tit dès la pre­mière nais­sance humaine : L’homme connut Ève, sa femme ; elle conçut et enfan­ta Caïn et dit : “J’ai acquis un homme par Yahvé” (Ge 4, 1). Malgré ses appa­rences de pié­té, une telle réac­tion est pro­fon­dé­ment déré­glée. Blessé par le pre­mier péché, l’instinct de mater­ni­té y est deve­nu pos­ses­si­vi­té. D’où le nom don­né à l’enfant, Caïn, déri­vé du verbe qânâ’, “acqué­rir”.

À vou­loir péren­ni­ser leur influence pro­fonde sur le cœur de l’enfant, les mères regardent par­fois comme un grand mal la déchi­rure du cor­don psy­cho­lo­gique qui avait pla­cé l’enfant dans leur entière dépen­dance, et s’évertuent donc à en recu­ler le plus pos­sible l’échéance. Le pédiatre Aldo Naouri ne mâche pas ses mots pour décrire une telle atti­tude : Elles agissent comme si l’enfant était pro­mis à la vie tant qu’il est en elles, mais voué à la mort dès qu’il en est sor­ti. Du coup,elles déploient contre ce des­tin une force consi­dé­rable, et tissent une sorte d’utérus vir­tuel, exten­sible à l’infini. Apparaît alors le syn­drome de sur­pro­tec­tion, tout oppo­sé à l’aguerrissement néces­saire à l’enfant qui gran­dit. Fait-​il à peine froid que le voi­ci affu­blé d’autant de man­teaux que de recom­man­da­tions. Rien de mieux que ce cadre étouf­fant pour l’inciter, une fois dehors, à se débar­ras­ser de tout cet accou­tre­ment qui l’empêche de se mou­voir. Il ne s’agit là bien évi­dem­ment que d’une image, la réa­li­té ayant hélas des consé­quences sou­vent beau­coup plus graves. La pos­ses­si­vi­té des mères et l’hyper puis­sance qui en découle n’est tout sim­ple­ment pas conforme à la crois­sance natu­relle de l’enfant : jamais celui-​ci ne pour­ra deve­nir lui-​même sans une lente dis­tan­cia­tion psy­cho­lo­gique d’avec la mère, dont le père est nor­ma­le­ment l’artisan ; car l’enfant, au seul contact de la mère, ne tend qu’à res­ter enfant. Empêcher cette éclo­sion de la per­son­na­li­té aura des consé­quences quel­que­fois dra­ma­tiques. Il n’est pas rare par exemple, remarque Xavier Lacroix, qu’à la vio­lence de l’attractivité mater­nelle réponde la vio­lence des­truc­trice de l’adolescent, en mal d’affirmation de sa dif­fé­rence. Peut-​être n’est-il pas si for­tuit que Caïn soit deve­nu l’assassin de son frère… 

L’écueil de cette pos­ses­si­vi­té peut être plus dra­ma­tique encore, lorsqu’elle s’étend jusqu’à son propre mari. S’installe alors dans la famille un véri­table matriar­cat, où le mari n’est consi­dé­ré par son épouse que comme le pre­mier enfant. L’expérience sacer­do­tale montre tout le mal qui peut en décou­ler. Le cas le plus symp­to­ma­tique est celui de cette famille où la mère reine, pour avoir jugu­lé son mari, trou­va en l’une de ses filles le sou­tien que de ce fait elle n’avait plus. Cette der­nière, héri­tière du tem­pé­ra­ment comme des pra­tiques de sa mère, choi­sit pour mari l’homme faible qu’elle pour­rait domi­ner. Son père pour­tant avait entre-​temps divor­cé – est-​ce si sur­pre­nant ? – mais la leçon n’avait pas por­té. Et ce ter­rible sché­ma des­truc­teur se repro­dui­sit trois géné­ra­tions de suite, cha­cune ponc­tuée d’autant de divorces, sans comp­ter nombre enfants à la dérive. Plus fré­quent est le cas des familles matriar­cales où peu d’enfants se marient : les filles vivant à l’imitation de leur mère rebutent le poten­tiel mari, et les fils soit n’ont jamais cou­pé le cor­don ombi­li­cal, soit s’en sont par trop affran­chis, au point de mépri­ser l’institution même du mariage. 

Si ces écueils res­tent extrêmes, com­bien ne les retrouvons-​nous pas à moindre échelle, par exemple dans les que­relles oppo­sant les belles-​mères aux belles-​filles ? Si les pre­mières avaient davan­tage don­né leur enfant, cela aurait sans aucun doute béné­fi­cié à la paix de tous… Aussi, tou­jours la mère devra veiller à mor­ti­fier sa ten­dance à la pos­ses­si­vi­té. Les saints savaient le rap­pe­ler à leur propre mère. Ainsi de sainte Catherine de Sienne, par­tie trai­ter en Avignon les affaires de l’Église ; alors que sa mère lui écri­vait la souf­france engen­drée par son absence et invo­quait le devoir filial pour récla­mer son retour, Catherine lui répon­dit sans détour : Vous aimez davan­tage la par­tie de moi-​même que j’ai tirée de vous que celle que j’ai reçue de Dieu. De Monique, saint Augustin disait aus­si qu’elle aimait trop sa pré­sence d’où, à son départ, ces pleurs, ces san­glots, ces angoisses, qui accu­saient un reste de l’hérédité cou­pable d’Ève.

L’amour séparateur

Ainsi, la mater­ni­té géné­reu­se­ment vécue a pour maître-​mot le déta­che­ment. Alors que géné­ra­le­ment l’amour tend à unir, il est essen­tiel de com­prendre que l’amour mater­nel est quant à lui sépa­ra­teur. Bien sûr, que la mère donne à l’enfant toute l’affection dont il a besoin, et qu’il est si natu­rel à la mère de don­ner. Qu’elle le fasse néan­moins avec un cœur de plus en plus déta­ché, qui apprend pro­gres­si­ve­ment à ne plus se recher­cher, ni à satis-​faire sa propre affectivité. 

Car être mère ne consiste pas seule­ment à se don­ner pour son enfant – là est l’instinct – mais encore à don­ner len­te­ment l’enfant à son des­tin : là est l’amour. Le roi Salomon ne s’y lais­sa pas prendre. Aux yeux de la sagesse, c’est en renon­çant à l’enfant que la vraie mère se décou­vrit (3 R 3, 16–27). Qu’est-ce à dire ? Comme le sou­ligne Gertrude Von Le Fort, toute mère digne de ce nom sait ne pas être pro­prié­taire de l’être conçu en son sein. Elle n’est que dépo­si­taire d’un don reçu qui n’est pas sien. Elle est le pié­des­tal de son enfant, non sa rai­son d’être. Bienheureuse celle qui a com­pris que la mère vit dans l’enfant, mais que l’enfant ne vit pas dans la mère, bien au contraire. Tôt ou tard l’enfant s’en ira loin d’elle, il faut qu’il s’en aille, car ce n’est qu’à ce titre qu’il pour­ra conqué­rir la double auto­no­mie carac­té­ris­tique de toute vie : celle de l’existence personnelle,puis celle de la mis­sion. Donner vie à un enfant, cela veut dire voir l’enfant se sépa­rer de sa vie propre. La mère perd son enfant dès qu’elle l’a mis au monde, disait Chesterton avec son ton très anglais. Nul doute que cela coûte à toute mère, et là résident peut-​être les vraies dou­leurs de l’enfantement, consé­quentes du pre­mier péché (Ge 3, 16) : l’amour mater­nel est émi­nem­ment sépa­ra­teur, depuis cette déchi­rure cor­po­relle de la nais­sance jusqu’au grand départ de l’enfant qui, deve­nu grand, quit­te­ra père et mère. 

Le cha­pitre deux de saint Luc illustre ce pro­pos. La leçon de mater­ni­té qui y est don­née porte d’autant plus que, de l’avis des exé­gètes, l’évangéliste l’a recueillie de la mère même de Jésus, de la mère par excel­lence. Après le récit de la Nativité (Lc 2, 1–20), trois épi­sodes sont aus­si­tôt rap­por­tés, tous trois symp­to­ma­tiques de la mater­ni­té sain­te­ment vécue. La cir­con­ci­sion d’abord (Lc 2,21), en don­nant un nom à l’enfant le dif­fé­ren­cie de sa mère, lui recon­naît une exis­tence propre. Puis vient alors la pré­sen­ta­tion au temple (Lc 2, 22–40) ; après la dif­fé­ren­tia­tion, l’oblation : l’enfant y est recon­nu appar­te­nir non aux parents mais au Père éter­nel, dont il doit réa­li­ser les des­seins, ce qui ne se fera pas sans dou­leur mater­nelle : Pour toi, un glaive te trans­per­ce­ra le cœur. Reste l’ultime étape, cette de la sépa­ra­tion ô com­bien ter­rible, la mort de Jésus, annon­cée par la perte de l’enfant Jésus au Temple (Lc 2, 41–51). L’ultime ver­set de ce cha­pitre cou­ronne l’acceptation mater­nelle, et vient comme réson­ner avec ce qu’annonce le recou­vre­ment au temple, à savoir la résur­rec­tion : Et Jésus pro­gres­sait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes (Lc 2, 52).

Être épouse pour être mère

Fort heu­reu­se­ment, ce pro­ces­sus sépa­ra­teur se réa­lise pro­gres­si­ve­ment, et comme natu­rel­le­ment si les parents savent y prendre garde. C’est en don­nant l’enfant jour après jour à son mari, en le pla­çant tou­jours un peu plus sous l’influence et l’autorité pater­nelles, que la mère réa­lise ce lent et béné­fique détachement. 

Se retrouve ici l’ordonnance des fina­li­tés du mariage. Si le bien des enfants est clai­re­ment le but pre­mier du sacre-​ment, l’union des deux conjoints res­te­ra tou­jours pre­mière chro­no­lo­gi­que­ment. La loi est tou­jours la même : la mère ne sera véri­ta­ble­ment mère qu’en étant épouse. C’est en se don­nant à son mari, et donc en lui don­nant cet autre elle-​même qu’est son enfant, qu’elle sera véri­ta­ble­ment mère. En un mot, un authen­tique amour pour son époux sera l’antidote qui per­met­tra à l’épouse d’éviter cet excès d’instinct mater­nel, appe­lé possessivité.

Pour être gar­dé, un tel équi­libre réclame une atten­tion quo­ti­dienne. Selon René Bergevin dans son ouvrage Révolution per­mis­sive et sexua­li­té, cette atten­tion com­mence dès les pre­miers âges de l’enfant : Les pre­miers mois, les mères sont à 95% mères et à 5% femmes. Il fau­drait qu’elles soient à 50% l’une et à 50% l’autre. Si les mères ne veulent pas que leurs enfants deviennent ces êtres égo­cen­triques à qui tout est dû, il importe qu’elles leur fassent très vite sen­tir qu’ils ne sont pas le centre de leur amour, mais qu’il y a un autre être, aimé autant et même plus qu’eux, à savoir leur mari. Donner l’exclusivité de son cœur à ses enfants serait criminel.

Arche d’alliance

La mater­ni­té ne consisterait-​elle donc fina­le­ment que dans le déchi­re­ment et la sépa­ra­tion, dans la dou­leur et la cru­ci­fixion ? Ce serait n’y rien com­prendre à la mis­sion mater­nelle. Revenons au des­tin spé­ci­fique de Marie. Elle ne fut plei­ne­ment mère qu’au pied de la croix, c’est ici que pour la pre­mière fois le Christ lui accor­da ce titre. Qu’est-ce donc que ce mys­tère ? Nous tou­chons là au cœur de la mater­ni­té. Sous les appa­rences – et souf­frances ! – de la sépa­ra­tion, se cache en fait un pro­fond mys­tère d’union. En accep­tant la ter­rible souf­france de la sépa­ra­tion, en se tenant là, debout au pied de la croix, Marie devient cor­ré­demp­trice. Unie ô com­bien inti­me­ment à l’œuvre de son Fils, elle unit en son amour ce qui jusque-​là était sépa­ré, l’homme cou­pable et le Dieu offen­sé. Elle devient un lien invi­sible uni­fi­ca­teur, et par là-​même média­trice de ce suprême amour qui porte le beau nom de grâce. 

Toute pro­por­tion gar­dée, telle est le des­tin de chaque mère. Sa voca­tion est celle de l’union. L’amour mater­nel, pour être authen­tique, sera l’arche d’alliance unis­sant le père et l’enfant, et aura pour fruit cette paix heu­reuse de toute la famille. Donnée à son mari, l’épouse pour­ra lui don­ner l’enfant, car ce n’est que dans le don de soi-​même qu’une mère livre son enfant. L’épouse-mère y devient alors amour, gar­dienne et déten­trice de l’unité fami­liale. À la suite de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus qui s’exclamait : Dans l’Église je serai le cœur, dans l’Église je serai l’amour, elle peut ain­si résu­mer sa vocation,en toute véri­té : « Dans mon foyer je serai le cœur, dans mon foyer je serai l’amour ».

D’une telle mère, nous pour­rions conter les lita­nies : arche d’alliance nous l’avons dit ; bien sou­vent aus­si refuge des cœurs bles­sés, ou conso­la­trice des affli­gés. Son intel­li­gence des cœurs lui donne encore d’être sou­vent mère du bon conseil. Un titre cepen­dant retient peut-​être davan­tage l’attention : reine de la paix. Il vient cou­ron­ner la mère, dire ses mérites. N’est-ce pas elle qui jour après jour remet la paix et l’ordre dans les cœurs comme dans les corps ? Sur ce der­nier point, faci­le­ment, le regard exté­rieur juge ingrates et répé­ti­tives les tâches ména­gères qui sont les siennes. Certes, elles le sont, et sou­vent même bien secrètes : qui s’en aper­çoit ? Mais, toute pro­por­tion gar­dée, elles ne sont pas sans quelque simi­li­tude avec celles du prêtre au confes­sion­nal, lieu secret par excel­lence. Là, jour après jour, le ministre de Dieu par­donne encore et tou­jours les mêmes péchés, puri­fie les mêmes sale­tés. Lieu ingrat que le confes­sion­nal ? Que non ! Lieu d’espérance par excel­lence ! Que serait le monde sans lui ? Et que serait le monde, sans la mère de famille ? Quand le prêtre redonne la paix sur­na­tu­relle – Allez en paix est le der­nier mot du confes­seur – la mère, elle, remet la paix dans les cœurs comme dans les choses exté­rieures, cette paix sans laquelle nul ne pour­rait gran­dir, sans laquelle le mari lui-​même ne sau­rait s’épanouir. Aussi ses fruits sont-​ils innom­brables. Son mari comme ses enfants sont sa cou­ronne : en sa paix, une deuxième fois elle les a engendrés.

Abbé Patrick de la Rocque

Source : Lou Pescadou n° 210

FSSPX

M. l’ab­bé Patrick de la Rocque est actuel­le­ment prieur de Nice. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions théo­lo­giques avec Rome entre 2009 et 2011.