Chirurgie plastique, réparatrice et esthétique – Cahiers Saint-​Raphaël n°155

« Si j’avais un tel nez, il fau­drait sur-​le-​champ que je me l’amputasse ! »

Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand

Editorial

« Si j’avais un tel nez, il faudrait sur-​le-​champ que je me l’amputasse ! »

par le doc­teur Philippe de Geofroy

Les petites causes peuvent pro­duire de grands effets. S’il est des nez en trom­pette que l’on ne remarque pas, la taille de celui de Cléopâtre aurait, selon Pascal, influen­cé l’histoire du monde. Élément cen­tral du visage, par­ti­cu­liè­re­ment remar­quable de pro­fil, il a long­temps été consi­dé­ré comme un indi­ca­teur de sta­tut, de beau­té ou de noblesse. La sym­bo­lique a asso­cié le nez droit à l’héroïcité et à la per­fec­tion morale ; le nez cro­chu était moins por­teur. Cet appen­dice, sur­nom­mé par cer­tains l’idiot du visage, a éga­le­ment été enrô­lé pour le comique ou le tragi-​comique. Chez Pinocchio, il est un reflet direct de la conscience. Chez Cyrano, il sym­bo­lise la bra­voure, la viri­li­té mais éga­le­ment la vul­né­ra­bi­li­té et l’autodérision. Lors d’une mis­sion médi­cale aux Philippines, cer­tains habi­tants riaient beau­coup en voyant mon épouse. Elle a fini par com­prendre qu’ils étaient fas­ci­nés par son « long nez ». Depuis long­temps mené par elle par le bout du mien, je ne l’avais pas vue sous cet angle ! Le nez ne laisse donc per­sonne indif­fé­rent. Il en dit tel­le­ment long sur son pro­prié­taire qu’il est ten­tant pour ce der­nier d’en modi­fier l’apparence. Il fut donc condam­né à ren­con­trer le chirurgien.

La chi­rur­gie est une dis­ci­pline médi­cale à part dans le trai­te­ment des mala­dies. Elle pré­sente la par­ti­cu­la­ri­té d’une pra­tique manuelle, à l’aide d’instruments divers, sur un corps vivant. C’est là l’origine d’une oppo­si­tion que j’ai tou­jours connue au long de ma car­rière entre la « caste » des méde­cins et celle des chi­rur­giens. Les pre­miers reprochent aux seconds d’être de simples tra­vailleurs manuels imper­méables à toute réflexion. Il s’agit tou­jours du com­plexe de supé­rio­ri­té de l’intellectuel ou de celui qui croit l’être. L’attaque, fruit d’une riva­li­té sécu­laire, est un peu cari­ca­tu­rale. Les études sont longues et, si une grande par­tie de l’activité d’un chi­rur­gien se fait avec les mains dans un bloc opé­ra­toire, la réflexion est loin d’être absente de son acti­vi­té. L’homme le plus habile du monde, s’il pra­tique une inter­ven­tion qui n’est pas adap­tée au cas à prendre en charge, obtien­dra des résul­tats catas­tro­phiques. Là, plus qu’ailleurs, il est indis­pen­sable de réflé­chir avant d’agir. En cela c’est un métier assez com­plet dont le savoir n’est pas uni­que­ment livresque et s’acquiert au cours d’un com­pa­gnon­nage pro­lon­gé. Un solide bon sens, du sang-​froid et une capa­ci­té d’adaptation impor­tante sont des qua­li­tés néces­saires et même indis­pen­sables pour être chi­rur­gien. L’activité chi­rur­gi­cale concentre son acti­vi­té sur les trau­ma­tismes, les tumeurs, les infec­tions et par­fois les malformations.

L’histoire de la chi­rur­gie débute avec l’histoire de l’humanité. On retrouve, dès l’époque pré­his­to­rique, des séquelles de chi­rur­gie à type d’amputation ou de cra­nio­to­mie[1] sur des osse­ments très anciens. On y trouve éga­le­ment des traces de tech­niques de sta­bi­li­sa­tion de frac­tures com­plexes. Durant l’Antiquité, l’acte chi­rur­gi­cal est par­fois pra­ti­qué. Citons l’exécution d’un acte déli­cat : la chi­rur­gie de la cata­racte[2] en Inde au Ve siècle avant J.-C. Toujours en Inde, mais au 1er siècle avant J.-C., on pra­tique des recons­truc­tions, après ampu­ta­tion de la pyra­mide nasale, par un lam­beau fron­tal, encore uti­li­sé aujourd’hui, très bel exemple de chi­rur­gie plas­tique. Au Moyen Âge la méde­cine est pra­ti­quée par des éru­dits alors que les actes ins­tru­men­taux sont réser­vés aux barbiers-​chirurgiens pour la rai­son qu’ils manient mieux la lame que le latin. De cette époque nous vient pro­ba­ble­ment le mépris évo­qué plus haut du méde­cin envers le chi­rur­gien, même s’il rentre aujourd’hui un peu dans le cadre d’un jeu de rôle. La pre­mière véri­table école de chi­rur­gie débute en 1220 avec la créa­tion de la facul­té de méde­cine de Montpellier. De véri­tables pro­grès appa­raissent à la Renaissance, sus­ci­tés, comme sou­vent, par la chi­rur­gie de guerre. Ambroise Paré écrit un trai­té à pro­pos des plaies par arque­buses et sur­tout, rem­place la coa­gu­la­tion vas­cu­laire jusque là faite par la cha­leur et donc res­pon­sable d’hémorragie à la chute d’escarre, par la liga­ture avec du crin de che­val. On a fait mieux depuis mais le prin­cipe était nova­teur. Il sera ensuite reçu dans la Confrérie chi­rur­gi­cale de Saint-​Côme, mal­gré sa mau­vaise connais­sance du latin, très pro­ba­ble­ment grâce à l’appui du roi. En 1686, le suc­cès de l’intervention sur la fis­tule anale de Louis XIV par Charles-​François Félix redonne ses lettres de noblesse à la chi­rur­gie. La méde­cine mili­taire, nous l’avons vu dans le Cahier numé­ro 151, par­ti­cipe éga­le­ment de façon impor­tante au déve­lop­pe­ment de la pra­tique chi­rur­gi­cale. C’est cepen­dant à par­tir de la deuxième moi­tié du XIXe siècle qu’ap­pa­raît une amé­lio­ra­tion impor­tante et conti­nue des tech­niques. En effet, pas de chi­rur­gie réglée pos­sible sans une connais­sance pré­cise de l’anatomie, de la phy­sio­lo­gie et en par­ti­cu­lier de la cir­cu­la­tion, de la coa­gu­la­tion, de l’analgésie et de l’asepsie. Le déve­lop­pe­ment des anti­bio­tiques com­plé­te­ra effi­ca­ce­ment ce panel. Tous ces pro­grès vont per­mettre une faci­li­ta­tion du geste en dimi­nuant de façon impor­tante le risque de com­pli­ca­tions et de décès. Précédemment on ne pra­ti­quait de chi­rur­gie que pour sau­ver des vies et on en accep­tait donc plus faci­le­ment le risque vital. Les nou­velles tech­niques ayant dimi­nué ce risque, on se prend à oser pra­ti­quer la chi­rur­gie dans des indi­ca­tions que l’on pour­rait appe­ler de confort ; la vie du patient n’est plus en jeu. C’est donc logi­que­ment à par­tir de ce moment que va appa­raître le déve­lop­pe­ment de la chi­rur­gie plas­tique et esthé­tique. Si le risque de finir au cime­tière s’éloigne, n’est-il pas ten­tant d’essayer d’améliorer « ce nez qui, des traits de son maître, a détruit l’harmonie », de retendre ces chairs un peu flasques, de « répa­rer des ans l’irréparable outrage » ?

La chi­rur­gie plas­tique vise à répa­rer des défauts consé­cu­tifs à des patho­lo­gies ou à des mal­for­ma­tions. Même s’il existe des textes très anciens qui décrivent ce type d’actes, ils touchent essen­tiel­le­ment les par­ties molles et on n’en trouve pas de trace sur les restes humains sauf éven­tuel­le­ment les momies. En dehors de quelques his­toires ponc­tuelles liées à des per­son­na­li­tés par­ti­cu­lières, cette chi­rur­gie pren­dra véri­ta­ble­ment son essor à la fin du XIXe siècle. Citons, entre autres, Gillies qui naît en 1882 en Nouvelle-​Zélande et dont les fameux « cro­chets » sont tou­jours uti­li­sés aujourd’hui par les plas­ti­ciens. Le pre­mier écrit sur la rhi­no­plas­tie esthé­tique date de 1928. La Grande Guerre et son lot de « gueules cas­sées[3] » sera un immense champ de déve­lop­pe­ment de nou­velles tech­niques chi­rur­gi­cales. Il ne s’agit pas là d’assouvir des demandes esthé­tiques jus­ti­fiées ou non, mais de répa­rer d’énormes pertes de sub­stance au niveau de la face. Si les pho­tos des résul­tats peuvent paraître par­fois médiocres, la connais­sance de l’état ori­gi­nal des patients per­met de mesu­rer l’immensité du ser­vice qui leur a été ren­du. Ils peuvent enle­ver le pan­se­ment per­ma­nent qui ser­vait à cacher l’étendue des dégâts. La chi­rur­gie esthé­tique est une branche de la chi­rur­gie plas­tique qui s’occupe plus par­ti­cu­liè­re­ment d’embellissement d’un patient sans patho­lo­gie préa­lable. Elle peut dans cer­tains cas s’attaquer à de véri­tables dis­grâces dont le carac­tère patho­lo­gique et le reten­tis­se­ment psy­chique éven­tuel sont tout à fait admis­sibles. Dans d’autres cas, nous sommes plu­tôt dans le cadre des nou­velles fina­li­tés non thé­ra­peu­tiques de la méde­cine, ne s’attaquant pas à une mala­die réelle mais visant plu­tôt à l’amélioration d’un homme consi­dé­ré comme incom­plet et per­fec­tible ; nous nous appro­chons là du trans­hu­ma­nisme. Ces nuances impor­tantes seront déve­lop­pées dans ce numéro.

Au début du mois de mars 2024 s’est dérou­lée la 17e mis­sion Rosa Mystica. Comme l’année der­nière, une qua­ran­taine de volon­taires de 11 natio­na­li­tés ont sillon­né les mon­tagnes d’Alabel dans des camions-​bennes (5h30 de voyage aller-​retour le pre­mier jour pour une cin­quan­taine de kilo­mètres), afin d’apporter des soins médi­caux de base et les secours de la reli­gion catho­lique à plus de 2000 per­sonnes pen­dant six jours. Dans les vil­lages où nous avions l’électricité (pour la sté­ri­li­sa­tion et le bis­tou­ri élec­trique), je m’occupais de la petite chi­rur­gie cuta­née et sous-​cutanée sous anes­thé­sie locale ; elle n’était ni plas­tique, ni esthé­tique mais très basique, nous ne fai­sons pas de la méde­cine de luxe ! Comme au Moyen Âge, les seuls soins den­taires pos­sibles étaient des extrac­tions dont 437 patients ont pu béné­fi­cier ! L’ACIM a pu aus­si prendre en charge finan­ciè­re­ment des malades comme ce jeune gar­çon pré­sen­tant une frac­ture, qui avait pré­cé­dem­ment quit­té l’hôpital sans trai­te­ment faute de moyens finan­ciers. Tous les matins, lever à cinq heures afin de per­mettre à la vaillante troupe de pou­voir débu­ter les soins vers 8h30. Après un rapide et fru­gal déjeu­ner nous arrê­tions les soins vers 16 heures pour avoir le temps de rem­bal­ler tout le maté­riel et d’être à l’heure pour la messe du soir. Les deux prêtres amé­ri­cains, l’abbé Pfeiffer rési­dant aux Philippines et l’abbé Duncan rési­dant au Sri Lanka, n’ont pas chô­mé entre les cours de caté­chisme, la dis­tri­bu­tion des sacra­men­taux et des sacre­ments. Depuis 2007, année de la pre­mière mis­sion, grâce à vos prières et grâce à votre géné­ro­si­té nous avons pu, sauf en 2021 à cause du COVID, orga­ni­ser cette mis­sion annuelle dont on peut dire qu’elle fête aujourd’hui son 20e anni­ver­saire. Elle avait en effet été conçue dès 2004 sous l’impulsion du doc­teur Jean-​Pierre Dickès, venu faire une tour­née de confé­rences de bioé­thique en Asie, et de l’abbé Couture qui était alors supé­rieur du dis­trict d’Asie de la Fraternité Saint Pie X. Le doc­teur Dickès a pu en assu­rer l’organisation et la direc­tion de 2007 à 2017. Cet assem­blage hété­ro­clite de volon­taires de natio­na­li­tés, de milieux et d’âges très dif­fé­rents fonc­tionne par­fai­te­ment, témoi­gnant de la pro­tec­tion per­ma­nente dont béné­fi­cie la mis­sion Rosa Mystica depuis sa fon­da­tion par sa très Sainte Patronne. Nous pen­sons déjà aux dates de l’année pro­chaine. Chers bien­fai­teurs, conti­nuez à prier pour nous, à nous aider et le Ciel nous aidera.

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Les Cahiers Saint Raphaël, publi­ca­tion de l’ACIM (Association catho­lique des infir­mières, méde­cins et pro­fes­sion­nels de san­té) depuis une qua­ran­taine d’années, est une revue ori­gi­nale, qui répond aux ques­tions que posent les grands pro­blèmes contem­po­rains d’éthique médi­cale. Sont éga­le­ment abor­dés des thèmes médi­caux et de société.

La revue s’adresse aux pro­fes­sion­nels de san­té mais aus­si à cha­cun d’entre nous qui vivons ces pro­blèmes au quotidien.

Vous pen­sez que ces ques­tions (avor­te­ment, contra­cep­tion, clo­nage, mani­pu­la­tions géné­tiques, eutha­na­sie etc…) sont fon­da­men­tales pour l’avenir de notre société ?

Vous sou­hai­tez avoir des réponses qui se réfèrent à la loi natu­relle et à la doc­trine catho­lique pour vous-​mêmes, afin de vivre chré­tien­ne­ment, mais aus­si pour vos enfants, pour tous ceux que vous côtoyez afin de les éclai­rer sur le sens et la valeur de la vie ? 

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bernadette.​dickes@​gmail.​com ou pdegeofroy@​gmail.​com

Notes de bas de page
  1. Trépanation de la boîte crâ­nienne pro­ba­ble­ment pour trai­te­ment d’hé­ma­tome extra­du­ral ou trau­ma­tisme. La cica­tri­sa­tion osseuse montre que le patient a sur­vé­cu au geste.[]
  2. Traitement chi­rur­gi­cal de l’opacification du cris­tal­lin en bas­cu­lant ce der­nier dans le vitré (actuel­le­ment on enlève le cris­tal­lin et on le rem­place par un implant).[]
  3. 15 000 com­bat­tants seront gra­ve­ment tou­chés au visage.[]

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Association catholique des infirmières, médecins et professionnels de santé