Communiqué de Credo du 1er mars 2006

Le 25 mars 1991, Mgr Lefebvre « entrait dans la Vie », selon l’ex­pres­sion employée par notre Patronne en second, sainte Thérèse de l’Enfant-​Jésus et de la sainte-Face. 

Nous repro­dui­sons ci-​dessous 3 articles paru dans le jour­nal « Controverses », aujourd’­hui dis­pa­ru, d’a­vril 1991. Pour bien pré­pa­rer l’a­ve­nir, on ne peut faire l’im­passe sur le passé.

La Providence veille, par Eric Bertinat 

Dans un article écrit par le car­di­nal Silvio Oddi après le décès de Mgr Lefebvre, inti­tu­lé« ultime drame à Ecône » et paru dans le jour­nal ita­lien « Il Sabato », le car­di­nal révèle avoir obte­nu du Pape l’au­to­ri­sa­tion de se rendre à l’hô­pi­tal de Martigny afin de don­ner les deniers sacre­ments au cas ou Mgr Lefebvre don­ne­rait signe de « résipiscence ». 

D’après le car­di­nal qui se serait infor­mé auprès « d’un repré­sen­tant » de Mgr Lefebvre selon lequel l’o­pé­ra­tion de l’ar­che­vêque avait réus­sie et que son état de san­té s’é­tait amé­lio­ré, il aurait déci­dé d’at­tendre le réta­blis­se­ment de mon­sei­gneur. « Maintenant, je suis déso­lé », écrit le car­di­nal, qui ajoute avoir tou­jours consi­dé­ré comme inad­mis­sible qu’un prêtre puisse finir hors de l’Eglise à cause d’un excès de fidé­li­té à la Tradition (Apic, 27/​03/​1991).

Il est vrai­ment dif­fi­cile de croire que Mgr Lefebvre aurait ain­si chan­gé d’o­pi­nion, lui qui écri­vait au car­di­nal Oddi le 16 décembre dernier : 

« Nous sommes cer­tains de tra­vailler pour le main­tien de la vraie Eglise catho­lique et pour le salut des âmes avec un vrai sacer­doce ; Nous avons confiance dans la Providence de Dieu et dans la prière. Nous sup­plions le Seigneur pour le retour du Vatican à la Tradition ». 

Mais le cal­cul des auto­ri­tés romaines est facile à com­prendre. En choi­sis­sant un tel moment pour envoyer un repré­sen­tant plu­tôt « conser­va­teur » auprès de Mgr Lefebvre, jus­te­ment amoin­dri par son opé­ra­tion, com­ment ne pas croire en leurs espoirs de voir leur seul adver­saire deman­der pardon. 

Ainsi, la fra­ter­ni­té Saint-​Pie‑X, et tous les fidèles qui la suivent se seraient trou­vés dans une situa­tion dra­ma­tique : leur repré­sen­tant deman­dant par­don à Jean-​Paul II, un par­don qui n’au­rait pu être com­pris que comme le renie­ment des cri­tiques que Mgr Lefebvre adresse depuis le concile aux auto­ri­tés romaines. 

Le jeu en valait la chan­delle ! C’est une preuve de plus que la Fraternité Saint-​Pie‑X reste l’ad­ver­saire pri­vi­lé­giée pour les moder­nistes. Aucune trêve ne leur sera accor­dée, aucun répit ne leur sera offert avant qu’elle ne dis­pa­raisse complètement.

Les 17 derniers jours de Mgr Lefebvre, par Eric BERTINAT 

Monsieur Jo GRENON est le Directeur de l’hô­pi­tal de Martigny. Il s’oc­cu­pa avec un grand dévoue­ment de Monseigneur durant son hospitalisation.

Il nous a reçus avec beau­coup de gen­tillesse pour nous racon­ter les der­niers jours du fon­da­teur de la Fraternité Saint-​Pie X. 

« Samedi 9 Mars, Monseigneur LEFEBVRE entre à l’hô­pi­tal de Martigny. Vous avez été par­mi les pre­miers à le voir. Comment l’avez-​vous trouvé ?

Alité, sou­riant et confiant ! Monseigneur se trou­vait aux urgences. Puis, nous l’a­vons ins­tal­lé à la chambre 213, une chambre pri­vée située au deuxième étage. De cette pièce, Monseigneur avait vue sur la Forclaz, donc la France, et sur le col du Grand Saint-​Bernard, l’Italie, Rome.

Quels sont les exa­mens qui ont été pra­ti­qués sur Monseigneur lors des pre­miers jours ?

Durant toute la pre­mière semaine, Monseigneur fut nour­ri par per­fu­sion, avec anti­bio­tiques. A part les ana­lyses de rou­tine, il subit de nom­breux exa­mens dont cer­tains sont très dou­lou­reux. Bien que les méde­cins aient déjà diag­nos­ti­qué le mal, ils jugèrent tout de même plus pru­dent de faire subir un scan­ner à Monseigneur LEFEBVRE. Aussi, nous devions conduire Monseigneur à l’hô­pi­tal de Monthey. Je lui ai deman­dé s’il ne pré­fé­re­rait pas s’y rendre en auto­mo­bile plu­tôt qu’en ambu­lance, atta­ché à une civière. Bien que j’in­sis­tai pour la solu­tion de l’au­to­mo­bile, Monseigneur pré­fé­ra l’am­bu­lance. Jeudi soir, je lui ai fait appor­ter un repas. Il souf­frait de ne pas pou­voir man­ger normalement. 

Monseigneur a‑t-​il beau­coup souffert ?

Oui ! A son arri­vée, il m’a dit souf­frir le mar­tyre. Puis les dou­leurs se sont atté­nuées sous l’ef­fet des médicaments.

Quels ont été les contacts entre Monseigneur LEFEBVRE et les infir­mières qui le soignaient ?

Les infir­mières l’ont trou­vé très gen­til, très doux, mais aus­si excep­tion­nel­le­ment dis­cret. Il n’a jamais uti­li­sé la son­nette de ser­vice. Il ne vou­lait pas les déranger. 

Comment était Monseigneur durant cette pre­mière semaine ? 

Il a répé­té à plu­sieurs reprises durant cette semaine : « Je suis un vieil homme ». Il était un peu inquiet des suites d’une éven­tuelle opé­ra­tion. Mais il était en même temps très rési­gné et confiant. Je pense qu’il n’a pro­ba­ble­ment pas su l’exacte ampleur de son mal. 

Et spi­ri­tuel­le­ment ?

Le lun­di sui­vant, le 12, il a deman­dé à rece­voir l’extrême-​onction. Le len­de­main, il m’a expli­qué : « J’ai deman­dé l’extrême-​onction, c’est très impor­tant ! Ma sour est par­tie sans sacre­ment ». A plu­sieurs reprises il m’a dit : « J’ai ter­mi­né mon tra­vail, je n’en peux plus, je suis épui­sé, il ne me reste main­te­nant plus qu’à prier et souffrir ». 

A‑t-​il par­lé de la Fraternité, de son avenir ?

Un long entre­tien avec Monseigneur au milieu de la pre­mière semaine m’a per­mis de l’en­tendre dire sa satis­fac­tion de l’ouvre accom­plie. « La Fraternité est dans de bonnes mains et riche de quatre évêques pleins de zèle » m’a-​t-​il dit. Et de s’é­mer­veiller de Monseigneur FELLAY qui parle cinq langues « comme je parle le fran­çais, vous rendez-​vous compte ? ». Il me par­la aus­si des direc­teurs et des pro­fes­seurs des sémi­naires, « dévoués et bien en place ». Monseigneur était par­fai­te­ment serein et appa­rem­ment très heu­reux pour l’avenir. 

Vous m’a­vez par­lé du res­pect qu’il impo­sait aux médecins. 

Oui, oui. Un méde­cin m’a même rap­por­té avoir été sub­ju­gué par Monseigneur « Quand on croise son regard, on ren­contre la Bonté Divine » m’a-​t-​il dit. 

Comment s’est dérou­lée l’o­pé­ra­tion lun­di 18 Mars ?

A 9 heures, Monseigneur a été conduit en salle d’o­pé­ra­tion. L’opération a durée de 9 heures 30 à 12 heures 30. Puis il fut conduit dans la salle des soins inten­sifs. Monseigneur eut un réveil dif­fi­cile et des souf­frances intenses pen­dant les 2 à 3 jours qui sui­virent l’o­pé­ra­tion. Puis cela alla mieux ; on le leva un peu, mais le cour res­tait fatigué.

Les méde­cins donnèrent-​ils à Monseigneur des médi­ca­ments pour cal­mer la douleur ? 

Bien sûr, Monseigneur fut sous une sur­veillance médi­cale de tous les ins­tants. Grâce à l’ap­pa­reillage moderne dont est équi­pé l’hô­pi­tal, on suit avec exac­ti­tude la pro­gres­sion de la dou­leur. On put ain­si don­ner à Monseigneur, avec beau­coup de pré­ci­sion, la médi­ca­tion adé­quate pour sou­la­ger ses douleurs. 

Nous arri­vons à la fin de la der­nière semaine. 

Vendredi, il me deman­da de lui appor­ter sa chaî­nette – cette pauvre chaî­nette avec de simples médailles, reste pour moi l’un des sou­ve­nirs les plus émou­vants des der­niers jours de Monseigneur , sa montre et son appa­reil audi­tif : une preuve du mieux-​être du malade. Samedi, on pense à le réin­té­grer dans sa chambre dès dimanche. « Mais les infir­mières veulent me gar­der ici » me dit-​il en plai­san­tant. Dimanche, l’es­poir fait rapi­de­ment place à l’in­quié­tude. Monseigneur fait de la tem­pé­ra­ture. Le méde­cin car­dio­logue lui fait une écho­car­dio­gra­phie et décide de gar­der Monseigneur aux soins inten­sifs. Dimanche après-​midi, Monseigneur se met à par­ler beau­coup. Mais, à tra­vers son masque à oxy­gène, il est dif­fi­cile de le com­prendre. Je per­çois cepen­dant : « Nous sommes tous ses petits enfants ». 

Avait-​il déjà la vision du ciel ? 

Il par­lait en tout cas du Bon Dieu. Au moment où je le quitte, il me sou­rit pour la der­nière fois et me tend la main en signe d’a­dieu. Dimanche soir, je reçois un télé­phone de l’in­fir­mière res­pon­sable. On est en train de réani­mer Monseigneur et ça ne va pas très bien. Je décide d’a­ler­ter Monsieur l’Abbé LAROCHE. Puis l’in­fir­mière res­pon­sable me rap­pelle pour me dire que le rythme car­diaque est repar­ti nor­ma­le­ment. A 3 heures 30, un der­nier télé­phone pour m’a­ver­tir du décès de Monseigneur.

Vous avez été par­mi les pre­mières per­sonnes à voir Monseigneur mort. Comment l’avez-​vous trouvé ? 

Je me suis immé­dia­te­ment ren­du aux soins inten­sifs. J’ai trou­vé le corps inani­mé de Monseigneur. J’ai été ter­ri­ble­ment frap­pé par la res­sem­blance entre le corps de Monseigneur et les tableaux repré­sen­tant Jésus des­cen­du de la Croix. Monseigneur avait juste un drap qui lui cou­vrait les hanches. Ses mains et ses bras por­taient les traces des longues souf­frances qu’il venait de subir. Ses jambes étaient très abî­mées, mais depuis des années elles le fai­saient souf­frir. Je pense, encore bien sou­vent, à cette der­nière image de Monseigneur, là, éten­du sur son lit aux soins inten­sifs, tel le Christ des­cen­du de la Croix.

Les dernières paroles, par Monsieur l’Abbé SIMOULIN. 

Un sou­rire. un regard vers le cru­ci­fié., telles sont les der­nières « paroles » de Monseigneur LEFEBVRE, dans la jour­née du 24 Mars. Il ne pou­vait plus par­ler de façon intel­li­gible, mais tota­le­ment lucide il conser­vait sa façon d’être et de vivre : sou­riant et crucifié.

Un sou­rire. pour remer­cier, pour ras­su­rer, pour apai­ser et comme pour s’ex­cu­ser de ne pou­voir se faire com­prendre. Un sou­rire pour mani­fes­ter sa propre séré­ni­té et nous invi­ter aux mêmes dis­po­si­tions. Un sou­rire pour ten­ter de nous faire croire que ses souf­frances n’é­taient pas si ter­ribles que ça. Le sou­rire de la cha­ri­té et de la bon­té, le sou­rire de l’at­ten­tion aux autres dans l’in­dif­fé­rence de soi-même.

Un regard vers le cru­ci­fix, ultime geste conscient de ma der­nière visite. Alors que je lui disais com­bien j’é­tais édi­fié par cet hôpi­tal où toutes les chambres, y com­pris des soins inten­sifs, sont pro­té­gées par un cru­ci­fix, son visage et ses yeux se tour­naient len­te­ment vers le point que je lui dési­gnais pour trou­ver Jésus-​Christ et Jésus-​Christ cru­ci­fié, auquel il avait consa­cré sa vie. Regard de l’a­mi, de l’a­do­ra­teur, du prêtre, du mis­sion­naire. regard dou­lou­reux mais pai­sible qui attend et appelle l’ul­time et défi­ni­tive rencontre.

L’impression la plus forte, la plus douce et la plus poi­gnante qui me reste de ces der­niers jours, heures, minutes, secondes. qui furent les der­nières de Monseigneur – dans les­quelles je fus admis à l’ac­com­pa­gner par un pri­vi­lège incom­pré­hen­sible - est celle d’une paix inal­té­rable, mêlée à la souf­france, par­se­mée de sou­rires, de plai­san­te­ries, d’é­clats de rire autant que de prières.

« Je ne peux rien faire d’autre que de faire orai­son. et c’est très bien ainsi ». 

C’était la paix pro­fonde et totale, faite de confiance en ce Dieu de Charité en qui il avait cru et à qui il avait voué toute sa vie. paix de l’ab­sence totale d’in­quié­tude quant à l’a­ve­nir ou l’is­sue de l’o­pé­ra­tion envi­sa­gée. paix de l’a­ban­don, de l’o­rai­son et de l’u­nion à Jésus-​Christ en sa Passion. paix du désir de Dieu, de la soif de l’é­ter­ni­té. paix de la conscience d’a­voir tout accom­pli, d’a­voir tout mis en ordre et de pou­voir par­tir sans cau­ser de sou­ci à ses fils. paix du devoir accom­pli, d’a­voir tout don­né sauf ce qu’il n’ap­par­tient qu’à Dieu de prendre : sa vie. paix de l’ac­cep­ta­tion confiante des condi­tions de ce don ultime fait depuis tou­jours. paix de l’âme toute remise entre les mains de Dieu et n’at­ten­dant plus que la sépa­ra­tion d’a­vec le corps pour chan­ter sa gloire sans fin et sans obstacle.

Encore un mot, le der­nier, pour rendre hom­mage aux méde­cins, aux infir­miers, aux infir­mières, à Monsieur Jo GRENON, Directeur de l’hô­pi­tal de Martigny. Malgré les inévi­tables tra­cas­se­ries qu’on doit infli­ger à un malade, tout a été fait, non seule­ment pour rendre la san­té à Monseigneur, mais encore pour adou­cir autant que pos­sible la tris­tesse de toute vie d’hôpital.

Monseigneur le leur a dit, mais il me plaît de le dire à tous et devant tous aujourd’hui.

Mgr Lefebvre, à Morgon en 1988 : 

« Saint Thomas dit qu’il y a plus d’anges que d’hommes. Il donne comme rai­son que le Bon Dieu fait habi­tuel­le­ment en plus grand nombre les choses par­faites. Les anges étant plus par­faits que les hommes, Dieu dans sa libé­ra­li­té, dans son amour de ce qui est beau, de ce qui est grand, les a créés en plus grand nombre que les hommes. Puisque nous avons cha­cun un ange gar­dien ; il y a autant d’anges que d’hommes. Et il faut y ajou­ter tous ceux dont le Bon Dieu se sert pour sa Providence et sa gloire. 

Par consé­quent, il y a un monde spi­ri­tuel peut-​être beau­coup plus impor­tant que nous l’i­ma­gi­nons ! Ce sera une décou­verte lorsque nous fer­me­rons les yeux ici-​bas et que nous décou­vri­rons l’ho­ri­zon du ciel. Nous serons émer­veillés sans doute par cette mul­ti­tude infi­nie . Alors aimons vivre au milieu de ces grands ado­ra­teurs de Dieu. »