Chers Amis et Bienfaiteurs,
uelle forme pourrait prendre un ordre social chrétien, appliqué à notre temps ? Permettez-nous d’en tracer les grands traits sous forme d’axiomes dont chacun est à approfondir et à développer. Nous ferons appel au droit naturel, à la sainte Ecriture et, bien sûr, à la doctrine politique et sociale des papes.
1° L’ordre social chrétien se fonde sur le droit naturel, gravé dans le cœur de tout homme et exprimé objectivement par les dix commandements de Dieu. Il se reconnaît en outre redevable envers l’unique religion fondée par Dieu, celle de l’Eglise catholique, avec son dépôt de la foi et son trésor de grâce ; car après le péché originel, l’ordre surnaturel n’est facultatif pour aucun individu humain et il est moralement nécessaire à la société pour acquérir le simple bien commun temporel, fût-il purement naturel.
2° Le pouvoir dans l’Etat et dans la société ne vient pas du peuple, de la base, mais de Dieu : « Non est enim potestas nisi a Deo – il n’y a en effet de pouvoir que venant de Dieu » (Rom 13, 1). Par conséquent par l’élection, le peuple ne fait que désigner ceux qui doivent gouverner, mais il ne leur communique pas l’autorité : encore moins peut-il les en destituer à son gré.
Il est en outre des régimes légitimes, telle la monarchie héréditaire, dont le gouvernant n’est pas désigné par élection.
3° La maxime actuelle « Chaque votant a une même et unique voix – one man, one vote » est-elle vraiment conforme à l’ordre naturel ? Un père de famille a plus de responsabilité et normalement aussi une compréhension plus profonde du bien de la société que son fils venant juste d’atteindre l’âge adulte ; un chef d’entreprise ayant mille employés supporte plus de responsabilité que le plus jeune de ses apprentis.
Un droit de vote résidant essentiellement dans les pères de famille ne donnerait-il pas une toute autre position à la famille, cellule de la société ?
4° On peut se demander, de plus, si les partis sont vraiment pour le bien du peuple ou s’ils ne contribuent pas plutôt à ses divisions. Ne pourraient-ils pas être remplacés par ces hommes chrétiens qui se distinguent par leur maturité de mœurs, leur expérience de la vie, leur sens de la justice et leur souci du bien commun ?
5° Le centralisme engendre un pesant appareil de fonctionnaires aux mille bureaux et formulaires et surtout une autorité anonyme. Au contraire le fédéralisme, les corps intermédiaires, le principe de subsidiarité et avant tout la responsabilité personnelle correspondent bien mieux à la nature humaine, donc à la volonté de Dieu. L’ultime aberration du centralisme est l’internationalisme destructeur du caractère propre des peuples et des cultures.
6° Un ordre social chrétien, bien sûr, reconnaît au for civil le mariage contracté devant l’Eglise et il n’admet surtout pas le divorce civil. Il repose même sur l’indissolubilité du mariage comme sur l’une de ses colonnes fondamentales. Aussi déclare-t-il la guerre au concubinage et aux relations pré et extra-matrimoniales. Il proscrit la vente des contraceptifs.
7° De même il bannit de la vie publique le blasphème, l’homosexualité et la pornographie ; il punit l’avortement et rejette l’euthanasie ainsi que la drogue. Il ferme les loges maçonniques et interdit les sociétés secrètes.
8° Puisqu’il n’y a qu’une vraie religion, fondée par Dieu, il interdit le culte des fausses religions, ou s’il les tolère à la rigueur selon les principes de la prudence, il ne leur reconnaît jamais un droit naturel à l’existence. L’Etat chrétien favorise de toutes ses forces l’activité de l’Eglise, il la protège et la défend, puisque sans la foi divine il est pratiquement impossible de poursuivre le bien commun temporel.
9° Quel est ce bonum commune, ce bien commun ? Il ne consiste certes pas dans le bien-être matériel, mais dans la vertu des citoyens, dans la tranquillité de l’ordre – qui fait l’essence de la paix – tant interne qu’externe.
10° L’Etat chrétien protège et favorise la famille, particulièrement la famille nombreuse ; il soutient au besoin les écoles et l’éducation, qui sont en premier lieu l’affaire des parents et de l’Eglise ; il favorise l’initiative privée et la propriété privée, qui garantit à l’homme un certain espace de liberté et le préserve des dépendances dangereuses.
11° Il faut appeler le bien, bien et le mal, mal, louer la vertu et la récompenser, punir le péché et le vice. La peine a avant tout un rôle vindicatif, pour venger l’ordre détruit et le rétablir, mais elle a aussi un rôle médicinal de correction et de conversion du coupable. Dans ce but, l’emprisonnement doit durer un certain temps et être accompagné d’une pastorale sérieuse comprenant conférences, exercices spirituels, entretiens et occasions fréquentes de se confesser.
12° La peine de mort pour des grands criminels (meurtre, trafic de drogue) comporte ce caractère vindicatif, en outre, au témoignage des aumôniers de prison, elle mène de nombreux coupables à la conversion. Elle est de plus un puissant moyen de dissuasion.
13° Finie, la tyrannie du gros capital et des grandes banques ! L’argent est et demeure un pur moyen d’échange, il n’est pas un but et ne porte pas de fruits de lui-même. C’est pourquoi l’Eglise a de tout temps interdit la spéculation.
14° La bipolarisation patrons-ouvriers, avec les syndicats et les grèves, serait judicieusement surmontée par la fondation de corporations, associant dans la même profession employeurs et employés pour la défense des intérêts communs.
15° Les entrepreneurs sont toujours pères de leurs ouvriers. Ils doivent non seulement leur payer le juste salaire, mais se considérer coresponsables de leur bien moral et même spirituel. Aussi doivent-ils avoir le souci de leurs familles et leur donner le bon exemple par l’assistance à la messe et la réception des sacrements. De plus ne serait-il pas raisonnable qu’un entrepreneur chrétien rassemble chaque matin ses employés au début du travail devant l’image du Seigneur crucifié ou du Sacré-Cœur, afin d’offrir avec eux à Dieu le travail et les peines de la journée et d’appeler sur l’ouvrage la bénédiction divine ?
16° L’économie agricole est fondamentale pour tout pays. Parmi d’autres maux, des subventions partiales accordées pendant des années ont conduit les paysans à une surproduction. Résultat : on les subventionne maintenant pour qu’ils laissent leurs terres en friche ! Cette gratification de l’infertilité est chose unique dans l’histoire, elle est directement opposée au commandement de Dieu : « Soyez féconds, multipliez-vous et remplissez la terre et soumettez-là » (Gen 1, 28). Il y a ainsi un parallèle frappant à noter : l’Etat qui pousse à la stérilité du sol est aussi celui qui pousse à la stérilité de la famille. Du reste cette politique agraire mène nécessairement à la destruction de la ferme familiale, remplacée par l’usine agricole collective calquée sur le kolkhoze.
17° Sans la volonté de défendre le pays, d’en protéger les habitants, les frontières et la culture et spécialement d’en sauvegarder la foi et de promouvoir le royaume de Dieu, une nation se livre à sa perte. Entre le missionnaire et le soldat, n’y a‑t-il pas un lien étroit ? Le premier prêche la foi et bâtit le royaume de Dieu, le dernier défend l’une et l’autre contre les ennemis du dedans et du dehors. L’état militaire est en cela honorable, il a fait beaucoup de saints, tels saint Sébastien et les martyrs de la légion thébaine, etc.
18° Appartiennent spécialement à un ordre social chrétien : l’amour de la terre, de la nature et du travail, l’amour du peuple et de la patrie, avec leurs coutumes et leurs traditions, leur culture et leur histoire. Le déracinement de l’homme et l’exode rural, la concentration urbaine et ses cages à lapins sans espaces verts pour les enfants, sans contact avec la nature créée par le Bon Dieu, loin d’être une bénédiction, sont une malédiction.
Chers amis et bienfaiteurs, nous supplions chaque jour, dans le Notre Père, « Adveniat regnum tuum – que votre règne arrive. De quoi s’agit-il ? Vous connaissez la devise de notre saint patron saint Pie X : « Omnia instaurare in Christo – Tout instaurer dans le Christ. Il ne s’agit pas seulement de sauver le saint Sacrifice de la messe, c’est toutes choses qu’il faut renouveler : l’individu, la société et aussi l’Eglise. De grandes figures de l’histoire en sont un exemple : un saint Henri, empereur du Saint-Empire romain, un saint Louis, roi de France, un saint Etienne, roi de Hongrie, un saint Wenceslas de Bohème, un saint Edouard d’Angleterre, un saint Olav de Norvège, une Isabelle-la-Grande, reine de Castille. Des présidents de républiques furent aussi de grands hommes d’Etats chrétiens : un Garcia Moreno en Equateur, un Dollfuss en Autriche. Et nous ne pouvons qu’admirer ces maires de villes françaises qui, l’an dernier, consacrant leur commune au Sacré-Cœur de Jésus, ont appelé publiquement sur leur cité le doux règne du Christ-Roi.
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Pour terminer, voici quelques nouvelles de la Fraternité Saint-Pie X, elle-même. Timidement, goutte à goutte, quelques prêtres du dehors nous rejoignent : une quinzaine en tout ces deux dernières années, tandis que le chiffre des entrées dans nos séminaires se maintient avec constance, nous faisant escompter dans l’avenir environ vingt-cinq nouveaux prêtres chaque année. Avec cette croissance de l’œuvre, notre nouvelle maison généralice s’avère une vraie bénédiction, aussi tenons-nous à remercier vivement tous ceux qui ont rendu possible son achat et sa restauration.
Trois importantes fondations nouvelles sont actuellement en train de se réaliser. A Jaidhof en Autriche, nous avons érigé un prieuré destiné à l’apostolat dans les pays de l’Est. Au Guatemala, les fidèles ont mis un terrain à notre disposition et sont en train d’y construire un prieuré et d’aménager une vaste chapelle. A Séoul, en Corée du sud, dans ce pays qui aujourd’hui montre peut-être le plus de conversions à l’Eglise catholique, deux de nos prêtres seront d’ici peu en activité sur place.
Aux Philippines, à Manille, nous avons pu acheter un terrain assez grand pour y construire un prieuré et une église de sept cents places assises. Enfin, nous avons acheté une maison à Fatima, au Portugal.
Maintenant, les fidèles qui aimeraient œuvrer à un apostolat sous la direction de la très sainte Vierge et la conduite de nos prêtres sont invités à se rassembler au sein de la Militia Mariæ, ainsi, dans la joie, ils travailleront avec nous à l’édification du royaume de Dieu. Oui, nous invoquons chaque jour la très sainte Vierge sous ses vocables de Médiatrice de toutes grâces, Auxiliatrice des chrétiens, Notre-Dame du Perpétuel Secours, Reine des apôtres et Notre-Dame du Bon Conseil.
Enfin, juste un exemple de ce qu’opère la prière persévérante jointe à la charité et à l’esprit de sacrifice. Dans une communauté de religieuses liée d’amitié à nous, le médecin constatait par des radios, chez la supérieure, un cancer du foie déjà avancé. Ses filles supplièrent alors le ciel, invoquant l’intercession d’une consœur défunte et très vertueuse. Pendant toute une journée, elles arrachèrent à mains nues les chardons et mauvaises herbes d’un terrain nouvellement acquis, payant pour ainsi dire la rançon de la guérison de leur Mère supérieure si estimée. Or quelques jours plus tard, un nouvel examen radiologique ne révélait plus rien du cancer ! Deux médecins sont prêts à témoigner du caractère naturellement inexplicable de cette guérison.
Aujourd’hui aussi, parmi nous, Dieu opère donc ses miracles, là où l’on croit, où l’on espère, où l’on aime, où l’on prie, où l’on travaille et où l’on porte pour l’amour de son Nom la Croix de son Fils unique.
Menzingen, le 7 octobre 1993, en la fête du saint Rosaire,
Abbé Franz Schmidberger
Supérieur général
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