Monseigneur Thuan, un évêque face au communisme

Anne Bernet a publié en 2018 une bio­gra­phie de Monseigneur Thuan, un évêque viet­na­mien connu pour ses prises de posi­tion cou­ra­geuses face au communisme.

Mgr Thuan est incon­tes­ta­ble­ment un homme au des­tin extra­or­di­naire. Le pro­logue de la bio­gra­phie que lui consacre Anne Bernet suf­fit à don­ner le ton : Kha est un jeune sémi­na­riste en 1885 ; il ne sera jamais prêtre. Il doit ren­trer chez lui, son vil­lage a été incen­dié, les siens sont morts mar­tyrs, les sur­vi­vants, sa mère et sa sœur, ont besoin de lui. Ce jeune homme est le grand-​père de Mgr Thuan. De catho­lique per­sé­cu­té et n’ayant plus rien, il devient le prin­ci­pal conseiller de l’empereur du Vietnam. Après lui ses fils conti­nuent son œuvre poli­tique, gar­dant dans cette époque trou­blée un patrio­tisme jaloux de son indé­pen­dance, res­pec­tueux de la France de saint Louis et beau­coup moins de la répu­blique colo­nia­liste. C’est l’un d’eux, Diem qui, quit­tant le cloître, devient pré­sident du Vietnam Sud en 1954 après la défaite des Français à Dien Bien Phu et la sépa­ra­tion du pays. C’est sa mort (il est assas­si­né en 1963) qui signe la fin de la pro­tec­tion du Sud de l’invasion communiste.

Thuan est donc à la fois l’héritier d’une famille catho­lique fer­vente qui s’honore des ancêtres mar­tyrs mais aus­si d’une famille très enga­gée dans la poli­tique du pays, très patriote et très atta­chée à la culture et aux tra­di­tions viet­na­miennes. Lui-​même ne cher­che­ra jamais à faire de la poli­tique. En revanche, dès son jeune âge, il est remar­qué pour sa pié­té et son goût de l’étude jointe à une intel­li­gence et une mémoire pro­di­gieuses. C’est ain­si qu’il sau­ra par cœur toutes les épîtres de saint Paul, ce qui lui sera fort utile en pri­son. Au petit sémi­naire il se classe pre­mier en latin et en chi­nois alors qu’il est abso­lu­ment nul dans les acti­vi­tés spor­tives, sachant dis­cer­ner déjà les priorités.

Le récit de ses années de for­ma­tion, très inté­res­sant au point de vue poli­tique car c’est la guerre (Thuan perd un de ses oncles enter­ré vivant par les com­mu­nistes), est aus­si pas­sion­nant du point de vue reli­gieux. Il reçoit une for­ma­tion excel­lente : morale, par la rigueur qui règne au petit sémi­naire et l’exemple que donnent les mis­sion­naires fran­çais des Missions Étrangères de Paris, intel­lec­tuelle et spi­ri­tuelle car il est nour­ri des meilleurs auteurs : saint Thomas, bien sûr, mais aus­si dom Marmion, Garrigou-​Lagrange et même Bernanos dont il lit le Journal d’un curé de cam­pagne.

Avec ces qua­li­tés, cette for­ma­tion et cette famille, le jeune abbé est évi­de­ment pro­mis à une belle car­rière ecclé­sias­tique ; il est le seul à ne pas y croire. Le des­tin semble appa­rem­ment de son avis lorsque, peu de temps après l’ordination, il est à l’hôpital, se mou­rant de la tuber­cu­lose. Mais pen­dant que l’armée fran­çaise est défaite au nord, lui, au sud, est gué­ri mira­cu­leu­se­ment et, du jour au len­de­main, sort de l’hôpital. La suite re-​noue alors la logique pré­cé­dente : études à Rome, direc­teur de sémi­naire et enfin évêque. Durant cette période c’est sur­tout la vie poli­tique qui retient notre inté­rêt. Le pré­sident Diem essaie déses­pé­ré­ment de conser­ver quelque chose de son pays, écar­te­lé entre les Américains qui cherchent leur inté­rêt, les com­mu­nistes du nord qui s’infiltrent petit à petit et les boud­dhistes qui ne com­prennent rien au patrio­tisme trop sub­til du catho­lique. Finalement, un coup d’État plus ou moins mon­té par les Américains amène la chute du régime et l’assassinat du pré­sident. L’attention se détourne alors de la poli­tique pour suivre Mgr Thuan qui devient évêque de Nha Trang. Anne Bernet cite très abon­dam­ment les lettres pas­to­rales du jeune évêque qui mani­festent sa gran­deur d’âme et sa déter­mi­na­tion face au com­mu­nisme mais aus­si, hélas, son adhé­sion au concile qui a pour­tant refu­sé de condam­ner le com­mu­nisme. De manière signi­fi­ca­tive, il prend comme devise épis­co­pale « Gaudium et Spes ».

Le récit rede­vient plus pas­sion­nant lorsque Thuan est arrê­té après l’invasion du Sud Vietnam par les com­mu­nistes. Commence alors ce qui est vrai­ment le cœur du livre, les treize années de déten­tion et la résis­tance héroïque au lavage de cer­veau com­mu­niste. C’est vrai­ment dans ces années que Thuan mani­feste la qua­li­té de sa vie inté­rieure qui le rend capable de sup­por­ter toutes les épreuves. La cap­ti­vi­té de Mgr Thuan, en effet, n’est pas linéaire mais, au contraire, étant un pri­son­nier de marque, il reçoit un trai­te­ment de « faveur ». Il est envoyé un moment en camp de tra­vail mais n’y reste pas long­temps. Il est empri­son­né de diverses manières, par­fois très sévè­re­ment, par­fois sim­ple­ment en rési­dence sur­veillée avec un peu de liberté.

Finalement, il est libé­ré et doit se rési­gner à l’exil. La fin de sa vie se déroule prin­ci­pa­le­ment à Rome où il devient car­di­nal peu de temps avant sa mort en 2002.

Après avoir si bien com­men­cé et s’être illus­tré ain­si dans le com­bat contre les enne­mis de l’église, on ne peut qu’être un peu déçu de la fin de cet évêque deve­nu fidèle dis­ciple de Jean-​Paul II. Il a pour­tant avoué qu’en pri­son il célé­brait la messe tra­di­tion­nelle à laquelle il était atta­ché. Il est aus­si le neveu de Mgr Ngo Dinh Thuc, sédé­va­can­tiste célèbre qui a notam­ment sacré évêque le Père Guérard des Lauriers, pro­fes­seur à Écône dans les débuts. Malgré cela, le livre mérite d’être lu tel­le­ment est belle et peu connue cette épo­pée des catho­liques viet­na­miens au XXe siècle

Abbé Louis Hanappier

Source : Le Saint-​Vincent n° 29.

Livre : Anne Bernet, Mgr Thuan, un évêque face au com­mu­nisme, Tallandier, 2018.