Lettre n° 83 de Mgr Bernard Fellay aux Amis et Bienfaiteurs de la FSSPX de novembre 2014

Résumé : Alors que l’état de l’Eglise uni­ver­selle conti­nue de se dété­rio­rer, Mgr Fellay rap­pelle la vision qua­si pro­phé­tique que le futur Benoît XVI avait de l’avenir de l’Eglise, il y a déjà dix-​sept ans. Au milieu de ce désastre, la Fraternité conti­nue à se déve­lop­per et à tra­vailler à la sanc­ti­fi­ca­tion des âmes, en por­tant une atten­tion toute par­ti­cu­lière à la famille chré­tienne, aux écoles catho­liques, aux Exercices spi­ri­tuels de saint Ignace et, par des­sus tout, à la for­ma­tion et la sanc­ti­fi­ca­tion des prêtres.

Chers Amis et Bienfaiteurs,

l y a déjà dix-​sept ans, le futur Benoît XVI pré­sen­tait la vision qu’il avait de l’avenir de l’Eglise ; celle-​ci parais­sait alors très pes­si­miste. Il pré­voyait une telle frag­men­ta­tion du Corps mys­tique qu’il le rédui­sait à un ensemble de petits groupes encore vivaces, mais au milieu d’une déca­dence généralisée :

« Peut-​être devons-​nous dire adieu à l’idée d’une Eglise ras­sem­blant tous les peuples. Il est pos­sible que nous soyons au seuil d’une nou­velle ère, consti­tuée tout autre­ment, de l’histoire de l’Eglise, où le chris­tia­nisme exis­te­ra plu­tôt sous le signe du grain de séne­vé, en petits groupes appa­rem­ment sans impor­tance, mais qui vivent inten­sé­ment pour lut­ter contre le mal et implantent le bien dans le monde… »

Le Sel de la Terre, Flammarion 1997, p. 16.

« Elle res­sem­ble­ra moins aux grandes socié­tés, elle sera davan­tage l’Eglise des mino­ri­tés, elle se per­pé­tue­ra dans de petits cercles vivants, où des gens convain­cus et croyants agi­ront selon leur foi. Mais c’est pré­ci­sé­ment ain­si qu’elle rede­vien­dra, comme le dit la Bible « le sel de la terre ». »1

Vision désastreuse de l’avenir de l’Eglise

Cette vision est-​elle le fruit de la saga­ci­té per­son­nelle du car­di­nal Josef Ratzinger, ou s’inspire-t-elle d’une autre source, comme le secret de Fatima ? Lui seul peut nous le dire. Quoi qu’il en soit, gra­duel­le­ment et tout par­ti­cu­liè­re­ment depuis le Concile, nous assis­tons à la lente dis­pa­ri­tion de l’Eglise telle qu’elle s’est pré­sen­tée pen­dant au moins 1500 ans, c’est-à-dire comme une socié­té ayant impré­gné pro­fon­dé­ment toute la vie humaine, tout le corps social, s’efforçant de for­mer un tout pro­fon­dé­ment har­mo­nieux avec le tem­po­rel, même si le pou­voir tem­po­rel a sou­vent essayé d’empiéter sur le pou­voir spi­ri­tuel de l’Eglise. Depuis la Révolution fran­çaise, on constate non seule­ment la sépa­ra­tion des deux pou­voirs, mais aus­si une volon­té inces­sante de com­battre et de réduire l’influence si béné­fique de l’Eglise sur la socié­té humaine. Depuis l’après-Concile, avec la dimi­nu­tion effa­rante du nombre des voca­tions sacer­do­tales, avec la perte de cen­taines de mil­liers de reli­gieux et de reli­gieuses qui avaient don­né leur vie pour Dieu et le pro­chain, cette pré­sence de l’Eglise dans les écoles, dans les hôpi­taux, dans la vie sociale et poli­tique a qua­si­ment dis­pa­ru. Aucune mesure sérieuse n’est prise pour enrayer cette dis­pa­ri­tion catas­tro­phique de l’Eglise dans la socié­té. Elle est désor­mais à peu près réduite à la sacris­tie. Pire, dans les pays où l’Eglise avait pro­di­gué ses bien­faits, dans ces pays qu’autrefois on appe­lait chré­tiens, même les églises et les sacris­ties sont vides… Nous ne sommes plus très loin de la vision qua­si pro­phé­tique du car­di­nal Ratzinger.

Mais à ces élé­ments exté­rieurs s’en ajoutent d’autres, propres à la vie interne de l’Eglise ; ils sont les indices d’une fai­blesse devant un enne­mi non plus exté­rieur, mais désor­mais inté­rieur. De plus en plus net­te­ment se dis­solvent l’unité de la foi et l’unité du gou­ver­ne­ment dans la sainte Eglise ; quant à l’unité litur­gique, avec les ouver­tures opé­rées par la nou­velle messe en direc­tion de la « créa­ti­vi­té », avec notam­ment la mul­ti­pli­ca­tion des prières eucha­ris­tiques, il y a déjà long­temps qu’elle a volé en éclats. Quant à la morale, le der­nier Synode sur la famille est une tra­gique indi­ca­tion de la pro­li­fé­ra­tion des opi­nions contra­dic­toires qui règnent en ce domaine, et que l’autorité ne semble plus à même d’endiguer, lorsqu’elle ne les favo­rise pas elle-même…

Au milieu de ce désastre, remar­qué par beau­coup d’observateurs, nul doute que notre modeste Fraternité appa­raît comme « un petit groupe appa­rem­ment sans impor­tance, mais qui vit inten­sé­ment pour lut­ter contre le mal et implan­ter le bien dans le monde… » Si d’un côté la vue de l’Eglise défi­gu­rée nous désole pro­fon­dé­ment, de l’autre, nous chan­tons tous les jours le Magnificat pour les mer­veilles que le Tout-​Puissant nous per­met encore de réaliser.

La famille chrétienne

Nous aime­rions vous don­ner dans ces quelques lignes un aper­çu du déve­lop­pe­ment actuel de la Fraternité, qui mal­gré les coups reçus de toutes parts, ne cesse de répandre la grâce du Bon Dieu, de for­ti­fier les âmes dans leur dur et périlleux pèle­ri­nage vers le Ciel. Depuis long­temps, nous nous ren­dons compte qu’une atten­tion toute par­ti­cu­lière doit être por­tée sur la famille chré­tienne, foyer sacré où naissent des enfants des­ti­nés non seule­ment à la vie sur cette terre, mais à la vie du Ciel. Il y a quelque chose de ter­ri­fiant et de dia­bo­lique dans le raf­fi­ne­ment de cruau­té qui est employé pour frap­per ce sanc­tuaire, dès la vie de l’enfant à naître dans le sein de sa mère.

Devant le nombre de familles nom­breuses, culti­vant serei­ne­ment la ver­tu et cher­chant la gloire de Dieu sans négli­ger, bien au contraire, leurs devoirs envers le pro­chain et la socié­té, nous ne pou­vons que bénir Notre Seigneur et admi­rer le tra­vail si effi­cace de la grâce ! Oui chères familles, si la vie chré­tienne a ses exi­gences, l’aide de Dieu, la grâce ne fait jamais défaut, quelques soient les cir­cons­tances qui sou­vent réclament de vous un cer­tain héroïsme. Vous don­nez, par le simple fait de votre vie chré­tienne et de vos efforts, la preuve que cette vie est encore pos­sible aujourd’hui, et que ceux qui aban­donnent les com­man­de­ments de Dieu pour cher­cher d’autres voies plus accom­mo­dantes avec le monde moderne, sont des défai­tistes qui ont per­du l’esprit de foi qui devrait ani­mer tout chrétien.

L’école catholique

Cette vie de foi a besoin d’être pro­té­gée, et pour se déve­lop­per elle a besoin de l’école catho­lique. Cela a tou­jours été un sou­ci majeur de l’Eglise, au point qu’elle fait une obli­ga­tion grave aux parents de veiller à l’éducation catho­lique de leurs enfants, jusqu’à mena­cer encore aujourd’hui de sanc­tion ceux qui man­que­raient à leur devoir !2

C’est là une grave pré­oc­cu­pa­tion, bien concrète : où trou­ver de nos jours des écoles authen­ti­que­ment catho­liques où l’enseignement de la foi pénètre vrai­ment toutes les dis­ci­plines ? Des éta­blis­se­ments où l’on pré­pare les futurs pères et mères de famille aux com­bats néces­saires en ce monde, afin de conqué­rir le Ciel ?

C’est pour cela que l’un de nos plus grands efforts se porte sur les écoles. Nous y consa­crons, dans le monde entier, la plus grande par­tie de nos res­sources, tant humaines que maté­rielles. Et, de fait, une bonne cen­taine d’écoles, de tailles diverses, forment des mil­liers de chré­tiens convain­cus pour demain.

Les Exercices spirituels de saint Ignace

Si la famille et l’école four­nissent une pro­tec­tion indis­pen­sable aux jeunes en for­ma­tion, que faire pour sou­te­nir ceux qui quittent le foyer pater­nel et entrent dans le monde ? C’est une grande pré­oc­cu­pa­tion pour nous que la per­sé­vé­rance de ces jeunes adultes dans le bien et la ver­tu, le main­tien de leurs âmes en état de grâce dans un monde si per­ver­ti. Aussi ne trouvons-​nous pas d’antidote plus fort que les Exercices spi­ri­tuels de saint Ignace, que nous consi­dé­rons très cer­tai­ne­ment comme l’un des plus grands tré­sors et moyens de sanc­ti­fi­ca­tion dépo­sés entre nos mains – après le Saint Sacrifice de la Messe et le saint Rosaire. Ils sont vrai­ment faits pour notre temps, capables de don­ner le cou­rage, la force, l’héroïsme néces­saires aujourd’hui à toutes les âmes de bonne volon­té. C’est pour­quoi nous vous invi­tons ins­tam­ment à ne pas négli­ger ce moyen mis à votre dis­po­si­tion. Sans aucun doute, nous consi­dé­rons les Exercices spi­ri­tuels comme l’un des fers de lance de la Fraternité, et la cause de ce véri­table miracle de la grâce que consti­tue la vie chré­tienne aujourd’hui.

Le prêtre et la Messe

Mais la vie sur­na­tu­relle ne serait pas pos­sible sans le prêtre, ins­tru­ment pri­vi­lé­gié, vou­lu et choi­si par Dieu pour la répandre dans le Corps mys­tique, en par­ti­cu­lier par le très Saint Sacrifice de la Messe. Le lien intime qui doit unir le prêtre et la Messe, est le tes­ta­ment que nous a lais­sé Mgr Lefebvre. Car la Messe est la source de toute sanc­ti­fi­ca­tion et le prêtre, avant tous les autres, doit s’y abreu­ver pour ensuite en faire béné­fi­cier les âmes qui lui sont confiées : « Je me sanc­ti­fie moi-​même pour eux, disait Notre Seigneur, afin que eux aus­si soient sanc­ti­fiés dans la véri­té » (Jn 17, 19).

Ce mys­tère est au cœur de nos sémi­naires. Nous y veillons avec un soin jaloux, et nous­soi­gnons tout ce qui peut ser­vir à embel­lir les céré­mo­nies litur­giques. La beau­té des signes exté­rieurs reflète la subli­mi­té des mys­tères par les­quels s’opère notre Rédemption. Ainsi ces céré­mo­nies, gran­dioses et intimes à la fois, sont-​elles comme un pré­lude du Ciel.

C’est la joie et le pri­vi­lège quo­ti­dien de nos quelque 200 sémi­na­ristes, ain­si que de la qua­ran­taine de pré-​séminaristes répar­tis dans nos six sémi­naires sur quatre conti­nents. Aux États-​Unis, leur nombre crois­sant nous oblige à en construire un nou­veau, en Virginie ; il devrait être sous toit au prin­temps prochain.

A cela s’ajoute la construc­tion de nom­breuses églises, un peu par­tout dans le monde, qui montre le dyna­misme de la foi. Oui, vrai­ment, la foi peut dépla­cer des mon­tagnes ! Je crois bien que seule la foi peut expli­quer ce phé­no­mène qui dépasse les forces humaines. Grâce à Dieu, votre constante géné­ro­si­té et votre zèle ardent rendent de telles réa­li­sa­tions pos­sibles. Soyez-​en pro­fon­dé­ment remer­ciés. Soyez assu­rés de la prière recon­nais­sante des sémi­na­ristes, des prêtres, des reli­gieux et reli­gieuses qui chaque jour demandent à Dieu de vous rendre vos bien­faits au centuple.

Daigne Notre Dame vous gar­der dans la cha­ri­té et la paix, bien chers Amis, et que son Cœur imma­cu­lé vous conduise tous à la béa­ti­tude éternelle.

En la fête de la Présentation de Notre Dame, le 21 novembre 2014

+Bernard Fellay, Supérieur général

Source : du 21 novembre 2014

  1. Ibid. p. 214. []
  2. Cf. Code de 1917, canon 2319, § 2–4 ; Code de 1983, canon 1366. []

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.