Les trois apparitions de l’Ange, en 1916, préparèrent admirablement les âmes des trois pastoureaux Lucie, François et Jacinthe aux apparitions de Notre Dame, qui eurent lieu l’année suivante, du 13 mai au 13 octobre, à deux endroits différents mais assez proches des apparitions angéliques, toutes ces apparitions s’étant déroulées sur le territoire de la paroisse de Fatima.
Cinq des six apparitions de Notre Dame, à l’exception de l’apparition d’août, se déroulèrent à deux kilomètres environ du village natal des enfants, Aljustrel, en un lieu appelé par la population locale « Cova da Iria », ce qui signifie : cuvette d’Irène. Il s’agit en effet d’une vaste cuvette circulaire de près de 500 mètres de diamètre, sur la partie sud-est du plateau où est situé la paroisse de Fatima.
« La Cova da Iria est de fait une vaste conque entourée de petites élévations ; le tout forme un magnifique amphithéâtre naturel capable de contenir des foules très nombreuses. Depuis trois générations, la famille dos Santos [famille de Lucie] possédait tout l’espace compris entre le fond de la cuvette et le sommet où a été construite la basilique de Notre Dame du Rosaire. Ce lieu était ombragé par des chênes verts. » [1]
La population locale lui avait donné le nom d’Irène, en hommage à la grande vierge et martyre chrétienne de la région, Sainte Irène, qui vécut au VIIe siècle et « dont le corps fut enseveli avec honneur à Scalabis, ville honorée plus tard du nom de la sainte », nous dit le martyrologe à la date du 20 octobre. Il s’agit de la ville de Santarém (contraction de Santa Iria) qui est aujourd’hui le chef-lieu du district administratif où est situé Fatima.
Peu après les apparitions de 1917, le journal « O Mensageiro » donna cette description de la Cova da Iria : « Le lieu appelé Cova da Iria est affreux… Assez aride, sans eau, la montagne de Fatima ou de Reguengo n’a rien d’admirable : chênaies, amoncellements de rochers, pinèdes et, çà et là, lopin cultivé. C’est une cuvette sans horizon lorsqu’on passe par la route qui va de Fatima à Ourem. Il y a une végétation montagnarde. » [2]
Comme pour Lourdes, Notre Dame choisit donc un lieu solitaire, sans attrait, désolé et oublié des hommes, pour apparaître à trois petits pastoureaux illettrés et leur délivrer là un message capital destiné à toute l’Eglise et à toute l’humanité. Ainsi se vérifie une nouvelle fois la parole de Saint Paul, dans sa première Epître aux Corinthiens (I27-29) : « Ce que le monde tient pour insensé, c’est ce que Dieu a choisi pour confondre les sages ; et ce que le monde tient pour rien, c’est ce que Dieu a choisi pour confondre les forts ; et Dieu a choisi ce qui dans le monde est sans considération et sans puissance, ce qui n’est rien, pour réduire au néant ce qui est, afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu. »
Il semble bien que ce lieu dit « Cova da Iria » ait attiré la prédilection de Dieu des siècles à l’avance, comme le laisse supposer l’émouvant témoignage suivant, daté de 1989, tout à fait crédible et digne de foi, qui relate la prophétie d’un grand miracle en ce lieu par le bienheureux Nuno Alvares Pereira, béatifié le 23 janvier 1918 par le pape Benoît XV, qui joua dans l’histoire du Portugal exactement le même rôle que notre Sainte Jeanne d’Arc dans notre histoire de France :
« J’ai soixante ans puisque je suis née le 4 avril 1928. J’ai demandé au Sacré-Cœur de Jésus et au Cœur Immaculé de Marie de m’aider à rédiger ce que je vais raconter. Le jour de Noël, à la Messe de l’Aurore, quand j’ai reçu Notre Seigneur, je Lui ai demandé la lumière pour bien faire ma narration. (…) Bien que maintenant je vive à Parede [Nord du Portugal, région de Porto], je suis originaire de la bourgade de Vale Travesso, qui est située à cinq kilomètres de Vila Nova de Ourem et à treize kilomètres de la Cova da Iria.
Mon grand-père s’appelait Jacinto Cruz et il était laboureur, homme plein de foi et très dévot. Il avait cinq filles – parmi lesquelles ma mère qui s’appelait Anna da Cruz – et un seul fils. Au temps des apparitions, mon oncle était à la guerre en France d’où il revint avec une parfaite santé, émigrant ensuite au Brésil. A cette époque, mon grand-père était l’unique homme qui savait lire dans ce coin de terre. Un jour, je lui en ai demandé la raison :
- Quand tu seras plus grande, je te raconterai une histoire très belle, répondit-il. Comme tu aimes Fatima, tu apprécieras cette histoire ;
– J’ai déjà fait la quatrième classe, c’est pourquoi tu pourrais bien me raconter l’histoire, répliquai-je ;
– Tu n’as que douze ans, c’est trop jeune pour comprendre.
Quand j’eus quinze ans, il me dit :
– Maintenant je deviens vieux et mon fils ne s’intéresse à rien de ce que je lui dis.
Il sortit alors d’un bahut plusieurs feuilles dures et un livre.
– C’est pour savoir lire ce livre que toutes les personnes de sexe masculin de notre famille, depuis des siècles, apprennent à lire.
Les grandes feuilles étaient un genre de parchemin en peau d’agneau, écrites avec du sang, comme le déclara mon grand-père. Elles avaient beaucoup de vrillettes noires, mais les terres étaient marquées en rouge. J’ai appelé ces feuilles une carte ; mon grand-père trouva ce nom charmant, mais il leur avait donné un autre nom dont je ne me souviens plus. Là était marqué le chemin que parcourut l’armée du Saint Connétable [3], quand elle se rendit à la bataille d’Aljubarrota [4]: la ferme appelée dos Castelhinos, la ferme appelée Corredoura, le bourg d’Atouguia marqué avec une église, une tour et sept moulins, et Fatima avec une grande marque et deux moulins. En plus de ce guide, ou carte, il y avait un livre écrit à la main sur un papier très obscur, laid et vieux. C’était comme un cahier avec des couvertures de tissu noir, cousu au fil de pite, comme me l’expliqua mon grand-père. L’écriture comportait beaucoup de P et de H avec une calligraphie très ancienne. Je ne pus rien lire.
Mon grand-père me raconta que dans ce livre – que lui-même comprenait -, il était écrit que le 13 août 1385, alors que l’armée portugaise passait par Fatima, au lieu où maintenant se trouve la Cova da Iria, les chevaux s’agenouillèrent. Le Saint Connétable annonça alors qu’il y aurait plus tard, en ce jour et en ce même lieu, un grand miracle. La bataille d’Aljubarrota se déroula le jour suivant.
C’est l’un de nos ancêtres, qui faisait partie de « A Ala dos Namorados » [5] de l’armée, qui écrivit à la main le livre qu’il a laissé à ses successeurs. C’est pour savoir ce qu’il y avait écrit dedans qu’apprenaient à lire – comme je l’ai déjà dit – les enfants mâles de la famille.
Mon grand-père mourut alors que j’avais seize ans.
Un jour, ma mère est arrivée à la maison très accablée parce que ma grand-mère avait allumé le feu avec le parchemin et ces vieux papiers que mon grand-père gardait dans le bahut et qui étaient passés de père en fils depuis des siècles. Alors, comme il y avait déjà eu le miracle à la Cova da Iria, et qu’eux-mêmes l’avaient vu, ma grand-mère déclara que cela ne valait pas la peine de garder plus longtemps ces vieilles feuilles. J’y suis alors allée pour voir si on pouvait sauver quelque chose mais tout était brûlé. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de peine de ce qui est arrivé mais il n’y a pas de remède. » [6]
Abbé Fabrice Delestre, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Suites des apparitions
Apparition du 13 juin 1917 : Le Cœur Immaculé de Marie
- F. Carret-Petit : « Le Lourdes portugais : Notre Dame du Rosaire de Fatima », Bonne Presse, Paris, 1943, 205 pages ; page 13.[↩]
- Cité par Frère François de Marie des Anges : Fatima, joie intime, événement mondial, CRC, Saint Parres lès Laudes, France, 2ème édition, 1993, 455 pages, en note 3 de la page 41. bataille d’Aljubarrota 14 août 1385[↩]
- Nom communément donné au Portugal au Bienheureux Nuno Álvares Pereira.[↩]
- Cette bataille d’Aljubarrota eut lieu le 14 août 1385 contre l’armée plus puissante du roi de Castille. La victoire de l’armée du Bienheureux Nuno assura pour deux siècles l’indépendance du Portugal et consolida la nouvelle dynastie d’Avis à la tête du pays[↩]
- Littéralement : Bataillon des Amoureux[↩]
- Témoignage paru dans la revue mensuelle portugaise Cruzada, numéro de février 1989, pages 41–42, avec ces indications : Parede, Portugal, M.I.C.N.[↩]