Photo : Statue de Notre-Dame de la Merci dans l’église de León au Nicaragua. L’image montre le scapulaire dans la main droite et porte le blason de l’ordre de la Merci sur son vêtement.
Histoire de l’apparition
Au milieu de la nuit du 1° août 1218, alors que l’Eglise célébrait la fête de Saint-Pierre-aux-Liens, la Vierge Marie, accompagnée d’anges et de saints, apparut à saint Pierre Nolasque [1] et lui dit :
Mon fils, je suis la Mère du Fils de Dieu qui, pour le salut et la liberté du genre humain, répandit tout son sang en souffrant la mort cruelle de la Croix ; je viens ici chercher des hommes qui veuillent, à l’exemple de mon Fils, donner leur vie pour le salut et la liberté de leurs frères captifs. C’est un sacrifice qui lui sera très agréable. Je désire donc que l’on fonde en mon honneur un Ordre dont les religieux, avec une foi vive et une vraie charité, rachètent les esclaves chrétiens de la puissance et de la tyrannie des Turcs, se donnant même en gage, s’il est nécessaire, pour ceux qu’ils ne pourront racheter autrement. Telle est, mon fils, ma volonté ; car, lorsque dans l’oraison tu me priais avec des larmes de porter remède à leurs souffrances, je présentais tes vœux à mon Fils qui, pour ta consolation et pour l’établissement de cet Ordre sous mon nom, m’a envoyée du ciel vers toi.
Saint Pierre Nolasque répondit :
Je crois d’une foi vive que vous êtes la Mère du Dieu vivant et que vous êtes venue en ce monde pour le soulagement des pauvres chrétiens qui souffrent dans une barbare servitude. Mais que suis-je, moi, pour accomplir une œuvre si difficile au milieu des ennemis de votre divin Fils et pour tirer ses enfants de leurs cruelles mains ?
Et Notre-Dame de lui répondre :
Ne crains rien, Pierre, je t’assisterai dans toute cette affaire et, pour que tu aies foi en ma parole, tu verras bientôt l’exécution de ce que je t’ai annoncé et mes fils et mes filles de cet Ordre se glorifieront de porter des habits blancs comme ceux dont tu me vois revêtue.
En disant cela, la Vierge disparut.
Pierre Nolasque passa en prière le reste de la nuit puis rejoignit Raymond de Penyafort [2] qui lui dit :
J’ai eu cette nuit la même vision que vous : j’ai été aussi favorisé de la visite de la Reine des anges et j’ai entendu de sa bouche l’ordre qu’elle me donnait de travailler de toutes mes forces à l’établissement de cette religion et d’encourager dans mes sermons les catholiques fidèles à venir en aide à une œuvre de charité si parfaite. C’est pour remercier Dieu et la très sainte Vierge que j’étais venu si matin à la cathédrale.
Le roi Jacques Ier d’Aragon [3] entra alors dans la cathédrale et leur dit :
La glorieuse Reine des anges m’est apparue cette nuit, avec une beauté et une majesté incomparables, m’ordonnant d’instituer, pour la rédemption des captifs, un Ordre qui porterait le nom de Sainte-Marie de la Merci ou de la Miséricorde ; et, comme je connais en toi, Pierre Nolasque, un grand désir de racheter les esclaves, c’est toi que je charge de l’exécution de cette œuvre. Pour toi, Raymond, dont je sais la vertu et la science, tu seras le soutien de l’Ordre par tes prédications.
Création de l’Ordre de Notre-Dame de la Merci
L’Ordre des Mercédaires, encore appelé Ordre de Notre-Dame-de-la-Merci (en latin : Ordo Beatae Mariae de Mercede redemptionis captivorum), est un ordre religieux catholique pour racheter les chrétiens captifs des pirates maures et réduits en esclavage.
Encouragé par son confesseur, le dominicain Raymond de Penyafort, avec l’appui du roi Jacques Ier d’Aragon, c’est saint Pierre Nolasque qui fonda l’Ordre des Mercédaires ou Ordre de Notre-Dame-de-la-Merci. Dans le monde hispanophone où il est le plus répandu, il porte le nom de Orden Real y Militar de Nuestra Señora de la Merced y la Redención de los Cautivos plus connu sous le nom de Orden de la Merced.
Le pape Grégoire IX approuve l’ordre en 1235, cinq ans avant la mort du fondateur survenue en 1240. Les Mercédaires obéissent à la règle de saint Augustin. L’ordre se compose alors de religieux (prêtres ou laïcs coadjuteurs) ayant reçu l’institution canonique de l’évêque de Barcelone, et de chevaliers s’étant illustrés dans la conquête des Baléares en 1229, et de Valence en 1238. Il faudra attendre 1265 pour voir la naissance des religieuses Mercédaires, ordre inspiré par sainte Maria de Cervelló, ou Marie de Cervellon, élue première prieure sous le nom de Marie du Secours. Jacques Ier (dit le Conquérant) s’appuya aussi sur l’ordre pour la pacification des populations reconquises. Il protégea le bienheureux Pierre Pascal et fit entrer son fils cadet Sanche d’Aragon (1250–1275) à l’ordre de la Merci. Ce dernier mourut en martyr.
Les mercédaires prononçaient les trois vœux traditionnels des ordres réguliers : pauvreté, chasteté et obéissance. Ils y ajoutaient un quatrième vœu, emblématique de leur mission particulière : être prêts à se livrer en otage si c’était le seul moyen de libérer les captifs. Ils se livrèrent à ce « marché » – c’est le sens étymologique du latin mercedem – jusqu’à ce que disparaisse la piraterie. Au cours de ce « rachat » stricto sensu, des missionnaires furent torturés, parfois tués. Parmi les plus connus figurent saint Sérapion d’Alger, saint Pierre Armengol et saint Raymond Nonnat.
À partir de 1317, l’ordre de la Merci perd son caractère militaire et devient clérical, assimilé en 1690 à un ordre mendiant. L’ordre est alors devenu missionnaire et caritatif. Dans ce cadre, les Mercédaires jouèrent un rôle assez important dans l’évangélisation du Nouveau Monde. Antonio de Almansa, par exemple, sera l’aumônier de l’expédition de Diego de Almagro, en 1535, au Chili.
En se spiritualisant, la Merci s’est enrichie d’une connotation nouvelle. Le vocable gardait le sens de « rachat », exprimant aussi la « rédemption » des pécheurs par la « Miséricorde » divine obtenue par la mort du Christ sur la Croix. Et, tout à fait logiquement, les Mercédaires ont assuré l’aumônerie des galères sous l’Ancien Régime, celle des prisons et des hôpitaux qu’ils se partagent encore aujourd’hui avec les Trinitaires.
Un religieux de l’ordre, Gabriel Téllez (1583–1648), s’est illustré comme dramaturge sous le nom de Tirso de Molina. Les Mercédaires propageront la dévotion à Notre-Dame de la Merci où elle est encore largement répandue en République dominicaine, au Pérou, en Argentine et dans de nombreux autres pays d’Amérique latine, après l’avoir été en Catalogne, dans toute l’Espagne et dans l’Italie du XIIIe siècle. En 1960 l’ordre comptait 780 monastères et 149 religieuses. Il a pratiquement disparu en France.
Le scapulaire de Notre-Dame de la Merci
Le scapulaire de Notre-Dame de la Merci est le scapulaire associé aux mercédaires. Il est formé de deux morceaux de laine blanche, il porte d’un côté l’image de Notre Dame de la Merci ou le monogramme de Marie, patronne de l’ordre de la Merci et de l’autre le blason des mercédaires. Le but de son port est la dévotion à la Vierge et la participation aux mérites de l’ordre avec indulgences
C’est Notre Dame qui a donné le scapulaire blanc, symbole de son patronage sur l’Ordre, à saint Pierre Nolasque lors de son apparition le 1er août 1218.
Les indulgences liés aux fêtes de l’Ordre de Notre-Dame de la Merci sont accordés par de nombreux papes Adrien VI, Alexandre VIII dans la bulle Incrustabili sapientiæ arcano, Urbain IV, Clément XI, Benoît XIII et approuvés par la Congrégation des indulgences le 28 janvier 1716 ainsi que le 30 juillet 1868.
Institution de la fête de Notre-Dame de la Merci en 1696
Leçons des Matines – die 24 septembris – BEATÆ MARIÆ VIRG. A MERCEDE
Quatrième leçon. C’était au temps où la plus vaste et la plus belle partie de l’Espagne était soumise au joug barbare des Sarrasins. D’innombrables fidèles, retenus dans une captivité douloureuse, étaient grandement exposés à renier la foi chrétienne et à compromettre leur salut éternel. La bienheureuse Reine du ciel, voulant apporter remède à des maux si grands et si nombreux, manifesta sa très ardente charité pour leur délivrance. Saint Pierre Nolasque, renommé par sa piété autant que par ses richesses, se livrait à de saintes méditations, et s’ingéniait sans cesse à découvrir comment il adoucirait les épreuves d’un si grand nombre de Chrétiens, soumis à la domination des Maures. La bienheureuse Vierge lui apparut elle-même avec un visage bienveillant et lui fit connaître combien il serait agréable à son Fils unique et à elle-même, s’il fondait en son honneur un Ordre religieux ayant pour but d’arracher les captifs à la tyrannie des Turcs. Encouragé par cette vision céleste, l’homme de Dieu sentit son cœur s’embraser d’une ardente charité ; il n’eut plus qu’un seul désir, celui de se livrer lui-même, et de consacrer l’Ordre qu’il instituerait, à la pratique de cet amour généreux par lequel chacun donnerait sa vie pour ses arnis et son prochain.
Cinquième leçon. La même nuit, la très sainte Vierge apparut aussi au bienheureux Raymond de Pennafort et à Jacques, roi d’Aragon, leur donnant avis d’instituer un Ordre religieux, et leur persuadant de concourir par leur fortune à la fondation d’une si belle œuvre. Pierre accourut aussitôt se jeter aux genoux de Raymond, son confesseur, et lui fit tout connaître ; l’ayant trouvé instruit lui-même de toutes ces choses par la révélation céleste, il se soumit très humblement à sa direction. Le roi Jacques survenant, décida de mettre à exécution ce que la bienheureuse Vierge Marie lui avait également révélé. Après en avoir conféré entre eux, tous tombèrent d’accord, et entreprirent de fonder un Ordre en l’honneur de la Vierge Mère, sous le vocable de sainte Marie de la Merci ou de la rédemption des captifs.
Sixième leçon. En conséquence, le dix du mois d’août, l’an du Seigneur mil deux cent dix-huit, le roi Jacques décréta l’établissement de cet Ordre, dont ces saints hommes avaient conçu le projet. Ceux qui voulaient en faire partie devaient s’engager, par un quatrième vœu. à rester comme otage au pouvoir des païens, si la délivrance des Chrétiens l’exigeait. Le roi leur concéda le privilège de porter sur la poitrine ses propres armes, et s’occupa de faire approuver par Grégoire IX un Ordre et des vœux de religion, inspirés par une si sublime charité envers le prochain. Dieu lui-même, par l’intermédiaire de la Vierge-Mère, donna l’accroissement à cette œuvre, car elle se répandit avec beaucoup de rapidité et de succès sur toute la surface de la terre, et vit fleurir des héros de sainteté, des hommes d’une charité et d’une piété incomparables, se dévouant à recueillir les aumônes des Chrétiens pour racheter leurs frères, et à se donner souvent eux-mêmes comme rançon pour délivrer un grand nombre de captifs. Afin de rendre à Dieu et à la Vierge Mère de dignes actions de grâces pour un si grand bienfait et pour une institution si secourable, le Siège apostolique a permis de célébrer cette Fête particulière et de réciter cet Office, après avoir accordé à l’Ordre lui-même des privilèges presque sans nombre.
Messe Salve, sancta Parens, du Commun des Fêtes de la Bienheureuse Vierge. Marie, sauf l’oraison suivante (Voir collecte ci-après) ; et on ne dit pas le Credo. Préface de la bienheureuse Vierge Marie Et en cette Fête.
Collecte :
Ô Dieu, qui, par la très glorieuse Mère de votre Fils, avez daigné enrichir votre Église d’une nouvelle famille destinée à délivrer les fidèles du Christ de la puissance des païens, faites, nous vous prions, que, vénérant avec piété l’inspiratrice d’une si grande œuvre, nous soyons, grâce à ses mérites et son intercession, délivrés de nos péchés et de la captivité du démon.
- Issu de la noble famille des Nolasco, apparenté par sa mère aux comtes de Toulouse et aux rois d’Aragon, Pierre Nolasque, né vers 1189 au mas des Saintes-Puelles, dans l’ancien diocèse de Saint-Papoul, après avoir renoncé au mariage pour se consacrer à Dieu, rejoint les armées de Simon de Montfort. A la bataille de Muret où le roi Pierre d’Aragon est tué, son fils, Jacques, âgé de six ans, est fait prisonnier ; Simon de Monfort le met sous la garde de Pierre Nolasque puis les envoie tous deux en Espagne. Loin de la cour, Pierre Nolasque enseigne son royal élève et lui montre l’exemple de sa piété et de sa charité.[↩]
- Né près de Barcelone, au le château familial de Villafranca de Penades (vers 1175), Raymond de Penyafort, parent des comtes de Barcelone et des rois d’Aragon, étudie à l’école cathédrale de Barcelone où il enseigne la rhétorique et la logique ; il étudie le droit à Bologne où, reçu docteur, il enseigne (1216). L’évêque de Barcelone le recrute pour le séminaire de son diocèse (1219). A Viterbe, saint Dominique leur donne quelques uns de ses frères. A Barcelone, chanoine de la cathédrale, prévôt du chapitre, archidiacre, grand vicaire et official (1220), il donne grande solennité à l’Ascension et travaille au soin des pauvres. Le Vendredi Saint 1222, il quitte le clergé séculier pour les Dominicains, sans perdre son influence sur l’évêque de Barcelone. A cette époque, il écrit la Summa de pænitentia, premier ouvrage du genre, qui rassemble les cas de conscience à l’usage des confesseurs. Lorsque Pierre Nolasque fonde l’Ordre de la Merci (1223), dans la cathédrale de Barcelone, en présence de l’évêque et de Jacques Ie d’Aragon, il donne l’habit aux premiers mercédaires dont il rédige la règle pour quoi il obtient l’approbation de Grégoire IX (1235). En 1229, le cardinal de Sainte-Sabine, envoyé comme légat en Espagne pour prêcher la croisade contre les Maures et mettre en application les décrets du quatrième concile du Latran, s’adjoint Raymond de Penyafort qui fait si bien qu’on le charge de prêcher dans les provinces d’Arles et de Narbonne. En 1230, Grégoire IX en fait son confesseur et son chapelain ; nommé pénitencier, il instaure l’Inquisition en Aragon, révise les décrétales et en fait établir la nouvelle collection promulguée par la bulle Rex pacificus (5 septembre 1234). Il refuse l’archevêché de Tarragone et rentre en Aragon pour absoudre Jacques Ie qui a malmené l’évêque élu de Saragosse ; il quitte Barcelone pour rejoindre, à Bologne, le chapitre général de son Ordre qui l’élit maître général (1238). Il fait établir de nouvelles constitutions dominicaines, en usage jusqu’en 1924. Il demande à saint Thomas d’Aquin de rédiger la Somme contre les gentils. Il se démet de sa charge (1240) et retourne au couvent de Barcelone d’où il partit souvent pour prêcher et pour conseiller Jacques I°. Pour former les missionnaires, il fonde des écoles de langues, comme l’école arabe de Tunis (1245) et l’école d’hébreu de Murcie (1266). Entre les rois d’Aragon et de Castille, il meurt à Barcelone le 6 janvier 1275 ; l’archevêque de Tarragone demande, dès 1297, sa canonisation qui ne sera faite par Clément VIII que le 29 avril 1601.[↩]
- Jacques Ier d’Aragon, dit le Conquérant, fils de Pierre II, né à Montpellier en 1206, est fait prisonnier à la bataille de Muret où mourut son père (1213) et remis par Simon de Montfort à Pierre Nolasque qui l’élève. Allié au roi de Castille dont il épouse la fille, Eléonore (1221), il conquiert une partie du royaume musulman de Valence (1225) qu’il prendra tout entier (1253). Il conquiert les Baléares (1229–1235). Au profit du comte Thibault de Champagne, il renonce au royaume de Navarre que lui a laissé Sanche VII. Au traité de Corbeil (1256), saint Louis renonce en sa faveur aux comtés de Barcelone et de Roussillon et à la seigneurie de Montpellier. En 1262, il partage ses Etats entre ses deux fils : Pierre obtient l’Aragon, la Catalogne et Valence ; Jacques obtient Majorque, le Roussillon, la Cerdagne et Montpellier. Il meurt en 1276.[↩]