Abbé, père, chanoine, vicaire… Une petite mise au point pour s’y retrouver.
Je rencontrai, ces jours-ci, un futur policier et je me suis fait expliquer par lui les grades des diverses polices et gendarmeries. Car je suis un peu paumé quand il s’agit de distinguer les képis, les uniformes et l’absence d’uniformes dans la « bleue », la « blanche », la judiciaire, la garde nationale, la mobile, la sûreté, etc. Malgré l’excellent livre de B. Gouley sur la Gendarmerie (Fayard), j’ai l’esprit à la torture – l’esprit seulement, j’en porte témoignage – quand je prends contact avec un agent, un brigadier, un commissaire, un sergent de ville… je ne me sens à l’aise qu’avec un garde champêtre.
En contrepartie, j’ai constaté que le jeune homme à qui je parlais se trouvait comme une âme en peine pour désigner par leur nom les diverses sortes de prêtres.
Il y avait des choses dont il était sûr : on ne dit pas à un prêtre « Bonjour curé », d’autres dont il était moins sûr : chargé d’assurer le bon ordre aux portes de N.D. de Paris, quel mot devait-il employer pour parler « du grand patron du lieu » ?
Il y avait aussi pour lui de vraies énigmes : comment, moi, qui suis abbé, je n’ai apparemment pas d’abbaye ?
Toutes ces choses-là sont utiles à savoir pour se sentir en famille chez les chrétiens, alors j’en touche quelques mots.
Le mot abbé a deux emplois très distincts : il désigne le supérieur d’une abbaye c’est alors un haut dignitaire qui peut avoir rang d’évêque, ou il désigne tout prêtre à qui l’on s’adresse sans que l’on sache (ou que l’on veuille) dire sa fonction.
Vous direz donc « Bonjour, M. l’abbé » à un vicaire, à un curé, voire à un archevêque, si ce dernier n’a pas plus d’insignes distinctifs qu’un simple prêtre (une petite croix, à son veston). L’appellation « Monsieur l’abbé » est donc passe-partout : elle peut s’employer sans erreur dans la plupart des cas.
Quand vous connaissez la fonction exercée par un prêtre, il est préférable de le désigner par un mot plus précis qui montre que vous êtes en rapport avec lui. Vous direz : Bonjour Monsieur le curé si le prêtre est chargé de paroisses.
Vous direz : Bonjour M. le doyen si vous savez que votre curé a autorité sur quelques-uns de ses confrères. Aujourd’hui les doyens sont remplacés par des prêtres, souvent plus jeunes que leurs confrères ; mais ne dites « comment vas-tu C.R.S. (Curé, Responsable de Secteur) ? » que si vous êtes très, très familier avec lui.
Au-dessus du doyen, il y a l’archiprêtre, le vicaire général (doublure de l’évêque) et puis l’évêque à qui l’on s’adresse en disant « Monseigneur ». Quelques initiés lui disent « Père », montrant par là qu’ils ne font pas partie du vulgumpecus c’est-à-dire du commun des fidèles.
L’expression « Père » était réservée il y a encore peu de temps aux aumôniers salués par leurs boy-scouts.
L’expression « mon père » distinguait les religieux (jésuites, dominicains, bénédictins…), et en outre n’importe quel prêtre entrevu à travers la grille du confessionnal. « Mon père, pardonnez-moi, parce que j’ai péché ».
Mon jeune interlocuteur, policier en herbe, n’avait pas encore assez de flair pour faire une distinction : la fonction (dont je viens de parler) et la hiérarchie d’ordre (autrement dit de sacrement).
Les fonctions sont diverses et changeantes : tel qui était curé peut se retrouver professeur ou bien directeur d’école, ou aumônier. Par contre, le sacerdoce reçu est l’œuvre de Dieu qui agit sans repentance. Les ordinations sont données par degrés : après les ordres mineurs (portier, lecteur, acolyte, exorciste) le séminariste reçoit le sous-diaconat, puis le diaconat et quelques mois après la prêtrise. L’épiscopat représente la plénitude du sacerdoce et il n’y a pas d’ordination nouvelle pour un pape.
Outre la hiérarchie de juridiction et la hiérarchie d’ordre, il y a, ou plutôt il y avait, une hiérarchie honorifique qui avait une résonance populaire : tout le monde savait reconnaître un chanoine. Quelques-uns savaient reconnaître un prélat non-évêque mais un peu violet comme lui, de bas en haut en passant par les chaussettes et les boutons jusqu’au liseré du col.
Tout récemment, lors d’une bénédiction de cloches, un chanoine a dû rentrer son camail d’hermine. Monseigneur l’évêque à côté de lui aurait vraiment paru trop petit avec son complet-veston de chez Sigrand.
Il y a intérêt à porter les insignes de sa fonction.
Je me souviens que lorsque le feu a pris dans une écurie de l’abbaye de Saint-Riquier, les pompiers laissaient crier le supérieur habillé en civil et venaient demander des ordres à moi qui étais en soutane mais qui n’y connaissait rien. Si l’abbaye avait brûlé en entier, deux choses étaient à mettre en cause : la première c’est que les pompiers n’étaient pas suffisamment au courant de la hiérarchie ecclésiastique moderne : la seconde c’est que le cher père Dentin aurait dû se trouver en soutane.
Source : Abbé Philippe Sulmont, Curé… mais catholique, p. 253–254 – Téqui, 1984.