Les sacres de Mgr Marcel Lefebvre du 30 juin 1988

Des évêques Traditionnels : Pourquoi ?

Il y a 20 ans Mgr Marcel Lefebvre a vou­lu réa­li­ser l’o­pé­ra­tion sur­vie de l” Eglise en confé­rant l’é­pis­co­pat à quatre prêtres non infec­tés par les doc­trines révo­lu­tion­naires et modernistes.

C’est sur ce der­nier membre de phrase qu’il faut insis­ter et atti­rer votre atten­tion. En effet, des évêques il s’en fait et s’en défait régu­liè­re­ment dans le monde. Il y a ceux qui meurent et ceux qui, pour diverses rai­sons, démis­sionnent ou arrêtent d’exer­cer : récem­ment, au Paraguay, un évêque a été sus­pen­du ses fonc­tions parce qu’il a été élu Président de la République ! Quoi qu’il en soit, ceux qui partent sont assez vite rem­pla­cés par d’autres. C’est une consta­ta­tion que tout le monde peut faire : il y a de moins en moins de prêtres qui des­servent de plus en plus de paroisses qui sont elles-​mêmes de moins en moins nom­breuses à cause des des­truc­tions : cepen­dant, il n’y a pas pour autant de moins en moins d’évêques !

Mais alors ? S’il n’y a pas pénu­rie ou manque quan­ti­ta­tif, qu’est-​ce qui a pous­sé Mgr Marcel Lefebvre à sacrer en 1988 quatre évêques ? Pourquoi l’a­voir fait sans l’ac­cord de Jean-​Paul II et même avec son désac­cord dûment signi­fié ? Que voulait-​il ou que cherchait-​il en sacrant ? Faire une petite Eglise indé­pen­dante dont il serait le gou­rou ? Ce n’est pas sérieux et il faut être pas­sa­ble­ment mal­veillant pour le pen­ser. Mais plu­tôt demandons- nous : Qu’est-​ce qu’il y a d’es­sen­tiel à la fonc­tion épis­co­pale et qui fait tant défaut aux évêques issus de Vatican II ? Les évêques de la Tradition sont-​ils bien dif­fé­rents des évêques conci­liaires ? En quoi ? C’est en cher­chant dans cette direc­tion que l’on peut com­prendre ce qui se joue actuel­le­ment dans l’Eglise.

Le véritable enjeu de l’Eglise.

L’enjeu de l’Eglise ce n’est pas seule­ment main­te­nir et dif­fu­ser la messe saint Pie V, conser­ver la sou­tane, du latin et du gré­go­rien. Non. Tout cela a une impor­tance cer­taine comme signe. L’absence de ces signes tra­di­tion­nels indique cer­tai­ne­ment une pré­sence moder­niste notoire dans une église ou une com­mu­nau­té, mais la pré­sence de ces signes n’est pas pour autant la garan­tie abso­lue de la fidé­li­té à toute la Tradition catho­lique, car ce qui est essen­tiel dans l’Eglise c’est la doc­trine, la foi.

« L’habit ne fait pas le moine » et le Christ d’ailleurs nous met en garde contre les « loups dégui­sés en brebis ».

S’il ne s’a­gis­sait que de conser­ver les signes exté­rieurs sans se sou­cier de la doc­trine ne devrait-​on pas se conten­ter désor­mais de l’at­ti­tude de cer­tains pré­lats qui, à l’i­mage de Benoît XVI, montrent une tolé­rance – presque de la bien­veillance – pour ceux qui ont une pra­tique plus tra­di­tion­nelle ? Sachons recon­naître à l’Eglise conci­liaire un art de l’a­dap­ta­tion : elle peut sup­por­ter une cer­taine dose de Tradition sans pour autant renier ses grands prin­cipes moder­nistes. Ce sont ces prin­cipes qui sont dan­ge­reux et il faut les extir­per parce qu’ils per­ver­tissent la foi.

Récemment, dans la basi­lique du Latran, le Pape a vou­lu impo­ser la récep­tion de l’eu­cha­ris­tie à genoux et sur la langue comme cela se fait obli­ga­toi­re­ment dans toutes nos cha­pelles. C’est certes une chose très bonne. Est-​ce suf­fi­sant pour conclure à une volon­té de réha­bi­li­ta­tion pro­gres­sive de la doc­trine ? Pas sûr.

Ce qui est sûr c’est que l’en­jeu de l’Eglise c’est aujourd’­hui comme hier et comme ce sera tou­jours : Primo, conser­ver, défendre et dif­fu­ser la foi catho­lique dans son inté­gra­li­té pour que les âmes se sauvent. Avec la foi la grâce peut pas­ser, mais sans la foi la grâce ne pas­se­ra jamais. Si la foi est faible la grâce pas­se­ra peti­te­ment, fai­ble­ment. La foi, on ne le dira jamais assez, est le fon­de­ment, la racine de la vie sur­na­tu­relle. Ici-​bas le véri­table amour de Dieu, appe­lé cha­ri­té, s’ap­puie sur la foi et non l’in­verse. Si quel­qu’un dit aimer Dieu mais refuse ou ignore la foi catho­lique, son amour est faux parce qu’il n’est pas sur­na­tu­rel. Au Ciel, il est vrai, la foi dis­pa­rai­tra pour faire place à la vision face à face de Dieu et alors la cha­ri­té demeu­re­ra seule. Secundo : paral­lè­le­ment cette mis­sion de défense c’est com­battre les erreurs, dénon­cer et éra­di­quer le plus pos­sible ce qui anéan­tit ou dimi­nue la foi. L’Eglise ici-​bas n’est pas dans la paix, elle est tou­jours en guerre, elle est mili­tante. Notamment, de nos jours, il faut com­battre tout spé­cia­le­ment le moder­nisme et le libé­ra­lisme qui pour­rissent l’es­prit chré­tien. Ces deux erreurs font tom­ber les âmes dans une troi­sième erreur : le natu­ra­lisme. Qu’est-​ce ? comme son nom l’in­dique, il est, essen­tiel­le­ment, une atti­tude indé­pen­dante et répul­sive de la nature à l’é­gard de l’ordre sur­na­tu­rel et révé­lé. Le car­di­nal Pie explique :

Le natu­ra­lisme est ce qu’il y a de plus oppo­sé au chris­tia­nisme. Le chris­tia­nisme, dans son essence, est tout sur­na­tu­rel ou plu­tôt, c’est le sur­na­tu­rel même en sub­stance et en acte. Dieu sur­na­tu­rel­le­ment révé­lé et connu, Dieu sur­na­tu­rel­le­ment aimé et ser­vi, sur­na­tu­rel­le­ment don­né, pos­sé­dé et goû­té : c’est tout le dogme, toute la morale, tout le culte et tout l’ordre sacra­men­tel chré­tien. Or, le natu­ra­lisme nie, avant tout, ce sur­na­tu­rel. Les plus modé­rés le nient comme néces­saire et obli­ga­toire ; la plu­part le nient comme exis­tant et même possible.

Ces deux mis­sions essen­tielles dont nous venons de par­ler (pri­mo et secun­do), incombent prin­ci­pa­le­ment aux res­pon­sables reli­gieux : Pape, évêques, et aus­si les prêtres. Les évêques doivent, certes, ordon­ner des prêtres mais des prêtres pour prê­cher la foi ( et non pas « la liber­té reli­gieuse » ou « l’œ­cu­mé­nisme » qui sont des abo­mi­na­tions conci­liaires et la déso­la­tion des tra­di­tio­na­listes) , des prêtres pour sanc­ti­fier les ?âmes en com­men­çant par les détour­ner des erreurs, du péché ( avor­te­ment, divorce, moyens de contra­cep­tion etc..) et en les por­tant ensuite à limi­ta­tion du Christ (humi­li­té, pau­vre­té, charité) .

Or que voyons-​nous ? Le cler­gé est deve­nu malade dans sa foi.

Voilà pour­quoi en plu­sieurs cir­cons­tances mais plus par­ti­cu­liè­re­ment lors de son homé­lie des sacres, Mgr Marcel Lefebvre a très bien expri­mé la por­tée de son action his­to­rique. En fait c’est une évi­dence il cher­chait des évêques non infec­tés par le virus du moder­nisme et du libé­ra­lisme. Il vou­lait des guides qui ne soient pas de libres pen­seurs mitrés, inca­pables d’af­fir­mer l’o­bli­ga­tion pour le salut de se sou­mettre à tout le Credo. L’Eglise a le droit de pos­sé­der des évêques qui conti­nuent à prê­cher la Royauté sociale du Christ. Où sont-​ils ? (face au laï­cisme le pape Pie XI en 1925 a don­né une ency­clique sur le Christ-​Roi, pour rap­pe­ler au monde chré­tien que c’est une véri­té essen­tielle du dogme catholique ).

La rupture de l’Eglise conciliaire avec les Souverains Pontifes.

Le concile a adop­té des erreurs détes­tables condam­nées de mul­tiples fois par les Pontifes du 19e s. et de la pre­mière moi­tié du 20e s. Les docu­ments pon­ti­fi­caux de cette période sont d’une impor­tance capi­tale pour com­prendre les fausses doc­trines de l’heure pré­sente ( rap­pel : M. l’ab­bé Frament donne une confé­rence chaque mois au Prieuré et à la cha­pelle St-​Hilaire sur les grandes ency­cliques des papes anti-modernistes).

La révo­lu­tion dans l’Eglise sou­hai­tée par les francs-​maçons, révo­lu­tion en chape et en tiare – disaient-​ils cyni­que­ment dans leurs loges obscures- c’est-​à-​dire opé­rée par le cler­gé lui-​même, a été réa­li­sée de main de maître. Voilà pour­quoi dans son ser­mon des sacres, Mgr Lefebvre a tenu à rap­pe­ler à s’en tenir à la série com­plète des Pontifes qui ont don­né des ensei­gne­ments anti­li­bé­raux et anti­ma­çon­niques précis :

Il me semble entendre, mes bien chers frères, les voix de tous ces papes depuis Grégoire XVI, Pie IX, Léon XIII, saint Pie X, Benoît XV, Pie XI, Pie XII, nous dire :« mais de grâce, de grâce, qu’allez-​vous faire de nos ensei­gne­ments, de notre pré­di­ca­tion, de la foi catho­lique, allez-​vous l’a­ban­don­ner ? Allez-​vous la lais­ser dis­pa­raître cette terre ? de grâce, de grâce, conti­nuez ce tré­sor que nous vous avons don­né. N’abandonnez pas les fidèles, n’a­ban­don­nez pas l’Eglise ! Continuez l’Eglise ! Car enfin depuis le Concile Vatican II, ce que nous avons condam­né, voi­ci que les auto­ri­tés romaines l’a­doptent et le pro­fessent. Comment est-​ce pos­sible ? Nous avons condam­né : le libé­ra­lisme, le com­mu­nisme, le socia­lisme, le moder­nisme, le sillon­nisme. Toutes les erreurs que nous avons condam­nées, voi­ci main­te­nant qu’elles sont pro­fes­sées, adop­tées, sou­te­nues par les auto­ri­tés de l’Eglise. Est-​ce pos­sible ? Si vous ne faites pas quelque chose pour conti­nuer cette Tradition de l’Eglise que nous vous avons don­née, tout dis­pa­raî­tra. L’Eglise dis­pa­raî­tra. Les âmes seront perdues.

C’est dans ce ser­mon que nous trou­vons l’es­sen­tiel de l’ar­gu­men­ta­tion qui le jus­ti­fie sub­jec­ti­ve­ment et objec­ti­ve­ment. En fait Mgr Lefebvre a vu qu’il fal­lait des évêques au sens plein du terme : tout au ser­vice de la foi, dési­reux et capables de la défendre contre les erreurs du temps sur­tout la fausse phi­lo­so­phie et la fausse théologie.

Abbé Pierre BARRERE

Source : Le Sainte Anne n° 200 de juillet 2008