Pèlerins dans l’âme

Le pèle­ri­nage de Pontmain fut res­treint à l’extrême, à cause du coro­na­vi­rus. Celui de la Pentecôte n’aura pas lieu, pour la deuxième année consé­cu­tive, en rai­son des mesures sani­taires. Faut-​il se rési­gner à faire du sur­place, geindre et se plaindre sans fin ?


Je pré­fère la prière de Péguy, humble et altière :

Etoile du matin, inac­ces­sible reine,
Voici que nous mar­chons vers votre illustre cour,
Et voi­ci le pla­teau de notre pauvre amour,
Et voi­ci l’océan de notre immense peine.

Il existe un confi­ne­ment beau­coup plus contrai­gnant que tous les confi­ne­ments sani­taires, c’est le confi­ne­ment men­tal. Se lais­ser enfer­mer dans la men­ta­li­té ambiante, c’est être assu­ré de stag­ner mora­le­ment et de crou­pir spi­ri­tuel­le­ment, avec l’illusion de la liber­té – celle d’errer et de déri­ver comme un bateau ivre, sans point d’ancrage.


J’aime mieux Péguy et son rap­pel des racines :

Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre
Un réser­voir sans fin pour les âges nou­veaux.
Mille ans de votre grâce ont fait de ces tra­vaux
Un repo­soir sans fin pour l’âme solitaire.

Se lais­ser confi­ner dans le laï­cisme, c’est pla­cer son exis­tence dans une neu­tra­li­té où il n’y aurait plus objec­ti­ve­ment ni bien ni mal, ni vrai ni faux. Rien qu’un bien indi­vi­duel et un vrai pro­vi­soire. Chimères d’un monde où le masque subrep­ti­ce­ment devient bâillon : on se tait et on se terre.


Je choi­sis plu­tôt Péguy et son appel à s’élever :

C’est la pierre sans tache et la pierre sans faute,
La plus haute orai­son qu’on ait jamais por­tée,
La plus droite rai­son qu’on ait jamais jetée,
Et vers un ciel sans bord la ligne la plus haute.

Les petits ruis­seaux font les grandes rivières. Les pèle­ri­nages locaux pré­pa­re­ront les pro­chains pèle­ri­nages natio­naux. C’est par eux que se refe­ra le fleuve des pèle­rins de Lourdes, pas­sant le Gave pour se recueillir au pied de la grotte. Et aus­si, Deo volente, le grand fleuve des fidèles fer­vents, enjam­bant la Seine pour se ras­sem­bler à l’ombre de la cathé­drale Saint-​Louis, place Vauban.


Abbé Alain Lorans

Source : Editorial de la revue Nouvelles de Chrétienté n°188