Prêché d’abord le 19 mars 1657, aux Feuillans de la rue Saint-Honoré, devant le cardinal Barberini, neveu d’Urbain VIII ; vingt-deux évêques, réunis pour l’assemblée générale du clergé de France ; l’abbé de Rancé, Jean Baillet François de Nesmond, Dominique de Ligny, Santeul, etc.
Le même sermon fut prêché pour la seconde fois deux ans plus tard, le 19 mars 1659, aux Carmélites de la rue Saint-Jacques, devant la reine mère. Tous ceux qui l’entendirent aux Feuillans, les écrivains . les prêtres et les évoques furent ravis d’admiration ; le Depositum custodi, comme on s’exprimait alors, fit longtemps le sujet de toutes les conversations et de tous les éloges ; la reine Anne d’Autriche, qui avait passé la fête de Saint-Joseph aux Carmélites, voulut l’entendre à son tour.
C’est une opinion reçue et un sentiment commun parmi tous les hommes, que le dépôt a quelque chose de saint, et que nous le devons conserver à celui qui nous le confie, non seulement par fidélité, mais encore par une espèce de religion. Aussi apprenons-nous du grand saint Ambroise, au second livre de ses Offices (1), que c’était une pieuse coutume établie parmi les fidèles d’apporter aux évêques et à leur clergé ce qu’ils voulaient garder avec plus de soin pour le mettre auprès des autels, par une sainte persuasion qu’ils avaient qu’ils ne pouvaient mieux placer leurs trésors qu’où Dieu même confie les siens, c’est-à-dire ses sacrés mystères. Cette coutume s’était introduite dans l’Eglise par l’exemple de la Synagogue ancienne. Nous lisons dans l’histoire sainte que le temple auguste de Jérusalem était le lieu du dépôt des Juifs ; et nous apprenons des auteurs profanes que les païens faisaient cet honneur à leurs fausses divinités, de mettre leurs dépôts dans leurs temples et de les confier à leurs prêtres : comme si la nature nous enseignait que l’obligation du dépôt ayant quelque chose de religieux, il ne pouvait être mieux placé que dans les lieux où l’on révère la Divinité et entre les mains de ceux que la religion consacre.
Mais s’il y eut jamais un dépôt qui méritât d’être appelé saint et d’être ensuite gardé saintement, c’est celui dont je dois parler et que la providence du Père éternel commet à la foi du juste Joseph : si bien que sa maison me parut un temple, puisqu’un Dieu y daigne habiter et s’y est mis lui-même en dépôt, et Joseph a dû être consacré pour garder ce sacré trésor. En effet il l’a été, chrétiens : son corps l’a été par la continence, et son âme par tous les dons de la grâce.
Madame,
Comme les vertus sont modestes et élevées dans la retenue elles ont honte de se montrer elles-mêmes ; et elles savent que ce qui les rend plus recommandables, c’est le soin qu’elles prennent de se cacher, de peur de ternir par l’ostentation et par une lumière empruntée l’éclat naturel et solide que leur donne la pudeur qui les accompagne. Il n’y a que l’obéissance dont on se peut glorifier sans crainte : elle est la seule entre les vertus que l’on ne blâme point de se produire, et dont on se peut vanter hardiment sans que la modestie en soit offensée. C’est pour cette raison, Madame, que je supplie Votre Majesté de permettre que je publie hautement les soumissions que je rends aux commandements que j’ai reçus d’elle. Il lui plait d’ouïr de ma bouche ce panégyrique du grand saint Joseph : elle m’ordonne de rappeler en mon souvenir des idées que le temps avait effacées. J’y aurais de la répugnance, si je ne croyais manquer de respect en rougissant de dire ce que Votre Majesté veut entendre. Il ne faut donc point étudier d’excuses ; il ne faut point se plaindre du peu de loisir, ni peser soigneusement les motifs pour lesquels Votre Majesté me donne cet ordre. L’obéissance est trop curieuse, qui cherche les causes du commandement. Il ne lui appartient pas d’avoir des yeux, si ce n’est pour considérer son devoir : elle doit chérir son aveuglement, qui la fait marcher avec sûreté. Votre Majesté verra donc Joseph dépositaire du Père éternel : il est digne de ce titre auguste, auquel il s’est préparé par tant de vertus. Mais n’est-il pas juste, Madame, qu’après vous avoir témoigné mes soumissions, je demande à Dieu cette fermeté qu’il promet aux prédicateurs de son Evangile, et qui, bien loin de se rabaisser devant les monarques du monde, y doit paraître avec plus de force.
Je m’adresse à vous, divine Marie, pour m’obtenir de Dieu cette grâce : j’espère tout de votre assistance, lorsque je dois célébrer la gloire de votre Epoux. Ô Marie, vous avez vu les effets de la grâce qui l’a rempli, et j’ai besoin de votre secours pour les faire entendre à ce peuple. Quand est-ce qu’on peut espérer de vous des intercessions plus puissantes, qu’où il s’agit du pudique Epoux que le Père vous a choisi pour conserver cette pureté qui vous est si chère et si précieuse ? Nous recourons donc à vous, ô Marie, en vous saluant avec l’ange et disant : Ave, Maria.
Dans le dessein que je me propose d’appuyer les louanges de saint Joseph, non point sur des conjectures douteuses, mais sur une doctrine solide tirée des Ecritures divines et des Pères leurs interprètes fidèles, je ne puis rien faire de plus convenable à la solennité de cette journée, que de vous représenter ce grand Saint comme un homme que Dieu choisit parmi tous les autres, pour lui mettre en main son trésor et le rendre ici-bas son dépositaire. Je prétends vous faire voir aujourd’hui que comme rien ne lui convient mieux, il n’est rien aussi qui soit plus illustre ; et que ce beau titre de dépositaire nous découvrant les conseils de Dieu sur ce bienheureux patriarche, nous montre la source de toutes ses grâces et le fondement assuré de tous ses éloges.
Et premièrement, chrétiens, il m’est aisé de vous faire voir combien cette qualité lui est honorable. Car si le nom de dépositaire emporte une marque d’estime et rend témoignage à la probité ; si pour confier un dépôt nous choisissons ceux de nos amis dont la vertu est plus reconnue, dont la fidélité est plus éprouvée, enfin les plus intimes , les plus confidents : quelle est la gloire de saint Joseph que Dieu fait dépositaire, non seulement de la bienheureuse Marie, que sa pureté angélique rend si agréable à ses yeux, mais encore de son propre Fils, qui est l’unique objet de ses complaisances et l’unique espérance de notre salut : de sorte qu’en la personne de Jésus-Christ, saint Joseph est établi le dépositaire du trésor commun de Dieu et des hommes. Quelle éloquence peut égaler la grandeur et la majesté de ce titre ?
Si donc, fidèles, ce titre est si glorieux et si avantageux à celui dont je dois faire aujourd’hui le panégyrique, il faut que je pénètre un si grand mystère avec le secours de la grâce ; et que recherchant dans nos Ecritures ce que nous y lisons de Joseph, je fasse voir que tout se rapporte à cette belle qualité de dépositaire. En effet je trouve dans les Evangiles trois dépôts confiés au juste Joseph par la Providence divine, et j’y trouve aussi trois vertus qui éclatent entre les autres et qui répondent à ces trois dépôts ; c’est ce qu’il nous faut expliquer par ordre ; suivez s’il vous plaît attentivement.
Le premier de tous les dépôts qui a été commis à sa foi (j’entends le premier dans l’ordre des temps) c’est la sainte virginité de Marie, qu’il lui doit conserver entière sous le voile sacré de son mariage, et qu’il a toujours saintement gardée ainsi qu’un dépôt sacré qu’il ne lui était pas permis de toucher. Voilà quel est le premier dépôt. Le second et le plus auguste, c’est la personne de Jésus-Christ, que le Père céleste dépose en ses mains, afin qu’il serve de père à ce saint Enfant qui n’en peut avoir sur la terre. Vous voyez déjà, chrétiens, deux grands et deux illustres dépôts confiés aux soins de Joseph ; mais j’en remarque encore un troisième, que vous trouverez admirable, si je puis vous l’expliquer clairement. Pour l’entendre, il faut remarquer que le secret est comme un dépôt. C’est violer la sainteté du dépôt que de trahir le secret d’un ami ; et nous apprenons par les lois que si vous divulguez le secret du testament que je vous confie, je puis ensuite agir contre vous comme ayant manqué au dépôt : Depositi actione tecum agi posse, comme parlent les jurisconsultes. Et la raison en est évidente, parce que le secret est comme un dépôt. Par où vous pouvez comprendre aisément que Joseph est dépositaire du Père éternel, parce qu’il lui a dit son secret. Quel secret ? Secret admirable, c’est l’incarnation de son Fils. Car, fidèles, vous n’ignorez pas que c’était un conseil de Dieu, de ne pas montrer Jésus-Christ au monde jusqu’à ce que l’heure en fût arrivée ; et saint Joseph a été choisi, non seulement pour le conserver, mais encore pour le cacher. Aussi lisons‑nous dans l’Evangéliste (Lc II, 33) qu’il admirait avec Marie tout ce qu’on disait du Sauveur : mais nous ne lisons pas qu’il parlât, parce que le Père éternel en lui découvrant le mystère, lui découvre le tout en secret et sous l’obligation du silence ; et ce secret, c’est un troisième dépôt que le Père ajoute aux deux autres, selon ce que dit le grand saint Bernard, que Dieu a voulu commettre à s a foi le secret le plus sacré de son cœur : Cui tuto committeret secretissimum atque sacratissimum sui cordis arcanum.(2) Que vous êtes chéri de Dieu, ô incomparable Joseph, puisqu’il vous confie ces trois grands dépôts, la virginité de Marie, la personne de son Fils unique, le secret de tout son mystère !
Mais ne croyez pas, chrétiens, qu’il soit méconnaissant de ces grâces. Si Dieu l’honore par ces trois dépôts, de sa part il présente à Dieu le sacrifice de trois vertus, que je remarque dans l’Evangile. Je ne doute pas que sa vie n’ait été ornée de toutes les autres ; mais voici les trois principales que Dieu veut que nous voyions dans son Ecriture. La première, c’est sa pureté, qui paraît par sa continence dans son mariage ; la seconde, sa fidélité ; la troisième, son humilité et l’amour de la vie cachée. Qui ne voit la pureté de Joseph par cette sainte société de désirs pudiques, et cette admirable correspondance avec la virginité de Marie dans leurs noces spirituelles ? La seconde, sa fidélité dans les soins infatigables qu’il a de Jésus, au milieu de tant de traverses qui suivent partout ce divin Enfant dès le commencement de sa vie. La troisième, c’est son humilité, en ce que possédant un si grand trésor par une grâce extraordinaire du Père éternel, bien loin de se vanter de ces dons ou de faire connaître ces avantages, il se cache autant qu’il peut aux yeux des mortels, jouissant paisiblement avec Dieu du mystère qu’il lui révèle et des richesses infinies qu’il met en sa garde. Ah ! Que je découvre ici de grandeurs, et que j’y découvre d’instructions importantes ! Que je vois de grandeurs dans ces dépôts, que je vois d’exemples dans ces vertus ! Et que l’explication d’un si beau sujet sera glorieux à Joseph et fructueux à tous les fidèles ! Mais afin de ne rien omettre dans une matière si importante, entrons plus avant au fond du mystère, achevons d’admirer les desseins de Dieu sur l’incomparable Joseph. Après avoir vu les dépôts, après avoir vu les vertus, considérons le rapport des uns et des autres, et faisons le partage de tout ce discours.
Pour garder la virginité de Marie sous le voile du mariage, quelle vertu est nécessaire à Joseph ? Une pureté angélique, qui puisse en quelque sorte répondre à la pureté de sa chaste épouse.
Pour conserver le Sauveur Jésus parmi tant de persécutions qui l’attaquent dès son enfance, quelle vertu demanderons‑nous ? Une fidélité inviolable, qui ne puisse être ébranlée par aucuns périls. Enfin pour garder le secret qui lui a été confié, quelle vertu y emploiera-t-il, sinon cette humilité admirable, qui appréhende les yeux des hommes, qui ne veut pas se montrer au monde, mais qui aime à se cacher avec Jésus-Christ ? Depositum custodi : Ô Joseph, gardez le dépôt ; gardez la virginité de Marie ; et pour la garder dans le mariage, joignez‑y votre pureté. Gardez cette vie précieuse, de laquelle dépend le salut des hommes ; et employez à la conserver parmi tant de difficultés la fidélité de vos soins. Gardez le secret du Père éternel : il veut que son Fils soit caché au monde ; servez-lui d’un voile sacré, et enveloppez-vous avec lui dans l’obscurité qui le couvre, par l’amour de la vie cachée. C’est ce que je me propose de vous expliquer avec le secours de la grâce.
Premier point
Pour comprendre solidement combien Dieu honore le grand saint Joseph lorsque sa providence dépose en ses mains la virginité de Marie, il importe que nous entendions avant toutes choses combien cette virginité est chérie du Ciel, combien elle est utile à la terre ; et ainsi nous jugerons aisément par la qualité du dépôt de la dignité du dépositaire. Mettons donc cette vérité dans son jour, et faisons voir par les saintes Lettres combien la virginité était nécessaire pour attirer Jésus-Christ au monde. Vous n’ignorez pas, chrétiens, que c’était un conseil de la Providence, que comme Dieu produit son Fils dans l’éternité par une génération virginale, aussi quand il naîtrait dans le temps il sortît d’une mère vierge. C’est pourquoi les prophètes avaient annoncé qu’une vierge concevrait un fils(3) : nos pères ont vécu dans cette espérance, et l’Evangile nous en a fait voir le bienheureux accomplissement. Mais s’il est permis à des hommes de rechercher les causes d’un si grand mystère, il me semble que j’en découvre une très considérable ; et qu’examinant la nature de la sainte virginité selon la doctrine des Pères, j’y remarque une secrète vertu qui oblige en quelque sorte le Fils de Dieu à venir au monde par son entremise.
En effet demandons aux anciens docteurs de quelle sorte ils nous définissent la virginité chrétienne. Ils nous répondront d’un commun accord que c’est une imitation de la vie des anges ; qu’elle met les hommes au-dessus du corps par le mépris de tous ses plaisirs ; et qu’elle élève tellement la chair qu’elle l’égale en quelque façon, si nous l’osons dire, à la pureté des esprits. Expliquez-le-nous, ô grand Augustin, et faites-nous entendre en un mot quelle estime vous faites des vierges. Voici une belle parole : Habent aliquid jam non carnis in carne(4). Ils ont, dit-il, en la chair quelque chose qui n’est pas de la chair, et qui tient de l’ange plutôt que de l’homme : habent aliquid jam non carnis in carne. Vous voyez donc que, selon ce Père, la virginité est comme un milieu entre les esprits et les corps, et qu’elle nous fait approcher des natures spirituelles ; et de là il est aisé de comprendre combien cette vertu devait avancer le mystère de l’incarnation. Car qu’est-ce que le mystère de l’incarnation ? C’est l’union très étroite de Dieu et de l’homme, de la divinité avec la chair. « Le Verbe a été fait chair »(5) dit l’Evangéliste ; voilà l’union, voilà le mystère.
Mais, fidèles, ne semble-t-il pas qu’il y a trop de disproportion entre la corruption de nos corps et la beauté immortelle de cet esprit pur, et ainsi qu’il n’est pas possible d’unir des natures si éloignées ? C’est aussi pour cette raison que la sainte virginité se met entre deux, pour les approcher par son entremise. Et en effet nous voyons que la lumière, lorsqu’elle tombe sur les corps opaques, ne les peut jamais pénétrer, parce que leur obscurité la repousse ; il semble au contraire qu’elle s’en retire en réfléchissant ses rayons : mais quand elle rencontre un corps transparent, elle y entre, elle s’y unit, parce qu’elle y trouve l’éclat et la transparence qui approche de sa nature et tient quelque chose de la lumière. Ainsi nous pouvons dire, fidèles, que la divinité du Verbe éternel voulant s’unir à un corps mortel, demandait la bienheureuse entremise de la sainte virginité, qui ayant quelque chose de spirituel, a pu en quelque sorte préparer la chair à être unie à cet esprit pur.
Mais de peur que vous ne croyiez que je parle ainsi de moi-même, il faut que vous appreniez cette vérité d’un célèbre évêque d’Orient : c’est le grand Grégoire de Nysse, dont je vous rapporte les propres paroles tirées fidèlement de son texte. C’est, dit-il, la virginité qui fait que Dieu ne refuse pas de venir vivre avec les hommes : c’est elle qui donne aux hommes des ailes pour prendre leur vol du côté du ciel ; et étant le lien sacré de la familiarité de l’homme avec Dieu, elle accorde par son entremise des choses si éloignées par nature : Quæ adeo natura distant, ipsa intercedens sua virtute conciliat adducitque in concordiam(6).
Peut-on confirmer en termes plus clairs la vérité que je prêche ? Et par là ne voyez-vous pas, et la dignité de Marie, et celle de Joseph son fidèle époux ? Vous voyez la dignité de Marie, en ce que sa virginité bienheureuse a été choisie dès l’éternité pour donner Jésus-Christ au monde ; et vous voyez la dignité de Joseph, en ce que cette pureté de Marie, qui a été si utile à notre nature, a été confiée à ses soins et que c’est lui qui conserve au monde une chose si nécessaire. Ô Joseph, gardez ce dépôt : Depositum custodi. Gardez chèrement ce sacré dépôt de la pureté de Marie. Puisqu’il plaît au Père éternel de garder la virginité de Marie sous le voile du mariage, elle ne se peut plus conserver sans vous ; et aussi votre pureté est devenue en quelque sorte nécessaire au monde, par la charge glorieuse qui lui est donnée de garder celle de Marie.
C’est ici qu’il faut vous représenter un spectacle qui étonne toute la nature ; je veux dire ce mariage céleste, destiné par la Providence pour protéger la virginité et donner par ce moyen Jésus-Christ au monde. Mais qui prendrai-je pour mon conducteur dans une entreprise si difficile, sinon l’incomparable Augustin , qui traite si divinement ce mystère ? Ecoutez ce savant évêque(7), et suivez exactement sa pensée. Il remarque avant toutes choses qu’il y a trois liens dans le mariage : il y a premièrement le sacré contrat par lequel ceux que l’on unit se donnent entièrement l’un à l’autre ; il y a secondement l’amour conjugal par lequel ils se vouent mutuellement un cœur, qui n’est plus capable de se partager et qui ne peut brûler d’autres flammes ; il y a enfin les enfants qui sont un troisième lien, parce que l’amour des parents venant pour ainsi dire à se rencontrer dans ces fruits communs de leur mariage, l’amour se lie par un noeud plus ferme.
Saint Augustin trouve ces trois choses dans le mariage de saint Joseph, et il nous montre que tout y concourt à garder la virginité(8). Il y trouve premièrement le sacré contrat par lequel ils se sont donnés l’un à l’autre, et c’est là qu’il faut admirer le triomphe de la pureté dans la vérité de ce mariage. Car Marie appartient à Joseph, et Joseph à la divine Marie ; si bien que leur mariage est très véritable, parce qu’ils se sont donnés l’un à l’autre. Mais de quelle sorte se sont-ils donnés ? Pureté, voici ton triomphe. Ils se donnent réciproquement leur virginité, et sur cette virginité ils se cèdent un droit mutuel. Quel droit ? De se la garder l’un à l’autre. Oui, Marie a droit de garder la virginité de Joseph, et Joseph a droit de garder la virginité de Marie. Ni l’un ni l’autre n’en peut disposer, et toute la fidélité de ce mariage consiste à garder la virginité. Voilà les promesses qui les assemblent, voilà le traité qui les lie. Ce sont deux virginités qui s’unissent, pour se conserver éternellement l’une l’autre par une chaste correspondance de désirs pudiques ; et il me semble que je vois deux astres, qui n’entrent ensemble en conjonction qu’à cause que leurs lumières s’allient. Tel est le noeud de ce mariage, d’autant plus ferme, dit saint Augustin(9), que les promesses qu’ils se sont données doivent être plus inviolables, en cela même qu’elles sont plus saintes.
Qui pourrait maintenant vous dire quel devait être l’amour conjugal de ces bienheureux mariés ? Car, ô sainte virginité, vos flammes sont d’autant plus fortes qu’elles sont plus pures et plus dégagées ; et le feu de la convoitise, qui est allumé dans nos corps, ne peut jamais égaler l’ardeur des chastes embrasements des esprits que l’amour de la pureté lie ensemble. Je ne chercherai pas des raisonnements pour prouver cette vérité ; mais je l’établirai par un grand miracle que j’ai lu dans saint Grégoire de Tours, au premier livre de son Histoire(10). Le récit vous en sera agréable, et du moins il relâchera vos attentions. Il dit que deux personnes de condition et de la première noblesse d’Auvergne, ayant vécu dans le mariage avec une continence parfaite, passèrent à une vie plus heureuse et que leurs corps furent inhumés en deux places assez éloignées. Mais il arriva une chose étrange : ils ne purent pas demeurer longtemps dans cette dure séparation ; et tout le monde fut étonné qu’on trouvât tout à coup leurs tombeaux unis, sans que personne y eût mis la main. Chrétiens, que signifie ce miracle ? Ne vous semble-t-il pas que ces chastes morts se plaignent de se voir ainsi éloignés ? Ne vous semble-t-il pas qu’ils nous disent (car permettez-moi de les animer et de leur prêter une voix, puisque Dieu leur donne le mouvement) ; ne vous semble-t-il pas qu’ils vous disent : Et pourquoi a‑t-on voulu nous séparer ? Nous avons été si longtemps ensemble, et nous y avons toujours été comme morts, parce que nous avons éteint tout le sentiment des plaisirs mortels ; et étant accoutumés depuis tant d’années à être ensemble comme des morts, la mort ne nous doit pas désunir. Aussi Dieu permit qu’ils se rapprochent, pour nous montrer par cette merveille que ce ne sont pas les plus belles flammes que celles où la convoitise se mêle ; mais que deux virginités bien unies par un mariage spirituel en produisent de bien plus fortes, et qui peuvent, ce semble, se conserver sous les cendres mêmes de la mort. C’est pourquoi Grégoire de Tours, qui nous a décrit cette histoire, ajoute que les peuples de cette contrée appelaient ordinairement ces sépulcres les sépulcres des deux amants, comme si ces peuples eussent voulu dire que c’étaient de véritables amants, parce qu’ils s’aimaient par l’esprit.
Mais où est-ce que cet amour si spirituel s’est jamais trouvé si parfait que dans le mariage de saint Joseph ? C’est là que l’amour était tout céleste, puisque toutes ses flammes et tous ses désirs ne tendaient qu’à conserver la virginité, et il est aisé de l’entendre. Car dites-nous, ô divin Joseph, qu’est-ce que vous aimez en Marie ? Ah ! sans doute, ce n’était pas la beauté mortelle, mais cette beauté cachée et intérieure, dont la sainte virginité faisait le principal ornement. C’était donc la pureté de Marie qui faisait le chaste objet de ses feux ; et plus il aimait cette pureté, plus il la voulait conserver, premièrement en sa sainte épouse, et secondement en lui-même, par une entière unité de cœur : si bien que son amour conjugal se détournant du cours ordinaire, se donnait et s’appliquait tout entier à garder la virginité de Marie. Ô amour divin et spirituel ! Chrétiens, n’admirez-vous pas comme tout concourt dans ce mariage à conserver ce sacré dépôt ! Leurs promesses sont toutes pures, leur amour est tout virginal : il reste maintenant à considérer ce qu’il y a de plus admirable ; c’est le fruit sacré de ce mariage, je veux dire le Sauveur Jésus.
Mais il me semble vous voir étonnés de m’entendre prêcher si assurément que Jésus est le fruit de ce mariage. Nous comprenons, direz-vous, que l’incomparable Joseph est père de Jésus-Christ par ses soins ; mais nous savons qu’il n’a point de part à sa bienheureuse naissance. Comment donc nous assurez-vous que Jésus est le fruit de ce mariage ? Cela peut-être paraît impossible : toutefois si vous rappelez à votre mémoire tant de vérités importantes que nous avons, ce me semble, si bien établies, j’espère que vous m’accorderez aisément que Jésus, ce enfant béni, est sorti en quelque manière de l’union virginale de ces deux époux. Car, fidèles, n’avons-nous pas dit que c’est la virginité de Marie qui a attiré Jésus-Christ du ciel ? Jésus n’est-il pas cette fleur sacrée que la virginité a poussée ? n’est-il pas le fruit bienheureux que la virginité a produit ? Oui, certainement nous dit saint Fulgence, « il est le fruit, il est l’ornement, il est le prix et la récompense de la sainte virginité : « Sanctæ virginitatis fructus, decus et munus »(11). C’est à cause de sa pureté que Marie a plu au Père éternel ; c’est à cause de sa pureté que le Saint Esprit se répand sur elle et recherche ses embrassements, pour la remplir d’un germe céleste. Et par conséquent ne peut-on pas dire que c’est sa pureté qui la rend féconde ? Que si c’est sa pureté qui la rend féconde, je ne craindrai plus d’assurer que Joseph a part à ce grand miracle. Car si cette pureté angélique est le bien de la divine Marie, elle est le dépôt du juste Joseph.
Mais je passe encore plus loin, chrétiens ; permettez-moi de quitter mon texte et d’enchérir sur mes premières pensées, pour vous dire que la pureté de Marie n’est pas seulement le dépôt, mais encore le bien de son chaste époux. Elle est à lui par son mariage, elle est à lui par les chastes soins par lesquels il l’a conservée. Ô féconde virginité ! si vous êtes le bien de Marie, vous êtes aussi le bien de Joseph. Marie l’a vouée, Joseph la conserve, et tous deux la présentent au Père éternel comme un bien gardé par leurs soins communs. Comme donc il a tant de part à la sainte virginité de Marie, il en prend aussi au fruit qu’elle porte : c’est pourquoi Jésus est son Fils, non pas à la vérité par la chair, mais il est son Fils par l’esprit à cause de l’alliance virginale qui le joint avec sa mère. Et saint Augustin l’a dit en un mot : Propter quod fidele conjugium parentes Christi vocari ambo meruerunt(12). Ômystère de pureté ! Ô paternité bienheureuse ! Ô lumières incorruptibles qui brillent de toutes parts dans ce mariage !
Chrétiens, méditons ces choses, appliquons-les-nous à nous-mêmes : tout se fait ici pour l’amour de nous ; tirons donc notre instruction de ce qui s’opère pour notre salut. Voyez combien chaste, combien innocente est la doctrine du christianisme. Jamais ne comprendrons-nous quels nous sommes ? Quelle honte, que nous nous souillions tous les jours par toutes sortes d’impuretés, nous qui avons été élevés parmi des mystères si chastes ? Et quand est-ce que nous entendrons quelle est la dignité de nos corps, depuis que le Fils de Dieu en a pris un semblable ? « Que la chair se soit jouée, dit Tertullien, ou plutôt qu’elle se soit corrompue, avant qu’elle eût été recherchée par son maître ; elle n’était pas digne du don de salut, ni propre à l’office de la sainteté. Elle était encore en Adam, tyrannisée par ses convoitises, suivant les beautés apparentes, et attachant toujours ses yeux à la terre. Elle était impure et souillée, parce qu’elle n’était pas lavée au baptême. Mais depuis qu’un Dieu en se faisant homme n’a pas voulu venir en ce monde, si la sainte virginité ne l’y attirait ; depuis que trouvant au-dessous de lui-même la sainteté nuptiale, il a voulu avoir une Mère vierge, et qu’il n’a pas cru que Joseph fût digne de prendre le soin de sa vie, s’il ne s’y préparait par la continence ; depuis que, pour laver notre chair, son sang a sanctifié une eau salutaire où elle peut laisser toutes les ordures de sa première nativité : nous devons entendre, fidèles, que depuis ce temps-là la chair est toute autre. Ce n’est plus cette chair formée de la boue et engendrée par la convoitise ; c’est une chair refaite et renouvelée par une eau très pure et par l’Esprit Saint(13). » Donc, mes Frères, respectons nos corps qui sont les membres de Jésus-Christ, gardons-nous de prostituer à l’impureté cette chair, que le baptême a faite vierge. « Possédons nos vaisseaux [le vase de nos corps] en honneur et non pas dans ces passions ignominieuses que notre brutalité nous inspire, comme les Gentils qui n’ont pas de Dieu. Car Dieu ne nous appelle pas à l’impureté, mais à la sanctification (14)» en Notre Seigneur Jésus-Christ. Honorons par la continence cette sainte virginité qui nous a donné le Sauveur, qui a rendu sa Mère féconde, qui a fait que Joseph a part à cette fécondité bienheureuse et l’élève, si je l’ose dire, jusqu’à être le père de Jésus-Christ même. Mais, fidèles, après avoir vu qu’il contribue en quelque façon à la naissance de Jésus-Christ en gardant la pureté, de sa sainte Mère ; voyons maintenant ses soins paternels, et admirons la fidélité par laquelle il conserve ce divin Enfant que le Père céleste lui a confié ; c’est ma seconde partie.
Deuxième point
Ce n’est pas assez au Père éternel d’avoir confié à Joseph la virginité de Marie : il lui prépare quelque chose de plus relevé ; et, après avoir commis à sa foi cette sainte virginité qui doit donner Jésus-Christ au monde, comme s’il avait dessein d’épuiser sa libéralité infinie en faveur de ce patriarche, il va mettre en ses mains Jésus-Christ lui-même, et il veut le conserver par ses soins. Mais si nous pénétrons le secret, si nous entrons au fond du mystère, c’est là, fidèles, que nous trouverons quelque chose de si glorieux au juste Joseph, que nous ne pourrons jamais assez le comprendre. Car Jésus, ce divin Enfant, sur lequel Joseph a toujours les yeux et qui fait l’admirable sujet de ses saintes inquiétudes, est né sur la terre comme un orphelin, et il n’a point de père en ce monde. C’est pourquoi saint Paul dit qu’il est sans père : Sine patre(15). Il est vrai qu’il en a un dans le ciel ; mais à voir comme il l’abandonne, il semble que ce Père ne le connaît plus. Il s’en plaindra un jour sur la croix, lorsque l’appelant son Dieu et non pas son Père, « Et pourquoi, dira-t-il, m’abandonnez-vous ?(16) » Mais ce qu’il a dit en mourant, il pouvait le dire dès sa naissance, puisque dès ce premier moment son Père l’expose aux persécutions et commence à l’abandonner aux injures. Tout ce qu’il fait en faveur de ce Fils unique pour montrer qu’il ne l’oublie pas, du moins ce qui paraît à nos yeux, c’est de le mettre en la garde d’un homme mortel qui conduira sa pénible enfance ; et Joseph est choisi pour ce ministère. Que fera ici ce saint homme ? Qui pourrait dire avec quelle joie il reçoit cet abandonné, et comme il s’offre de tout son cœur pour être le père de cet orphelin ? Depuis ce temps-là, chrétiens, il ne vit plus que pour Jésus-Christ, il n’a plus de soin que pour lui ; il prend lui-même pour ce Dieu un cœur et des entrailles de père ; et ce qu’il n’est pas par nature, il le devient par affection.
Mais afin que vous soyez convaincus de la vérité d’un si grand mystère et si glorieux à Joseph, il faut vous le montrer par les Ecritures, et pour cela vous exposer une belle réflexion de saint Chrysostome. Il remarque dans l’Evangile que partout Joseph y paraît en père. C’est lui qui donne le nom à Jésus, comme les pères le donnaient alors ; c’est lui seul que l’ange avertit de tous les périls de l’Enfant, et c’est à lui qu’il annonce le temps du retour. Jésus le révère et lui obéit : c’est lui qui dirige toute sa conduite comme en ayant le soin principal, et partout il nous est montré comme père. D’où vient cela, dit saint Chrysostome ? En voici la raison véritable. C’est, dit-il, que c’était un conseil de Dieu, de donner au grand saint Joseph tout ce qui peut appartenir à un père sans blesser la virginité(17)
Je ne sais si je comprends bien toute la force de cette pensée, mais voici, si je ne me trompe, ce que veut dire ce grand évêque. Et premièrement supposons pour certain que c’est la sainte virginité qui empêche que le Fils de Dieu, en se faisant homme, ne choisisse un père mortel. En effet Jésus-Christ venant sur la terre, pour se rendre semblable aux hommes, comme il voulait bien avoir une mère, il ne devait pas refuser, ce semble, d’avoir un père tout ainsi que nous, et de s’unir encore à notre nature par le noeud de cette alliance. Mais la sainte virginité s’y est opposée, parce que les prophètes lui avaient promis qu’un jour le Sauveur la rendrait féconde ; et puisqu’il devait naître d’une vierge mère, il ne pouvait avoir de père que Dieu. C’est par conséquent la virginité qui empêche la paternité de Joseph. Mais peut-elle l’empêcher jusqu’à ce point que Joseph n’y ait plus de part, et qu’il n’ait aucune qualité de père ? Nullement, dit saint Chrysostome ; car la sainte virginité ne s’oppose qu’aux qualités qui la blessent ; et qui ne sait qu’il y en a dans le nom de père qui ne choquent pas la pudeur, et qu’elle peut avouer pour siennes ? Ces soins, cette tendresse, cette affection, cela blesse-t-il la virginité ? “Voyez donc le secret de Dieu, et l’accommodement qu’il invente dans ce différend mémorable entre la paternité de Joseph et la pureté virginale. Il partage la paternité, et il veut que la virginité fasse le partage. Sainte pureté, lui dit-il, vos droits vous seront conservés. Il y a quelque chose dans le nom de père que la virginité ne peut pas souffrir ; vous ne l’aurez pas, Ô Joseph. Mais tout ce qui appartient à un père sans que la virginité soit intéressée : Voilà, dit-il, ce que je vous donne : Hoc tibi do, quod salva virginitate paternum esse potest. Et par conséquent, chrétiens, Marie ne concevra pas de Joseph, parce que la virginité y serait blessée ; mais Joseph partagera avec Marie ces soins, ces veilles, ces inquiétudes, par lesquelles elle élèvera ce divin Enfant ; et il ressentira pour Jésus cette inclination naturelle, toutes ces douces émotions, tous ces tendres empressements d’un cœur paternel.
Mais peut-être vous demanderez où il prendra ce cœur paternel, si la nature ne le lui donne pas ? Ces inclinations naturelles peuvent-elles s’acquérir par choix, et l’art peut-il imiter ce que la nature écrit dans les cœurs ? Si donc saint Joseph n’est pas père, comment aura-t-il un amour de père ? C’est ici qu’il nous faut entendre que la puissance divine agit en cette œuvre. C’est par un effet de cette puissance que saint Joseph a un cœur de père ; et si la nature ne le donne pas, Dieu lui en fait un de sa propre main. Car c’est de lui dont il est écrit qu’il tourne où il lui plaît les inclinations. Pour l’entendre il faut remarquer une belle théologie que le Psalmiste nous a enseignée, lorsqu’il dit que Dieu forme en particulier tous les cœurs des hommes : Qui finxit singillatim corda eorum(18). Ne vous persuadez pas, chrétiens, que David regarde le cœur comme un simple organe du corps, que Dieu forme par sa puissance comme toutes les autres parties qui composent l’homme. Il veut dire quelque chose de singulier : il considère le cœur en ce lieu comme principe de l’inclination ; et il le regarde dans les mains de Dieu comme une terre molle et humide, qui cède et qui obéit aux mains du potier et reçoit de lui sa figure. C’est ainsi, nous dit le Psalmiste, que Dieu forme en particulier tous les cœurs des hommes.
Qu’est-ce à dire, en particulier ? Ilfait un cœur de chair dans les uns, quand il les amollit par la charité ; un cœur endurci dans les autres, lorsque retirant ses lumières par une juste punition de leurs crimes, il les abandonne au sens réprouvé. Ne fait-il pas dans tous les fidèles, non un cœur d’esclave, mais un cœur d’enfant, quand il envoie en eux l’esprit de son Fils ? Les apôtres tremblaient au moindre péril ; mais Dieu leur fait un cœur tout nouveau, et leur courage devient invincible. Quels étaient les sentiments de Saül pendant qu’il paissait ses troupeaux ! Ils étaient sans doute bas et populaires. Mais Dieu en le mettant sur le trône, lui change le cœur par son onction : Immutavit Dominus cor Saul(19); et il reconnaît incontinent qu’il est roi. D’autre part, les Israélites considéraient ce nouveau monarque comme un homme de la lie du peuple ; mais la main de Dieu leur touchant le cœur : Quorum Deus tetigit corda(20), aussitôt ils le voient plus grand et ils se sentent émus, en le regardant, de cette crainte respectueuse que l’on a pour ses souverains : c’est que Dieu faisait en eux un cœur de sujets.
C’est donc, fidèles, cette même main qui forme en particulier tous les cœurs des hommes, qui fait un cœur de père en Joseph et un cœur de fils en Jésus. C’est pourquoi Jésus obéit, et Joseph ne craint pas de lui commander. Et d’où lui vient cette hardiesse de commander à son Créateur ? C’est que le vrai Père de Jésus-Christ, ce Dieu qui l’engendre dans l’éternité, ayant choisi le divin Joseph pour servir de père au milieu des temps à son Fils unique, a fait en quelque sorte couler en son sein quelque rayon ou quelque étincelle de cet amour infini qu’il a pour son Fils : c’est ce qui lui change le cœur, c’est ce qui lui donne un amour de père ; si bien que le juste Joseph, qui sent en lui-même un cœur paternel formé tout à coup par la main de Dieu, sent aussi que Dieu lui ordonne d’user d’une autorité paternelle ; et il ose bien commander à celui qu’il reconnaît pour son maître.
Et après cela, chrétiens, qu’est-il nécessaire que je vous explique la fidélité de Joseph à garder ce sacré dépôt ? Peut-il manquer de fidélité à celui qu’il reconnaît pour son Fils unique ? De sorte qu’il ne serait pas nécessaire que je vous parlasse de cette vertu, s’il n’était important pour votre instruction que vous ne perdiez pas un si bel exemple ? Car c’est ici qu’il nous faut apprendre, par les traverses continuelles qui ont exercé saint Joseph depuis que Jésus-Christ est mis en sa garde, qu’on ne peut conserver ce dépôt sans peine, et que pour être fidèle à sa grâce il faut se préparer à souffrir. Oui certes, quand Jésus entre quelque part, il y entre avec sa croix, il y porte avec lui toutes ses épines, et il en fait part à tous ceux qu’il aime. Joseph et Marie étaient pauvres ; mais ils n’avaient pas encore été sans maison, ils avaient un lieu pour se retirer. Aussitôt que cet enfant vient au monde, on ne trouve point de maison pour eux, et leur retraite est dans une étable. Qui leur procure cette disgrâce, sinon celui dont il est écrit que, « venant en son propre bien, il n’y a pas été reçu par les siens, » (21) et qu’il n’a pas de gîte assuré où il puisse reposer sa tête ? (22) Mais n’est-ce pas assez de leur indigence ? Pourquoi leur attire-t-il des persécutions ? Ils vivaient ensemble dans leur ménage, pauvrement, mais avec douceur, surmontant leur pauvreté par leur patience et par leur travail assidu. Mais Jésus ne leur permet pas ce repos : il ne vient au monde que pour les troubler, et il attire tous les malheurs avec lui. Hérode ne peut souffrir que cet enfant vive : la bassesse de sa naissance n’est pas capable de le cacher à la jalousie de ce tyran. Le Ciel lui-même trahit le secret : il découvre Jésus-Christ par une étoile ; et il semble qu’il ne lui amène de loin des adorateurs, que pour lui susciter dans son pays propre un persécuteur impitoyable.
Que fera ici saint Joseph ? Représentez-vous, chrétiens, ce que c’est qu’un pauvre artisan, qui n’a point d’autre héritage que ses mains, ni d’autre fonds que sa boutique, ni d’autre ressource que son travail. Il est contraint d’aller en Egypte et de souffrir un exil fâcheux, et cela pour quelle raison ? Parce qu’il a Jésus-Christ avec lui. Cependant croyez-vous, fidèles, qu’il se plaigne de cet Enfant incommode, qui le tire de sa patrie et qui lui est donné pour le tourmenter ? Au contraire, ne voyez-vous pas qu’il s’estime heureux de souffrir en sa compagnie, et que toute la cause de son déplaisir, c’est le péril du divin Enfant qui lui est plus cher que lui-même ? Mais peut-être a‑t-il sujet d’espérer de voir bientôt finir ses disgrâces ? Non, fidèles ; il ne l’attend pas ; partout on lui prédit des malheurs. Siméon l’a entretenu des étranges contradictions que devait souffrir ce cher Fils : il en voit déjà le commencement, et il passe sa vie dans de continuelles appréhensions des maux qui lui sont préparés.
Est-ce assez pour éprouver sa fidélité ? Chrétiens, ne le croyez pas ; voici encore une étrange épreuve. Si c’est peu des hommes pour le tourmenter, Jésus devient lui-même son persécuteur. Il s’échappe adroitement de ses mains, il se dérobe à sa vigilance, et il demeure trois jours perdu. Qu’avez-vous fait, fidèle Joseph ? Qu’est devenu le sacré dépôt que le Père céleste vous a confié ? Ah ! Qui pourrait ici raconter ses plaintes ? Si vous n’avez pas encore entendu la paternité de Joseph, voyez ses larmes, voyez ses douleurs, et reconnaissez qu’il est père. Ses regrets le font bien connaître, et Marie a raison de dire à cette rencontre : Pater tuus et ego dolentes quærebamus te. (23) « Votre père et moi vous cherchions avec une extrême douleur. » O mon fils, dit-elle au Sauveur, je ne crains pas de l’appeler ici votre père, et je ne prétends pas faire tort à la pureté de votre naissance. Il s’agit de soins et d’inquiétudes ; et c’est par là que je puis dire qu’il est votre père, puisqu’il a des inquiétudes vraiment paternelles : Ego et pater tuus ; je le joins avec moi par la société des douleurs.
Voyez, fidèles, par quelles souffrances Jésus éprouve la fidélité, et comme il ne veut être qu’avec ceux qui souffrent. Ames molles et voluptueuses, cet Enfant ne veut pas être avec vous ; sa pauvreté a honte de votre luxe ; et sa chair destinée à tant de supplices, ne peut supporter vôtre extrême délicatesse. Il cherche ces forts et ces courageux qui ne refusent pas de porter sa croix, qui ne rougissent pas d’être compagnons de son indigence et de sa misère. Je vous laisse à méditer ces vérités saintes ; car pour moi je ne puis vous dire tout ce que je pense sur ce beau sujet. Je me sens appelé ailleurs, et il faut que je considère le secret du Père éternel confié à l’humilité de Joseph. Il faut que nous voyions Jésus-Christ caché, et Joseph caché avec lui, et que nous nous excitions par ce bel exemple à l’amour de la vie cachée.
Troisième point
Que dirai-je, ici, chrétiens, de cet homme caché avec Jésus-Christ ? Où trouverai-je des lumières assez pénétrantes, pour percer les obscurités qui enveloppent la vie de Joseph ? Et quelle entreprise est la mienne, de vouloir exposer au jour ce que l’Ecriture a couvert d’un silence mystérieux ? Si c’est un conseil du Père éternel que son Fils soit caché au monde et que Joseph le soit avec lui, adorons les secrets de sa Providence sans nous mêler de les rechercher ; et que la vie cachée de Joseph soit l’objet de notre vénération, et non pas la matière de nos discours. Toutefois il en faut parler, puisque je sais bien que je l’ai promis ; et il sera utile au salut des âmes de méditer un si beau sujet, puisque si je n’ai rien à dire autre chose, je dirai du moins, chrétiens, que Joseph a eu cet honneur d’être tous les jours avec Jésus-Christ, qu’il a eu avec Marie la plus grande part à ses grâces ; que néanmoins Joseph a été caché, que sa vie, que ses actions, que ses vertus étaient inconnues. Peut-être apprendrons-nous d’un si bel exemple qu’on peut être grand sans éclat, qu’on peut être bienheureux sans bruit, qu’on peut avoir la vraie gloire sans le secours de la renommée par le seul témoignage de sa conscience : Gloria nostra hæc est, testimonium conscientiæ nostræ(24); et cette pensée nous incitera à mépriser la gloire du monde : c’est la fin que je me propose.
Mais pour entendre solidement la grandeur et la dignité de la vie cachée de Joseph, remontons jusqu’au principe ; et admirons avant toutes choses la variété infinie des conseils de la Providence dans les vocations différentes. Entre toutes les vocations, j’en remarque deux dans les Ecritures, qui semblent directement : la première, celle des apôtres ; la seconde, celle de Joseph. Jésus est révélé aux apôtres, Jésus est révélé à Joseph, mais avec des conditions bien contraires. Il est révélé aux apôtres pour l’annoncer par tout l’univers ; il est révélé à Joseph pour le taire et pour le cacher. Les apôtres sont des lumières pour faire voir Jésus-Christ au monde ; Joseph est un voile pour le couvrir, et sous ce voile mystérieux on nous cache la virginité de Marie et la grandeur du Sauveur des âmes. Aussi nous lisons dans les Ecritures que lorsqu’on le voulait mépriser : « N’est-ce pas là, disait-on, le fils de Joseph ? »(25) Si bien que Jésus entre les mains des apôtres, c’est une parole qu’il faut prêcher : Prædicate verbum Evangelii hujus, « Prêchez la parole de cet Evangile » (26) et Jésus entre les mains de Joseph, c’est une parole cachée, Verbum absconditum(27), et il n’est pas permis de la découvrir. En effet voyez-en la suite. Les divins apôtres prêchent si hautement l’Evangile, que le bruit de leur prédication retentit jusqu’au ciel : et saint Paul a bien osé dire que les conseils de la sagesse divine sont venus à la connaissance des célestes puissances par l’Eglise et par le ministère des prédicateurs, per Ecclesiam(28); et Joseph, au contraire entendant parler des merveilles de Jésus-Christ, il écoute, il admire et se tait.
Que veut dire cette différence ? Dieu est-il contraire à lui-même dans ces vocations opposées ? Non, fidèles, ne le croyez pas : toute cette diversité tend à enseigner aux enfants de Dieu cette vérité importante, que toute la perfection chrétienne ne consiste qu’à se soumettre. Celui qui glorifie les Apôtres par l’honneur de la prédication, glorifie aussi saint Joseph par l’humilité du silence ; et par là nous devons apprendre que la gloire des chrétiens n’est pas dans les emplois éclatants, mais à faire ce que Dieu veut. Si tous ne peuvent pas avoir l’honneur de prêcher Jésus-Christ, tous peuvent avoir l’honneur de lui obéir ; et c’est la gloire de saint Joseph, c’est le solide honneur du christianisme. Ne me demandez donc pas, chrétiens, ce que faisait saint Joseph dans sa vie cachée ; il est impossible que je vous l’apprenne, et je ne puis répondre autre chose sinon ce que dit le divin Psalmiste : « Le juste, dit-il, qu’a-t-il fait ? » Justus autem quid fecit ? (29)Ordinairement la vie des pécheurs fait plusde bruit que celle des justes, parce que l’intérêt et les passions, c’est ce qui remue tout dans le monde. Les pécheurs, dit David, ont tendu leur arc, ils l’ont lâché contre les justes, ils ont détruit, ils ont renversé, on ne parle que d’eux dans le monde : Quoniam quæ perfecisti, destruxerunt (30) . Mais le juste, ajoute-t-il, qu’a-t-il fait ? Justus autem quid fecit ? Il veut dire qu’il n’a rien fait. En effet il n’a rien fait pour les yeux des hommes, parce qu’il a tout fait pour les yeux de Dieu. C’est ainsi que vivait le juste Joseph. Il voyait Jésus-Christ, et il se taisait : il le goûtait, et il n’en parlait point ; il se contentait de Dieu seul, sans partager sa gloire avec les hommes. Il accomplissait sa vocation, parce que, comme les apôtres sont les ministres de Jésus-Christ découvert, Joseph était le ministre et le compagnon de sa vie cachée.
Mais, chrétiens, pourrons‑nous bien dire pourquoi il faut que Jésus se cache, pourquoi cette splendeur éternelle de la face du Père céleste se couvre d’une obscurité volontaire durant l’espace de trente années ? Ah ! superbe, l’ignores-tu ? Homme du monde, ne le sais‑tu pas ? C’est ton orgueil qui en est la cause ; c’est ton vain désir de paraître, c’est ton ambition infinie et cette complaisance criminelle qui te fait honteusement détourner à un soin pernicieux de plaire aux hommes celui qui doit être employé à plaire à ton Dieu. C’est pour cela que Jésus se cache, il voit le désordre que ce vice produit ; il voit le ravage que cette passion fait dans les esprits, quelles racines elle y a jetées et combien elle corrompt toute notre vie depuis l’enfance jusqu’à la mort : il voit les vertus qu’elle étouffe par cette crainte lâche et honteuse de paraître sage et dévot : il voit les crimes qu’elle fait commettre, ou pour s’accommoder à la société par une damnable complaisance, ou pour satisfaire l’ambition à laquelle on sacrifie tout dans le monde. Mais, fidèles, ce n’est pas tout : il voit que ce désir de paraître détruit les vertus les plus éminentes, en leur faisant prendre le change, en substituant la gloire du monde à la place de celle du ciel, en nous faisant faire pour l’amour des hommes ce qu’il faut faire pour l’amour de Dieu. Jésus-Christ voit tous ces malheurs causés par le désir de paraître, et il se cache pour nous enseigner à mépriser le bruit etl’éclat du monde. Il ne croit pas que sa croix suffise pour dompter cette passion furieuse ; il choisit, s’il se peut, un état plus bas et où il est en quelque sorte plus anéanti.
Car enfin je ne craindrai pas de le dire : Mon Sauveur, je vousconnais mieux à la croix et dans la honte de votre supplice, que je ne fais dans cette bassesse et dans cette vie inconnue. Quoique votre corps soit tout déchiré, que votre face soit ensanglantée et que bien loin de paraître Dieu, vous n’ayez pas même la figure d’homme, toutefois vous ne m’êtes pas si caché et je vois, au travers de tant de nuages, quelque rayon de votre grandeur, dans cette constante résolution par laquelle vous surmontez les plus grands tourments. Votre douleur a de la dignité, puisqu’elle vous fait trouver un adorateur dans l’un des compagnons de votre supplice. Mais ici je ne vois rien que de bas, et dans cet état d’anéantissement, un ancien a raison de dire que vous êtes injurieux à vous-même : Adultus non gestit agnosci, sed contumeliosus insuper sibi est (31). Il est injurieux à lui-même, parce qu’il semble qu’il ne fait rien et qu’il est inutile au monde. Mais il ne refuse pas cette ignominie ; il veut bien que cette injure soit ajoutée, à toutes les autres qu’il a souffertes, pourvu qu’en se cachant avec Joseph et avec l’heureuse Marie, il nous apprenne par ce grand exemple que s’il se produit quelque jour au monde, ce sera par le désir de nous profiter et pour obéir à son Père ; qu’en effet toute la grandeur consiste à nous conformer aux ordres de Dieu, de quelque sorte qu’il lui plaise disposer de nous ; et enfin que cette obscurité que nous craignons tant, est si illustre et si glorieuse, qu’elle peut être choisie même par un Dieu. Voilà ce que nous enseigne Jésus-Christ caché avec toute son humble famille, avec Marie et Joseph, qu’il associe à l’obscurité de sa vie à cause qu’ils lui sont très chers. Prenons‑y donc part avec eux, et cachons-nous avec Jésus-Christ.
Chrétiens, ne savez-vous pas que Jésus-Christ est encore caché ? Il souffre qu’on blasphème tous les jours son nom, et qu’on se moque de son Evangile, parce que l’heure de sa grande gloire n’est pas arrivée. Il est caché avec son Père, et nous sommes cachés en Dieu avec lui, comme parle le divin Apôtre. Puisque nous sommes cachés avec lui, ce n’est pas en ce lieu d’exil que nous devons rechercher la gloire ; mais quand Jésus se montrera en sa majesté, ce sera alors le temps de paraître : Cum Christus apparuerit, tunc et simul apparebimus cum illo in gloria.(32) Ô Dieu qu’il fera beau paraître en ce jour où Jésus nous louera devant ses saints anges, à la face de tout l’univers et devant son Père céleste ! Quelle nuit, quelle obscurité assez longue pourra nous mériter cette gloire ? Que les hommes se taisent de nous éternellement, pourvu que Jésus-Christ en parle en ce jour. Toutefois craignons, chrétiens, cette terrible parole qu’il a prononcée dans son Evangile : « Vous avez reçu votre récompense ». (33) Vous avez voulu la gloire des hommes : vous l’avez eue ; vous êtes payé ; il n’y a plus rien à attendre. Ô envie ingénieuse de notre ennemi, qui nous donne les yeux des hommes, afin de nous ôter ceux de Dieu ; qui par une justice malicieuse s’offre à récompenser nos vertus, de peur que Dieu ne les récompense ! Malheureux, je ne veux point de ta gloire : ni ton éclat ni ta vaine pompe ne peuvent pas payer mes travaux. J’attends ma couronne d’une main plus chère, et ma récompense d’un bras plus puissant. Quand Jésus paraîtra en sa majesté, c’est alors, c’est alors que je veux paraître.
C’est là, fidèles, que vous verrez ce que je ne puis vous dire aujourd’hui : vous découvrirez les merveilles de la vie cachée de Joseph ; vous saurez ce qu’il a fait durant tant d’années, et combien il est glorieux de se cacher avec Jésus-Christ. Ah ! Sans doute il n’est pas de ceux qui ont reçu leur récompense en ce monde : c’est pourquoi il paraîtra alors, parce qu’il n’a pas paru ; il éclatera, parce qu’il n’a point éclaté. Dieu réparera l’obscurité de sa vie ; et sa gloire sera d’autant plus grande, qu’elle est réservée pour la vie future.
Aimons donc cette vie cachée où Jésus s’est enveloppé avec Joseph. Qu’importe que les hommes nous voient ? Celui-là est follement ambitieux à qui les yeux de Dieu ne suffisent pas, et c’est lui faire trop d’injure que de ne se contenter pas de l’avoir pour spectateur. Que si vous êtes dans les grandes charges et dans les emplois importants, si c’est une nécessité que votre vie soit toute publique, méditez du moins sérieusement que vous ferez enfin une mort privée, puisque tous ces honneurs ne vous suivront pas. Que le bruit que les hommes font autour de vous ne vous empêche pas d’écouter les paroles du Fils de Dieu. Il ne dit pas : Heureux ceux qu’on loue ; mais il dit dans son Evangile : « Heureux ceux que l’on maudit pour l’amour de moi ». (34) Tremblez donc, dans cette gloire qui vous environne, de ce que vous n’êtes pas jugés dignes des opprobres de l’Evangile. Mais si le monde nous les refuse, chrétiens, faisons-nous-en à nous-mêmes ; reprochons-nous devant Dieu notre ingratitude et nos vanités ridicules : mettons‑nous à nous-mêmes devant notre face toute la honte de notre vie ; soyons du moins obscurs à nos yeux par une humble confession de nos crimes ; et participons comme nous pouvons à la confusion de Jésus, afin de participer à sa gloire.
Madame, Cette grandeur qui vous environne, empêche sans doute Votre Majesté de pouvoir goûter avec Jésus-Christ cette obscurité bienheureuse. Votre vie est dans la lumière, votre piété perce les nuages dans lesquels voire humilité veut l’envelopper. Les victoires de notre grand roi relèvent l’éclat de votre couronne ; et ce qui surpasse toutes les victoires, c’est qu’on ne parle plus par toute la France que de cette ardeur toute chrétienne avec laquelle Votre Majesté travaille à faire descendre la paix sur la terre, d’où nos crimes l’ont bannie depuis tant d’années, et à rendre le calme à cet Etat après en avoir soutenu toutes les tempêtes avec une résolution si constante. Parmi tant de gloire et tant de grandeur, quelle part peut prendre Votre Majesté à l’obscurité de Jésus-Christ et aux opprobres de son Evangile ? Puisque le monde s’efforce à lui donner des louanges, où pourra-t-elle trouver de l’humiliation, si elle ne la prend d’elle-même. C’est, Madame, ce qui oblige Votre Majesté, lorsqu’elle se retire avec Dieu, de se dépouiller à ses pieds de toute cette magnificence royale, qui aussi bien s’évanouit devant lui, et là de se couvrir humblement la face de la sainte confusion de la pénitence. C’est trop flatter les grands que de leur persuader qu’ils sont impeccables : au contraire qui ne sait pas que leur condition éminente leur apporte ce mal nécessaire, que leurs fautes ne peuvent presque être médiocres ? C’est, Madame, dans la vue de tant de périls que Votre Majesté doit s’humilier. Tous les peuples loueront sa sage conduite dans toute l’étendue de leurs cœurs ; elle seule s’accusera, elle seule se confondra devant Dieu, et participera par ce moyen aux opprobres de Jésus-Christ pour participer à sa gloire, que je lui souhaite éternelle.
Amen
Notes
[1] Cap. XXIX.
[2] Super Missus est, hom. II, n°16
[3] ls., VII, 14
[4] De sancta Virginit., n. 12
[5] Jn., I, 14
[6] De Virginit., cap. II.
[7]De Genes. ad litt., lib. IX,cap. VII, n. 12
[8] Contra Julian., lib. V, cap. XII, n. 46. [9] De Nupt. et Concup., lib. I, n. 12
[10]Histor. Franc., lib. 1, n. 42
[11]Ad Prob., epist. III, n. 6
[12]De Nupt., et Concup., lib. I, ubi supra.
[13] De Pudicit., n. 6.
[14]1 Thess., IV, 4- 5, 7
[15]Hebr., VII, 3.
[16]Mtth., XXVII, 46.
[17]In Matth., hom. IV, n. 6.
[18]Psal. XXXII,15.
[19]I Reg., X, 9.
[20]Ibid., 26.
[21]Joan., I, 11.
[22]Matth., VIII, 20.
[23]Luc., II, 48.
[24]II Cor., I, 12.
[25]Joan., VI, 42.
[26]Act., V, 20.
[27]Luc., XVIII, 34.
[28]Ephes., III, 10
[29]Psal., X, 4.
[30] Psal., X, 4.
[31] Tertull., de Patient., n. 3.
[32]Coloss., III, 4.
[33]Matth., VI, 2.
[34]Matth., V, 11.