Du 10 avril au 23 mai, ostension du Linceul de Turin – L’inexplicable image

Article extrait du journal Présent n° 7066 du 3 avril 2010

Yves Saillard, membre du Centre inter­na­tio­nal d’études sur le Linceul de Turin (CIELT), doc­teur 3e cycle en phy­sique théo­rique, phy­si­cien nucléaire, a consa­cré, à la demande de la com­mis­sion dio­cé­saine de Turin, un impor­tant tra­vail à l’origine de l’image du Saint-​Suaire. Image dont on vou­drait nous faire croire qu’elle a pu être faite de main d’homme… L’étude d’Yves Saillard paraît en ita­lien, dans un ensemble de tra­vaux scien­ti­fiques cou­vrant toute l’étendue des ques­tions liées au Linceul, dans un livre publié par le dio­cèse de Turin à l’occasion de l’ostension 2010. Tous ces tra­vaux ont été revus par le Centre inter­na­tio­nal de sin­do­no­lo­gie de Turin. L’origine de l’image n’est évi­dem­ment qu’un aspect de la ques­tion. Mais elle fait par­tie de ces don­nées déter­mi­nantes qui per­mettent de conclure à l’authenticité de la relique la plus émou­vante et la plus excep­tion­nelle de la Chrétienté. Yves Saillard nous a pro­po­sé un résu­mé de sa contri­bu­tion au livre qui accom­pa­gne­ra l’ostension vou­lue par Benoît XVI. En ce Samedi saint où nos regards sont por­tés sur le visage du Crucifié, dans l’attente de sa Résurrection glo­rieuse, le Linceul appa­raît comme un témoin dont Yves Saillard rap­pelle le sérieux et la fiabilité.

La ver­sion inté­grale de son article sera publiée ulté­rieu­re­ment par le CIELT. – J.-S.

La pre­mière pho­to­gra­phie du Saint-​Suaire de Turin en 1898 a tota­le­ment renou­ve­lé la ques­tion de son authen­ti­ci­té. En effet, alors que la double sil­houette humaine visible sur le drap pré­sente un aspect étrange et peu com­pré­hen­sible, son néga­tif pho­to­gra­phique a révé­lé le por­trait réa­liste d’un homme gran­deur nature vu de face et de dos.

Ce por­trait est d’une grande sobrié­té et d’une beau­té remar­quable. Le visage de cet homme dégage une sim­pli­ci­té majes­tueuse, inéga­lée dans les œuvres d’art. Les plaies et les taches de sang cor­res­pondent aux bles­sures de la pas­sion, fla­gel­la­tion, cou­ronne d’épines, cru­ci­fixion, coup de lance au côté. Il évoque irré­sis­ti­ble­ment le Christ, et il est rapi­de­ment deve­nu célèbre dans le monde entier.

On a donc décou­vert que l’image visible sur le Saint-​Suaire était un néga­tif pho­to­gra­phique, dont il suf­fi­sait d’inverser les teintes (le blanc deve­nant noir et vice ver­sa) pour obte­nir un véri­table por­trait. C’est incon­tes­ta­ble­ment la plus ancienne image néga­tive de l’histoire, sur­ve­nue bien avant l’invention de la photographie.

Cette décou­verte posait sérieu­se­ment la ques­tion de l’origine de l’image puisqu’elle écar­tait la pos­si­bi­li­té qu’elle ait été faite par un artiste médié­val. Attribuer à cet artiste une œuvre qu’il ne pou­vait ni voir ni com­prendre est aus­si dépour­vu de sens que d’attribuer un por­trait de qua­li­té à un aveugle de naissance.

Cent ans après, l’explication de l’image n’a tou­jours pas été obte­nue. Il semble même que la pers­pec­tive s’en éloigne davan­tage, à la suite des décou­vertes plus récentes du STURP. Avant d’étudier les pos­si­bi­li­tés d’explication, il convient de bien com­prendre la nature de l’image. Passons en revue ses prin­ci­paux carac­tères actuel­le­ment connus.

Nous avons déjà indi­qué la néga­ti­vi­té, et les qua­li­tés réa­listes et esthé­tiques du néga­tif. Précisons que le réa­lisme du por­trait signi­fie d’abord qu’il est inter­pré­table comme l’apparence visible d’une per­sonne si elle était éclai­rée par des sources lumi­neuses. Physiquement, cette appa­rence visible est consti­tuée par l’intensité lumi­neuse réflé­chie par le corps.

L’image est très pâle et peu contras­tée, mais cepen­dant très nuan­cée à la limite de la per­cep­tion visuelle. Sa réso­lu­tion est d’environ 0,5 cm.

L’intensité de l’image est dans une cer­taine mesure mathé­ma­ti­que­ment cor­ré­lée au relief du corps. On dit que l’image est tri­di­men­sion­nelle. Cela per­met de recons­ti­tuer la forme du corps par cal­cul infor­ma­tique. On doit signa­ler que sans trai­te­ment infor­ma­tique spé­cial, les formes obte­nues res­semblent plu­tôt à un bas-​relief, assez irré­gu­lier à petite échelle, qu’à une sta­tue. Cependant la pré­sence d’un relief juste est indé­niable. On a véri­fié qu’un artiste sans entraî­ne­ment n’était pas capable de don­ner cette qua­li­té de relief à son por­trait d’un visage.

Les exa­mens du STURP en 1978 ont per­mis de décou­vrir la sur­pre­nante struc­ture micro­sco­pique de l’image. L’image pro­vient de cer­taines fibres colo­rées, répar­ties de façon aléa­toire à la sur­face des fils du tis­su. Toutes les fibres colo­rées ont une colo­ra­tion iden­tique, la teinte d’un point de l’image dépend du nombre de fibres colo­rées par uni­té de sur­face. L’image est ain­si de nature sta­tis­tique, elle est un mélange de seule­ment deux teintes dif­fé­rentes. Précisons que le dia­mètre des fils va de 0,14 mm à 0,25 mm, et celui des fibres est d’environ 0,01 mm. Il est évi­dem­ment impos­sible qu’un artiste médié­val ait agi à un tel niveau de pré­ci­sion. Il est inté­res­sant de remar­quer que cette struc­ture a une cer­taine ana­lo­gie avec les pho­to­gra­phies. Comme le Saint-​Suaire, les pho­tos noir et blanc ne sont faites que de deux cou­leurs, le noir des grains d’argent micro­sco­pique, et le blanc de fond du film. La teinte grise d’un point de la pho­to dépend du nombre de grains d’argent noir­cis pré­sents à cet endroit.

La colo­ra­tion des fibres est sans doute due à un léger chan­ge­ment de la struc­ture molé­cu­laire de la cel­lu­lose qui com­pose les fibres. Ce point mérite d’être plus étudié.

Il n’y a aucune pein­ture, tein­ture ou toute autre matière étran­gère sur le tis­su (1). Ceci a été fer­me­ment éta­bli grâce aux nom­breuses tech­niques dif­fé­rentes uti­li­sées par le STURP, cer­taines sont clas­siques dans l’étude des œuvres d’art et servent à déce­ler les faux. Ces résul­tats ont été publiés dans une tren­taine d’articles scientifiques.

Il n’y a aucune empreinte sur l’envers du tis­su, hor­mis les taches de sang qui l’ont tra­ver­sé. Ceci a été bien éta­bli lorsque les tra­vaux de res­tau­ra­tion en juillet 2002 ont per­mis d’examiner lon­gue­ment et de pho­to­gra­phier l’envers.

Comment expli­quer cette image pos­sé­dant des carac­tères aus­si exceptionnels ?

Quelles sont ses causes ?

On peut dis­tin­guer deux options.

Soit l’image s’est for­mée à la suite d’un pro­ces­sus pure­ment naturel.

Soit l’image a été faite de main d’homme.

Considérons la pre­mière option, bien qu’elle semble a prio­ri invrai­sem­blable. En effet, un archéo­logue décou­vrant un por­trait caché mais intel­li­gible d’une grande valeur artis­tique l’attribuera à l’action intel­li­gente d’un artiste et non pas à l’effet des forces naturelles.

Cette option revient à poser la ques­tion suivante :

Un homme mort dépo­sé dans un drap y laisse-​t-​il une empreinte aux carac­tères com­pa­rables à ceux de l’image du Saint-Suaire ?

Il n’y a pas d’exemples connus. Si cet effet se pro­dui­sait, il est pro­bable qu’il aurait déjà été remar­qué, étant don­né que le sou­hait de conser­ver un sou­ve­nir des morts est uni­ver­sel. Admettons cepen­dant qu’il soit pas­sé inaperçu.

Il est certes envi­sa­geable qu’un corps enve­lop­pé dans un drap laisse des traces sur ce drap, là où il y a eu contact entre le corps et le tis­su. Mais, si c’est le cas, le drap une fois déployé donne une image néga­tive très défor­mée du corps, en par­ti­cu­lier le visage appa­raît anor­ma­le­ment élar­gi. L’essai a été fait de nom­breuses fois sur des bustes. L’image du Saint-​Suaire ne peut pas être une image de contact.

Conscient de cela, dans les années 1900, Paul Vignon avait pro­po­sé l’hypothèse de « vapo­ro­gra­phie ». La dif­fu­sion de vapeurs ammo­nia­cales issues du corps trans­fé­re­rait à dis­tance l’information de la forme du corps sur le drap, et ces vapeurs en réagis­sant chi­mi­que­ment avec des aro­mates pré­sents sur le tis­su crée­raient une image. De nom­breux auteurs ont essayé depuis un siècle de repro­duire de cette façon l’image du Saint-​Suaire. Personne n’y est par­ve­nu. Les vagues empreintes obte­nues sont bien néga­tives, mais elles n’ont pas ses qua­li­tés de réa­lisme juste et de tri­di­men­sion­na­li­té. De plus, les empreintes sont consti­tuées de matière étran­gère au tis­su et n’ont pas sa struc­ture micro­sco­pique. L’image du Saint-​Suaire ne peut pas être une image de dif­fu­sion gazeuse.

A notre connais­sance, aucune autre hypo­thèse phy­si­que­ment plau­sible en mesure d’expliquer une for­ma­tion natu­relle de l’image n’a jamais été pré­sen­tée. Il faut savoir que d’un point de vue phy­sique, les dif­fi­cul­tés appa­raissent insur­mon­tables. Il fau­drait dis­po­ser de méca­nismes phy­siques qui, d’une part trans­fèrent au niveau du drap des infor­ma­tions phy­siques ana­logues à l’intensité lumi­neuse réflé­chie par le corps éclai­ré de l’extérieur, et qui d’autre part fixent cette infor­ma­tion sur le drap en colo­rant de façon iden­tique cer­taines fibres iso­lées et en lais­sant les autres intactes (2). Ce n’est pas le cas de la dif­fu­sion gazeuse, et c’est sans sur­prise que l’on constate son échec. De même, ce n’est pas le cas des dif­fu­sions ther­miques ou radia­tives. Si ces méca­nismes phy­siques exis­taient, cela signi­fie­rait que l’on pour­rait réa­li­ser une pho­to, sans lumière, sans chambre noire et sans film pho­to­gra­phique. En un mot, cette option est phy­si­que­ment invraisemblable.

Pour cet ensemble de rai­sons cohé­rentes aus­si bien expé­ri­men­tales que théo­riques, on peut donc conclure que le corps d’un homme mort dépo­sé dans un drap ne laisse pas un néga­tif de son por­trait sur le drap.

Considérons la seconde option : L’image aurait été faite de mains d’homme avant 1350. Cette éven­tua­li­té sou­lève inévi­ta­ble­ment les ques­tions suivantes :

Comment un artiste médié­val aurait-​il eu l’idée d’une image néga­tive, alors que ce concept était inconnu ?

Pourquoi aurait-​il vou­lu réa­li­ser une image néga­tive incom­pré­hen­sible pour ses contemporains ?

Pourquoi n’aurait-il pas uti­li­sé une pein­ture, mais un pro­cé­dé tou­jours inconnu ?

Comment aurait-​il pu faire un por­trait néga­tif de qua­li­té, alors qu’il était inca­pable de voir et contrô­ler le résul­tat de son travail ?

Poser ces ques­tions, c’est déjà y répondre. Il est impos­sible que l’image ait été réa­li­sée consciem­ment et en pleine connais­sance de cause par un artiste. Il reste alors une der­nière éven­tua­li­té. L’artiste sup­po­sé aurait réa­li­sé l’image, incons­cient du chef‑d’œuvre qu’il pro­dui­sait. Il cher­chait seule­ment à obte­nir une vague sil­houette sur le drap, et le hasard aurait vou­lu que cette sil­houette consti­tue un remar­quable por­trait. Admettons pro­vi­soi­re­ment cette thèse (3), la ques­tion sui­vante subsiste :

— Un artiste aurait-​il pu réa­li­ser tech­ni­que­ment cette image avant 1350 ?

Si oui, on doit être actuel­le­ment capable de pro­duire une image ana­logue avec les moyens dis­po­nibles avant 1350. Qu’en est-il ?

Les ten­ta­tives de repro­duc­tion arti­fi­cielle de l’image du Saint-​Suaire ont été nom­breuses. Les plus sérieuses ont consis­té à réa­li­ser un bas-​relief, à le recou­vrir d’un drap, et à dépo­ser de la poudre colo­rante sur le drap à l’aide d’un tam­pon. On obtient ain­si une empreinte néga­tive. Mais sa pâleur, son dégra­dé de teinte et ses nuances ne sont pas com­pa­rables au Saint-​Suaire. Et sur­tout, l’empreinte étant consti­tuée d’une matière colo­rante ajou­tée au tis­su, sa struc­ture micro­sco­pique n’est pas cor­recte. L’image n’a pas tous les carac­tères requis pour être bien reproduite.

Une variante du pro­cé­dé consiste à chauf­fer uni­for­mé­ment le bas-​relief, de façon que le tis­su rous­sisse à son contact. L’empreinte sans nuances obte­nue est faite de tis­su un peu rous­si, elle est dépour­vue de matière étran­gère. Cependant elle n’a pas la struc­ture micro­sco­pique sta­tis­tique requise, toutes les fibres sont rous­sies et aucune ne reste intacte. De plus un tis­su rous­si est fluo­res­cent aux ultra­vio­lets, alors que les exa­mens du STURP ont mon­tré que l’image du Saint?Suaire n’est pas fluo­res­cente. L’image n’est pas cor­rec­te­ment reproduite.

Deux autres pro­cé­dés ont don­né des images néga­tives. L’un consiste à faire une pho­to gran­deur nature d’une per­sonne en construi­sant un appa­reil pho­to géant, où le drap recou­vert de sels d’argent joue le rôle du film pho­to­gra­phique. L’autre consiste à expo­ser un drap au soleil der­rière une vitre sur laquelle a été peinte une image, le blan­chi­ment du drap plus ou moins intense selon la trans­pa­rence de la vitre des­sine une empreinte sur le tis­su. Ces pro­cé­dés ne per­mettent pas d’obtenir une colo­ra­tion sta­tis­tique des fibres. La struc­ture micro­sco­pique des empreintes n’est pas et ne peut pas être correcte.

On peut rete­nir de toutes ces ten­ta­tives que l’on sait obte­nir des images néga­tives de plus ou moins bonne qua­li­té, mais que l’on ne sait pas réa­li­ser tech­ni­que­ment la struc­ture micro­sco­pique de l’image du Saint?Suaire (colo­ra­tion iden­tique d’un plus ou moins grand nombre de fibres iso­lées répar­ties au hasard, absence de matière étran­gère au tis­su). Comme nous l’avons vu dans l’étude de la pre­mière option, il ne semble pas exis­ter de méca­nismes phy­siques capables de cela.

En conclu­sion, l’image ne peut pas avoir été faite de main d’homme à l’époque médié­vale, elle était incon­ce­vable et incom­pré­hen­sible à cette époque, et elle est tou­jours impos­sible à repro­duire tech­ni­que­ment à l’heure actuelle.

L’image ne s’explique que si les évan­giles sont véri­diques. L’image n’a pas pu être repro­duite. Aucune autre image ne pos­sède ses carac­tères. Elle est unique et sans équi­va­lents. Aucune hypo­thèse plau­sible n’est en mesure d’expliquer son exis­tence, aus­si bien en tant qu’objet phy­sique, qu’en tant qu’œuvre d’art. Elle est sans causes natu­relles ou arti­fi­cielles iden­ti­fiables. On est en droit de la consi­dé­rer comme scien­ti­fi­que­ment inexplicable.

Elle coïn­cide bien avec les récits de la pas­sion du Christ dans les évan­giles. Le Christ est le seul per­son­nage his­to­rique fla­gel­lé avant d’être cru­ci­fié et ayant le pou­voir de com­man­der aux élé­ments. Les pou­voirs du Christ peuvent seuls expli­quer l’image dans son prin­cipe, un homme ordi­naire n’étant pas capable de la réa­li­ser. L’image n’est expli­cable que si le Christ a vou­lu cette image, peut-​être pour rap­pe­ler aux hommes d’une époque déchris­tia­ni­sée la réa­li­té du sacri­fice de la croix (4) avec les argu­ments ration­nels dont ils se pré­valent, et pour authen­ti­fier le Saint-​Suaire. Sinon, l’image demeure inex­pli­cable et sans causes, mais comme il n’y a pas d’effets sans causes, cette éven­tua­li­té est exclue.

Yves Saillard

Article extrait du jour­nal Présent n° 7066 du Samedi 3 avril 2010

(1) En quan­ti­té suf­fi­sante pour tein­ter le tis­su, bien entendu.
(2) Dans le cas d’une pho­to, c’est le com­por­te­ment quan­tique de la lumière qui assure cette fonc­tion en noir­cis­sant seule­ment cer­tains grains d’argent, leur nombre dépen­dant de l’intensité lumineuse.
(3) Thèse impli­cite et obli­gée des adver­saires de l’authenticité.
(4) Il avait bien agi ain­si envers saint Thomas.

Sindone, Vangeli, sto­ria, scien­za, sous la direc­tion de Mgr Giuseppe Ghiberti. 2010 Editrice Elledia, 10096 Leumann, Torino, Italie, a paru cette semaine.

Présentation du livre « Sindone » au for­mat pdf

• Le CIELT publie l’article com­plet d’Yves Saillard dans un numé­ro double spé­cial : Revue inter­na­tio­nale du Linceul de Turin, numé­ros 33–34, dis­po­nible chez Alain Rostand, 33, rue du Calvaire, 92210 Saint-Cloud.