Abbé Jean-Baptiste Frament – Février 2010
Il faut bien le reconnaître : la confusion du combat augmente avec le temps. Il devient de plus en plus nécessaire de bien savoir analyser les évènements et les idées à la lumière des principes pour se diriger sagement dans une situation ecclésiale de plus en plus embrouillée. A la confusion actuelle s’ajoute une autre difficulté, subjective celle-là, la lassitude du combat provoquée par l’alternance de bonnes et de mauvaises nouvelles, et plus exactement, par la succession de semi-bonnes nouvelles.
Donnons quelques exemples de ces demi-bonnes nouvelles : la Messe de toujours a de nouveau droit de cité, dans les textes au moins … mais se retrouve sur pied d’égalité, voire de légère infériorité, avec le rite Paul VI de saveur protestante ; les excommunications de nos évêques sont levées … mais non pas déclarées nulles et rien n’est précisé au sujet des prêtres ; la Fraternité Saint Pie X, et le mouvement traditionnel dans son ensemble, sont reconnus catholiques … mais non pas en pleine communion avec l’Eglise ; on apprend ici et là que tel évêque a permis la Messe de toujours … mais cela se fait au compte-gouttes et non pas largement selon les termes du Motu proprio de 2007 ; on se réjouit de ce que tel prêtre reprenne la célébration de la Messe de toujours… mais dans le même temps, il nous est demandé de ne pas encore y assister …
Bref, nous aimerions pouvoir nous réjouir pleinement de nouvelles vraiment bonnes pour l’Eglise catholique, mais … il y a toujours un « mais ». C’est une sorte de torture pour le cœur et l’âme catholiques : après quarante ans de combats, on nous laisse entrevoir la paix, on nous la fait espérer… mais il n’y a pas encore de paix, il faut encore se battre. Rien de pire pour user les volontés, lasser les courages et énerver les caractères.
Il arrive alors ce qui doit arriver : au lieu de prendre ces nouvelles pour ce qu’elles sont, certains en viennent à douter, voire à mettre en cause les principes mêmes du combat. Au lieu de voir que cette usure des nerfs a été provoquée par les demi-mesures en faveur de la Tradition, certains en viennent à penser que c’est la position de notre combat qui est trop extrême, trop intransigeante, et que la Fraternité pourrait vivre en paix avec Rome si elle acceptait de mettre un peu d’eau dans son vin… « Voyons, M. l’abbé, Rome a fait plusieurs pas inespérés dans notre direction, vous ne pouvez pas ignorer la main tendue : c’est à vous maintenant de manifester votre bonne volonté ! »
Pour éviter cet écueil, cette usure de nos convictions, il nous faut revenir à ce qui a fait l’âme du combat de la Tradition depuis quarante ans : l’amour de la Foi et l’esprit de Foi. Ce n’est certes pas de gaité de cœur que nos parents ou grands-parents se sont résolus à quitter leurs paroisses, à se voir montrer du doigt et taxer d’ « intégristes », à consentir à louer des garages pour y célébrer la Messe, à se saigner aux quatre veines pour que leurs enfants puissent recevoir une bonne formation chrétienne … mais ils l’ont fait tout de même, parce qu’ils étaient convaincus que la pureté, que l’intégralité de la Foi catholique, valait bien tous ces sacrifices… Pour nous, qui sommes entrés dans un combat qui avait déjà été engagé par nos pères, nous avons bénéficié de leurs sacrifices et de leurs acquis : prieurés, écoles, catéchismes, maisons d’édition …la voie était tracée, et les moyens déjà mis en place pour beaucoup d’entre eux. Nous avons ensuite participé aux combats et aux victoires qui ont suivis. Et c’était pour les mêmes motifs : pour garder la Foi, pour préserver notre Foi catholique sans laquelle il nous aurait été impossible de plaire à Dieu. Ainsi l’âme de ce combat, c’est la Foi : la Foi à préserver et à transmettre. C’est là la raison première, essentielle, fondamentale, qui a justifié ce combat. C’est en raison de la Foi à préserver que nous avonseu le devoir de désobéir aux autorités religieuses : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Act, V, 29).
Le temps passant, le combat, identique dans son fond, prend des formes nouvelles. Voici que des ouvertures nous sont faites, preuve que tous ces efforts ont fini par porter leurs fruits. Mais souvenons-nous en : le fond du combat est doctrinal. C’est le retour à la défense de la Foi catholique dans son intégralité que nous attendons des autorités romaines. C’est ce retour qui marquera la fin de ce combat. Se contenter de demi-mesures (sous prétexte que « c’est déjà énorme »), ce serait trahir quarante années d’efforts et de sacrifices. Ce serait abandonner au moment même où l’ennemi moderniste (le pire ennemi de l’Eglise selon Saint Pie X) commence à reculer et à donner des signes qu’il pourrait bientôt lâcher prise. C’est maintenant qu’il importe d’être plus que jamais courageux, plus que jamais disposés à tous les sacrifices, à nous dévouer entièrement à la cause du Christ-Roi et de l’Eglise. Car ne l’oublions pas, la victoire finale ne sera pas notre victoire, mais bien celle de l’Eglise catholique. Ce n’est pas nous qui aurons gagné, mais c’est l’Eglise catholique qui aura gagné en retrouvant sa Tradition. Et nous nous réjouirons avec Elle de sa victoire.
Cela dit, dans l’immédiat et en attendant cette victoire, c’est le bien de la Foi qui doit être et rester le critère de nos actions. Ainsi nous encourageons et nous nous réjouissons de tout ce qui va dans le sens de la Foi et nous combattons tout ce qui amoindri cette Foi. Nous refusons donc de participer à tout ce qui a trait aux erreurs modernes dans l’Eglise catholique, spécialement aux erreurs du modernisme et du libéralisme. Dans la confusion actuelle, c’est la Foi qui doit être la lumière de nos intelligences, c’est l’esprit de Foi qui doit animer nos volontés.
Donnons quelques applications pratiques de ce que nous venons d’écrire.
Tout d’abord, lorsqu’un catholique de « l’Eglise officielle », prêtre ou laïc, fait un ou plusieurs pas dans le sens de la Tradition, nous ne pouvons que nous réjouir et l’encourager. Nous sommes tout heureux de pouvoir le rencontrer, lui parler de la Tradition, l’encourager à continuer sa démarche en rendant grâces à Dieu … Cette démarche peut être plus ou moins longue et comporter toute une série d’étapes. Durant cette période intermédiaire, il convient de le soutenir, de l’encourager dans les progrès qu’il réalise, mais non pas de participer à ce qui lui reste encore d’habitudes modernes ou de pratiques encore défectueuses vis à vis de la Foi. Ainsi, nous encouragerons tel prêtre qui reprend la Messe de toujours, nous l’inviterons, le visiterons, échangerons des idées, des documents … sans pour autant cautionner sa pratique tant qu’elle ne sera pas suffisamment purifiée des erreurs modernes. Où se trouve la limite ? Quand pourra-t-on dire que le retour est suffisant ? Quand la Foi ne sera plus en danger : c’est-à-dire quand non seulement l’intégralité de la Foi sera crue et professée, mais aussi quand la Foi sera protégée des erreurs, et donc que celles-ci seront publiquement condamnées. C’est là, la véritable preuve de l’amour du Dieu de toute Vérité : la haine de l’erreur. « Qui diligitis Dominum, odite malum » « Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal » (Ps XCVI, 10 ).
Inversement, nous ne pouvons que nous attrister de voir d’anciens fidèles de la Tradition, prêtres ou laïcs, faire la démarche inverse et se rapprocher des milieux dits « ralliés ». Dans le premier cas, nous avions une âme qui se rapprochait de la Tradition catholique, dans celui-ci, l’âme s’en éloigne. Par exemple, si un de nos fidèles quitte la chapelle pour se rendre à des messes « ralliées » ou « Motu proprio », nous ne pourrons que nous en attrister : c’est, objectivement, pour lui, une régression dans la défense de la Foi. Il côtoiera peut-être un autre fidèle en train de faire la démarche inverse. Mais son attitude intérieure, et sa responsabilité, sera toute différente.
Pour reprendre ma comparaison du « sas » que j’avais prise il y a quelque temps déjà, il est clair qu’un sas peut être utilisé dans les deux sens, pour entrer comme pour sortir. Ce qui compte, c’est d’être dedans ou dehors. En lui-même, le sas n’est pas un milieu de vie stable. Ainsi, dans le sas « rallié » se retrouvent mêlés les catholiques qui se rapprochent du combat de la Tradition catholique et ceux qui le quittent. [Comme toujours, il ne s’agit pas ici de juger des intentions des uns et des autres, mais de l’objectivité des faits ou des positions dans l’Eglise.] Cette état de fait engendre une certaine confusion, une ambigüité qui ne sera levée que par l’aboutissement heureux ou malheureux de la démarche.
Venons-en maintenant aux intentions manifestées par ces fidèles qui nous quittent en pratique. Je ne ferai que citer certaines excuses affligeantes, mais qui sont parfois avancées : « L’heure de la messe me convient mieux », « Je n’aime pas ce prêtre », « Je préfère prier dans une église que dans un garage aménagé », « L’autre chapelle est mieux chauffée », « Tous mes amis fréquentent l’autre chapelle » … Quelle tristesse ! Le bien de la Foi à protéger ne passe-t-il pas avant toutes ces considérations (fondées parfois, peut-être, je ne le nie pas, mais, somme toute, relativement secondaires) ?
Certaines raisons sont partiellement vraies, mais négligent tout le contexte (en morale, on dit ‘toutes les circonstances’) de l’acte : « C’est la bonne Messe, cela me suffit ; le reste, ce sont des histoires de curés, cela ne me regarde pas ». Malheureusement non, cela ne suffit pas ! Nous sommes tous concernés par la défense de notre propre Foi ou de celle de nos enfants ou de notre famille. Mettre consciemment sa Foi ou celle de ses enfants en danger constitue une matière grave !
D’autres arguments, qui se veulent plus sérieux, invoquent la nécessité de soutenir ces prêtres qui reprennent la Messe de toujours, ou encore affirment vouloir faire nombre afin que les trois ans d’expérience du motu proprio soient un succès et que Rome poursuive dans cette voie. Ce serait en quelque sorte un apostolat des laïcs auprès des prêtres, des évêques (pour les encourager ou faire pression selon le cas) et même auprès de Rome pour soutenir l’initiative du Souverain Pontife.
Il y a ici plusieurs réponses à apporter à ces arguments.
- Soutenir un prêtre qui reprend la bonne Messe peut et doit se faire, mais autrement que par l’assistance à sa Messe tant que la profession extérieure de la Foi n’est pas pleinement mise hors de danger. Les moyens restants sont nombreux et ils ne demandent qu’à être employés.
- C’est une illusion de croire que les quelques fidèles traditionnels qui s’ajouteront à l’assistance à ces Messes suffiront à faire pencher la balance du bon côté. Seuls quelques évêques, en France, ont eu le courage de favoriser réellement la mise en pratique du motu proprio. La conférence épiscopale y est hostile dans son ensemble. Il n’y a qu’à voir comment le Cardinal Vingt-Trois à la tête de la délégation a présenté son rapport au Pape à l’issue de l’assemblée plénière des évêques. Il déclarait le 18 janvier dernier (le jour même de la deuxième réunion des discussions doctrinales) : « S’il ne s’agit que de petits groupes isolés à ramener au bercail, il faut les traiter avec respect. Mais s’ils cherchent à faire du prosélytisme au détriment du rite de Paul VI, c’est différent. ». Si l’on en croit un article du journal La Croix, il a alors été manifesté au Saint Père que les demandes de célébrations en rite extraordinaire étaient relativement restreintes, que l’attitude de ces groupes relevait « d’un relativisme moderne » qui veut choisir son autorité et que ces « contestataires » provenait de milieux « proches du maurrassisme ». Certes, le Vatican est suffisamment informé pour ne pas être dupe de cette présentation tendancieuse (il n’y a qu’à songer aux milliers de plaintes qu’a reçues la commission Ecclesia Dei), mais ce n’est pas une raison pour se mettre dans les mains de ces « brigands » selon l’expression de Mgr Lefebvre.
- Rappelons aussi que l’intérêt du motu proprio est de pouvoir faire redécouvrir aux fidèles (privés depuis quarante ans de la bonne Messe) les beautés du rite de toujours, et non de ramener les traditionnalistes sous la houlette des évêques modern(ist)es.
- Rentrer dans le jeu du nombre pour constituer un groupe de pression dans l’Eglise est peut-être humainement efficace … mais c’est un moyen révolutionnaire : l’Eglise, par sa constitution divine, est monarchique. L’autorité vient d’en haut, non de la base. Se réclamer du droit à la parole donné aux laïcs par le concile Vatican II est, en fait, un faux argument.
- Les récents évènements de Thiberville, dans le diocèse d’Evreux, sont une bonne illustration de la situation très inconfortable qui est donnée à ceux qui se réclament du motu proprio. Muté par son évêque, le Père Michel (diocésain, célébrant une messe motu proprio) se retrouve bien embarrassé pour se défendre. La raison officielle de la mutation est une restructuration de l’apostolat, l’intention réelle de l’évêché semble bien être une opposition à l’application du motu proprio. Ne pouvant invoquer les motifs de Foi (puisqu’il ne s’agirait que d’une question liturgique non doctrinale : les deux formes d’un même rite), le Père Michel n’a plus d’arguments de fond pour se défendre de l’accusation de désobéissance à son évêque. Il ne peut que se réclamer du motu proprio, mais il aura du mal à prouver auprès de Rome que sa mutation est, en fait, due à son attachement à la messe de toujours.
Nous en revenons ainsi au critère capital pour y voir clair dans la confusion du combat actuel : la Foi et l’esprit de Foi.
Que Notre-Dame, la Vierge Marie forte comme une armée rangée en bataille, protège notre Foi et qu’elle nous fortifie pour ce combat mené pour l’honneur de l’Eglise et le règne de son divin Fils.
Abbé Jean-Baptiste Frament
Extrait de du Sainte Anne n° 216 de février 2010