En la fête de l’Assomption de la Très Sainte Vierge Marie
[Le sermon a été transcrit en respectant le langage parlé et les intonations]
Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, Ainsi soit il.
Mes bien chers frères,
Nous sommes ici pour accomplir le vœu du roi Louis XIII. On pourrait dire que plus que jamais il nous faut essayer d’accomplir ce vœu pas seulement par une procession, pas seulement lors d’une acclamation de la T. S. Vierge Marie par laquelle nous la reconnaissons comme notre reine et notre mère, mais en la faisant entrer vraiment dans nos vies personnelles, familiales et sociales. Plus que jamais nous devons vivre dans cette intimité avec la Très Sainte Vierge Marie, plus que jamais nous avons besoin de son patronage, de sa protection.
Car nous vivons des temps très spéciaux. Si vous voulez, nous pouvons risquer ce mot : nous vivons des temps apocalyptiques, non pas pour nous complaire dans le fantastique, mais tout simplement parce que ce que nous vivons correspond à ce qui est décrit dans ce livre de l’Écriture Sainte qu’est l’Apocalypse. Il est vrai que, pris dans un sens très large, l’Apocalypse décrit ce qui se passe dans l’Église depuis la mort de Notre Seigneur jusqu’à la fin des temps. Dans un sens large, on doit prendre ce livre comme la description de la vie de l’Église. Certains auteurs, des saints même y ont vu diverses interprétations, et ont pris certains chapitres pour dire : « Ce chapitre vaut pour telle époque, celui-ci pour celle-là ». Nous savons que le futur nous échappe, et qu’il est toujours dangereux de vouloir appliquer la Parole de Dieu qui nous dépasse à des événements particuliers. Il est plus facile une fois que les choses ont eu lieu de dire que telle partie s’est accomplie, que telle prophétie était destinée à tel moment. C’est délicat, aussi nous ne voulons pas nous livrer à ce type d’application.
Il reste pourtant que ce que nous vivons – au niveau de la société humaine et de l’Église – n’est pas normal, sort complètement de l’habituel et de l’ordinaire. Nous sommes vraiment dans une période où tout est bouleversé, où on attaque jusqu’aux principes les plus profonds. C’est une période invraisemblable. On voudrait pouvoir dire que cela ne peut pas être, que cela ne doit pas exister. Cependant c’est ce que nous vivons, c’est une réalité ! Et on n’a pas le droit de faire jouer la foi contre la réalité. Si c’est réel, c’est réel ! Nous avons les promesses de Notre-Seigneur : « Les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre l’Église » [1]. Notre-Seigneur est la Vérité, cette parole est et reste vraie. Cependant lorsqu’on en regarde l’application concrète, on a vraiment envie de dire que les théologiens d’après Vatican I – le concile où a été affirmée avec une telle solennité la primauté papale, l’infaillibilité du souverain pontife -, que ces auteurs auraient certainement considéré comme impossible, inconcevable ce que nous vivons.
Il est très intéressant de se rappeler que Notre Dame, à La Salette, a annoncé une époque terrible pour l’Église. Ces annonces, qui ont été transmises à Rome, ont été mises à l’Index tellement elles étaient terribles ! Cette mise à l’Index ne signifie pas qu’elles étaient fausses. Pendant longtemps lorsqu’on faisait référence à Notre Dame de La Salette, on se voyait rembarrer par un mot expéditif : l’Église a condamné ! L’Église en a simplement interdit la lecture par la mise à l’Index, mais cela ne veut pas dire que cela était faux. Depuis quelques années, précisément depuis le 3 octobre 1999, on a retrouvé les manuscrits originaux de Mélanie et ceux de Maximin. Ils étaient dans les archives et ils sont encore dans les archives du Saint Office que l’on appelle aujourd’hui la Congrégation pour la doctrine de la foi. On retrouve là toutes les communications, celles de Mélanie qui envoie au pape ce que la Sainte Vierge lui a dit, le célèbre Secret de La Salette. Nous avons également les textes de Maximin qui lui aussi a reçu des secrets de la part de Notre Dame. Ils sont tous consignés, et ils ont été publiés à une période relativement récente. Eh bien ! l’on constate que les textes qui avaient circulé dans le public, étaient tout à fait fidèles et correspondaient bien à ce qui fut dit. Et que disait la Sainte Vierge à La Salette ? Elle annonçait une période terrible pour l’Église, jusqu’à déclarer : « Rome perdra la foi ». Elle affirmait : « L’Église sera éclipsée. Rome deviendra le siège de l’Antéchrist ». Des paroles extrêmement fortes ! Il y a aussi des reproches très sévères envers le clergé. Y a‑t-il depuis lors une époque où ces choses se vérifient d’une manière plus précise que la nôtre ? Depuis La Salette jusqu’à aujourd’hui, ne sont-ce pas ces 40 dernières années qui sont les plus proches de cette description ? Des paroles fortes qu’on n’ose pas reprendre. Nous n’osons pas dire aujourd’hui : « Rome a perdu la foi ». Nous disons que tel ou tel cardinal a perdu la foi, ou que tel évêque se montre comme n’ayant plus la foi. Encore aujourd’hui nous n’osons pas dire que Rome a perdu la foi.
Or il me semble que ce n’est pourtant pas sans raison que nous voyons beaucoup de choses qui sont faites ou publiées à Rome et qui ne sont plus l’expression de la foi catholique. On peut aller jusqu’à dire que nous assistons à l’apparition d’une nouvelle Église, une Église qui se prétend catholique, mais qui n’a plus rien de catholique. Elle a ses rites, ses lois, sa bible, sa manière de faire, mais ce n’est plus ce que l’Église a enseigné depuis des siècles. Cette Église nouvelle nous l’appelons conciliaire, ou plutôt c’est elle-même qui se fait appeler ainsi. Toutefois il est presque impossible de la distinguer de la vraie. C’est un peu comme un cancer généralisé. Le cancer dans une personne ne s’identifie pas à cette personne, ce n’est pas sa vraie nature, c’est une maladie, mais qui est bien là en elle. Lorsque le cancer se réduit à une tumeur on peut le circonvenir pour l’exclure ; mais lorsque les métastases sont répandues dans le corps entier le médecin arrête, car il constate que le cancer est partout. Il n’ose plus prendre son bistouri pour extirper le corps étranger qui se trouve dans cette personne.
C’est une image qui tente d’exprimer tant bien que mal un mystère, le grand mystère où l’on voit, dans l’Église, ce corps étranger qui propage autre chose que la foi catholique, qui veut être l’ami de toutes les religions, qui prétend qu’on peut se sauver dans toutes les religions, que le Saint-Esprit utilise comme moyen de salut toutes les religions. Tout cela est faux, cela n’a jamais été l’enseignement de l’Église ! Nous avons aujourd’hui une Église qui promeut ce qui a été condamné il y a moins de 50 ans. Et nous voyons que cela s’est produit au cours du concile Vatican II. Un concile qui n’a pas tellement inventé lui-même des nouveautés, mais qui a consacré et qui a légalisé ce qui était condamné comme erreur 10 ans auparavant. A ce propos, je vous conseille beaucoup de relire l’encyclique de Pie XII Humani Generis sur les erreurs modernes. C’est la dernière grande condamnation des erreurs dans l’Église. Elle ressemble un peu à Pascendi de saint Pie X qui condamnait le modernisme, mais saint Pie X avait réussi à l’époque à neutraliser l’ennemi. Il disait bien que cet ennemi était à l’intérieur. Déjà au début du XXe siècle, il dénonçait l’ennemi de l’Église comme travaillant à l’intérieur de l’Église. Eh bien ! ce travail de sape a continué, et nous sommes aujourd’hui dans cette situation très difficile où, d’un côté, nous sommes obligés par nécessité, pour être sauvés, de maintenir notre foi dans l’Église – Église qui ne peut pas rester une abstraction, car elle est une réalité concrète, visible, c’est l’Église catholique -, et en même temps que nous confessons notre foi dans l’Église, dans tout ce qu’elle est et a été, nous devons nous détacher, nous séparer, nous opposer à un corps étranger, un corps nouveau qui se veut lui-même nouveau, qui s’est propagé pendant 40 ans, et qui porte des fruits de mort.
Cette révolution dans l’Église a causé plus de dommages à l’Église que les guerres, les persécutions. Bien plus de morts spirituelles, plus d’abandons, plus de pertes pour l’Église – dans les congrégations religieuses ou chez les prêtres – ont été causés par cette révolution interne que par les guerres, les persécutions… Même la persécution communiste n’a pas réussi à faire autant de morts spirituelles que cette crise inaugurée par Vatican II. Aussi nous nous battons, nous nous défendons contre ce poison qui n’est pas l’esprit de l’Église catholique. Le malheur est que, jusque dans les plus hautes sphères du gouvernement de l’Église, on trouve les propagateurs de l’erreur. Mais ils ne répandent pas ces nouveautés de manière uniforme et constante.
Ainsi Paul VI, qui juste après Jean XXIII a mis en place cette nouvelle religion, est capable de dire qu’il y a dans l’Église des forces, des idées qui ne sont pas l’Église. Il va même affirmer que par une fissure les fumées de Satan sont entrées dans l’Église. Une telle parole nous glace. Il dira à Jean Guitton qu’il se peut que cette pensée étrangère à l’Église triomphe. C’est bien lui qui l’a dit, mais en ajoutant que ce ne sera jamais l’Église, car il y aura toujours une part, aussi infinitésimale soit-elle, qui restera. C’est Paul VI qui parle, celui qui fait la nouvelle messe et qui y tient, celui qui lance l’œcuménisme ! Quel mélange !
Il y a également ce fait dont on ne parle pas beaucoup : lorsque le même Paul VI a publié la nouvelle messe, le cardinal Journet est allé le voir parce que la définition qui se trouvait dans l’introduction de cette nouvelle messe était franchement hérétique. Le cardinal Journet est donc allé voir le pape, et Paul VI a pleuré devant lui en disant qu’il avait signé sans lire. Voilà comment est passée la nouvelle messe avec un pape qui faisait confiance à son collaborateur, Bugnigni, sans même lire les textes qu’il lui présentait ! Bien sûr, on a corrigé cette définition, mais on n’a pas corrigé la messe. C’est un exemple des irrégularités qui se sont multipliées et qui ont démoli l’Église. Prenez la communion dans la main ! Le texte qui introduit cette pratique dans l’Église est en fait une condamnation. Ce document dit que cela n’est pas permis, mais que dans quelques régions l’usage s’en est introduit et que là on peut continuer. Et c’est ainsi que la communion dans la main a été répandue dans le monde entier. Au niveau de la pénitence, il y a un texte qui dit que la pénitence est une très bonne chose , qu’il faut faire pénitence – c’est le texte qui traite des indulgences -, mais on finit au terme de sa lecture par ne plus savoir ce que c’est que faire pénitence. Et ainsi de suite, on pourrait prendre les documents les uns après les autres. C’est une confusion invraisemblable !
Le pape suivant Jean-Paul II, celui qui a fait Assise, se lamentait au début de son pontificat sur le fait que l’erreur, l’hérésie soit répandue à pleines mains dans l’Église, que le chrétien d’aujourd’hui soit tenté par l’agnosticisme. Ce pape à la fin de sa vie déplorera une « apostasie silencieuse ». S’il a pu ainsi se lamenter, c’est qu’il avait encore un regard catholique, et pourtant c’est lui qui a causé le désastre sans nom d’Assise.
Voyez, mes bien chers frères, je vous donne ces éléments pour vous montrer combien cette situation est difficile, combien il nous faut approcher de cette réalité avec beaucoup de prudence, en se rappelant toujours que nous touchons là à un mystère. Le mystère est une vérité qui nous dépasse, c’est une réalité que nous pouvons constater, mais dont nous n’avons pas la clef explicative. Ce mystère que nous constatons ressemble au mystère de la Passion de Notre Seigneur. Les apôtres, tous les disciples du Christ étaient obligés de croire à sa divinité, à sa toute-puissance, or ce Dieu qu’ils adoraient comme tout-puissant, ils le voyaient souffrir, meurtri, crucifié, et même ils le voyaient mort sur une croix. La raison humaine nous dit : « Mais s’il est Dieu, il ne peut pas souffrir, il ne peut pas mourir. S’il est tout-puissant d’un simple clin d’œil il va aplatir tous ces soldats, ses bourreaux ». Eh bien non ! il laisse faire. Et il reste Dieu, il est vraiment Dieu. Néanmoins il souffre, non comme Dieu mais dans son humanité. Je dirais que là aussi nous avons un exemple qui peut nous aider à comprendre ce qui se passe dans l’Église. Certains mystiques, certains saints, et Mgr Lefebvre lui-même, nous proposent cette vue mystérieuse selon laquelle l’Église, le Corps mystique de Notre Seigneur suit la même voie que son corps physique. Si Notre Seigneur a voulu subir une passion dans son corps physique, cette passion se continue, dans le temps et dans l’espace, à travers les membres de son Corps mystique.
Il y a des époques où l’on voit plus clairement cette passion, dans les persécutions par exemple. Celle que nous vivons aujourd’hui est beaucoup plus difficile à percevoir parce que c’est une persécution non physique mais spirituelle, et parce que le bras qui persécute n’est pas à l’extérieur mais à l’intérieur de l’Église. Cela devient presque intenable. Le Bon Dieu nous oblige à une épreuve de la foi terrible. Il exige de nous une foi héroïque, et dans des temps pareils, mes bien chers frères, il faut se tourner vers la Sainte Vierge, car s’il y a une personne dans l’histoire en qui éclate la foi, c’est la Sainte Vierge. Elle qui a fait l’objet d’une béatitude à cause de sa foi. Dans l’évangile, sa cousine Elisabeth lui déclare : « Bienheureuse êtes-vous parce que vous avez cru les choses qui vous ont été dites » [2]. Bienheureuse à cause de cette foi. Et plus tard elle manifestera sa foi au pied de la croix. C’est bien donc vers elle qu’il faut se tourner pour lui demander une foi qui puisse passer à travers cette épreuve. Et si vous êtes ici aujourd’hui, c’est bien que le Bon Dieu vous soutient dans cette foi, il vous maintient dans la foi catholique, dans cette vie catholique qui continue malgré tout, malgré les épreuves. Mais, encore une fois, combien nous avons besoin de ce soutien.
Je voudrais profiter de ces instants pour vous donner des nouvelles sur ce qui se passe maintenant à Rome par rapport à la Fraternité. Vous avez probablement entendu que l’on a parlé d’un ultimatum. Où en sommes-nous ? Tout d’abord c’est une chose bizarre que cet ultimatum, parce que lorsqu’il y a ce genre de démarche, il y a un objet. Dans le cas qui nous concerne, on se demande bien quel était l’objet. J’ai été convoqué par le cardinal Castrillon Hoyos, au début du mois de juin, parce que la dernière Lettre aux Amis et Bienfaiteurs de la Fraternité Saint-Pie X faisait le point en indiquant clairement que nous n’étions pas disposés à avaler le poison que l’on trouve dans le concile. C’est ce qui a déplu aux autorités romaines. Le fait de dire que nous ne changerions pas, que nous résisterions, que nous ne boirions pas ce poison, c’est cela qui leur a déplu. Donc j’ai été convoqué à Rome, et là on m’a remis une feuille écrite. Étaient présents à cette réunion qui se tenait dans les bureaux de la Commission Ecclesia Dei – c’est d’ailleurs la première et la seule fois que je me suis rendu dans ces bureaux -, étaient donc là le cardinal, le vice-président de la commission Mgr Perl, le secrétaire Mgr Marini et le secrétaire personnel du cardinal. J’étais accompagné de M. l’abbé Nély.
On nous remet une note écrite, et le cardinal me demande de la lire devant tout le monde. Dans cette lettre qui ressemble vraiment à un ultimatum, il est dit en substance : « Jusqu’ici j’ai affirmé que vous n’étiez pas schismatiques, mais désormais je ne pourrai plus le dire. Aujourd’hui il faut que vous acceptiez les conditions claires que nous allons vous imposer ». Après avoir lu, j’ai demandé au cardinal quelles étaient ces conditions claires, parce qu’elles n’étaient pas écrites. Et le cardinal ne m’a absolument rien répondu. J’ai reposé la question en lui demandant : « Qu’est-ce que vous attendez de moi ? » ; à ce moment-là, presque à voix basse, il a répondu : « Si vous pensez en conscience que vous devez dire cela à vos fidèles, faites-le ! Mais vous devez respecter la personne du pape ». Ce sur quoi je lui ai répondu que je n’avais pas de problème. Et c’est ainsi que cette réunion s’est terminée. – Comment puis-je affirmer que le motif de cette réunion était vraiment la dernière Lettre aux amis et bienfaiteurs ? C’est ce que je lui ai demandé, puisqu’il y faisait référence : « Pouvez-vous me dire ce qui ne va pas dans cette lettre ? » ; il l’a alors relue devant moi, et le seul reproche qu’il a pu formuler était le fait que j’écrive que les couvents étaient vides, ainsi que les séminaires. Il m’a dit : « Cela n’est pas vrai ». C’était le seul reproche.
Alors en quoi consiste l’ultimatum, quel est son objet ? A la sortie de cette entrevue, je disais à M. l’abbé Nély que j’étais très frustré parce que j’avais assisté à une mise en scène théâtrale, emplie d’émotion, où le cardinal déclarait : « C’est fini ! Je convoque une conférence de presse. J’arrête tout ! ». Mais ce qu’on attendait vraiment de moi, je l’ignorais. Si bien que j’ai renvoyé M. l’abbé Nély le lendemain pour qu’il pose la question encore une fois : « Qu’est-ce que vous voulez ? » ; alors on l’a fait attendre une demi-heure, le temps de rédiger les fameux cinq points qui ont été diffusés sur Internet.
Cinq points dont le premier dit ceci : « Il faut que Mgr Fellay s’engage à donner une réponse proportionnée à la générosité du pape ». Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? C’est une parole extrêmement floue qui peut dire tout et rien. On est obligé de supposer que cette générosité du pape était le Motu Proprio. Et la réponse proportionnée était de l’en remercier, tout en reconnaissant qu’il n’était pas pour nous, puisqu’il était pour tous les prêtres de l’Église. Sinon on ne voit pas bien.
Ensuite je devais m’engager, dans cette lettre, à respecter la personne du pape. Je suppose que cela veut dire qu’on ne doit pas l’injurier, mais si on considère comme une injure de dire qu’il est parfaitement libéral, juste après un voyage aux États-Unis où il n’a fait que louer l’État américain en déclarant que la liberté de toutes les religions était magnifique. Vraiment on ne peut pas trouver de déclaration plus libérale que celle-là. Je ne vois pas ce qu’il y a d’injurieux dans mes paroles.
Le troisième point est plus sensible, parce qu’on me demande de ne pas m’ériger « en magistère au-dessus du pape et de ne pas poser la Fraternité en contraposition à l’Église ». Là aussi cela veut tout dire et cela ne veut rien dire. Avec cette phrase là, chaque fois que nous poserons une objection, on nous dira : « Vous vous mettez au-dessus du pape ». C’est bien ce point qui fait comprendre que Rome n’est pas du tout d’accord avec le fait que nous osions dire quelque chose contre le concile. C’est cela qui fait problème.
On dit que j’ai refusé une proposition de Rome, mais il n’y avait pas de proposition de Rome. Il y avait simplement un cardinal impatient de ce que les choses, disait-il, « traînent ». Or nous avions depuis l’an 2000 dit aux autorités romaines que nous ne leur faisions pas confiance et que si elles voulaient un dialogue il fallait commencer par donner des signes qui puissent nous faire retrouver quelque confiance. Ces signes étaient au nombre de deux : la liberté de la messe traditionnelle et le retrait du décret d’excommunication des évêques. Après sept ans, on peut dire qu’un des points est réalisé. Reste le deuxième. Après cela nous sommes disposés à discuter, avions-nous dit. Et nous le disons encore car c’est très important, nous considérons vraiment comme essentielle cette confrontation théologique qui doit permettre de voir si ce qui a été dit au concile et après le concile, est fidèle à la Révélation, à l’enseignement de l’Église. Ce n’est pas nous qui nous érigeons au-dessus du pape, ce sont les papes du passé qui ont canonisé un certain nombre de propositions, qui les ont définies dogmatiquement. Ces propositions ne peuvent plus être changées. Un dogme est irréfragable. Donc ce n’est pas nous qui nous érigeons en juges. Nous demandons simplement au pape d’aujourd’hui de nous expliquer comment ce qu’il nous dit correspond à ce que ses prédécesseurs ont dit, ayant en tête les paroles très claires de l’apôtre saint Paul : « Si un ange, ou moi-même, vous annonce un évangile différent de celui que je vous ai enseigné, qu’il soit anathème » [3]. Cela ne peut pas être plus fort. On a l’impression que saint Paul prévoyait déjà des situations comme celle dans laquelle nous nous trouvons : Si moi-même – et il est apôtre – je commence à vous enseigner quelque chose de différent de ce que je vous ai enseigné auparavant, que je sois anathème ! Si un ange vient vous enseigner autre chose, anathème !
Nous avons 20 siècles d’enseignement de la doctrine de l’Église. Ce sont ces choses-là qui jugent le pape. Ce n’est pas nous. Le pape est infaillible quand il correspond aux conditions qui lui sont données. Et puisqu’il le sait, qu’il fasse usage de son infaillibilité ! Et il dira la foi, comme ses prédécesseurs. Maintenant si, comme au concile Vatican II, on ne veut pas faire usage de cette infaillibilité, il arrivera ce qui est arrivé.
Mais de notre côté, que l’on comprenne bien, nous n’avons absolument rien refusé de la part de Rome. Encore maintenant nous continuons à dire qu’on ne peut pas régler la situation canonique de la Fraternité, sans avoir d’abord regardé la question de fond, – ce fond qui est justement toutes les nouveautés introduites dans l’Église depuis Vatican II. Faire le contraire équivaudrait à accepter la proposition suivante : on vous offre une maison, mais une maison ne tient pas en l’air, elle est bâtie sur quelque chose, sur un terrain…, si cette maison est construite sur des sables mouvants, allez-vous la prendre ? Si vous savez que demain elle va s’écrouler, qu’elle va disparaître engloutie dans les marais, vous vous dites : cela ne vaut pas la peine. De même, si on vous dit qu’on vous donne une Rolls Royce, mais qu’elle ne peut que rester au garage, pourquoi vous la donne-t-on ? Ou si on vous dit qu’on vous donne un bateau, mais qu’il doit rester en cale sèche.
C’est ce qui nous arrive. Rome, en voulant passer un accord canonique ou, pour reprendre cette image, en nous proposant une voiture, un bateau, une maison, ne veut surtout pas qu’on discute de la pierre sur laquelle doit être bâtie la maison. Pour les autorités romaines, il va de soi que l’ambiance dans laquelle circulerait cette voiture ou naviguerait ce bateau, c’est l’ambiance doctrinale de Vatican II. Pour elles, il est absolument évident qu’il n’y a pas de remise en cause des nouveautés de Vatican II, et c’est précisément là le point crucial, le point sur lequel nous voulons amener Rome. Et tant que Rome ne veut pas faire cela, nous ne pouvons pas aller de l’avant. Nous sommes obligés de passer par là, parce que sinon c’est construire sur du sable. Et nous ne voulons pas construire sur du sable. C’est au nom de la foi, de l’enseignement de l’Église, de la pratique de l’Église que nous disons cela.
On nous déclare : « Vous savez, aujourd’hui le pape vous veut du bien, mais qui viendra après lui ? On n’en sait rien ! Donc c’est maintenant le moment ou jamais où vous devez accepter ». J’ai répondu au cardinal qui me tenait ce discours : « Éminence, je crois au Saint Esprit. Si le Saint Esprit est capable d’éclairer ce pape, il pourra aussi éclairer le suivant ». Et si lui nous veut du bien, peut-être que le prochain pape nous voudra encore plus de bien. Encore une fois, on ne peut pas discuter sur la foi, on n’a pas le droit de trafiquer la foi. Quand on voit d’une manière si claire ce qui se passe dans l’Église – c’est le Bon Dieu qui nous donne cette grâce -, il n’y a pas de place pour une négociation. D’ailleurs je n’aime pas ce terme, il est faux. Nous ne sommes pas en négociation avec Rome. De Rome, nous attendons la foi. C’est la première chose qui s’est produite à notre baptême, cela a été la première question : « Que demandez-vous à l’Église ? – La foi ». « Que vous procure la foi ? – La vie éternelle ». C’est là le contrat passé au baptême. Nous demandons à l’Église la foi, nous savons qu’il n’y a que l’Église qui peut nous la donner. Eh bien ! nous maintenons cette demande première du baptême. Nous ne faisons rien d’autre. On pourrait résumer tout notre combat à cela, car nous savons que l’Église est la seule entité établie par Dieu qui puisse sauver – on ne peut pas être sauvé en dehors de l’Église : Hors de l’Église pas de salut –, et nous savons que ce salut vient par la foi et par la grâce. C’est ce que nous demandons à Rome, rien de plus rien de moins. Cela prendra le temps qu’il faut.
Serons-nous encore vivants lorsque les choses se seront enfin améliorées ou pas ? Bien sûr que nous l’espérons, mais nous n’en savons rien. Il est vrai qu’humainement parlant, on voit un certain nombre d’éléments qui montrent que l’on va vers un mieux. Au niveau des principes, il y a un réveil, il y a une attente surtout dans les jeunes générations, chez celles qui n’ont rien reçu, une attente qui se tourne vers la Tradition et qui, insatisfaite par ce qu’on leur donne aujourd’hui, réclame la doctrine traditionnelle. On voit des prêtres qui se tournent vers l’ancienne messe et qui découvrent tout simplement leur religion. Si vous saviez le nombre de jeunes prêtres qui, célébrant l’ancienne messe pour la première fois, nous déclarent : « Mais ce sont deux mondes ! En célébrant cette messe, je découvre ce que c’est que le prêtre ». Cela ne veut pas dire qu’ils n’avaient aucune idée du sacerdoce, mais ils découvrent là que Notre Seigneur veut que ses prêtres lui soient unis, soient ses continuateurs, des médiateurs entre Dieu et les hommes pour arracher du cœur de Dieu le salut des âmes à travers le Sacrifice de son Fils auquel elles sont appelées à s’unir. C’est la clef de la crise d’aujourd’hui : on ne veut plus de la croix, on ne veut plus de la souffrance, on ne veut plus du péché, on ne veut plus du sacrifice. On peut dire que la solution de cette crise, elle est là ! C’est pourquoi nous insistons tellement sur la messe, parce que la messe est l’expression incarnée de cette foi : le salut passe par la croix, il passe par le Sacrifice de Notre Seigneur, il passe par le prêtre. La crise que nous vivons est une crise du sacerdoce. On a voulu dénaturer le prêtre, un prêtre qui aujourd’hui ne trouve plus son identité dans la nouvelle messe. Cela les agace à Rome lorsque nous disons cela ! Ils ne peuvent pas supporter que nous disions que la nouvelle messe est mauvaise. Pourtant il n’y a qu’à regarder, c’est une évidence. Il n’y a qu’à regarder les fruits. Notre Seigneur a dit que l’on reconnaissait aux fruits la qualité de l’arbre.
Il faut donc continuer, le temps qu’il faudra ! Est-ce que cette affaire du début de l’été va vraiment finir en déclaration de schisme, comme certains de nos ennemis le voudraient ? J’en doute, mais je n’en sais rien. Et puis qu’est-ce que cela changerait ? De toute façon, les évêques nous traitent en schismatiques, comme les pires êtres qui puissent exister sur terre. Dans leurs églises ils reçoivent tout le monde, ils font des cérémonies de prières avec tout le monde, mais avec nous c’est comme si nous étions la peste. Il faut voir cela ! En même temps qu’ils disent à Rome que nous ne sommes pas schismatiques, on nous traite comme les fléaux de l’humanité. Cela durera le temps que cela durera, mes bien chers frères. Nous avons chaque jour la consolation de la grâce, nous voyons bien le Bon Dieu à l’œuvre dans nos âmes, dans les âmes de nos enfants. Nous voyons bien que ce sont des fruits de la grâce, et Rome aussi le reconnaît. Ce même cardinal Castrillon parlant de la Fraternité me disait : « Les fruits sont bons, donc il y a le Saint Esprit ». Eh bien ! qu’il en tire les conséquences. Nous ne pouvons pas les tirer pour eux. Nous n’oserions pas nous-mêmes nous décerner ces louanges, bien que nous puissions constater aussi que les fruits sont bons.
Nous recourrons donc à la Très Sainte Vierge. Aujourd’hui dans l’une des antiennes, on la salue comme celle qui écrase toutes les hérésies. On la célèbre : « Bienheureuse êtes-vous, vous qui avez écrasé toutes les hérésies ». Il y a chez Marie, si douce d’un côté, un aspect terrible. Et cela vient de son amour. Si on aime Dieu, si on aime le bien, en même proportion on doit haïr ce qui est contre Dieu. On doit haïr le péché. Nous avons là une sorte de thermomètre pour nous même, de notre état spirituel : jusqu’à quel point haïssons-nous le péché, à commencer par nos propres péchés ? Parce que c’est dans la même proportion que nous aimons le Bon Dieu. Demandons à la Sainte Vierge d’augmenter cette proportion, cette proportion d’amour et d’aversion contre tout ce qui s’oppose à Dieu, à son règne, au salut des âmes. Demandons à Notre Dame cette protection particulière, gagnons-la cette protection par une dévotion spéciale. Essayons de grandir dans l’intimité avec le Cœur Immaculé de Marie. Que Notre Dame soit vraiment notre mère tous les jours, pas seulement le temps d’un Ave ou lors d’un passage devant sa statue. Qu’elle soit vraiment notre mère ! Cette consécration que nous allons renouveler selon le vœu de Louis XIII, doit avoir des conséquences dans notre vie. Que ce ne soient pas de simples mots. Que ce don à la Sainte Vierge soit réel, qu’il soit un don vrai. Que nous vivions ensuite vraiment comme ses enfants. Alors oui, nous assurerons notre salut et par là même la continuation de la Tradition de la foi de l’Eglise, à travers l’espace et le temps, pour les générations futures. Ainsi soit-il !
Ainsi soit-il.
Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit
† Bernard Fellay