Sermon de Mgr Fellay à Saint-​Malo le 15 août 2008 – IIIe UDT de la FSSPX


En la fête de l’Assomption de la Très Sainte Vierge Marie

[Le sermon a été transcrit en respectant le langage parlé et les intonations]

Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, Ainsi soit il.

Mes bien chers frères,

Nous sommes ici pour accom­plir le vœu du roi Louis XIII. On pour­rait dire que plus que jamais il nous faut essayer d’accomplir ce vœu pas seule­ment par une pro­ces­sion, pas seule­ment lors d’une accla­ma­tion de la T. S. Vierge Marie par laquelle nous la recon­nais­sons comme notre reine et notre mère, mais en la fai­sant entrer vrai­ment dans nos vies per­son­nelles, fami­liales et sociales. Plus que jamais nous devons vivre dans cette inti­mi­té avec la Très Sainte Vierge Marie, plus que jamais nous avons besoin de son patro­nage, de sa protection.

Car nous vivons des temps très spé­ciaux. Si vous vou­lez, nous pou­vons ris­quer ce mot : nous vivons des temps apo­ca­lyp­tiques, non pas pour nous com­plaire dans le fan­tas­tique, mais tout sim­ple­ment parce que ce que nous vivons cor­res­pond à ce qui est décrit dans ce livre de l’Écriture Sainte qu’est l’Apocalypse. Il est vrai que, pris dans un sens très large, l’Apocalypse décrit ce qui se passe dans l’Église depuis la mort de Notre Seigneur jusqu’à la fin des temps. Dans un sens large, on doit prendre ce livre comme la des­crip­tion de la vie de l’Église. Certains auteurs, des saints même y ont vu diverses inter­pré­ta­tions, et ont pris cer­tains cha­pitres pour dire : « Ce cha­pitre vaut pour telle époque, celui-​ci pour celle-​là ». Nous savons que le futur nous échappe, et qu’il est tou­jours dan­ge­reux de vou­loir appli­quer la Parole de Dieu qui nous dépasse à des évé­ne­ments par­ti­cu­liers. Il est plus facile une fois que les choses ont eu lieu de dire que telle par­tie s’est accom­plie, que telle pro­phé­tie était des­ti­née à tel moment. C’est déli­cat, aus­si nous ne vou­lons pas nous livrer à ce type d’application.

Il reste pour­tant que ce que nous vivons – au niveau de la socié­té humaine et de l’Église – n’est pas nor­mal, sort com­plè­te­ment de l’habituel et de l’ordinaire. Nous sommes vrai­ment dans une période où tout est bou­le­ver­sé, où on attaque jusqu’aux prin­cipes les plus pro­fonds. C’est une période invrai­sem­blable. On vou­drait pou­voir dire que cela ne peut pas être, que cela ne doit pas exis­ter. Cependant c’est ce que nous vivons, c’est une réa­li­té ! Et on n’a pas le droit de faire jouer la foi contre la réa­li­té. Si c’est réel, c’est réel ! Nous avons les pro­messes de Notre-​Seigneur : « Les portes de l’enfer ne pré­vau­dront pas contre l’Église »1. Notre-​Seigneur est la Vérité, cette parole est et reste vraie. Cependant lorsqu’on en regarde l’application concrète, on a vrai­ment envie de dire que les théo­lo­giens d’après Vatican I – le concile où a été affir­mée avec une telle solen­ni­té la pri­mau­té papale, l’infaillibilité du sou­ve­rain pon­tife -, que ces auteurs auraient cer­tai­ne­ment consi­dé­ré comme impos­sible, incon­ce­vable ce que nous vivons.

Il est très inté­res­sant de se rap­pe­ler que Notre Dame, à La Salette, a annon­cé une époque ter­rible pour l’Église. Ces annonces, qui ont été trans­mises à Rome, ont été mises à l’Index tel­le­ment elles étaient ter­ribles ! Cette mise à l’Index ne signi­fie pas qu’elles étaient fausses. Pendant long­temps lorsqu’on fai­sait réfé­rence à Notre Dame de La Salette, on se voyait rem­bar­rer par un mot expé­di­tif : l’Église a condam­né ! L’Église en a sim­ple­ment inter­dit la lec­ture par la mise à l’Index, mais cela ne veut pas dire que cela était faux. Depuis quelques années, pré­ci­sé­ment depuis le 3 octobre 1999, on a retrou­vé les manus­crits ori­gi­naux de Mélanie et ceux de Maximin. Ils étaient dans les archives et ils sont encore dans les archives du Saint Office que l’on appelle aujourd’hui la Congrégation pour la doc­trine de la foi. On retrouve là toutes les com­mu­ni­ca­tions, celles de Mélanie qui envoie au pape ce que la Sainte Vierge lui a dit, le célèbre Secret de La Salette. Nous avons éga­le­ment les textes de Maximin qui lui aus­si a reçu des secrets de la part de Notre Dame. Ils sont tous consi­gnés, et ils ont été publiés à une période rela­ti­ve­ment récente. Eh bien ! l’on constate que les textes qui avaient cir­cu­lé dans le public, étaient tout à fait fidèles et cor­res­pon­daient bien à ce qui fut dit. Et que disait la Sainte Vierge à La Salette ? Elle annon­çait une période ter­rible pour l’Église, jusqu’à décla­rer : « Rome per­dra la foi ». Elle affir­mait : « L’Église sera éclip­sée. Rome devien­dra le siège de l’Antéchrist ». Des paroles extrê­me­ment fortes ! Il y a aus­si des reproches très sévères envers le cler­gé. Y a‑t-​il depuis lors une époque où ces choses se véri­fient d’une manière plus pré­cise que la nôtre ? Depuis La Salette jusqu’à aujourd’hui, ne sont-​ce pas ces 40 der­nières années qui sont les plus proches de cette des­crip­tion ? Des paroles fortes qu’on n’ose pas reprendre. Nous n’osons pas dire aujourd’hui : « Rome a per­du la foi ». Nous disons que tel ou tel car­di­nal a per­du la foi, ou que tel évêque se montre comme n’ayant plus la foi. Encore aujourd’hui nous n’osons pas dire que Rome a per­du la foi.

Or il me semble que ce n’est pour­tant pas sans rai­son que nous voyons beau­coup de choses qui sont faites ou publiées à Rome et qui ne sont plus l’expression de la foi catho­lique. On peut aller jusqu’à dire que nous assis­tons à l’apparition d’une nou­velle Église, une Église qui se pré­tend catho­lique, mais qui n’a plus rien de catho­lique. Elle a ses rites, ses lois, sa bible, sa manière de faire, mais ce n’est plus ce que l’Église a ensei­gné depuis des siècles. Cette Église nou­velle nous l’appelons conci­liaire, ou plu­tôt c’est elle-​même qui se fait appe­ler ain­si. Toutefois il est presque impos­sible de la dis­tin­guer de la vraie. C’est un peu comme un can­cer géné­ra­li­sé. Le can­cer dans une per­sonne ne s’identifie pas à cette per­sonne, ce n’est pas sa vraie nature, c’est une mala­die, mais qui est bien là en elle. Lorsque le can­cer se réduit à une tumeur on peut le cir­con­ve­nir pour l’exclure ; mais lorsque les méta­stases sont répan­dues dans le corps entier le méde­cin arrête, car il constate que le can­cer est par­tout. Il n’ose plus prendre son bis­tou­ri pour extir­per le corps étran­ger qui se trouve dans cette personne.

C’est une image qui tente d’exprimer tant bien que mal un mys­tère, le grand mys­tère où l’on voit, dans l’Église, ce corps étran­ger qui pro­page autre chose que la foi catho­lique, qui veut être l’ami de toutes les reli­gions, qui pré­tend qu’on peut se sau­ver dans toutes les reli­gions, que le Saint-​Esprit uti­lise comme moyen de salut toutes les reli­gions. Tout cela est faux, cela n’a jamais été l’enseignement de l’Église ! Nous avons aujourd’hui une Église qui pro­meut ce qui a été condam­né il y a moins de 50 ans. Et nous voyons que cela s’est pro­duit au cours du concile Vatican II. Un concile qui n’a pas tel­le­ment inven­té lui-​même des nou­veau­tés, mais qui a consa­cré et qui a léga­li­sé ce qui était condam­né comme erreur 10 ans aupa­ra­vant. A ce pro­pos, je vous conseille beau­coup de relire l’encyclique de Pie XII Humani Generis sur les erreurs modernes. C’est la der­nière grande condam­na­tion des erreurs dans l’Église. Elle res­semble un peu à Pascendi de saint Pie X qui condam­nait le moder­nisme, mais saint Pie X avait réus­si à l’époque à neu­tra­li­ser l’ennemi. Il disait bien que cet enne­mi était à l’intérieur. Déjà au début du XXe siècle, il dénon­çait l’ennemi de l’Église comme tra­vaillant à l’intérieur de l’Église. Eh bien ! ce tra­vail de sape a conti­nué, et nous sommes aujourd’hui dans cette situa­tion très dif­fi­cile où, d’un côté, nous sommes obli­gés par néces­si­té, pour être sau­vés, de main­te­nir notre foi dans l’Église – Église qui ne peut pas res­ter une abs­trac­tion, car elle est une réa­li­té concrète, visible, c’est l’Église catho­lique -, et en même temps que nous confes­sons notre foi dans l’Église, dans tout ce qu’elle est et a été, nous devons nous déta­cher, nous sépa­rer, nous oppo­ser à un corps étran­ger, un corps nou­veau qui se veut lui-​même nou­veau, qui s’est pro­pa­gé pen­dant 40 ans, et qui porte des fruits de mort.

Cette révo­lu­tion dans l’Église a cau­sé plus de dom­mages à l’Église que les guerres, les per­sé­cu­tions. Bien plus de morts spi­ri­tuelles, plus d’abandons, plus de pertes pour l’Église – dans les congré­ga­tions reli­gieuses ou chez les prêtres – ont été cau­sés par cette révo­lu­tion interne que par les guerres, les per­sé­cu­tions… Même la per­sé­cu­tion com­mu­niste n’a pas réus­si à faire autant de morts spi­ri­tuelles que cette crise inau­gu­rée par Vatican II. Aussi nous nous bat­tons, nous nous défen­dons contre ce poi­son qui n’est pas l’esprit de l’Église catho­lique. Le mal­heur est que, jusque dans les plus hautes sphères du gou­ver­ne­ment de l’Église, on trouve les pro­pa­ga­teurs de l’erreur. Mais ils ne répandent pas ces nou­veau­tés de manière uni­forme et constante.

Ainsi Paul VI, qui juste après Jean XXIII a mis en place cette nou­velle reli­gion, est capable de dire qu’il y a dans l’Église des forces, des idées qui ne sont pas l’Église. Il va même affir­mer que par une fis­sure les fumées de Satan sont entrées dans l’Église. Une telle parole nous glace. Il dira à Jean Guitton qu’il se peut que cette pen­sée étran­gère à l’Église triomphe. C’est bien lui qui l’a dit, mais en ajou­tant que ce ne sera jamais l’Église, car il y aura tou­jours une part, aus­si infi­ni­té­si­male soit-​elle, qui res­te­ra. C’est Paul VI qui parle, celui qui fait la nou­velle messe et qui y tient, celui qui lance l’œcuménisme ! Quel mélange !

Il y a éga­le­ment ce fait dont on ne parle pas beau­coup : lorsque le même Paul VI a publié la nou­velle messe, le car­di­nal Journet est allé le voir parce que la défi­ni­tion qui se trou­vait dans l’introduction de cette nou­velle messe était fran­che­ment héré­tique. Le car­di­nal Journet est donc allé voir le pape, et Paul VI a pleu­ré devant lui en disant qu’il avait signé sans lire. Voilà com­ment est pas­sée la nou­velle messe avec un pape qui fai­sait confiance à son col­la­bo­ra­teur, Bugnigni, sans même lire les textes qu’il lui pré­sen­tait ! Bien sûr, on a cor­ri­gé cette défi­ni­tion, mais on n’a pas cor­ri­gé la messe. C’est un exemple des irré­gu­la­ri­tés qui se sont mul­ti­pliées et qui ont démo­li l’Église. Prenez la com­mu­nion dans la main ! Le texte qui intro­duit cette pra­tique dans l’Église est en fait une condam­na­tion. Ce docu­ment dit que cela n’est pas per­mis, mais que dans quelques régions l’usage s’en est intro­duit et que là on peut conti­nuer. Et c’est ain­si que la com­mu­nion dans la main a été répan­due dans le monde entier. Au niveau de la péni­tence, il y a un texte qui dit que la péni­tence est une très bonne chose , qu’il faut faire péni­tence – c’est le texte qui traite des indul­gences -, mais on finit au terme de sa lec­ture par ne plus savoir ce que c’est que faire péni­tence. Et ain­si de suite, on pour­rait prendre les docu­ments les uns après les autres. C’est une confu­sion invraisemblable !

Le pape sui­vant Jean-​Paul II, celui qui a fait Assise, se lamen­tait au début de son pon­ti­fi­cat sur le fait que l’erreur, l’hérésie soit répan­due à pleines mains dans l’Église, que le chré­tien d’aujourd’hui soit ten­té par l’agnosticisme. Ce pape à la fin de sa vie déplo­re­ra une « apos­ta­sie silen­cieuse ». S’il a pu ain­si se lamen­ter, c’est qu’il avait encore un regard catho­lique, et pour­tant c’est lui qui a cau­sé le désastre sans nom d’Assise.

Voyez, mes bien chers frères, je vous donne ces élé­ments pour vous mon­trer com­bien cette situa­tion est dif­fi­cile, com­bien il nous faut appro­cher de cette réa­li­té avec beau­coup de pru­dence, en se rap­pe­lant tou­jours que nous tou­chons là à un mys­tère. Le mys­tère est une véri­té qui nous dépasse, c’est une réa­li­té que nous pou­vons consta­ter, mais dont nous n’avons pas la clef expli­ca­tive. Ce mys­tère que nous consta­tons res­semble au mys­tère de la Passion de Notre Seigneur. Les apôtres, tous les dis­ciples du Christ étaient obli­gés de croire à sa divi­ni­té, à sa toute-​puissance, or ce Dieu qu’ils ado­raient comme tout-​puissant, ils le voyaient souf­frir, meur­tri, cru­ci­fié, et même ils le voyaient mort sur une croix. La rai­son humaine nous dit : « Mais s’il est Dieu, il ne peut pas souf­frir, il ne peut pas mou­rir. S’il est tout-​puissant d’un simple clin d’œil il va apla­tir tous ces sol­dats, ses bour­reaux ». Eh bien non ! il laisse faire. Et il reste Dieu, il est vrai­ment Dieu. Néanmoins il souffre, non comme Dieu mais dans son huma­ni­té. Je dirais que là aus­si nous avons un exemple qui peut nous aider à com­prendre ce qui se passe dans l’Église. Certains mys­tiques, cer­tains saints, et Mgr Lefebvre lui-​même, nous pro­posent cette vue mys­té­rieuse selon laquelle l’Église, le Corps mys­tique de Notre Seigneur suit la même voie que son corps phy­sique. Si Notre Seigneur a vou­lu subir une pas­sion dans son corps phy­sique, cette pas­sion se conti­nue, dans le temps et dans l’espace, à tra­vers les membres de son Corps mystique.

Il y a des époques où l’on voit plus clai­re­ment cette pas­sion, dans les per­sé­cu­tions par exemple. Celle que nous vivons aujourd’hui est beau­coup plus dif­fi­cile à per­ce­voir parce que c’est une per­sé­cu­tion non phy­sique mais spi­ri­tuelle, et parce que le bras qui per­sé­cute n’est pas à l’extérieur mais à l’intérieur de l’Église. Cela devient presque inte­nable. Le Bon Dieu nous oblige à une épreuve de la foi ter­rible. Il exige de nous une foi héroïque, et dans des temps pareils, mes bien chers frères, il faut se tour­ner vers la Sainte Vierge, car s’il y a une per­sonne dans l’histoire en qui éclate la foi, c’est la Sainte Vierge. Elle qui a fait l’objet d’une béa­ti­tude à cause de sa foi. Dans l’évangile, sa cou­sine Elisabeth lui déclare : « Bienheureuse êtes-​vous parce que vous avez cru les choses qui vous ont été dites »2. Bienheureuse à cause de cette foi. Et plus tard elle mani­fes­te­ra sa foi au pied de la croix. C’est bien donc vers elle qu’il faut se tour­ner pour lui deman­der une foi qui puisse pas­ser à tra­vers cette épreuve. Et si vous êtes ici aujourd’hui, c’est bien que le Bon Dieu vous sou­tient dans cette foi, il vous main­tient dans la foi catho­lique, dans cette vie catho­lique qui conti­nue mal­gré tout, mal­gré les épreuves. Mais, encore une fois, com­bien nous avons besoin de ce soutien.

Je vou­drais pro­fi­ter de ces ins­tants pour vous don­ner des nou­velles sur ce qui se passe main­te­nant à Rome par rap­port à la Fraternité. Vous avez pro­ba­ble­ment enten­du que l’on a par­lé d’un ulti­ma­tum. Où en sommes-​nous ? Tout d’abord c’est une chose bizarre que cet ulti­ma­tum, parce que lorsqu’il y a ce genre de démarche, il y a un objet. Dans le cas qui nous concerne, on se demande bien quel était l’objet. J’ai été convo­qué par le car­di­nal Castrillon Hoyos, au début du mois de juin, parce que la der­nière Lettre aux Amis et Bienfaiteurs de la Fraternité Saint-​Pie X fai­sait le point en indi­quant clai­re­ment que nous n’étions pas dis­po­sés à ava­ler le poi­son que l’on trouve dans le concile. C’est ce qui a déplu aux auto­ri­tés romaines. Le fait de dire que nous ne chan­ge­rions pas, que nous résis­te­rions, que nous ne boi­rions pas ce poi­son, c’est cela qui leur a déplu. Donc j’ai été convo­qué à Rome, et là on m’a remis une feuille écrite. Étaient pré­sents à cette réunion qui se tenait dans les bureaux de la Commission Ecclesia Dei – c’est d’ailleurs la pre­mière et la seule fois que je me suis ren­du dans ces bureaux -, étaient donc là le car­di­nal, le vice-​président de la com­mis­sion Mgr Perl, le secré­taire Mgr Marini et le secré­taire per­son­nel du car­di­nal. J’étais accom­pa­gné de M. l’abbé Nély.

On nous remet une note écrite, et le car­di­nal me demande de la lire devant tout le monde. Dans cette lettre qui res­semble vrai­ment à un ulti­ma­tum, il est dit en sub­stance : « Jusqu’ici j’ai affir­mé que vous n’étiez pas schis­ma­tiques, mais désor­mais je ne pour­rai plus le dire. Aujourd’hui il faut que vous accep­tiez les condi­tions claires que nous allons vous impo­ser ». Après avoir lu, j’ai deman­dé au car­di­nal quelles étaient ces condi­tions claires, parce qu’elles n’étaient pas écrites. Et le car­di­nal ne m’a abso­lu­ment rien répon­du. J’ai repo­sé la ques­tion en lui deman­dant : « Qu’est-ce que vous atten­dez de moi ? » ; à ce moment-​là, presque à voix basse, il a répon­du : « Si vous pen­sez en conscience que vous devez dire cela à vos fidèles, faites-​le ! Mais vous devez res­pec­ter la per­sonne du pape ». Ce sur quoi je lui ai répon­du que je n’avais pas de pro­blème. Et c’est ain­si que cette réunion s’est ter­mi­née. – Comment puis-​je affir­mer que le motif de cette réunion était vrai­ment la der­nière Lettre aux amis et bien­fai­teurs ? C’est ce que je lui ai deman­dé, puisqu’il y fai­sait réfé­rence : « Pouvez-​vous me dire ce qui ne va pas dans cette lettre ? » ; il l’a alors relue devant moi, et le seul reproche qu’il a pu for­mu­ler était le fait que j’écrive que les cou­vents étaient vides, ain­si que les sémi­naires. Il m’a dit : « Cela n’est pas vrai ». C’était le seul reproche.

Alors en quoi consiste l’ultimatum, quel est son objet ? A la sor­tie de cette entre­vue, je disais à M. l’abbé Nély que j’étais très frus­tré parce que j’avais assis­té à une mise en scène théâ­trale, emplie d’émotion, où le car­di­nal décla­rait : « C’est fini ! Je convoque une confé­rence de presse. J’arrête tout ! ». Mais ce qu’on atten­dait vrai­ment de moi, je l’ignorais. Si bien que j’ai ren­voyé M. l’abbé Nély le len­de­main pour qu’il pose la ques­tion encore une fois : « Qu’est-ce que vous vou­lez ? » ; alors on l’a fait attendre une demi-​heure, le temps de rédi­ger les fameux cinq points qui ont été dif­fu­sés sur Internet.

Cinq points dont le pre­mier dit ceci : « Il faut que Mgr Fellay s’engage à don­ner une réponse pro­por­tion­née à la géné­ro­si­té du pape ». Qu’est-ce que cela peut bien vou­loir dire ? C’est une parole extrê­me­ment floue qui peut dire tout et rien. On est obli­gé de sup­po­ser que cette géné­ro­si­té du pape était le Motu Proprio. Et la réponse pro­por­tion­née était de l’en remer­cier, tout en recon­nais­sant qu’il n’était pas pour nous, puisqu’il était pour tous les prêtres de l’Église. Sinon on ne voit pas bien.

Ensuite je devais m’engager, dans cette lettre, à res­pec­ter la per­sonne du pape. Je sup­pose que cela veut dire qu’on ne doit pas l’injurier, mais si on consi­dère comme une injure de dire qu’il est par­fai­te­ment libé­ral, juste après un voyage aux États-​Unis où il n’a fait que louer l’État amé­ri­cain en décla­rant que la liber­té de toutes les reli­gions était magni­fique. Vraiment on ne peut pas trou­ver de décla­ra­tion plus libé­rale que celle-​là. Je ne vois pas ce qu’il y a d’injurieux dans mes paroles.

Le troi­sième point est plus sen­sible, parce qu’on me demande de ne pas m’ériger « en magis­tère au-​dessus du pape et de ne pas poser la Fraternité en contra­po­si­tion à l’Église ». Là aus­si cela veut tout dire et cela ne veut rien dire. Avec cette phrase là, chaque fois que nous pose­rons une objec­tion, on nous dira : « Vous vous met­tez au-​dessus du pape ». C’est bien ce point qui fait com­prendre que Rome n’est pas du tout d’accord avec le fait que nous osions dire quelque chose contre le concile. C’est cela qui fait problème.

On dit que j’ai refu­sé une pro­po­si­tion de Rome, mais il n’y avait pas de pro­po­si­tion de Rome. Il y avait sim­ple­ment un car­di­nal impa­tient de ce que les choses, disait-​il, « traînent ». Or nous avions depuis l’an 2000 dit aux auto­ri­tés romaines que nous ne leur fai­sions pas confiance et que si elles vou­laient un dia­logue il fal­lait com­men­cer par don­ner des signes qui puissent nous faire retrou­ver quelque confiance. Ces signes étaient au nombre de deux : la liber­té de la messe tra­di­tion­nelle et le retrait du décret d’excommunication des évêques. Après sept ans, on peut dire qu’un des points est réa­li­sé. Reste le deuxième. Après cela nous sommes dis­po­sés à dis­cu­ter, avions-​nous dit. Et nous le disons encore car c’est très impor­tant, nous consi­dé­rons vrai­ment comme essen­tielle cette confron­ta­tion théo­lo­gique qui doit per­mettre de voir si ce qui a été dit au concile et après le concile, est fidèle à la Révélation, à l’enseignement de l’Église. Ce n’est pas nous qui nous éri­geons au-​dessus du pape, ce sont les papes du pas­sé qui ont cano­ni­sé un cer­tain nombre de pro­po­si­tions, qui les ont défi­nies dog­ma­ti­que­ment. Ces pro­po­si­tions ne peuvent plus être chan­gées. Un dogme est irré­fra­gable. Donc ce n’est pas nous qui nous éri­geons en juges. Nous deman­dons sim­ple­ment au pape d’aujourd’hui de nous expli­quer com­ment ce qu’il nous dit cor­res­pond à ce que ses pré­dé­ces­seurs ont dit, ayant en tête les paroles très claires de l’apôtre saint Paul : « Si un ange, ou moi-​même, vous annonce un évan­gile dif­fé­rent de celui que je vous ai ensei­gné, qu’il soit ana­thème »3. Cela ne peut pas être plus fort. On a l’impression que saint Paul pré­voyait déjà des situa­tions comme celle dans laquelle nous nous trou­vons : Si moi-​même – et il est apôtre – je com­mence à vous ensei­gner quelque chose de dif­fé­rent de ce que je vous ai ensei­gné aupa­ra­vant, que je sois ana­thème ! Si un ange vient vous ensei­gner autre chose, anathème !

Nous avons 20 siècles d’enseignement de la doc­trine de l’Église. Ce sont ces choses-​là qui jugent le pape. Ce n’est pas nous. Le pape est infaillible quand il cor­res­pond aux condi­tions qui lui sont don­nées. Et puisqu’il le sait, qu’il fasse usage de son infailli­bi­li­té ! Et il dira la foi, comme ses pré­dé­ces­seurs. Maintenant si, comme au concile Vatican II, on ne veut pas faire usage de cette infailli­bi­li­té, il arri­ve­ra ce qui est arrivé.

Mais de notre côté, que l’on com­prenne bien, nous n’avons abso­lu­ment rien refu­sé de la part de Rome. Encore main­te­nant nous conti­nuons à dire qu’on ne peut pas régler la situa­tion cano­nique de la Fraternité, sans avoir d’abord regar­dé la ques­tion de fond, – ce fond qui est jus­te­ment toutes les nou­veau­tés intro­duites dans l’Église depuis Vatican II. Faire le contraire équi­vau­drait à accep­ter la pro­po­si­tion sui­vante : on vous offre une mai­son, mais une mai­son ne tient pas en l’air, elle est bâtie sur quelque chose, sur un ter­rain…, si cette mai­son est construite sur des sables mou­vants, allez-​vous la prendre ? Si vous savez que demain elle va s’écrouler, qu’elle va dis­pa­raître englou­tie dans les marais, vous vous dites : cela ne vaut pas la peine. De même, si on vous dit qu’on vous donne une Rolls Royce, mais qu’elle ne peut que res­ter au garage, pour­quoi vous la donne-​t-​on ? Ou si on vous dit qu’on vous donne un bateau, mais qu’il doit res­ter en cale sèche.

C’est ce qui nous arrive. Rome, en vou­lant pas­ser un accord cano­nique ou, pour reprendre cette image, en nous pro­po­sant une voi­ture, un bateau, une mai­son, ne veut sur­tout pas qu’on dis­cute de la pierre sur laquelle doit être bâtie la mai­son. Pour les auto­ri­tés romaines, il va de soi que l’ambiance dans laquelle cir­cu­le­rait cette voi­ture ou navi­gue­rait ce bateau, c’est l’ambiance doc­tri­nale de Vatican II. Pour elles, il est abso­lu­ment évident qu’il n’y a pas de remise en cause des nou­veau­tés de Vatican II, et c’est pré­ci­sé­ment là le point cru­cial, le point sur lequel nous vou­lons ame­ner Rome. Et tant que Rome ne veut pas faire cela, nous ne pou­vons pas aller de l’avant. Nous sommes obli­gés de pas­ser par là, parce que sinon c’est construire sur du sable. Et nous ne vou­lons pas construire sur du sable. C’est au nom de la foi, de l’enseignement de l’Église, de la pra­tique de l’Église que nous disons cela.

On nous déclare : « Vous savez, aujourd’hui le pape vous veut du bien, mais qui vien­dra après lui ? On n’en sait rien ! Donc c’est main­te­nant le moment ou jamais où vous devez accep­ter ». J’ai répon­du au car­di­nal qui me tenait ce dis­cours : « Éminence, je crois au Saint Esprit. Si le Saint Esprit est capable d’éclairer ce pape, il pour­ra aus­si éclai­rer le sui­vant ». Et si lui nous veut du bien, peut-​être que le pro­chain pape nous vou­dra encore plus de bien. Encore une fois, on ne peut pas dis­cu­ter sur la foi, on n’a pas le droit de tra­fi­quer la foi. Quand on voit d’une manière si claire ce qui se passe dans l’Église – c’est le Bon Dieu qui nous donne cette grâce -, il n’y a pas de place pour une négo­cia­tion. D’ailleurs je n’aime pas ce terme, il est faux. Nous ne sommes pas en négo­cia­tion avec Rome. De Rome, nous atten­dons la foi. C’est la pre­mière chose qui s’est pro­duite à notre bap­tême, cela a été la pre­mière ques­tion : « Que demandez-​vous à l’Église ? – La foi ». « Que vous pro­cure la foi ? – La vie éter­nelle ». C’est là le contrat pas­sé au bap­tême. Nous deman­dons à l’Église la foi, nous savons qu’il n’y a que l’Église qui peut nous la don­ner. Eh bien ! nous main­te­nons cette demande pre­mière du bap­tême. Nous ne fai­sons rien d’autre. On pour­rait résu­mer tout notre com­bat à cela, car nous savons que l’Église est la seule enti­té éta­blie par Dieu qui puisse sau­ver – on ne peut pas être sau­vé en dehors de l’Église : Hors de l’Église pas de salut –, et nous savons que ce salut vient par la foi et par la grâce. C’est ce que nous deman­dons à Rome, rien de plus rien de moins. Cela pren­dra le temps qu’il faut.

Serons-​nous encore vivants lorsque les choses se seront enfin amé­lio­rées ou pas ? Bien sûr que nous l’espérons, mais nous n’en savons rien. Il est vrai qu’humainement par­lant, on voit un cer­tain nombre d’éléments qui montrent que l’on va vers un mieux. Au niveau des prin­cipes, il y a un réveil, il y a une attente sur­tout dans les jeunes géné­ra­tions, chez celles qui n’ont rien reçu, une attente qui se tourne vers la Tradition et qui, insa­tis­faite par ce qu’on leur donne aujourd’hui, réclame la doc­trine tra­di­tion­nelle. On voit des prêtres qui se tournent vers l’ancienne messe et qui découvrent tout sim­ple­ment leur reli­gion. Si vous saviez le nombre de jeunes prêtres qui, célé­brant l’ancienne messe pour la pre­mière fois, nous déclarent : « Mais ce sont deux mondes ! En célé­brant cette messe, je découvre ce que c’est que le prêtre ». Cela ne veut pas dire qu’ils n’avaient aucune idée du sacer­doce, mais ils découvrent là que Notre Seigneur veut que ses prêtres lui soient unis, soient ses conti­nua­teurs, des média­teurs entre Dieu et les hommes pour arra­cher du cœur de Dieu le salut des âmes à tra­vers le Sacrifice de son Fils auquel elles sont appe­lées à s’unir. C’est la clef de la crise d’aujourd’hui : on ne veut plus de la croix, on ne veut plus de la souf­france, on ne veut plus du péché, on ne veut plus du sacri­fice. On peut dire que la solu­tion de cette crise, elle est là ! C’est pour­quoi nous insis­tons tel­le­ment sur la messe, parce que la messe est l’expression incar­née de cette foi : le salut passe par la croix, il passe par le Sacrifice de Notre Seigneur, il passe par le prêtre. La crise que nous vivons est une crise du sacer­doce. On a vou­lu déna­tu­rer le prêtre, un prêtre qui aujourd’hui ne trouve plus son iden­ti­té dans la nou­velle messe. Cela les agace à Rome lorsque nous disons cela ! Ils ne peuvent pas sup­por­ter que nous disions que la nou­velle messe est mau­vaise. Pourtant il n’y a qu’à regar­der, c’est une évi­dence. Il n’y a qu’à regar­der les fruits. Notre Seigneur a dit que l’on recon­nais­sait aux fruits la qua­li­té de l’arbre.

Il faut donc conti­nuer, le temps qu’il fau­dra ! Est-​ce que cette affaire du début de l’été va vrai­ment finir en décla­ra­tion de schisme, comme cer­tains de nos enne­mis le vou­draient ? J’en doute, mais je n’en sais rien. Et puis qu’est-ce que cela chan­ge­rait ? De toute façon, les évêques nous traitent en schis­ma­tiques, comme les pires êtres qui puissent exis­ter sur terre. Dans leurs églises ils reçoivent tout le monde, ils font des céré­mo­nies de prières avec tout le monde, mais avec nous c’est comme si nous étions la peste. Il faut voir cela ! En même temps qu’ils disent à Rome que nous ne sommes pas schis­ma­tiques, on nous traite comme les fléaux de l’humanité. Cela dure­ra le temps que cela dure­ra, mes bien chers frères. Nous avons chaque jour la conso­la­tion de la grâce, nous voyons bien le Bon Dieu à l’œuvre dans nos âmes, dans les âmes de nos enfants. Nous voyons bien que ce sont des fruits de la grâce, et Rome aus­si le recon­naît. Ce même car­di­nal Castrillon par­lant de la Fraternité me disait : « Les fruits sont bons, donc il y a le Saint Esprit ». Eh bien ! qu’il en tire les consé­quences. Nous ne pou­vons pas les tirer pour eux. Nous n’oserions pas nous-​mêmes nous décer­ner ces louanges, bien que nous puis­sions consta­ter aus­si que les fruits sont bons.

Nous recour­rons donc à la Très Sainte Vierge. Aujourd’hui dans l’une des antiennes, on la salue comme celle qui écrase toutes les héré­sies. On la célèbre : « Bienheureuse êtes-​vous, vous qui avez écra­sé toutes les héré­sies ». Il y a chez Marie, si douce d’un côté, un aspect ter­rible. Et cela vient de son amour. Si on aime Dieu, si on aime le bien, en même pro­por­tion on doit haïr ce qui est contre Dieu. On doit haïr le péché. Nous avons là une sorte de ther­mo­mètre pour nous même, de notre état spi­ri­tuel : jusqu’à quel point haïssons-​nous le péché, à com­men­cer par nos propres péchés ? Parce que c’est dans la même pro­por­tion que nous aimons le Bon Dieu. Demandons à la Sainte Vierge d’augmenter cette pro­por­tion, cette pro­por­tion d’amour et d’aversion contre tout ce qui s’oppose à Dieu, à son règne, au salut des âmes. Demandons à Notre Dame cette pro­tec­tion par­ti­cu­lière, gagnons-​la cette pro­tec­tion par une dévo­tion spé­ciale. Essayons de gran­dir dans l’intimité avec le Cœur Immaculé de Marie. Que Notre Dame soit vrai­ment notre mère tous les jours, pas seule­ment le temps d’un Ave ou lors d’un pas­sage devant sa sta­tue. Qu’elle soit vrai­ment notre mère ! Cette consé­cra­tion que nous allons renou­ve­ler selon le vœu de Louis XIII, doit avoir des consé­quences dans notre vie. Que ce ne soient pas de simples mots. Que ce don à la Sainte Vierge soit réel, qu’il soit un don vrai. Que nous vivions ensuite vrai­ment comme ses enfants. Alors oui, nous assu­re­rons notre salut et par là même la conti­nua­tion de la Tradition de la foi de l’Eglise, à tra­vers l’espace et le temps, pour les géné­ra­tions futures. Ainsi soit-il !

Ainsi soit-​il.

Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit

† Bernard Fellay

  1. Mat., XVI,18 []
  2. Luc, I,45 []
  3. Gal.,I,8–9 []

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.