Editorial de septembre 2009 – Ecclesiæ unitatem

Abbé Pierpaolo-​Maria Petrucci, Prieur de Rimini (Italie)

Le huit juillet der­nier, par le Motu Proprio Ecclesiae uni­ta­tem, le pape Benoît XVI a déci­dé d’unir la com­mis­sion Ecclesia Dei à la Congrégation pour la doc­trine de la Foi. Il en explique briè­ve­ment les rai­sons : « La tâche de gar­der l’u­ni­té de l’Eglise… revient de façon par­ti­cu­lière au Successeur de Pierre », et puisque« la prio­ri­té suprême et fon­da­men­tale de l’Eglise », est « de conduire les hommes vers la ren­contre avec Dieu », cette prio­ri­té doit être « favo­ri­sée » par « l’en­ga­ge­ment d’ar­ri­ver à un témoi­gnage com­mun de foi de tous les chré­tiens ».Affirmation qui cor­res­pond par­fai­te­ment à la véri­té. Mais nous ne voyons pas com­ment elle peut se conci­lier avec l’œcuménisme ensei­gné depuis le Concile. Comment, en effet, « arri­ver à un témoi­gnage com­mun de foi de tous les chré­tiens » en ne deman­dant plus la conver­sion à la doc­trine catho­lique de ceux qui sont dans l’erreur ? Je ne vou­drais pas que dans le contexte du docu­ment, la recherche de l’union dans un témoi­gnage com­mun de foi s’applique à ceux qui pré­ci­sé­ment n’acceptent pas les nou­velles doc­trines du concile, tota­le­ment étran­gères à la doc­trine catho­lique, en par­ti­cu­lier en matière d’œcuménisme.

Le Pape rap­pelle com­ment la Commission Ecclesia Dei fut ins­ti­tuée par Jean-​Paul II, après les consé­cra­tions épis­co­pales faites par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988, « dans le but de faci­li­ter la pleine com­mu­nion ecclé­siale des prêtres, des sémi­na­ristes, des com­mu­nau­tés ou des reli­gieux et des reli­gieuses indi­vi­duel­le­ment, jus­qu’i­ci liés à la Fraternité fon­dée par Mgr Lefebvre, qui dési­rent res­ter unis au Successeur de Pierre dans l’Eglise catho­lique, en conser­vant leurs tra­di­tions spi­ri­tuelles et litur­giques ». L’intention était alors expli­cite : on concède la pos­si­bi­li­té de célé­brer la litur­gie tra­di­tion­nelle, mais en échange de l’acceptation, au moins tacite, des nou­veau­tés doc­tri­nales du concile pour réab­sor­ber ain­si, avec le temps, la résis­tance catho­lique à la révo­lu­tion dans l’Eglise. Cette ligne a por­té des fruits avec cer­taines com­mu­nau­tés tra­di­tion­nelles qui une fois recon­nues juri­di­que­ment ont été conduites peu à peu à l’acceptation, au moins de prin­cipe, de la nou­velle litur­gie et des nou­veau­tés conci­liaires dans un silence pour le moins poli. Faisant allu­sion à ce fait dans sa lettre aux évêques du 10 mars pas­sé, le Pape écri­vait : « Moi-​même j’ai vu, dans les années qui ont sui­vi 1988, que, grâce au retour de com­mu­nau­tés aupa­ra­vant sépa­rées de Rome, leur cli­mat interne a chan­gé ; que le retour dans la grande et vaste Église com­mune a fait dépas­ser des posi­tions uni­la­té­rales et a atté­nué des dur­cis­se­ments de sorte qu’ensuite en ont émer­gé des forces posi­tives pour l’ensemble. »

Dans ce contexte, la Fraternité sacer­do­tale Saint-​Pie X est res­tée essen­tiel­le­ment unie et fidèle à la ligne de son fon­da­teur : recon­nais­sance de l’autorité du Pape et, dans le même temps, résis­tance aux doc­trines conci­liaires et post-​conciliaires oppo­sées à l’enseignement traditionnel.

En concé­dant le Motu Propriu Summorum Pontificum, le Pape déclare ouver­te­ment avoir vou­lu suivre les prin­cipes mêmes qui avaient moti­vé l’institution de la Commission Ecclesia De i : « Dans cette ligne,… fai­sant tous les efforts pour que tous ceux qui ont vrai­ment le désir de l’unité puissent y res­ter ou la retrou­ver, j’ai vou­lu élar­gir et mettre à jour, avec le Motu Proprio Summorum Pontificum, l’indication géné­rale déjà conte­nue dans le Motu Proprio Ecclesia Dei concer­nant la pos­si­bi­li­té d’user du Missel Romain de 1962, au moyen de normes plus pré­cises et détaillées ». Le but reste donc tou­jours le même. Il ne s’agit pas de renon­cer aux nou­velles doc­trines du Concile Vatican II, mais de les faire accep­ter par ceux qui res­tent atta­chés à la litur­gie tra­di­tion­nelle dans une sorte de cohabitation.

Parlant ensuite du retrait de l’excommunication des quatre évêques de la Fraternité Saint-​Pie X le Pape explique que : « par cet acte on a vou­lu « lever un obs­tacle qui pou­vait empê­cher l’ouverture d’une porte au dia­logue et invi­ter ain­si les évêques et la Fraternité Saint-​Pie X à retrou­ver le che­min vers la pleine com­mu­nion avec l’Eglise », et dans le même temps « libé­rer les per­sonnes du poids de conscience que consti­tue la puni­tion ecclé­sias­tique la plus grave ». 

Ici encore il appa­raît clai­re­ment qu’il ne s’agit pas de dis­cu­ter des motifs pro­fonds qui ont conduit Mgr Lefebvre à la consé­cra­tion épis­co­pale des quatre évêques, c’est-à-dire de la ter­rible crise doc­tri­nale que l’Eglise tra­verse. Le fait est que pour être en com­mu­nion avec l’Eglise, la condi­tion pre­mière et indis­pen­sable est la foi. C’est jus­te­ment à cause de son atta­che­ment indé­fec­tible à celle-​ci que la Fraternité Saint-​Pie X, d’abord régu­liè­re­ment recon­nue, (le 1er novembre 1970 par Mgr François Charrière, évêque de Lausanne et Fribourg,) a été bru­ta­le­ment atta­quée [1] et qu’on a cher­ché à la sup­pri­mer, de manière non conforme au droit cano­nique. Le motif pro­fond de l’invalidité radi­cale de toutes les cen­sures qui l’ont frap­pée est jus­te­ment sa volon­té indé­fec­tible de res­ter fidèle à ce que l’Eglise a tou­jours ensei­gné, en vingt siècles de tra­di­tion. Et cela dans le marasme doc­tri­nal qui a sui­vi le concile. L’Eglise ne peut certes condam­ner tout ce qu’elle a ensei­gné dans le cours des siècles. Mais ce que, dans son magis­tère vrai et infaillible elle ne pour­ra jamais faire, des hommes d’Eglise, imbus de doc­trines nou­velles, bien déci­dés et orga­ni­sés, peuvent le faire. Cela est arri­vé au der­nier Concile. Il s’y est pro­duit un vrai coup d’état orga­ni­sé par une mino­ri­té active qui a reje­té les sché­mas pré­pa­ra­toires pour en impo­ser d’autres, ins­pi­rés par des théo­lo­giens choi­sis comme experts au concile mais déjà condam­nés pour leurs idées par Pie XII [2]). Pour ce qui concerne l’apostolat de la Fraternité Saint-​Pie X qui selon le Pape, « n’a pas de sta­tut cano­nique dans l’Eglise et dont les ministres ne peuvent exer­cer de minis­tères légi­times, on pour­rait arguer de sa sup­pres­sion cano­nique injuste. Mais dans une période de crise de l’Eglise sans pré­cé­dent comme celle que nous vivons, il est impos­sible à une âme de bon sens de ne pas voir l’état de néces­si­té dans lequel nous nous trou­vons. Il faut alors agir en dépas­sant la lettre du code de droit canon et reve­nir au motif pour lequel la loi a été faite : « salus ani­ma­rum supre­ma lex ».

C’est pour­quoi le minis­tère que la Fraternité exerce actuel­le­ment est légi­time parce qu’adapté aux cir­cons­tances que nous vivons. Même si on confiait à la Fraternité un minis­tère « ordi­naire », celui-​ci serait insuf­fi­sant dans la situa­tion actuelle et elle devrait conti­nuer –légitimement- à agir selon les règles de l’état extraordinaire.

En outre, si pour exer­cer un minis­tère « légi­time », on doit s’abaisser à des com­pro­mis­sions dans le domaine de la foi : accep­ta­tion des fausses doc­trines sur l’oecuménisme, la liber­té reli­gieuse, la nou­velle litur­gie, la com­mu­nion dans la main etc. la voie est toute tra­cée. « Il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes », avaient répon­du les apôtres à la plus haute auto­ri­té reli­gieuse qui leur inti­mait l’ordre de ne plus prê­cher au nom de Jésus.

Nous ne pou­vons donc que nous réjouir que la Commission Ecclesia Dei ait été réunie à la Congrégation pour la doc­trine de la foi ; « jus­te­ment parce que – comme dit le Pape – les pro­blèmes qui doivent être trai­tés à pré­sent avec la Fraternité sont de nature essen­tiel­le­ment doctrinale ».

Mgr Lefebvre et la Fraternité Saint-​Pie X n’ont jamais vou­lu défendre des opi­nions per­son­nelles. Dans les pro­chaines dis­cus­sions théo­lo­giques il sera très inté­res­sant de pou­voir confron­ter les textes du magis­tère tra­di­tion­nel comme Quanta Cura et le Syllabus de Pie IX, Pascendi de saint Pie X, Mortalium ani­mos de Pie XI et Humani gene­ris de Pie XII, avec ceux du concile et l’enseignement qui en dépend. Lors de ces dis­cus­sions le but pre­mier et prin­ci­pal pour la Fraternité Saint-​Pie X ne sera certes pas d’obtenir une recon­nais­sance cano­nique, mais de contri­buer au retour de l’enseignement de la doc­trine tra­di­tion­nelle dans l’Eglise et à l’abandon de toutes les erreurs qui en para­lysent la force mis­sion­naire et régé­né­ra­trice de la société.

Abbé Pierpaolo Maria Petrucci , prieur de Rimini (Italie)

Extrait de Veritas n° 69

Notes de bas de page

  1. Mgr Lefebvre,: une vie p. 543 sqq.[]
  2. Referenza Y Congar o.p. ; H. De Lubac et K Rahner SJ. Mgr Lefebvre : une vie P. 315[]