Entretien exclusif de Mgr Fellay donné au Gabon le 1er juin 2011


Propos recueillis par le Professeur Hugues Mouckaga

Bonjour Excellence et mer­ci infi­ni­ment de trou­ver le temps de vous déta­cher de vos lourdes occu­pa­tions pour vous entre­te­nir avec nous. D’entrée, nous osons cette ques­tion. C’est la cin­quième fois que vous fou­lez le sol du Gabon pour confé­rer le sacre­ment de confir­ma­tion aux fidèles de la Mission Saint-​Pie X. Quels sen­ti­ments vous animent tout spécialement ?
Une grande joie de pou­voir me retrou­ver sur les pas de notre très véné­ré Fondateur, Mgr Marcel Lefebvre. J’essaie, chaque fois que je foule le sol de votre beau pays, non seule­ment de me res­sou­ve­nir mais de m’emplir de l’amour avec lequel il vous a embras­sés, il y a quelques décen­nies. C’est chaque fois très émou­vant, autre­ment que dans d’autres pays, à cause de ce retour aux sources.

Cette céré­mo­nie de confir­ma­tion a été un peu par­ti­cu­lière eu égard au nombre de confir­mands : une cen­taine, par­mi les­quels on a remar­qué la pré­sence des tout jeunes, mais aus­si des hommes et des femmes d’un âge très avan­cé et fidèles de la Mission depuis de très longues années. Peut-​on savoir ce que vous avez res­sen­ti en voyant cette caté­go­rie de fidèles défi­ler devant vous ?
Finalement, je n’ai pas eu tel­le­ment de sur­prises parce que c’est ce que je vois par­tout. Dans toute notre Fraternité, on voit tous les âges qui arrivent à la confir­ma­tion. Cependant je tiens à pré­ci­ser que, lorsqu’on donne la confir­ma­tion aux ouvriers de la onzième heure, c’est tou­jours très émou­vant parce qu’on voit le Bon Dieu qui passe et qui repasse. Parfois l’âme ne s’est pas ren­due compte de ce pas­sage, du Bon Dieu qui frap­pait à sa porte. Mais voi­là, à la fin, elle a répon­du, et le Bon Dieu peut la com­bler de ses grâces. C’est merveilleux.

Lors de votre homé­lie, vous avez déci­dé d’insister sur l’essence et les effets de la confir­ma­tion. Pour les fidèles qui n’ont pas bien sui­vi vos pro­pos mais aus­si pour les absents, vous est-​il pos­sible de reprendre la por­tée de cet acte dans ses grandes lignes ? 
Je ne repren­drai pas le ser­mon qui a été long. Je vou­drais juste résu­mer. Pour ce faire, je par­ti­rai de la pre­mière idée : la gran­deur des dons du Bon Dieu, dons qui nous dépassent com­plè­te­ment. Et j’ose dire et affir­mer sans aucune crainte de me trom­per qu’une seule confir­ma­tion est pour le Bon Dieu plus grande que la créa­tion de tout l’univers. Dieu a eu cette bon­té de s’abaisser à notre niveau et de nous don­ner des signes sen­sibles par les­quels nous pou­vons être cer­tains de la récep­tion de ces dons. Si ces dons nous dépassent, com­ment être sûrs d’eux ? Le sacre­ment de la confir­ma­tion est un signe qui nous per­met de savoir qu’il nous a don­né ses dons. Il y a deux choses dans la forme du sacre­ment : « je te marque du signe de la croix » et « je te confirme du saint chrême ». Il y a des dons du Saint Esprit que le Bon Dieu fait à l’âme, et il y a le carac­tère de ce sacre­ment qui nous fait sol­dats du Christ. Il y a donc les dons, mais aus­si les exi­gences de la confir­ma­tion, comme pour les apôtres à la Pentecôte.

Hier a eu lieu un évé­ne­ment par­ti­cu­lier dans la vie de la Mission Saint-​Pie X : l’élévation de deux dames au rang de membres du Tiers-​Ordre. Peut-​on savoir en quoi cela consiste ? S’agit-il d’une qua­si vie religieuse ? 
Non. Ce n’est pas une vie reli­gieuse. Mais c’est la par­ti­ci­pa­tion à cer­tains élé­ments de la vie reli­gieuse dans la vie laïque. On l’appelle le Tiers-​Ordre car il vient après le pre­mier et le deuxième qui sont d’ordre reli­gieux. Le troi­sième est d’ordre civil. Ceux qui en sont membres ne peuvent pas vivre dans la vie reli­gieuse, mais ils peuvent par­ti­ci­per aux grâces de la vie reli­gieuse. Nous avons fait quelque chose de sem­blable dans la Fraternité, à la demande des fidèles. Ceux qui en sont membres choi­sissent de par­ti­ci­per à la sanc­ti­fi­ca­tion des prêtres, mais aus­si de béné­fi­cier des grâces que cela confère.

Au-​delà des confir­ma­tions que vous êtes venu confé­rer, votre pré­sence rehaus­se­ra demain, 2 juin, les fes­ti­vi­tés mar­quant le 25e anni­ver­saire de la fon­da­tion de la Mission Saint-​Pie X du Gabon, un moment que les fidèles atten­daient tant. Peut-​on savoir, Excellence, ce que vous ins­pire cet ins­tant particulier ? 
Là aus­si, c’est émou­vant. 25 ans, c’est une marque par­ti­cu­lière. D’un côté, c’est peu, d’un autre côté, c’est beau­coup. 25 ans c’est déjà une géné­ra­tion. Devant une vie humaine, c’est par­fois moins ; devant une socié­té, c’est rela­ti­ve­ment court, par exemple dans l’Eglise qui a 2000 ans. Mais dans les cir­cons­tances actuelles de la crise de l’Eglise, voir une œuvre qui a com­men­cé à zéro et qui s’est déve­lop­pée de manière magni­fique, il faut en remer­cier le Bon Dieu.

Si Mgr Lefebvre avait été là, il aurait pris part, per­son­nel­le­ment, nul n’en doute, à ces fes­ti­vi­tés. Mais il est là haut, au Ciel, et il nous assiste. Vous qui le repré­sen­tez, que retenez-​vous des cir­cons­tances de cette fon­da­tion, en 1986 ?
Monseigneur aurait pu choi­sir beau­coup d’endroits pour com­men­cer l’apostolat au centre de l’Afrique. Il y avait déjà quelque chose au sud de l’Afrique, mais ici il n’y avait rien. Il a donc choi­si le Gabon. Il aurait pu choi­sir de le faire à Dakar, au Sénégal, où il avait été arche­vêque ; mais il a pré­fé­ré le Gabon. Il faut dire qu’il avait le sou­tien de Mgr Ndong et de trois évêques à l’époque. Ils étaient assez favo­rables. Une porte était donc ouverte. Je crois que c’est ce qui l’a pous­sé à com­men­cer ici. Mais Monseigneur a sui­vi les signes de la divine Providence. La Providence dis­pense les grâces comme elle veut ; il faut suivre le che­min. 25 ans après, quand on voit la beau­té de cette mis­sion, on voit que Mgr Lefebvre a bien sui­vi la divine Providence.

L’on sait que la par­tie n’était pas gagnée d’avance, en rai­son de la crise qui cou­vait déjà entre l’Eglise conci­liaire et la Fraternité. Pour l’histoire, Excellence, qu’est-ce qu’on peut rete­nir comme élé­ments majeurs ayant per­mis l’implantation de la Mission Saint-​Pie X au Gabon ?
Je pense qu’au départ il y a ceux qui se sou­ve­naient de Mgr Lefebvre. Les anciens qui se sou­ve­naient de lui, de la messe, du chant gré­go­rien. Je me sou­viens, au début, de ces sémi­na­ristes qui savaient encore la messe par cœur, qui chan­taient par cœur le propre sans pré­pa­ra­tion. Cela dit beau­coup pour les débuts. Il fal­lait ce ter­rain qui était prêt.

Il se dit même que la Présidence de la République Gabonaise et plus spé­cia­le­ment, le Chef de l’Etat d’alors, Omar Bongo, avait dû au préa­lable don­ner son qui­tus.
C’est vrai. Un moment on a eu très chaud, mais c’est une inquié­tude qui a été réso­lue. Au pre­mier pas­sage de Mgr Lefebvre, c’est le Président qui avait mis à dis­po­si­tion son avion per­son­nel pour qu’il se rende à Franceville – ou à Mouila, je ne sais plus – visi­ter Mgr Ndong. On voit bien en tout cas qu’il y avait un appui bien­veillant de la part de la Présidence.

La Mission Saint-​Pie X, c’est aus­si le Père Patrick Groche, que tout le monde se plaît à recon­naître comme le bâtis­seur de cette œuvre. Les toutes jeunes filles l’appelaient « Papy Groche » et son ombre conti­nue à pla­ner sur la Mission. Beaucoup le regrettent, cer­tains le pleurent même. Depuis quelques années, il a été muté à Ecône où on dit qu’il se mor­fond. Certains parlent même d’une situa­tion de pré-​retraite. Que répondez-​vous à ceux-là ?
C’est qu’après être res­té long­temps ici au Gabon, il a été muté. Il a eu besoin de souf­fler un moment. C’est pour­quoi on lui a don­né ce poste. Mais cette situa­tion est momen­ta­née. Ce n’est cer­tai­ne­ment pas fini pour le cher Abbé Groche.

25 ans, c’est le jubi­lé ; ce sont les noces d’argent. C’est un moment qui vaut une fête. Sitôt cette phase ter­mi­née, il fau­dra pen­ser aux noces d’or, aux 50 ans. Selon vous, quelle image devrait reflé­ter la Mission Saint-​Pie X en 2036 quand elle aura à fêter ses 50 ans ?
C’est tou­jours dif­fi­cile de jouer au pro­phète. Aussi je vais essayer d’éviter de le faire. Mais on peut tou­jours expri­mer ses dési­rs. Le pre­mier désir, c’est tou­jours de faire ce que le Bon Dieu veut. Il n’y a pas de rai­son de pen­ser que le Bon Dieu veuille autre chose que le déve­lop­pe­ment de cette œuvre. On espère que dans 25 ans on aura plus de prêtres, donc plus d’apôtres à la dis­po­si­tion de fidèles ; plus de centres, plus de paroisses à Libreville, et ailleurs dans toute l’Afrique ; cela dépend des mois­son­neurs. Il faut donc deman­der au Bon Dieu d’avoir des mois­son­neurs, car la mois­son est abondante.

Permettez-​moi de ter­mi­ner, Excellence, par deux ques­tions. La pre­mière a trait aux rap­ports entre la Fraternité et Rome. Où en êtes-​vous dans vos contacts ? Question sub­si­diaire : peut-​on s’attendre, à moyen terme, à une nor­ma­li­sa­tion de ces rapports ?
Les contacts conti­nuent. Nous arri­vons pro­ba­ble­ment à la fin d’une phase de dis­cus­sions. Ce n’est pas encore tout à fait clair. Qu’est-ce qui va se pas­ser ? Quel va être l’aboutissement de cette phase ? Cela répond à la deuxième ques­tion. Qu’est-ce que Rome main­te­nant pré­voit pour nous ? Il ne faut pas se trom­per : nous sommes bel et bien dans la crise de l’Eglise ; ce n’est très cer­tai­ne­ment pas ter­mi­né. Quel est notre des­tin dans cette crise ? Je crois que quelque part le Bon Dieu nous a liés à cette crise, car nous tra­vaillons à la res­tau­ra­tion de l’Eglise, mais cela peut encore durer une décen­nie, peut-​être deux. Il faut avoir beau­coup de cou­rage et de per­sé­vé­rance. Cela peut se résoudre demain, cela peut se résoudre après-​demain. Tout est dans les mains du Bon Dieu. Restons tout sim­ple­ment fidèles.

Ma seconde ques­tion porte sur votre sen­ti­ment au len­de­main de la béa­ti­fi­ca­tion du Pape Jean-​Paul II ?
Un sen­ti­ment très mélan­gé. L’impression d’une pré­ci­pi­ta­tion invrai­sem­blable, qui méprise toutes les règles que l’Eglise elle-​même s’est don­nées avant de pro­cé­der à ce genre d’acte. L’impression d’une impru­dence. Un exemple : quand on veut béa­ti­fier ou cano­ni­ser, on exa­mine de très près ce qui a été dit et écrit par le can­di­dat qui est dit « véné­rable ». Or, ici la plus grande par­tie de tout ce qu’il a écrit se trouve dans les archives secrètes du Vatican qui n’ont pas encore été ouvertes. Nous res­tons donc mal à l’aise. Nous crai­gnons de voir là une volon­té de scel­ler une cause que Jean-​Paul II a mise en œuvre, qu’il a vou­lu conti­nuer pen­dant son pon­ti­fi­cat, dont il a vou­lu être l’apôtre.

Un der­nier mot aux fidèles, Excellence.
Tout d’abord la Foi. « Soyez fermes dans la Foi ». C’est saint Paul qui le disait déjà à ses fidèles. Il disait aus­si : « Soyez fidèles. Gardez vos tra­di­tions ». Rien de neuf. Le meilleur garant de l’avenir, c’est le pas­sé. Il nous donne toutes les leçons, nous per­met d’affronter les situa­tions nou­velles. Aujourd’hui par ces temps dif­fi­ciles, j’invite tout le monde à se mettre sous la pro­tec­tion et sous le man­teau de la Très Sainte Vierge Marie, son Cœur Immaculé. A Fatima, elle vou­lait intro­duire cette dévo­tion pour le salut des âmes. Ecoutons-la.

Merci à M. l’abbé Loïc Duverger, Supérieur du District d’Afrique, à M. l’ab­bé Nicolas Pinaud, prieur de la Mission St-​Pie X du Gabon, et à leurs col­la­bo­ra­teurs qui nous ont per­mis de publier cet entre­tien exclusif.

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.