Propos recueillis par le Professeur Hugues Mouckaga
Bonjour Excellence et merci infiniment de trouver le temps de vous détacher de vos lourdes occupations pour vous entretenir avec nous. D’entrée, nous osons cette question. C’est la cinquième fois que vous foulez le sol du Gabon pour conférer le sacrement de confirmation aux fidèles de la Mission Saint-Pie X. Quels sentiments vous animent tout spécialement ?
Une grande joie de pouvoir me retrouver sur les pas de notre très vénéré Fondateur, Mgr Marcel Lefebvre. J’essaie, chaque fois que je foule le sol de votre beau pays, non seulement de me ressouvenir mais de m’emplir de l’amour avec lequel il vous a embrassés, il y a quelques décennies. C’est chaque fois très émouvant, autrement que dans d’autres pays, à cause de ce retour aux sources.
Cette cérémonie de confirmation a été un peu particulière eu égard au nombre de confirmands : une centaine, parmi lesquels on a remarqué la présence des tout jeunes, mais aussi des hommes et des femmes d’un âge très avancé et fidèles de la Mission depuis de très longues années. Peut-on savoir ce que vous avez ressenti en voyant cette catégorie de fidèles défiler devant vous ?
Finalement, je n’ai pas eu tellement de surprises parce que c’est ce que je vois partout. Dans toute notre Fraternité, on voit tous les âges qui arrivent à la confirmation. Cependant je tiens à préciser que, lorsqu’on donne la confirmation aux ouvriers de la onzième heure, c’est toujours très émouvant parce qu’on voit le Bon Dieu qui passe et qui repasse. Parfois l’âme ne s’est pas rendue compte de ce passage, du Bon Dieu qui frappait à sa porte. Mais voilà, à la fin, elle a répondu, et le Bon Dieu peut la combler de ses grâces. C’est merveilleux.
Lors de votre homélie, vous avez décidé d’insister sur l’essence et les effets de la confirmation. Pour les fidèles qui n’ont pas bien suivi vos propos mais aussi pour les absents, vous est-il possible de reprendre la portée de cet acte dans ses grandes lignes ?
Je ne reprendrai pas le sermon qui a été long. Je voudrais juste résumer. Pour ce faire, je partirai de la première idée : la grandeur des dons du Bon Dieu, dons qui nous dépassent complètement. Et j’ose dire et affirmer sans aucune crainte de me tromper qu’une seule confirmation est pour le Bon Dieu plus grande que la création de tout l’univers. Dieu a eu cette bonté de s’abaisser à notre niveau et de nous donner des signes sensibles par lesquels nous pouvons être certains de la réception de ces dons. Si ces dons nous dépassent, comment être sûrs d’eux ? Le sacrement de la confirmation est un signe qui nous permet de savoir qu’il nous a donné ses dons. Il y a deux choses dans la forme du sacrement : « je te marque du signe de la croix » et « je te confirme du saint chrême ». Il y a des dons du Saint Esprit que le Bon Dieu fait à l’âme, et il y a le caractère de ce sacrement qui nous fait soldats du Christ. Il y a donc les dons, mais aussi les exigences de la confirmation, comme pour les apôtres à la Pentecôte.
Hier a eu lieu un événement particulier dans la vie de la Mission Saint-Pie X : l’élévation de deux dames au rang de membres du Tiers-Ordre. Peut-on savoir en quoi cela consiste ? S’agit-il d’une quasi vie religieuse ?
Non. Ce n’est pas une vie religieuse. Mais c’est la participation à certains éléments de la vie religieuse dans la vie laïque. On l’appelle le Tiers-Ordre car il vient après le premier et le deuxième qui sont d’ordre religieux. Le troisième est d’ordre civil. Ceux qui en sont membres ne peuvent pas vivre dans la vie religieuse, mais ils peuvent participer aux grâces de la vie religieuse. Nous avons fait quelque chose de semblable dans la Fraternité, à la demande des fidèles. Ceux qui en sont membres choisissent de participer à la sanctification des prêtres, mais aussi de bénéficier des grâces que cela confère.
Au-delà des confirmations que vous êtes venu conférer, votre présence rehaussera demain, 2 juin, les festivités marquant le 25e anniversaire de la fondation de la Mission Saint-Pie X du Gabon, un moment que les fidèles attendaient tant. Peut-on savoir, Excellence, ce que vous inspire cet instant particulier ?
Là aussi, c’est émouvant. 25 ans, c’est une marque particulière. D’un côté, c’est peu, d’un autre côté, c’est beaucoup. 25 ans c’est déjà une génération. Devant une vie humaine, c’est parfois moins ; devant une société, c’est relativement court, par exemple dans l’Eglise qui a 2000 ans. Mais dans les circonstances actuelles de la crise de l’Eglise, voir une œuvre qui a commencé à zéro et qui s’est développée de manière magnifique, il faut en remercier le Bon Dieu.
Si Mgr Lefebvre avait été là, il aurait pris part, personnellement, nul n’en doute, à ces festivités. Mais il est là haut, au Ciel, et il nous assiste. Vous qui le représentez, que retenez-vous des circonstances de cette fondation, en 1986 ?
Monseigneur aurait pu choisir beaucoup d’endroits pour commencer l’apostolat au centre de l’Afrique. Il y avait déjà quelque chose au sud de l’Afrique, mais ici il n’y avait rien. Il a donc choisi le Gabon. Il aurait pu choisir de le faire à Dakar, au Sénégal, où il avait été archevêque ; mais il a préféré le Gabon. Il faut dire qu’il avait le soutien de Mgr Ndong et de trois évêques à l’époque. Ils étaient assez favorables. Une porte était donc ouverte. Je crois que c’est ce qui l’a poussé à commencer ici. Mais Monseigneur a suivi les signes de la divine Providence. La Providence dispense les grâces comme elle veut ; il faut suivre le chemin. 25 ans après, quand on voit la beauté de cette mission, on voit que Mgr Lefebvre a bien suivi la divine Providence.
L’on sait que la partie n’était pas gagnée d’avance, en raison de la crise qui couvait déjà entre l’Eglise conciliaire et la Fraternité. Pour l’histoire, Excellence, qu’est-ce qu’on peut retenir comme éléments majeurs ayant permis l’implantation de la Mission Saint-Pie X au Gabon ?
Je pense qu’au départ il y a ceux qui se souvenaient de Mgr Lefebvre. Les anciens qui se souvenaient de lui, de la messe, du chant grégorien. Je me souviens, au début, de ces séminaristes qui savaient encore la messe par cœur, qui chantaient par cœur le propre sans préparation. Cela dit beaucoup pour les débuts. Il fallait ce terrain qui était prêt.
Il se dit même que la Présidence de la République Gabonaise et plus spécialement, le Chef de l’Etat d’alors, Omar Bongo, avait dû au préalable donner son quitus.
C’est vrai. Un moment on a eu très chaud, mais c’est une inquiétude qui a été résolue. Au premier passage de Mgr Lefebvre, c’est le Président qui avait mis à disposition son avion personnel pour qu’il se rende à Franceville – ou à Mouila, je ne sais plus – visiter Mgr Ndong. On voit bien en tout cas qu’il y avait un appui bienveillant de la part de la Présidence.
La Mission Saint-Pie X, c’est aussi le Père Patrick Groche, que tout le monde se plaît à reconnaître comme le bâtisseur de cette œuvre. Les toutes jeunes filles l’appelaient « Papy Groche » et son ombre continue à planer sur la Mission. Beaucoup le regrettent, certains le pleurent même. Depuis quelques années, il a été muté à Ecône où on dit qu’il se morfond. Certains parlent même d’une situation de pré-retraite. Que répondez-vous à ceux-là ?
C’est qu’après être resté longtemps ici au Gabon, il a été muté. Il a eu besoin de souffler un moment. C’est pourquoi on lui a donné ce poste. Mais cette situation est momentanée. Ce n’est certainement pas fini pour le cher Abbé Groche.
25 ans, c’est le jubilé ; ce sont les noces d’argent. C’est un moment qui vaut une fête. Sitôt cette phase terminée, il faudra penser aux noces d’or, aux 50 ans. Selon vous, quelle image devrait refléter la Mission Saint-Pie X en 2036 quand elle aura à fêter ses 50 ans ?
C’est toujours difficile de jouer au prophète. Aussi je vais essayer d’éviter de le faire. Mais on peut toujours exprimer ses désirs. Le premier désir, c’est toujours de faire ce que le Bon Dieu veut. Il n’y a pas de raison de penser que le Bon Dieu veuille autre chose que le développement de cette œuvre. On espère que dans 25 ans on aura plus de prêtres, donc plus d’apôtres à la disposition de fidèles ; plus de centres, plus de paroisses à Libreville, et ailleurs dans toute l’Afrique ; cela dépend des moissonneurs. Il faut donc demander au Bon Dieu d’avoir des moissonneurs, car la moisson est abondante.
Permettez-moi de terminer, Excellence, par deux questions. La première a trait aux rapports entre la Fraternité et Rome. Où en êtes-vous dans vos contacts ? Question subsidiaire : peut-on s’attendre, à moyen terme, à une normalisation de ces rapports ?
Les contacts continuent. Nous arrivons probablement à la fin d’une phase de discussions. Ce n’est pas encore tout à fait clair. Qu’est-ce qui va se passer ? Quel va être l’aboutissement de cette phase ? Cela répond à la deuxième question. Qu’est-ce que Rome maintenant prévoit pour nous ? Il ne faut pas se tromper : nous sommes bel et bien dans la crise de l’Eglise ; ce n’est très certainement pas terminé. Quel est notre destin dans cette crise ? Je crois que quelque part le Bon Dieu nous a liés à cette crise, car nous travaillons à la restauration de l’Eglise, mais cela peut encore durer une décennie, peut-être deux. Il faut avoir beaucoup de courage et de persévérance. Cela peut se résoudre demain, cela peut se résoudre après-demain. Tout est dans les mains du Bon Dieu. Restons tout simplement fidèles.
Ma seconde question porte sur votre sentiment au lendemain de la béatification du Pape Jean-Paul II ?
Un sentiment très mélangé. L’impression d’une précipitation invraisemblable, qui méprise toutes les règles que l’Eglise elle-même s’est données avant de procéder à ce genre d’acte. L’impression d’une imprudence. Un exemple : quand on veut béatifier ou canoniser, on examine de très près ce qui a été dit et écrit par le candidat qui est dit « vénérable ». Or, ici la plus grande partie de tout ce qu’il a écrit se trouve dans les archives secrètes du Vatican qui n’ont pas encore été ouvertes. Nous restons donc mal à l’aise. Nous craignons de voir là une volonté de sceller une cause que Jean-Paul II a mise en œuvre, qu’il a voulu continuer pendant son pontificat, dont il a voulu être l’apôtre.
Un dernier mot aux fidèles, Excellence.
Tout d’abord la Foi. « Soyez fermes dans la Foi ». C’est saint Paul qui le disait déjà à ses fidèles. Il disait aussi : « Soyez fidèles. Gardez vos traditions ». Rien de neuf. Le meilleur garant de l’avenir, c’est le passé. Il nous donne toutes les leçons, nous permet d’affronter les situations nouvelles. Aujourd’hui par ces temps difficiles, j’invite tout le monde à se mettre sous la protection et sous le manteau de la Très Sainte Vierge Marie, son Cœur Immaculé. A Fatima, elle voulait introduire cette dévotion pour le salut des âmes. Ecoutons-la.
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